lundi 31 octobre 2011

Profil

Par hasard, j'ai relu tout à l'heure le profil que j'ai écrit pour ce blog il y a quatre ans, en Octobre 2007:
"Timide mais volontaire, gentil mais têtu, très fidèle en amitié mais... Aimant la littérature, le sport (course à pieds), la musique, la sensualité."

Toujours intéressant de se pencher sur le passé, même proche. J'ai souri, un peu. Qu'y avait-il de vrai dans cette présentation à l'époque? Que reste-t-il aujourd'hui de vrai dans ces mots?

"Timide mais volontaire": pas si timide que ça, en réalité. en tout cas, ça n'apparaît plus guère, ou rarement. Volontaire: il me fallait l'être, à l'époque. Je n'avais guère d'autre choix. Mais ma volonté, elle est comme la pierre ponce, elle s'émousse peu à peu depuis le temps que je la frotte à la réalité.

" Gentil mais têtu": je crois que je suis en train de prendre le premier adjectif en horreur. La gentillesse passe trop souvent pour de l'imbécillité ou pour un manque de personnalité. L'obstination me reste même si je ne l'emploie pas toujours à bon escient.

"Très fidèle en amitié": toujours vrai mais je préférerais que ça me passe. L'amitié, c'est comme l'amour, il faut que ce soit partagé. Comme le chante Ferrat: "J'en ai tant vu qui s'en allèrent"....

"Mais...": c'est grotesque.

" Aimant la littérature": encore vrai, "le sport (course à pieds): disparu depuis deux ans, "la musique": oui, même si j'en écoute de moins en moins, "la sensualité": oui, je crois que je ne pourrai jamais me débarrasser de ce vice.

Alors, tableau trompeur? Vérité d'un instant d'il y a quatre ans, qu'il faudrait reprendre aujourd'hui? Je ne le ferai pas. Je préfère regarder juste au dessus, dans la colonne de droite. La photo dit tout ce qu'il y a à dire.

Momentini

- Samedi: Rhône et Isère pour Frédéric, dimanche: Rhône et Loire pour moi, aujourd'hui: Ain pour Jean-Claude. Sillonné la région en tous sens, bons repas à la clé (tête de veau, grenouilles, ....) et bonnes bouteilles. Mais ce soir, une légère overdose de cimetières.

- Entamé Lonesome drove de Larry McMurtry, le scénariste du Secret de Brokeback Mountain. Une histoire de cowboys comme je les aime, comme je les ai toujours aimées. Et ça dans une nouvelle collection de poche qui est pleine de promesses et qui m'a déjà donné deux plaisirs de lecture: Indian Creek (Pete Fromm) et Little Bird (Craig Johnson)

- Touché par la disparition de Robert Lamoureux et par son émotion lors d'un hommage qui lui fut rendu il y a quelques années. C'est un peu de l'univers du cinéma de mes parents qui s'en va avec lui.

- Passé aujourd'hui devant l'église de Brou à Bourg-en-Bresse. Deuxième fois que ça se produit sans que nous ayons le temps de nous y arrêter. J'ai toujours eu envie de la visiter. Prévoir une sortie juste pour ça.

- Sheila à une émission grand public: Danse avec les stars. Elle m'émeut, cette petite bonne femme, toute vilaine qu'elle soit devenue.

- Lyon est vide, moi vidé.

Films noirs

Pendant ce week-end, vu ça:



et aussi ça:



Billy Wilder et Georges Franju, Gloria Swanson et Alida Valli, Richard Strauss et Maurice Jerre. Il y a pire comme compagnie!

dimanche 30 octobre 2011

Des huitres et des escargots .

Spartacus, Stanley Kubrick, 1960.

Une bonne idée de Gore Vidal pour le film Ben Hur. (William Wyler, 1959)

Interview de Gore Vidal par Bruno Villien.

Bruno Villien : La même année 1959, vous avez collaboré à Ben Hur...

Gore Vidal : J'ai passé à Rome les trois premiers mois du tournage. J'ai écrit environ les deux premiers tiers du scénario, jusqu'à la course de chars. Et Christopher Fry a écrit le reste. Ni l'un ni l'autre nous ne figurons au générique. Un écrivain, qui avait travaillé sur une cinquième version avant nous, a signé seul, parce qu'il se trouvait être président du syndicat des scénaristes (1). Le producteur étant mort, il a dit - et pourtant, Fry et moi, nous étions à Rome avec Wyler ! - qu'il avait envoyé au producteur, à Rome, les pages qu'il avait écrites à Hollywood. Ce n'est pas un film que j'aimerais emporter dans ma tombe.


Il y a une bonne scène, et c'était une scène homosexuelle. William Wyler m'a dit : « Comment justifiez-vous ce fouillis ? » Quand nous sommes arrivés, il n'y avait qu'un énorme scénario impossible à tourner. Les décors étaient déjà construits, la MGM courait à la ruine... Willie, Sam et moi sommes venus en avion de New York, dans un de ces vieux SAS où vous aviez une couchette pour dormir. Willie a passé la nuit à lire ce scénario qui ressemblait à l'annuaire du téléphone. Le matin, il était vert, il a dit: « Mon Dieu, c'est terrible ! » - « Pourquoi l'avez-vous accepté ? » - « Vous connaissez quelque chose aux Romains ? » - « Oui, des tas de choses ! » - « Ah, Dieu merci ! » Et Willie s'est fait passer tous les films qu'on avait fait sur les Romains, comme si vous pouviez apprendre quoi que ce soit d'un film : Quo Vadis, le premier Ben Hur...


Il m'a dit : « Nous avons un problème, et si nous le résolvons, le film fonctionne : pourquoi deux jeunes hommes qui ne se sont pas revus depuis qu 'ils étaient amis dans leur adolescence, se disputent-ils ? Le Romain veut que le Juif lui apporte son aide politique, le Juif refuse, ils ont une dispute terrible, et voilà le film parti pour deux heures. Comment montrer cela en une seule scène ? » Je lui ai répondu : « Willie, voici comment vous faites : vous ne le montrez pas ! » - « Comment cela ? » - « Vous êtes d'accord avec moi que le point de départ est ridicule. Une dispute politique entre deux jeunes hommes qui ont été des amis intimes ne va pas produire une haine telle qu 'elle nourrit un drame entier. » Il était d'accord.

« Voici ma solution. Adolescents, ils étaient amants. Ils se retrouvent. Le Romain veut reprendre la liaison, le Juif refuse. » — « Mon Dieu, Gore, c'est Ben Hur, vous ne pouvez pas faire cela ! » (rires) — « Vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Vous n 'êtes pas obligé d'être explicite. Je vais vous écrire une scène d'amour dans laquelle le Juif repousse le Romain. Elle aura un tel pouvoir d'émotion qu'elle déterminera tout le film. Vous comprendrez, le public sentira que quelque chose de terrible se brise entre eux.

Le mot « homosexuel » ne sera jamais utilisé, personne ne touchera personne, Willie, je vous le promets ! » - « Essayez, n'importe quoi vaut mieux que ce que nous avons ! » J'ai coupé la scène en deux, je l'ai écrite, et nous avons appelé les deux garçons, Stephen Boyd et Charlton Heston. Willie m'a dit : « Ne dites rien à Chuck, il tombera en morceaux s'il apprend de quoi il s'agit. » Et Heston n'en a rien su. Je l'ai dit à Stephen Boyd, qui a répondu : « Pourquoi pas ? Essayons ! » Ils ont lu la scène, et on l'a tournée. Quand vous verrez le film, regardez bien ce que fait Boyd : Boyd regarde Heston avec une expression de désir comme vous n'en avez jamais vue. Quand Heston le rabroue pour des raisons politiques, Boyd donne une impression de rage, dans une scène étrange où il caresse le grand chien qui se trouve à ses côtés. Et vous comprenez que commence un « chagrin d'amour ». Willie nie que cette conversation ait jamais eu lieu. La dernière fois que je l'ai vu, il y a deux ans, il m'a dit : « Gore, ce n 'est pas vrai ! » Je lui ai répondu : « Willie, regardez le film ! Voilà ce que vous avez mis en scène, voilà ce que j'ai écrit, voilà ce que Stephen Boyd a joué, voilà ce qui est sur l'écran ! » - « Peut-être que je voulais l'effacer... » - « Je ne sais pas ce que vous vouliez, mais c'est comme ça » (rires).

(1) Il s'agit de Karl Tunberg, né en 1907 : scénariste (A Yank in the RAF, 1941 - Beau Brummel, 1954) et producteur (Masquerade in Mexico, 1945).

Revue Cinématographe n°96, Propos recueillis et traduits par Bruno Villien, janvier 1984, page 48

Les premiers mots (feutrés)

Spartacus, de Stanley Kubrick (1960). Dialogue entre Marcus Licinius Crassus (Laurence Olivier) et son bel esclave affranchi Antoninus (Tony Curtis).

Crassus – As-tu jamais volé, Antoninus ?
Antoninus – Non, maître.
Crassus – As-tu jamais menti ?
Antoninus – Pas, si je peux l’éviter.
Crassus – As-tu jamais déshonoré les dieux ?
Antoninus – Non, maître.
Crassus – Te refrènes-tu de ces vices par respect des vertus morales ?
Antoninus – Oui, maître.
Crassus – Manges-tu des huîtres ?
Antoninus – Lorsque j'en ai, maître.
Crassus – Manges-tu des escargots ?
Antoninus – Non, maître.
Crassus – Considères-tu que c'est moral de manger des huîtres et immoral de manger des escargots ?
Antoninus – Non, maître.
Crassus – Bien sûr que non. Tout est une question de goût, n'est-ce pas ?
Antoninus – Oui, maître.
Crassus – Et le goût n'est pas semblable à l'appétit et donc n'a aucun rapport avec la moralité, n'est-ce pas ?
Antoninus – Cela pourrait sans doute se discuter, maître.
Crassus – Ça suffit. Mes vêtements, Antoninus. Pour satisfaire mes goûts... il me faut des huîtres et des escargots.

samedi 29 octobre 2011

Une place, la nuit.






