jeudi 6 décembre 2007

Soeurs humaines...

Je côtoie presque chaque jour deux mondes aux antipodes apparemment l'un de l'autre: celui du collège et celui de la clinique psychiatrique.

Le collège, j'y enseigne. La clinique, mes parents y ont travaillé et ma mère y est hébergée depuis la mort de mon père, bien qu'elle n'ait absolument aucune maladie psychique.

Ainsi, parfois en une demi-heure, je change d'univers, en fin d'après-midi. Des cours de récréation et des couloirs surchargés et bruyants, plein d'une vitalité débordante, je passe à des corridors souvent déserts, à des salons où les patientes sont endormies devant la télévision, certaines pliées en deux sur leur fauteuil, prêtes à tomber.

Ce passage d'un monde à l'autre ne m'avait jamais autant frappé qu'aujourd'hui.

Pourtant, ils se ressemblent, ces deux univers. Dans chacun, on s'occupe d'êtres fragiles, à consolider, à former pour les uns, à empêcher de trop se déformer pour les autres. Il faut y employer les mêmes doses de patience, les mêmes ruses, la même force de persuasion, parfois la même violence. Et à coup sûr, on en ressort épuisé après une journée de travail.

Lorsque je vois toutes ces femmes (il s'agit d'une clinique à fréquentation uniquement féminine), je ne peux parfois m'empêcher de les comparer avec mes collègues, au désavantage de ces dernières. On serait surpris d'apprendre où se trouvent les plus hystériques. Bien sûr, mes collègues n'ont pas de traitement pour les calmer, et certains jours, je trouve que c'est bien dommage, surtout en fin de trimestre.

Les malades, d'abord très distantes, m'ont peu à peu intégré à leur univers, me saluent à l'unisson, le soir, quand je traverse leur salon pour rejoindre ma mère dans sa chambre, et me saluent à nouveau avec le même ensemble quand je m'en vais. Certaines, parfois, quand leur état le leur permet, m'adressent même des petits mots plus personnalisés. Ma soeur, elle, les a totalement conquises: elles l'appellent déjà par son prénom.

Ainsi, ces formes qu'au début je voyais larvaires, quasi non-humaines ont retrouvé à mes yeux toute leur humanité. Comment peut-on oublier si vite, devant des malades psychiatriques, qu'ils sont des hommes comme nous, et pas des monstres qui effraient, qu'ils ont encore (et surtout) besoin d'amour et de tendresse, qu'il souffrent certainement du regard qu'on leur porte? Que, hors périodes de crise, ils tentent de vivre une vie presque normale et y parviennent à certains moments? Que ces visages grimaçants ont été beaux, aimés, caressés par l'amant? Que certaines de ces femmes ont aimé justement jusqu'à la folie?

Comment peut ne pas voir qu'entre elles et nous, il n'y a même pas un pas, que ce sont nos soeurs, nos semblables?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me demande bien qui sont ces collègues hystériques...

Anonyme a dit…

Pas d'inquiétude pour toi S, tu n'en fait pas partie.

Entre tes deux mondes, tu as en plus le sas de la voiture et de la circulation en ville. Je comprends que les livres puissent t'apporter du repos.