Place Belleville, Lyon 8°

Pages marquantes (20)

Les mains de George cessèrent de manier les cartes. Sa voix se fit plus intense.

-Et nous pourrions avoir quelques cochons. J'pourrais construire un fumoir comme celui qu'avait grand-père, et, quand on tuerait le cochon, on pourrait fumer le lard et le jambon, et faire du boudin et un tas d'autres choses. Et quand le saumon remonterait la rivière, on pourrait en attraper un cent et les saler et les fumer. On pourrait en manger au premier déjeuner. Y a rien de meilleur que le saumon fumé. À la saison des fruits, on pourrait faire des conserves... les tomates, c'est facile à mettre en conserves. Tous les dimanches, on tuerait un poulet ou un lapin. Peut-être bien qu'on aurait une vache ou une chèvre, et de la crème si épaisse qu'il faudrait la couper au couteau et la prendre avec une cuillère.

Lennie le regardait, les yeux écarquillés, et le vieux Candy le regardait aussi. Lennie dit doucement:

- On vivrait comme des rentiers.

- Pour sûr, dit George. Un tas de légumes dans le jardin, et, si on voulait un peu de whiskey, on n'aurait qu'à vendre quelques œufs ou quelque chose, ou du lait. C'est là qu'on habiterait. Ça serait notre chez-nous. Y aurait plus besoin de courir le pays et de se faire nourrir par un cuisinier japonais. Non, non, nous aurions notre propre maison qui serait à nous, et on ne dormirait plus dans une chambrée.

- Parle-moi de la maison, George, supplia Lennie.

- Oui, on aurait une petite maison et une chambre pour nous autres. Un petit poêle en fonte tout rond, et, l'hiver, on y entretiendrait le feu. Y aurait pas assez de terre pour qu'on soit obligé de travailler trop fort. Six ou sept heures par jour, peut-être bien. On aurait pas à charger de l'orge onze heures par jour. Et, quand on planterait une récolte, on serait là pour la récolter. On verrait le résultats de nos plantations.

- Et des lapins, dit Lennie ardemment. Et c'est moi qui les soignerais. Dis-moi comment que je ferais, George ?

- Bien sûr, t'irais dans le champ de luzerne avec un sac. Tu remplirais le sac et tu l'apporterais dans les cages aux lapins.

- Et ils brouteraient, ils brouteraient, dit Lennie, comme ils font, tu sais. J'les ai vus.

- Toutes les six semaines, à peu près, continua George, y en aurait qui feraient des petits. Comme ça, on aurait des tas de lapins à manger ou à vendre. Et nous garderions quelques pigeons pour voler autour du moulin, comme ils faisaient quand j'étais gosse.

(John Steinbeck, Des Souris et des Hommes. Gallimard. Trad. de M-E Coindreau.)

Microcosme

Les cimetières sont-ils des endroits tristes et ennuyeux? Je ne crois plus aujourd'hui. Enfant et même un peu plus tard, c'était pour moi une épreuve à subir à chaque fois. Dans mon esprit, ces lieux étaient vides. Je savais qu'il y avait à mes pieds, sous la dalle, ma grand-mère, mon père, ma petite sœur et d'autres que j'avais à peine ou pas connus. Mais je n'arrivais pas à imaginer qu'il soient ainsi, morts définitivement, en putréfaction, coincés à jamais sous cette chape de granit. Pour ma sœur, je m'étais inventé une histoire: elle était partie un jour sur les routes, pour mener une vie de bohème, pour ne plus revenir. Alors, je regardais en face, de l'autre côté de la vallée, les cimes boisées du Pilat couvert de sapins et de bruyères. Et je regrettais qu'ils ne puissent eux aussi les voir comme je les voyais, dans leur beauté d'automne. Sur la tombe de Pierre, égoïstement, je n'ai pas mis de dalle: de la terre qui ne masque pas (dans ma folie) la vue, et une lavande pour la vie qu'y apportent les abeilles.

Aujourd'hui, il m'arrive parfois de m'y promener, à l'occasion d'une visite. Après avoir été muets pendant des années, ils me parlent maintenant. Ils sont le reflet exact d'un village, d'une région, d'un pays. Les visages des morts dans un sourire d'autrefois et qui sourient encore sous les craquellements du temps. Des jeunes, des vieux, des beaux, des laids, ceux pour qui on invente une histoire, ceux dont on croit deviner le caractère, ceux que l'on aurait aimé connaître. Des plaques commémoratives, aux messages un peu niais, à la poésie de bazar ou aux envolées dithyrambiques. Des tombeaux, du plus simple au plus orgueilleux, véritable maison remplie de pacotille, ceux qui sont entretenus régulièrement, ceux qui penchent avant de tomber, ceux qui ne sont plus que ruines, dont le dernier mort est depuis longtemps réduit en poussière et que la végétation envahit, mauvaise herbes disgracieuses, cyprès monumental ou rosier resplendissant.

Et puis, les noms de famille: ceux qui, à eux seuls disent un long chemin de voyages et de fatigues, ceux à rallonge, qui s'effacent comme les autres, les imprononçables, les drôles sans le savoir, les célèbres, les sans grade, les redondants. Tout un monde qui fut et dont, avec eux, a disparu le souvenir.



Et la splendeur des couleurs de novembre, ces fleurs d'or que l'on y dépose une fois l'an et qui finiront sous le gel ou renversées par le vent.

vendredi 28 octobre 2011

Momentini

- Champignons aujourd'hui. L'après-midi. Cueillette honorable mais pas de cèpes. Il faisait doux malgré le temps maussade. Jean-Claude malade. Retour un peu avancé. Toujours pas les vraies couleurs de l'automne.

- Ridicule des caissières de Casino déguisées en sorcières. Je les plains d'être obligées de se plier à cette mascarade. Du noir et du orange partout. Pourquoi s'entêter à implanter ici une fête qui ne nous est rien? Encore du gâchis de courges à prévoir.

- Un jeune con (25 ans!) à trottinette au milieu de la rue, empêchant ostensiblement les voitures de passer. Il pourra être fier, ce soir, en racontant son exploit à ses amis du 6° arrondissement.

- J'ai rêvé de Pierre cette nuit. Un cauchemar reprenant une histoire vieille de plus de vingt ans. Réveil avec le cœur qui bat. Tout reste imprimé. Chronos nous dévore sans nous laver.

- Un arbre rouge sur la colline, au milieu du noir des sapins. Surprise de la nature. Ai pensé au petit mur jaune de Vermeer.

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (55)

Saint-Saëns. Danse macabre.

Toilette d'automne

La vieille sort du cimetière, elle avance à pas comptés sur le trottoir étroit. Les voitures la frôlent sans la voir. Elle non plus ne les voit pas. Elle a déjà assez de peine à marcher droit avec ses vieux souliers tout éculés. Quelqu'un lui crie quelque chose par la vitre baissée. Elle ne l'entend pas, ou depuis longtemps ne répond plus aux insultes. Sa robe est fanée, ses bas épais se tordent sur ses mollets maigres. Elle avance. A la main un sac plastique d'un supermarché d'alimentation discount d'où sortent le manche d'une balayette et un bout de bois pour gratter. Elle a nettoyé la tombe, un peu avant la Toussaint. Son mari ou son fils est là, sous la dalle. S'il ne pleut pas, la pierre restera propre jusqu'au dépôt des fleurs, un chrysanthème mordoré à grosses boules, toujours le même chaque année. Mais ils sont de plus en plus difficiles à trouver. S'il pleut, elle reviendra, malgré la distance, malgré la douleur que lui causent ses pas. Maintenant, il est temps d'aller nourrir le chat.

jeudi 27 octobre 2011

Le choc des mots, le poids de la couverture.

Autrefois, lorsque je lisais, je lisais. Lorsque j'écoutais de la musique, j'écoutais de la musique. J'étais dedans, immergé, envoûté, vibrant, m'identifiant. Je n'étais plus dans mon lit, je chevauchais dans les Steppes de l'Asie centrale , je tentais de survivre dans une île déserte dont je sentais le soleil ardent me brûler la peau, j'avais peur, j'aimais, je souffrais, je m'appelais Raskolnikov ou Emma, Aureliano Buendia, Werther ou Cléa, D'Artagnan ou Sherlock. Je me tenais au pied de la Croix, comme la Mère, gémissant et pleurant. Je devenais tour à tour le Comte et Chérubin, Tosca et le Baron Scarpia, Constance Bonacieux et Milady de Winter. Calyste n'existait plus. La réalité n'existait plus, la fiction devenait réelle.

Aujourd'hui, j'entends les notes, je les attends comme des amis que l'on invite un soir. Je sais ce qu'elles vont dire, ce que j'aime chez elles et ce que je n'aime pas. Parfois même mon attention s'envole et je ne reprends qu'à la fin du morceau. J'écoute les mots mais ces mots font des phrases, et ces phrases, je les regarde comme des phrases, bancales ou plaisantes, ennuyeuses à mourir ou pleines du charme discret de la légèreté. Les personnages sont eux, pas moi, bien distincts, bien différenciés, certains me font vibrer mais je ne les intègre plus et je sais que, souvent, ce que je lis n'ira pas plus loin que la dernière page tournée et le livre fermé. Ce n'est plus le soleil brûlant que je sens dans mon lit, c'est le poids de la couverture ou la douceur des draps. Et je m'endors sans savoir si j'y ai gagné ou si j'y ai perdu.

Tout baigne !

L'Europe est sauvée, les assassins argentins condamnés, les dinosaures du PS réconciliés. On s'approche de Noël! D'ailleurs les papillotes sont déjà en magasin! Au fait, comment dit-on papillote en chinois?

mercredi 26 octobre 2011

Trois langues, trois voix, trois sons

Gluck, Orfeo ed Euridice.

Teresa Berganza




Maria Callas



Kathleen Ferrier

Roman avec cocaïne

Les premières pages de ce roman de M. Aguéev m'avait emballé. Cet état de grâce a duré jusqu'aux trois-quarts environ du bouquin. Ensuite, il m'est tombé des mains. Si le style très classique de cet auteur russe n'a rien pour me déplaire, j'apprécie moins le manque de structuration interne de son histoire. Le début raconte les états d'âme d'un pauvre jeune homme qui a honte de sa pauvreté et fait tout pour la cacher, y compris en reniant sa mère en public. Bien, très bien même à quelques dérapages saugrenus près.

Mais lorsque le héros sombre dans l'addiction à la cocaïne, cela devient inintéressant au possible. Pendant des pages et des pages, l'auteur analyse les effets dévastateurs de cette drogue sur Maslennikov et là, j'ai décroché. Quel rapport romanesque avec le début? Pourquoi s'étaler aussi longuement? On espère un retour à un schéma narratif plus traditionnel, à une reprise de l'évocation de l'entrée dans l'âge adulte de cet homme fragile. Rien! Et la fin, en queue de poisson, ne rachète pas ce long épisode indigeste.

On ne sait presque rien de cet écrivain russe, seulement qu'il a écrit un seul roman, celui-ci. Cyniquement, ce soir, je pense qu'il a bien fait!

( M. Aguéev, Roman avec cocaïne. Ed. Belfond. Trad. de Lydia Chweitzer.)

Soleil, soleil

Déjeuné aujourd'hui avec Frédéric dans notre petit restaurant près de l'ancien marché-gare. A la réservation au téléphone ce matin, j'avais demandé l'intérieur. Mais soleil splendide à midi, donc changement de programme. Ce sera dehors! Un ciel magnifiquement bleu, une température digne d'une fin d'été. J'étais en bras de chemise. Sans doute la dernière fois de l'année, à quelques jours de la Toussaint.

En rentrant après quelques courses, je trouve la grande pièce tout ensoleillée. Je ne m'étais pas encore vraiment rendu compte combien elle est belle maintenant, comme le reste de l'appartement. J'ai repensé à quelques mois en arrière, à la crasse qui avait gagné partout, à l'entassement des meubles, aux papiers peints défraîchis, aux plafonds ternis, à tout ce qui était ma vie et que je ne regardais plus, que je ne voyais plus. Bref, une bonne journée qui a vite fait oublier celle d'hier.

mardi 25 octobre 2011

Pages marquantes (19)

Aujourd'hui cinq novembre je commence mon récit. Je noterai tout, aussi exactement que possible. Pourtant je ne sais même pas si aujourd'hui est bien le cinq novembre. Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance. Je n'ai à ma disposition que quelques rares indications, car il ne m'était jamais venu à l'esprit d'écrire ce récit et il est à craindre que dans mon souvenir bien des choses ne se présentent autrement que je les ai vécues.
Ce défaut est sans doute inséparable de tout récit. Je n'écris pas pour le seul plaisir d'écrire. M'obliger à,écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n'ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d'hiver. Il est peu probable que ces lignes soient un jour découvertes. Pour l'instant je ne sais pas si je le souhaite. Je le saurai peut-être quand j'aurai fini d'écrire ce récit.
J'ai entrepris cette tâche pour m'empêcher de fixer yeux grands ouverts le crépuscule et d'avoir peur. Car j'ai peur. la peur de tous côtés monte vers moi et il ne faut pas attendre qu'elle m'atteigne et me terrasse. J'écrirai jusqu'à ce que la nuit tombe et jusqu'à ce que ce travail dont je n'ai pas l'habitude me rende somnolente, la tête vide. Ce n'est pas le matin que je crains, mais les longs après-midi ténébreux.
(Marlen Haushofer, Le Mur invisible. Trad. de Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon. Actes sud)

Diversité

Il a plu toute le journée ici. Un temps de rangements. Sur le parquet, devant moi, cinq petits tas de polycopiés pour mes élèves: un pour les sixièmes, un pour les cinquièmes et trois pour les niveaux de latin. Tous mes cours de ce début de premier trimestre qui n'attendent plus qu'à réintégrer leurs classeurs respectifs. Chaque année, je me dis que je vais les classer au fur et à mesure et chaque année, ils s'entassent ainsi, attendant les prochaines vacances.

En les feuilletant, je me rends compte de la diversité de ce qui fait mon travail journalier. Ainsi, sur les lames, se côtoient, mais plus pêle-mêle, l'accord du sujet et du verbe, l'étude de la littérature courtoise et de Tristan et Iseut, les légendes autour de la naissance de Rome, Brutus et les premiers héros de la République et les mésaventures de Tomyris, la reine des Scythes.

Je crois que c'est en grande partie grâce à cette diversité que j'aime encore mon travail d'enseignant. D'autant que je n'ai jamais aucune note devant moi lorsque je suis en classe, contrairement à certains de mes collègues qui s'en tiennent mordicus à ce qu'ils ont écrit. On ne peut pas me reprocher de faire toujours le même cours. Je m'adapte aux enfants que j'ai devant moi. Et c'est cette autre diversité, celle des collégiens chaque année renouvelés, toujours profondément différents, celle des classes plus ou moins réceptives et qu'il faut conquérir, qui me permet de ne pas trop m'encroûter. Enfin, j'espère!

Les premiers pas

A la télévision des années 70. Enfin, on ose en parler. Ce qui donne des moments croustillants, drôles et parfois émouvants, vus d'aujourd'hui.

lundi 24 octobre 2011

Les gens du dimanche






Y a qu'à bien s'tenir!

Pâte de coings

Pour tromper la "gueuse", cette apathie dont je parlais tout à l'heure, j'ai préparé de la pâte de coings. Mon père en faisait une excellente. Mon frère a eu la bonne idée de lui en demander la recette avant sa mort. La voici donc:

- Acheter environ deux kilos de coings, les peler (attention: c'est un fruit très dur. Prévoir un bon couteau et, éventuellement, une protection pour les mains), ôter la partie centrale qui contient les pépins. Peser ce qui reste.

- Découper les coings en cubes pas trop gros, les faire cuire à la vapeur dix minutes environ. Les égoutter.

- Mixer (facultatif, selon ses goûts personnels).

- Mélanger la purée ainsi obtenue avec son équivalent (en poids) de sucre. Il est préférable d'utiliser du sucre spécial confitures qui permet de cuire moins longtemps.

- Ajouter du jus de citron, environ deux cuillerées à soupe.

- Remettre sur le gaz (cocotte ouverte) et faire cuire à feu doux en tournant régulièrement avec un fouet. Attention aux projections.

- Lorsque la pâte est cuite, elle s'épaissit un peu et prend une couleur plus sombre.

- La verser à la louche dans plusieurs petits contenants et laisser refroidir.

- Il est préférable ensuite de ne pas la conserver au réfrigérateur, ce qui crée une pellicule de moisissure à la surface.

- Il ne reste plus qu'à déguster l'hiver durant. En espérant que vous prendrez à cette dégustation autant de plaisir que moi.

Saloperie de vacances

On se dit toujours: "Tiens, chouette, les vacances! On va pouvoir en profiter, faire tout ce que l'on n'a pas le temps de faire autrement, se faire plaisir!". Et chaque fois, c'est la même chose: grosse fatigue, aussi bien physique que psychologique, humeur grognonne où l'on prend tout mal, où l'on se sent sans cesse attaqué, où l'on n'a plus envie de grand chose.

On a beau dormir, se lever plus tard, on n'est pas plus actif pour autant. On traîne en robe de chambre, on commence quelque chose qu'on laisse en plan deux minutes après, on fume une cigarette, puis deux, puis trois, et, à la fin de la matinée, le paquet est presque vide. Et le pire, c'est que l'on s'en veut de cette inertie, de ce manque d'étincelles.

Je ne sais encore pas bien ne rien faire, même si j'ai fait des progrès de ce côté-là. Mais lorsque je regarde la liste (mentale) de taches à accomplir que je me suis dressé, les bras m'en tombent. Alors, je reprends une cigarette et je vais faire un tour devant cet écran, comme s'il allait me donner l'élan nécessaire.

Saloperie de vacances! Heureusement, en général, au bout de deux ou trois jours, ça passe!

dimanche 23 octobre 2011

Transport assez commun

J'en ai marre de prendre le métro! C'est plein d'étrangers! Des Portugais, des Yougoslaves, des Africains, des Turcs, des Monégasques, des Bretons, et que sais-je encore! Quand il y a un Français, tu le remarques tout de suite: c'est le seul qui parle comme tout le monde! J'en ai marre! Parce que figure-toi qu'il n'y a pas de place, et que les étrangers s'assoient quand même! Ils ne parlent pas français mais ils ont deux fesses, autant que toi! Et tu restes debout! Et t'es obligé d'entendre des tas de vagabonds américains, allemands, anglais, auvergnats, qui te chantent des idioties dans des jargons même pas de chez nous! Franche­ment, j'en ai marre!
(Yak Rivais, Le métro mé pas tro. L'École des loisirs.)

L'arroseur arrosé

Un ami, que je ne nommerai pas par pure bonté d'âme (!) mais qui se reconnaîtra, nous a fait un petit festival de mots décalés ces deux derniers jours. Manque d'attention, fatigue ? Toujours est-il qu'habituellement, il n'est pas coutumier du fait et que c'est cela qui nous a d'autant plus fait rire.

Hier soir, alors que nous nous régalions d'un excellent lapin chasseur arrosé d'un bordeaux blanc ou d'un Pouilly-Fuissé au choix, il s'est exclamé auprès du maître de maison: "Tu es allé le chercher ce matin dans ton clavier!". De la musique avant toute chose, ou, pour un cuisinier, comment tirer le meilleur de son piano!

Quelques minutes plus tard, sans doute emporté par l'élan d'une soirée bien arrosée, il a remis le couvert en s'adressant à l'un des convives: " Toi, tu es comme le sphinx, tu renais toujours de tes cendres !" Personne n'a relevé, sauf moi, bien entendu. J'en avais les larmes aux yeux, d'autant plus en voyant sa tête dépitée où le rire l'emportait pourtant sur la vexation.

Et avant hier, il avait entamé la série par la plus belle de toutes. Nous parlions de cet été et de ses vacances en Espagne. D'un air convaincu, il a lancé, très velléitaire: " L'an prochain, je m'achète une méthode Coué. Je pourrai enfin faire des phrases en espagnol!"

Non, non, je ne me moque pas!!!! Il m'arrive aussi d'en sortir de semblables et de devenir à mon tour l'arroseur arrosé. J'aurai la bonne grâce, lorsque cela arrivera, de rire de moi comme il l'a fait de lui-même à chacune de ces occasions.

Allez, je t'embrasse. Après tout, "c'est pas grave!".

vendredi 21 octobre 2011

Studieuse







..... au soleil levant.

Courage, fuyons !

L'autre jour, dans le grand raout pédagogique auquel j'ai été obligé d'assister, il y avait la documentaliste d'un autre collège. J'avais déjà remarqué cette fille en d'autres occasions pour sa laideur et son aspect totalement décalé. C'est seulement avant-hier que j'ai su de qui il s'agissait. Et, bien sûr, la personne qui m'a donné le renseignement, n'a pas pu s'en arrêter là.

J'ai ainsi appris que, bien que passablement maigre, cette femme à qui l'on ne peut donner d'âge, est boulimique et se goinfre à chaque repas, que, de plus, elle est portée sur la bouteille, ce qui, l'un dans l'autre, lui facilite bigrement la tache pour vomir.

Alors que j'allais aux toilettes, je l'ai retrouvée, quelques heures plus tard, dans les WC, totalement défaite. Elle poussait la porte pour sortir et ne s'attendait pas à trouver quelqu'un en face d'elle. Un visage ravagé, à la fois violacé, vert et blanc comme un linge. Je lui ai dit quelques mots d'une banalité affligeante et ai tourné les talons, pour aller satisfaire mes besoins plus loin. Il y a des moments où Calyste n'a pas plus de couilles que les autres.

jeudi 20 octobre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (54)

Franz Liszt, Consolation n°3, Zoran Imsirovcs.

Couettes et taie de traversin.

J'ai vécu, au début des années soixante-dix, dans une communauté composée essentiellement d'anciens séminaristes qui se lançaient sur le marché du travail et de prêtres plus ou moins en rupture de ban avec leur institution. Je fus le premier laïc pure souche à y pénétrer.

Au fil des années, pourtant, ce cercle un peu fermé s'est ouvert largement vers l'extérieur et a accueilli, outre des hôtes de passage plus ou moins en difficulté sociale, nombre d'individus de tous âges dont certains des plus originaux. Ainsi un vendeur de Conforama qui avait tendance à se servir dans les rayons et son amant prestidigitateur (qui, à son départ à la cloche de bois, nous laissa colombes et lapins que nous fûmes obligés, pour un temps, de parquer dans la salle de bains).

Un soir, le vendeur, grand sire, invita le directeur de son magasin et tout le gratin annexe à une petite sauterie en l'absence du "chef" de la communauté, un prêtre ouvert mais qui tenait tout de même à conserver une certaine respectabilité au moins de façade. Apéritif, repas, l'ambiance était assez détendue pour que le jeune home propose, après le digestif, un petit spectacle de sa création.

Il disparut un moment dans sa chambre et réapparut bientôt moulé dans une taie d'oreiller (c'est dire s'il était mince!), des couettes sur la tête et une brosse à dents en guise de micro. Et nous eûmes droit, bon an mal an, à la moitié au moins du répertoire de Sheila, son idole de la chanson. Cela tenait plus du grotesque et du vulgaire, mais en fin de soirée arrosée, n'est-ce pas...

Alors qu'il entamait "Les Rois Mages", ce ne fut pas Gaspard, Melchior et Balthazar qui apparurent soudain dans l'appartement mais, o malheur, le chef que l'on n'attendait pas ce soir-là. Et, comble de malchance, il était accompagné de sa cousine carmélite qui avait obtenu une autorisation spéciale de sortie. Lorsqu'il comprit (il eut vite fait) ce qui se passait dans les murs, il dirigea prestement la cousine dans la cuisine pour qu'elle échappe à ce spectacle peu en accord avec son statut.

Sheila tentait désespérément de regagner sa chambre au plus vite, mais, engoncé dans une taie de traversin, allez courir sans encombres! Dix minutes plus tard, tous les spectateurs extérieurs étaient partis, mis à la porte sèchement et une explication orageuse et musclée commençait. Quant à moi, je n'ai jamais autant ri de ma vie, en tout cas pour la fin un peu tronquée du show improvisé.

Elle s'appelait, on l'appelait, comment l'appelait-on ?

Forcément, quand on naît à la Muette, on n'a pas envie de dire son nom! D'autant plus si un ancien bédouin vous vole le devant de la scène!

mercredi 19 octobre 2011

Anniversaires

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de Gaston Bachelard, Camille Claudel, Henri Michaux, Nathalie Sarraute, François-Joseph Talma.

Bon, ne pleurez pas! C'est aussi l'anniversaire de naissance de Miguel Angel Asturias, Doris Lessing, Auguste Lumière, Paul Bert, Alfred Dreyfus, John Le Carré, Marsile Ficin, Robert Hue, Sabine Haudepin, Agnès Jaoui et du...... parcmètre. L'un d'entre eux vient d'avoir quarante ans et se porte comme un charme. Devinez lequel!

Les gens du mercredi








Ils ont dégusté.

Faut pas détonner, tout de même !

Curieux comme les gens, souvent, confondent les mots alors même qu'ils se targuent d'avoir un langage châtié! Si je pardonne volontiers ces fautes à des gens simples, j'ai plus de mal à le faire pour ceux qui s'écoutent parler alors même qu'ils n'ont pas grand chose à dire.

Pas plus tard qu'aujourd'hui, notre directeur général, lors d'un grand rassemblement de réflexion sur notre pratique pédagogique, a allégrement confondu les verbes "dénoter" et "détonner". Et ce n'était visiblement pas un lapsus linguae de sa part. Peu de participants ont remarqué cette erreur, il est vrai de plus en plus fréquente. Moi, je m'en régale, surtout lorsque ces erreurs viennent de gens qui veulent péter plus haut que leur cul, comme disait ma grand-mère qui n'a jamais manqué de bon sens.

mardi 18 octobre 2011

Rétablissons la vérité !

Dernièrement, un paparazzo du Languedoc-Roussillon a publié sur son site une photo de main appartenant soi disant à une star du web, un certain Piergil qu'il aurait, selon ses dires, attiré chez lui à coup de devinettes. main rose et lisse qu'un lecteur du nord a qualifiée de "ni calleuse, ni celle d'un vieux". Facile quand on ne montre que la paume! Vous en connaissez beaucoup, vous, qui ont des rides dans le creux de la main ? Tout ceci, mes fidèles, n'est que billevesées et coquecigrues. Calyste en a la preuve et va rétablir la vérité si ignoblement bafouée! La véritable main de Piergil, la voici. La seule, l'unique, l'authentique main de Piergil. et si vous ne me croyez pas, demandez à la Plume. Hein, ma Plume, que je ne mens pas?

Découverte



Alors qu'hier soir, je regardais vaguement, histoire de reposer un peu mes neurones, un film américain à la télévision, Frédéric m'appelle pour me signaler la diffusion de La Peau douce, de Truffaut sur TV5 Monde. Un Truffaut qui m'avait toujours échappé, un des rares. Changement de chaîne et c'est à peu près sur ce passage que je tombe. Regardé jusqu'au bout, sans dormir. Pour mon plus grand plaisir, même si la fin est, à mon goût, un peu caricaturale.

Plaisir d'abord pour les acteurs, principaux ou seconds rôles: Françoise Dorléac, Jean Desailly, Nelly Benedetti, Daniel Ceccaldi et même Sabine Haudepin tout enfant. Desailly, en particulier, m'a bluffé par la justesse de son jeu, entre pureté, naïveté et concupiscence (la scène de la cabine téléphonique occupée).

Plaisir aussi d'entendre des dialogues qui disent quelque chose et qui le disent bien. Référence au début à Balzac et à Madame de Berny, sa maîtresse de 45 ans alors que lui n'en avait que 23. Je me croyais revenu à mon adolescence où j'ai dévoré cet auteur et toutes les biographies qui me tombaient sous la main et à lui consacrées.

Plaisir enfin de retrouver cette France des années 60 (le film est sorti en 64), la pellicule en noir et blanc, les vêtements de l'époque, et les meubles que l'on dit aujourd'hui vintage, Orly du temps où c'était le seul aéroport parisien, les taxiphones où il fallait insérer un jeton demandé à la dame du vestiaire, la DS noire... J'ai trois ans de plus que Sabine Haudepin. J'ai vécu dans ces décors. Pas à Paris, mais la France entière ressemblait à ça.

Et puis, La peau douce, quel titre!

lundi 17 octobre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (53)

Las hermanas Caronni, Nabraska.

Pyjama solitaire

Un vieil homosexuel seul, est-ce un pléonasme, est-ce vraiment une fatalité? Par hasard, cette semaine, un soir en rentrant et un matin en partant au travail, j'en ai aperçu un dans la cuisine de son appartement qui donne sur un petit parc que je traverse. Je l'ai connu autrefois, de vue, fringant et droit, presque raide dans ses costumes coûteux, un peu snob, entouré d'une cour qui avait toujours l'air de bien profiter de la vie. Je n'ai jamais fait que le croiser dans divers lieux par nous deux fréquentés à l'époque.

Il était près de la fenêtre, à chercher quelque chose dans un placard mural, en pyjama, visiblement seul. J'aime épier les gens dans leur cadre de vie quotidien, c'est mon côté voyeur. Et la nuit qui tombe plus vite maintenant me facilite la tache. Je l'ai revu à midi, dans la rue. Trois fois en peu de temps, alors qu'habituellement je ne le croise pratiquement jamais.

Au grand jour, l'impression de solitude qui s'en dégage s'est encore accentuée. Il était planté sur le trottoir, toujours bien mis, même si le costume était un peu plus relâché, l'air cependant un peu hagard. Il regardait loin, dans la direction de l'est. Mais regardait-il quelque chose de précis? Sans doute sa cour l'a-t-elle abandonné depuis longtemps. Je ne sais pas. De toutes façons, à partir des images volées au détour des fenêtres, j'aime me raconter des histoires. Celle-ci n'était pas très gaie.

Pages marquantes (18)

Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques. Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt. Tous les ans, au mois de mars, une famille de gitans déguenillés plantait sa tente près du village et, dans un grand tintamarre de fifres et de tambourins, faisait part des nouvelles inventions. Ils commencèrent par apporter l'aimant. Un gros gitan à la barbe broussailleuse et aux mains de moineau, qui répondait au nom de Melquiades, fit en public une truculente démonstration de ce que lui-même appelait la huitième merveille des savants alchimistes de Macédoine. Il passa de maison en maison, tralnant après lui deux lingots de métal, et tout le monde fut saisi de terreur à voir les chaudrons, les poêles, les tenailles et les chaufferettes tomber tout seuls de la place où ils étaient, le bois craquer à cause des clous et des vis qui essayaient désespérément de s'en arracher, et même les objets perdus depuis longtemps apparaissaient là où on les avait le plus cherchés, et se trainaient en débandade turbulente derrière les fers magiques de Melquiades.
« Les choses ont une vie bien à elles, clamait le gitan avec un accent guttural; il faut réveiller leur âme, toute la question est là. »
Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude.
(Trad. Claude et Carmen Durand.)

dimanche 16 octobre 2011

Les gens du dimanche








Il a les boules.

Les machines à écrire

Combien, au juste, ai-je possédé dans ma vie de machines à écrire? Sans doute plus que de voitures. Il y en a eu de tout modèle, de toute technologie et, avant que je ne possède un ordinateur, elles m'ont été fort utiles autant dans mon travail que dans mes loisirs. Il était donc juste de leur rendre un petit hommage ce soir.

La toute première, je l'ai encore, et elle n'est pas près de quitter les lieux. C'est une très vieille Remington noire, au clavier en forme de marches de temple païen, de celle que l'on voyait autrefois dans les films policiers, de celles dont se servaient les Incorruptibles. C'est un ami de lycée qui me l'a vendue un jour, pour quelques sous (une misère, puisque j'avais pu l'acquérir). J'y ai tapé mes presque premiers romans, mes presque premiers poèmes. Elle faisait un bruit infernale et il n'était pas rare que je me coince un doigt en voulant aller trop vite au fil de ma pensée "créative".

J'en ai également récupéré une seconde, il y a une dizaine d'années, dans un garage des patrons de mes parents, juste avant qu'elle ne parte à la benne. Une Japy, celle-là, noire également, avec le clavier plus plat et encore protégée dans sa mallette rigide. Toutes les deux sont en excellent état de marche.

Il y en a eu aussi une plus petite, dans une mallette en plastique, dont j'aimais bien la ligne fine et élégante et qui est sans doute celle que j'ai utilisée le plus longtemps. Et puis vinrent les mastodontes, celles à boules ou à marguerites, celles qui gardaient en mémoire une ligne dont on pouvait ainsi corriger les fautes de frappe sans passer par le ruban correcteur. Plus agréables au tapé, plus modernes, au rendu plus net et moins baveux, mais que je n'ai jamais aimées vraiment parce que laides et encombrantes et surtout dépourvues du moindre soupçon de poésie.

La plupart sont au grenier, en attente d'être débarrassées définitivement. Il faut bien faire de la place!

Aux puces

Je suis toujours effaré, en allant aux puces, de voir ce que l'on y achète et ce que l'on y met en vente. Bien sûr, il y a malheureusement des gens dont ce lieu constitue la principale source d'approvisionnement pour les vêtements. Mais je ne parle pas de ceux-là. Plutôt de jeunes couples style bobo qui s'en vont, l'air ravi, avec une croûte infâme sous le bras.

Ce matin, l'un d'entre eux déambulait avec un grand tableau représentant des chevaux au galop, du genre que l'on voyait autrefois au-dessus des cheminées, en alternance avec la biche dans les sous-bois s'abreuvant au bord d'un clair ruisseau pendant qu'un coucher de soleil rougeoyant embrasait l'horizon. Comment peut-on trouver ça beau, même au quinzième degré, même pour faire un blague à un ami?

Peggy (oui, je l'appelle Peggy car elle tient, par la propreté davantage de la truie que de l'espèce humaine) était là aussi, à essayer de vendre ses grands tableaux cartonnés destinés autrefois à apprendre à lire aux enfants ou à leur faire découvrir les mécanismes du corps humain. Toujours aussi sale, ongles rongés et noirs, chemisier (?) plus que douteux, pantalon lustré qui fut jadis noir.

Un bon lot également de petits couples gays, si semblables, si reconnaissables, si stéréotypés, si tristes. Et mon voisin le buraliste peu gracieux en tenue de coureur cycliste. Je n'aurais jamais cru qu'il avait de si gros mollets!

Tout un monde, ces puces, où l'intérêt est davantage dans le public que sur les étals.

samedi 15 octobre 2011

En écho

En écho à certains des commentaires ici ces derniers jours, je vous livre ce passage du nouveau roman que je suis en train de lire: Roman avec cocaïne, du russe M. Aguéev, pseudonyme de Mark Levi (à ne pas confondre avec l'autre, Marc Levy! Ça n'a vraiment rien à voir!!!). Précision: ce roman date des années trente.

Bourkevitz terminait son récit avec le rappel du mal qui, se développant pendant de longs siècles, s'emparait peu à peu de la société humaine et qui, enfin, maintenant, à notre époque de perfectionnements techniques, avait, partout, contaminé l'homme. Ce mal, c'était la platitude. La platitude qui réside dans la tendance de l'homme à considérer avec mépris tout ce qu'il ne comprend pas, et dont l'étendue s'amplifie à mesure qu'augmentent l'inutilité et la médiocrité des objets, des choses et des faits qui, en cet homme, provoquent l'admiration.
( M. Aguéev, Roman avec cocaïne. Belfond. Trad de Lydia Chweitzer.)

Dans le scriptorium

Disons-le tout de suite: je n'ai pas aimé ce roman de Paul Auster, dont pourtant le sujet m'intéressait beaucoup a priori. Une réflexion de l'écrivain sur ces personnages avait tout pour m'attirer. J'en ressors déçu, ce qui ne m'est pas arrivé souvent avec Auster si l'on excepte La Trilogie New-Yorkaise dont je ne suis pas fan.

J'ai trouvé ce livre plat, sans surprise, rempli de petits riens dont on a l'impression qu'il ont été mis là justement pour remplir. Je me surprenais souvent, en lisant, à penser à autre chose, ce qui, pour un roman, n'est pas bon signe. J'ai un autre récit d'Auster en attente. J'espère qu'il ne me réservera pas la même mauvaise surprise.

Calyste aux Echarmeaux

Des champignons? Pas beaucoup vus aujourd'hui, à part ceux-ci, bons seulement à être photographiés, et que Cornus identifiera sans aucune difficulté. Côté comestibles, quelques chanterelles grises, une poignée de violets, et, consolation, un beau cèpe découvert par votre serviteur qui n'y croyait plus.


Mais changer d'air, même en revenant quasi bredouille, ça fait bigrement du bien. Beau temps sur le nord du Rhône aujourd'hui après "dissipation de la fraîcheur matinale" et surtout excellent repas à notre auberge habituelle où la patronne nous a même reconnus! Foie gras aux abricots confits et à la confiture d'oignons, aiguillettes de canard, plateau de fromages régionaux et mousse au chocolat. On ne s'est pas laissé abattre!



Nous y retournerons probablement dans quelques jours (les vacances approchent) et le paysage aura sans doute eu le temps de se couvrir de ses couleurs d'automne, à peine esquissées aujourd'hui. Ce soir, pour finir en beauté, ce sera ..... choucroute!

vendredi 14 octobre 2011

Demain

M'en fous: demain, c'est champignons! Pas un ministre, pas un prof, pas un élève en vue! Et, en plus, un bon resto à midi! Elle est pas belle, la vie?

Trop-plein

Une enseignante s'immole par le feu, un autre sort son sabre japonais et éventre une policière, une élève se jette par le balcon de l'appartement familial. Quand on vous dit que l'école est à haut-risque!

Quand va-t-on enfin comprendre qu'il y a urgence à se rendre compte que la société est malade et que l'école n'est pas à l'abri mais constitue au contraire un excellent révélateur?

( Et de quatre pour la mauvaise humeur!)

Petit prix

Troisième billet de suite chez moi avec le tag "Mauvaise Humeur". C'est assez rare. Pourtant je ne peux m'empêcher de réagir quand j'entends des choses qui me mettent hors de moi. Je suis saturé de ça en ce moment, et il faut bien que ça sorte. Rassurez-vous;: tout va bien et mes exaspérations ne touchent que les parties supérieures de mon épiderme, sans atteindre le moral. Mais suffisamment pourtant pour me gratter.

A midi, sur France-Inter, j'entends une journaliste, pourtant assez sérieuse, dire à son invité: "Et votre livre est publié à petit prix; 17 euros." Et tout le monde dans le studio d'approuver. Dix-sept euros! Petit prix? Mais de qui se moque-t-on? Si je compte bien, ça fait plus de cent balles. Et l'on ose dire que c'est un petit prix! Mais à qui donc la lecture est-elle réservée de nos jours?

J'en connais pas mal qui ne peuvent mettre ce prix-là pour un moment de plaisir (si encore plaisir il y a !). Et si on lit beaucoup, comme c'est mon cas, le budget mensuel est vite grevé (et je ne suis pas, question niveau de vie, parmi les plus à plaindre!). J'ai connu l'époque où les livres de poche étaient à la portée de pratiquement n'importe quelle bourse. Aujourd'hui, on ne trouve pas grand chose à moins de dix euros.

Alors, la lecture serait-elle en train de devenir un luxe réservé à une élite pécuniairement favorisée ? Et les journalistes parisiens ont-ils vraiment conscience de la réalité des choses?

jeudi 13 octobre 2011

Arrivage groupé

Mon "reader", service qui me prévient si vous laissez des commentaires sur mes billets, restait muet depuis un ou deux jours. Auparavant, il fallait parfois attendre plusieurs heures avant que cette notification n'apparaisse. Ce qui m'obligeait à remonter mon blog parfois sur plusieurs jours pour ne pas zapper un de ces commentaires et ainsi paraître incivil en n'y répondant pas (puisque vous savez que, comme Olivier Autissier et quelques autres, je mets un point d'honneur, et de politesse, à répondre à tous, même au plus anodin).

J'avais reçu ces jours-ci, plusieurs fois consécutives, un avertissement de la part de GG me menaçant de fermer ce service qui leur paraissait inutilisé. Or ce message me semblait plus que douteux, d'une part parce que mon reader est loin d'être inactif, d'autre part parce que les renseignements demandés en retour me surprenaient un peu de la part d'un site qui se veut défenseur de la confidentialité. J'ai donc chaque fois envoyé valser ces avertissements bidons.

Je commençais à me dire que j'avais fait une belle idiotie et qu'il s'agissait peut-être de vrais messages de GG lorsque, tout à l'heure, en allant une nouvelle fois vérifier, j'ai vu apparaître sur l'écran une trentaine de commentaires datant pour certains de plusieurs jours mais que j'avais tous déjà repérés et à qui j'avais répondu.

Les joies de l'informatique! A quand la prochaine livraison?

Et votre fils, Madame, c'est un "Haut-Risque" ?

R-A-S, RISQUE, HAUT-RISQUE! On est où, là ? Dans des quartiers dits sensibles? A Guantanamo ? Sous une paroi rocheuse qui menace de s'effondrer sur un village? Vous n'y êtes pas du tout! Nous sommes en grande section de maternelle et nous parlons d'enfants de cinq ans et d'un nouveau projet que notre ministre vient de concocter sans doute pour marquer de sa patte la grande institution avant son départ l'an prochain.

Ce projet prévoit de faire passer des évaluations dès ce jeune âge à tous les écoliers de France et de Navarre et de les classer, selon leurs résultats, dans une de ces trois catégories. Le but officiel de cette connerie est de détecter suffisamment tôt les élèves qui risquent d'avoir de gros problèmes scolaires en CP et de leur apporter l'aide nécessaire pour accroître leurs chances de réussite. Cette aide ne s'appelle plus soutien ni remédiation mais entraînement. Mais oui, comme à l'armée!

Lorsque j'ai entendu la nouvelle à la radio ce matin en partant au collège, j'ai bondi sur mon siège. Des évaluations si jeunes! Pourquoi, dans ce cas, ne pas en faire subir carrément aux fœtus et éliminer avant leur naissance ceux qui ne correspondraient pas à la norme? Pourquoi installer si tôt cet esprit de compétition qui, de plus en plus, gâche les années passées à apprendre. Et le concept d'éducabilité, qu'est-ce qu'on en fait? Et le savoir-faire des enseignants? Et le droit de ne pas en être tous au même niveau au même moment?

Des tests nationaux se passaient jusqu'à récemment dès l'entrée en sixième et en début de cinquième. D'une nullité si désolante que, pour ma part, j'y adjoignais les miens propres pour être sûr d'avoir des résultats qui soient à peu près fiables et que je puisse interpréter. Coût de l'opération: une perte considérable de temps et beaucoup d'argent fichu en l'air pour rien. C'est sans doute cette dernière réalité qui a poussé l'Éducation Nationale à les supprimer quasi totalement.

Dans Le Meilleur des Mondes, de Aldous Huxley, on fabriquait des fœtus sur mesure: les Alpha et les Bêta, destinés à faire partie des classes supérieures et dirigeantes, les Gamma, les Delta et les Epsilon conçus pour peupler les castes inférieures. C'est à ce roman que j'ai pensé ce matin dans ma voiture. Nous ne sommes plus très loin de cette fiction!

Les enseignants et les parents d'élèves semblent vouloir réagir violemment contre ce projet ségrégationniste et j'espère bien que leur voix sera entendue. Je ne conçois pas mon métier comme une aide à ficher des gamins. Je crois en l'homme et en sa faculté d'évoluer. Sinon, je ne serais pas enseignant!

mercredi 12 octobre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (52)

Brahms, Rhapsodie opus 53. Janet Baker.
Sir Adrian Boult. London Philharmonic Orchestra. John Alldis Choir (voix d'hommes)

Fin de vies

Depuis deux mois, quatre femmes sont mortes à la clinique de ma mère, dont deux entre hier soir et ce matin. L'ambiance était morose ce soir parmi les survivantes. En vase clos, la disparition se fait plus rudement sentir et l'on ne perd pas impunément une compagne de plusieurs années.

La première à partir, fin août, fut la douce Cécile, au magnifique visage de bébé dont le sourire faisait fondre de tendresse même le plus endurci des visiteurs. On aurait dit une vierge de tableau primitif italien une fois les ans passés sur son corps malingre. J'aimais bien la croiser au hasard des couloirs dans son fauteuil roulant lorsque quelqu'un avait le temps de le pousser ou bien prenant un peu de soleil sous la verrière quand le temps le permettait. Elle m'apaisait de sa sérénité retrouvée.

Puis il y eut Solange qui traîna longtemps et que l'on ne voyait plus guère au milieu des autres. Pour lui permettre d'avoir de l'oxygène, ma mère lui avait cédé sa chambre et avait pris la sienne. Au-dessus du lit, quelques cartes postales de Savoie montrant des sommets enneigées. Était-ce cela qu'elle regardait chaque soir avant de s'endormir au cœur de ce huitième arrondissement si désespérément plat ?

Hier soir, une autre dame que je n'ai jamais vue. Elle avait passé quelques temps dans une maison de retraite toute proche avant de venir mourir ici, dans ce qui, sans doute, avait été sa vraie maison, au milieu de sa vraie famille.

Ce matin, Michelle, un vieux corps amaigri à la tête presque chauve qui ne se déplaçait qu'en frottant rudement ses pieds sur le sol. Toujours silencieuse. Lorsqu'elle essayait de parler, ou à la moindre émotion, au moindre effort, il sortait de sa bouche quelque chose qui ressemblait au bruit que produit la cigogne lorsqu'elle craquette.

Toutes plus jeunes que ma mère à l'exception de Cécile. Ma mère, actuellement, est la "vice-doyenne", son aînée, Gabrielle, se portant comme un charme ou presque et passant ses journées à tricoter sans relâche des écharpes qu'elle envoie par je ne sais quel canal dans les pays en voie de développement. Elle est sourde comme un pot et n'y voit que d'un œil mais possède encore un chignon impeccable et une élocution claire et raisonnable, au français irréprochable.

Sans doute d'autres viendront-elles remplacer les absentes et la cellule familiale féminine se reconstituera-t-elle. Jusqu'au prochain départ.

mardi 11 octobre 2011

La mort des légendes

Avec quelques erreurs, apparemment.

Des mains et des souliers

La langue anglaise n'a jamais été ma tasse de thé. J'ai déjà expliqué pourquoi: lycée trop sélect où les fils de grands bourgeois allaient régulièrement en Grande-Bretagne pour parfaire leur accent, d'où assimilation de ma part (et à tort, je le sais aujourd'hui) de la langue de Shakespeare avec une caste sociale que je méprisais (et qui me le rendait bien), méthodes archaïques basées exclusivement sur l'écrit, sur l'anglais littéraire et sur l'apprentissage de listes interminables de verbes irréguliers. J'ai même cru longtemps être handicapé du côté langues vivantes, jusqu'à ce que, adulte, j'apprenne l'italien les doigts dans le nez.

J'ai donc subi des années durant ces cours où je m'ennuyais à mourir et tous ces professeurs que je n'aimais pas. Sauf un. Et l'exception est de taille. Il aurait pu être mon "maître", comme mon professeur de français dont j'ai déjà parlé. Il le fut aussi, d'une tout autre manière.

Cet homme d'un âge déjà avancé lorsque je l'ai connu (il devait cependant être un peu plus jeune que moi actuellement, ce qui relativise les choses!) était fils de métallo, donc issu d'une famille très prolétaire. Il était impressionnant aussi bien par la taille que par son aspect sévère et sa voix forte. Lorsque les élèves le voyaient apparaître sur la liste de leurs enseignants, rares étaient ceux qui n'appréhendaient pas une année avec lui.


Un autre détail physique le rendait encore plus angoissant. Imaginez une sorte d'Erich Von Stroheim dans la Grande Illusion et remplacez la minerve par une main toujours de noir gantée au bout d'un bras que nous n'avons jamais vu autrement que plié à angle droit. Sans doute avait-il une prothèse au niveau du coude, mais à cet âge-là, je n'en savais pas tant et ce bras, au début, me terrorisait. Pour lui en faciliter la tenue, nous devions, à chaque devoir, plier nos copies en deux dans le sens de la longueur et les lui glisser entre ce qui semblait être un pouce et la paume de la main, comme on le ferait d'un courrier dans la fente d'une boîte aux lettres.

Lorsqu'il nous rendait ces copies corrigées, elles réapparaissaient au même endroit, dans la même position. Il se mettait au milieu de la salle disposée en petit amphi et distribuait à leurs propriétaires uniquement celles qui avaient eu une note qui lui paraissait convenable. Les autres, il les lançait à terre et les élèves plus moyens, voire faibles comme moi, devaient aller les y récupérer pendant qu'il regagnait, imperturbable, sa chaire surélevée.

Une autre de ses marques de mépris était liée à sa cigarette. A cette époque lointaine, certains enseignants fumaient pendant leurs cours et personne n'y trouvait rien à redire. Il allumait sa cigarette au moyen d'une allumette tirée d'une boîte qu'il tenait je ne sais comment et, après avoir inhalé la première bouffée, tendait l'allumette encore en feu par dessus son bureau, en direction du premier rang des élèves. L'un d'entre eux devait escalader son pupitre pour souffler sur la flamme et éteindre l'allumette. Mon voisin à ce rang-là fut longtemps un fils de médecin qui, carpette, se précipitait pour avoir l'honneur d'être le premier à se plier aux volontés du maître, maître qui, en retour, ne l'en méprisait que davantage.

Un jour, le fils du médecin était absent. Von Stroheim se livra ce jour-là à son jeu favori mais, lorsqu'il me tendit l'allumette, je ne bronchai pas. Il me regarda longuement mais je ne cédai pas et il finit par l'éteindre lui-même pour ne pas se brûler le bout des doigts. Je crois que c'est de cet instant que date le respect que, malgré ma nullité crasse dans la matière qu'il enseignait, il m'a toujours manifesté.Il m'avait testé et avait sans doute espéré que je réagirais de cette façon. C'était les fils de grands bourgeois qu'il méprisait, pas les fils de mineurs.

Un jour, il nous parla de lui. Pourquoi ce jour-là, lui qui était si froid et lointain? C'est alors que j'ai appris ses origines mais surtout l'amour qu'il portait à la peinture. Il se mit à nous décrire les tableaux que Van Gogh consacra aux "Souliers" des gueux, des pauvres, des rejetés. Bien mieux qu'une leçon d'anglais, j'ai eu ce jour-là ma première leçon d'art en même temps que ma première de politique. Et je me suis mis à aimer cet homme qui m'avait fait comprendre que même un fils d'ouvrier complexé au milieu du gratin ambiant pouvait s'ouvrir à la culture et même y avait droit.

Quelques années plus tard, alors qu'il était déjà à la retraite et que je passais non loin du village où il possédait une maison de campagne, je suis allé lui rendre visite. Un vieillard encore digne qui me reconnut tout de suite et m'invita à boire un verre. Dans cet autre cadre, il paraissait plus humain, ou bien était-ce l'âge qui l'avait patiné ou moi qui avais mûri. Ce fut la dernière fois que je le vis. Aujourd'hui, chaque fois que j'ai affaire à van Gogh, c'est à lui que je pense et à la façon bourrue qu'il avait eu d'exprimer sa tendresse.

lundi 10 octobre 2011

Ortografe

J'ai longtemps été nul en orthographe. Pas celle des accords: mon esprit cartésien et un tantinet mathématique s'en accommode très bien. Pour moi, les accords des participes passés, c'était un peu comme un jeu, au même titre que la version latine représentait chaque fois une énigme à résoudre. Et je n'aurais jamais écrit, comme une collègue de maths sur un bulletin trimestriel d'élève: "Aucuns travails!". Non, pas ça, tout de même!

Mais pour l'orthographe d'usage, c'était une autre paire de manches. D'abord, je crois que, sans le savoir, et sans que personne ne le sache, puisqu'à cette époque, on n'y regardait pas de si près, j'étais dyslexique. Je me souviens d'un retour chez ma grand-mère (j'avais donc moins de huit ans), dictée rendue en main, dont la note ne devait pas être brillante. La lecture de mes fautes l'avait exaspérée. " Dis donc, qu'est-ce que ça fait, rond au féminin? " - "Ça fait ronde!" - " Alors pourquoi tu es allé y mettre un t à la fin ?". Même chose pour la confusion des b et des p.

Ensuite, entre deux solutions pour un mot, je choisissais celle qui me semblait la plus belle de toutes celles que j'avais écrites au brouillon et je ne comprenais pas pourquoi, pour la norme, il en était parfois autrement. Certains mots ont ainsi résisté très longtemps avant d'accepter de s'orthographier correctement sous ma plume. Ainsi "proffesseur" ou "avanture", pour lesquels il a fallu que je m'invente des "trucs" à retenir. Le plus long à disparaître a été "temps pis" mais je regrette encore que cela ne s'écrive pas comme ça! La difficulté maintenant pour moi, c'est qu'en lisant des tas de copies où l'on reconnaît parfois à peine la langue française, je doute de moi et de ma propre orthographe. Le dictionnaire est souvent à côté de moi lorsque je travaille sur des rédactions.

Mais je crois que cette difficulté à accepter la norme a eu un effet bénéfique chez moi. Les mots ne sont pas un simple assemblage de lettres que l'on doit mettre dans un certain ordre: ils existent en eux-mêmes. Il y a les laids, les beaux, les gros, les gras, les pointus, les multicolores, les enrhumés, que sais-je, toute une armée à :mon service, des soldats à qui je permets parfois d'être un peu grimés. Et la peine due à ce qui semble avoir été de la dyslexie à l'origine, m'a forcé à développer des tas de stratégies logiques ou loufoques pour retenir, pour marquer ma mémoire. Je m'en sers encore aujourd'hui avec les élèves, en difficulté ou pas, pour les aider à mémoriser (en latin, en particulier). Certains en tirent profit, d'autres pas, selon leur structure d'esprit plus ou moins proche de la mienne. Et même si tous ne les utilisent pas, au moins, ça les fait rire!
(J'espère ne pas avoir "fauté" dans ce billet!)

Pages marquantes (17)

Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire, et il était employé de troisième classe au ministère de l'Enregistrement. En hiver, il se rendait à son bureau par l'autobus, et, à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son chapeau melon.
Dutilleul venait d'entrer dans sa quarante-troisième année lorsqu'il eut la révélation de son pouvoir. Un soir, une courte panne d'électricité l'ayant surpris dans le vestibule de son petit appartement de célibataire, il tâtonna un moment dans les ténèbres et, le courant revenu, se trouva sur le palier du troisième étage. Comme sa porte d'entrée était fermée à clé de l'intérieur, l'incident lui donna à réfléchir et, malgré les remontrances de sa raison, il se décida à rentrer chez lui comme il en était sorti,en passant à travers la muraille.
Marcel Aymé, Le passe-muraille.

dimanche 9 octobre 2011

Candidat, du latin "candidus": blanc






Six à vouloir prendre la tête (en se payant la nôtre?)
ou: "De nigris et de candentibus atra facere" (Ovide): rendre blanc le noir et noir le blanc.

La Duchère

J'étais aujourd'hui chez des amis, à la Duchère, la troisième colline de Lyon, moins connue que celle où l'on prie (Fourvière) et celle où l'on travaille (la Croix-Rousse), mais qui eut, il y a quelques années son heure de gloire comme ZUP un peu chaude. Plusieurs barres d'immeubles ont, depuis, été démolies au profit de plus petits ensembles et, moi qui ne connaissais guère que les grandes voies de circulation de ce quartier, j'ai été surpris, en effectuant cet après-midi, une petite promenade digestive après un repas bien arrosé, d'y trouver des coins où l'on se croirait presque en pleine campagne. Je veux parler de toute la pente qui descend du plateau jusqu'à quasiment la rue Marietton et qui est en train d'être réaménagée pour en faire un parc agréable.

De là haut, on découvre Lyon sous un autre angle qui me dépayse et me désoriente chaque fois. Moi qui suis habitué plutôt au côté Rhône de la ville, j'ai parfois du mal à situer les choses côté Saône. Un des principaux points de repère que j'ai pour remettre la ville à l'endroit, ce sont les églises, même vues sous un autre angle comme la Basilique de Fourvière, l'église Saint-Irénée ou le dôme des Chartreux. La vue n'est pas désagréable mais surprenante pour qui ne vit pas dans ce quartier de la ville.

On se rend vraiment compte alors que Lyon a été construite pour être vue depuis l'est en direction de l'ouest, que la symétrie apportée par le parallélisme des grandes artères de la plaine disparaît totalement ici, avec les boucles de la Saône et les collines qui la dominent. Après s'être développée d'ouest en est (d'abord la colline de Fourvière où les romains fondèrent Lugdunum, puis le Vieux Lyon de la Renaissance, en bas, les quartiers bourgeois du centre et enfin le quartier de la Part-Dieu), la ville explose maintenant sur ses ailes: Oullins au sud, où le métro arrivera bientôt, et Vaise, au nord-ouest, qui fut longtemps un quartier délaissé et populeux.

L'œil a ses repères, ses habitudes, que j'essaie, lorsque je prends des photos, de ne pas respecter, de bousculer pour apercevoir du neuf.

Patch

Une bien bonne que m'a racontée Frédéric et qui m'a beaucoup fait rire.
Notre cher Déesse-Ka arrive un jour chez des amis avec une culotte de femme sur la tête.
- Tiens, tu as replongé?
- Non, j'ai mis un patch!

samedi 8 octobre 2011

De rien, un peu.

Temps de chien aujourd'hui. La "petite chienne" (canicula pour les non latinistes) est partie pour de bon. Il fait nuit tôt, ou tard le matin, et la pluie est froide. Passé la journée à travailler, entre corrections, préparations, lessives, ménage et courses. Bien avancé, tout ça. J'aime bien travailler efficacement, c'est le manque de cette efficacité qui me tarabuste le plus pour la retraite à venir. Ce soir, repas de moules marinières avec Frédéric et Jean-Claude. Rien ne peut me faire plus plaisir. Mon père aussi adorait ça, jusqu'au jour où il a eu une intoxication qui l'en a dégoûté à tout jamais.

"Pas un jour sans une ligne", c'est dans cette catégorie, où j'étais le seul blogueur, que m'avait classé Oceania (Voyage dans les mots), en citant Pline le jeune. Elle avait bien compris cette sorte d'addiction qui me fait écrire, même n'importe quoi comme en ce moment.

Dans l'immeuble en face, tout est éteint, les pneus des rares voitures crissent sur le goudron mouillé, pas un bruit dans l'immeuble, mes "vieilles" dorment. Je suis le seul encore éveillé, j'aime cette sensation d'être un voleur de vie, une sorte de vigile en même temps. Demain, journée chez un ami. Nous serons une douzaine. Je peux me lever tard, je n'ai rien à faire. Peut-être un petit tour au marché, pour le plaisir d'acheter des fleurs. J'emporterai mon appareil photos, il est un peu au chômage en ce moment.

vendredi 7 octobre 2011

Momentini

- Étrange saison que cet octobre où mon bougainvillée, après s'être un peu endormi, se met à refleurir sur mon balcon. Je regrette le temps où une vieille dame de mes voisines m'en faisait régulièrement compliment. Elle est maintenant dans une maison de retraite et n'est sans doute pas près de regagner son appartement. Il y a si peu de gens à aimer les fleurs.

- Je n'ai pas encore repris cette année l'expérience de la rédaction par les élèves de cinquième de la nouvelle policière façon Conan Doyle. J'avais presque décidé d'abandonner, étant donné le travail et la fatigue que cela représente (pour moi comme pour eux). Mais ça commence à me travailler. Et moi qui viens de dire que je ne suis pas maso!

- Il y a des gens méchants gratuitement. C'est le cas d'une des aides-soignantes de la clinique, grande fainéante par dessus le marché. Maintenant, dès que je la vois, il me pousse des piquants partout, façon porc-épique, et, même si elle ne me dit rien, j'ai envie de l'agresser. Je n'ai jamais eu à le faire: elle tire toujours la première et s'en reçoit une bien sentie en retour. Pauvre femme!

- En quatrième, ce matin, les institutions de la République Romaine. Pour ce faire, j'ai voulu m'appuyer sur du vécu, du concret, du contemporain: la nôtre. Silence abyssal. Seule mot que j'ai pu tirer: "sénat". Forcément, ces temps-ci! Mais Assemblée Nationale, ils ne connaissent pas. L'un d'entre eux croyait même que les députés étaient choisis par le Président de la République. Et dans cinq ans, ils votent! Mais sans doute, cinq ans, est-ce énorme pour eux!

A propos de mon blog

Charlus vient de mettre un clap de fin à son blog. Même si je regrette sa décision, je la comprends. Et je pourrais presque faire miennes quelques-unes de ses lignes expliquant son geste (j'espère qu'il me permettra de le citer):
"J'en ai assez de me creuser les méninges pour une publication quotidienne, de vérifier le nombre de commentaires qu'elles suscitent. De contrôler le nombre de visiteurs, le niveau de mon blog rank, vanitas vanitatum...

L'écriture m'est trop laborieuse, me prend trop de temps et peu à peu je me suis rendu compte du nombre de livres que je n'avais pas lu durant ces 20 mois! Ça m'a manqué, le temps aussi. Charlus en arrive à son temps retrouvé."

Depuis quelques jours, c'est un peu ce que je ressens. La fatigue due à un début d'année particulièrement chargé y est sans doute pour beaucoup. Mais pas seulement. Je viens de vérifier la date de mon premier billet: le 4 octobre 2007. Je n'ai même pas pensé à l'anniversaire! Quatre ans déjà, et, d'après le compteur 2527 billets. Combien cela représente-t-il d'heures devant l'écran, chaque soir ou presque? Combien d'autres choses aurais-je pu faire pendant ce temps? Je préfère ne pas imaginer.

Et puis, il a évolué, ce blog. De psychanalyse sauvage dont il me servait au début, il est devenu plus serein, plus anodin, plus léger, moins "vrai" aussi sans doute. Je ne sais pas, je suis trop dedans encore pour pouvoir en juger. Mais j'ai du mal à m'imaginer sans. Ce qu'il m'apporte, je n'en sais rien, mais je ne suis pas maso, il doit bien avoir un effet bénéfique sur moi pour que je continue malgré les phases de lassitude. J'ai dit une fois qu'écrire ici me détendait, que, de mauvaise humeur ou stressé en allumant l'ordinateur, je l'éteignais chaque soir avec le calme revenu. C'est toujours d'actualité. Alors, ça va durer encore un peu sans doute. Tant pis pour vous!

Suffisance

Quelle suffisance, quelle satisfaction de soi-même de la part de certains médecins! Il y a a un, à la clinique de ma mère, au service à côté, qui bat des records de ce côté-là. Je le côtoie depuis plusieurs années et l'ai, au départ, remarqué parce qu'il n'est pas désagréable à regarder. Pas une fois, même en me croisant dans un couloir étroit, il ne m'a dit bonjour. Pas un sourire, le regard fixé au loin sans doute sur l'étendue de son savoir. Je me moque totalement qu'il ne m'ait pas remarqué, même si mes parents ont travaillé dans cette clinique pendant plus de vingt ans. Mais les gens qui ne disent jamais bonjour, moi, ça m'énerve. Par simple politesse, c'est tout. Dieu merci, il a au moins pour lui de ne jamais s'affubler d'une blouse blanche (il est psychiatre) dont nombre de ses collègues jouent, stéthoscope en bandoulière, comme des folles le jour de la Gay Pride.

L'autre jour, alors que j'étais dans ma voiture, coup de fil de la clinique. Première réaction: je flippe! Qu'est-ce qui arrive? Étant donné l'âge de ma mère, et vu son état, on peut s'attendre à tout. C'est lui, voix douce, presque enjôleuse, qui me demande si je suis d'accord pour transférer "momentanément" ma mère dans une autre chambre parce qu'ils ont besoin du branchement oxygène pour une autre patiente. Je lui fais gentiment remarquer que ce serait la troisième fois et que, chaque fois, le "momentanément" a duré bien longtemps. De plus, chaque déménagement la perturbe durablement et, en ce moment, je pense qu'elle est suffisamment perturbée. Il insiste un peu et je refuse tout net. Je sais qu'il existe d'autres lieux dans la clinique où il est possible de brancher quelqu'un sur oxygène. Bien sûr, ça leur complique un peu la vie, mais si peu. Alors, pourquoi toujours penser à ma mère? Il a la décence de ne pas poursuivre.

Aujourd'hui, je le croise dans le salon. Pas un mot, pas un regard. Je n'existe pas, je suis transparent. Il ne pouvait pas faire mieux: la mauvaise conscience que j'avais éprouvée avec mon refus s'est immédiatement évaporée. Grâce à lui, je suis reparti l'esprit tranquille. Il n'est beau que de l'extérieur.
(PS: son prédécesseur venait boire l'apéritif chez mes parents!)

jeudi 6 octobre 2011

Pages marquantes (16)

Ombres portées

Les mots ombres portées exercent depuis longtemps sur moi un pouvoir d'attraction comparable à celui que j'ai pu ressentir avec les mots limbes et clairière. Les mots et ce qu'ils désignent. Les limbes : ce lieu sans contours précis, situé entre les ténèbres de l'Enfer et la lumière radieuse du Paradis ; la clairière qui s'ouvre, aussi inattendue qu'espérée, au creux de la forêt si dense et si sombre que je crains de m'y perdre avant que la clairière et ses rais de lumière ne dissipent l'angoisse naissante.
Mais l'ombre portée, qu'était-ce au juste ? J'avais beau consulter des dictionnaires, parcourir des ouvrages spécialisés, je ne parvenais pas à saisir en quoi cette ombre-là différait des autres ombres. L'alliance de ces deux mots me troublait. Que portait l'ombre ? ou alors qui la portait ? qu'emportait-elle avec elle ? quelle était sa portée ? Faire ainsi tourner les mots en tous sens ne m'avançait en rien comme si je me refusais à éclairer ce que recelait à mes yeux de mystérieux, d'étrangement inquiétant l'ombre portée.
Il me fallait la vision d'un arbre. C'était la fin de l'été, à la tombée du jour - faut-il dire tombée du jour ou de la nuit ? - chez des amis, à la campagne. Un moment de douce mélancolie: l'automne s'annonçait, je m'apprêtais à quitter mes hôtes, sans doute pour longtemps.
Au-delà des limites du jardin, avec sa pelouse fraichement tondue, ses fleurs, sa tonnelle: un chêne. Je l'avais vu, admiré, ce chêne, plus d'une fois, son fût bien droit, sa ramure puissante, son feuillage que le vent faisait légèrement vibrer, ses racines noueuses, sa cime. Il me donnait un sentiment de plénitude comme il m'arrive d'en connaître devant certaines peintures. Il était à la fois une forme accomplie et une force vitale. Il se suffisait à lui-même.
Il était l'Arbre. Il était.
Et voici que ce soir-là, pour la première fois, je vis une ombre immense recouvrir la pelouse du jardin. C'était l'ombre du chêne, une ombre qui lui donnait encore plus d'ampleur en accentuant ses dimensions jusqu'à ne plus lui assigner de limites précises. Ce que n'avait pas réussi à me faire percevoir la fréquentation des dictionnaires et des ouvrages savants, l'ombre du chêne me le révéla. Je sus en ce lent glissement du jour vers la nuit ou de la nuit sur le jour, je sus enfin ce qu'est une ombre portée.

Jean-Bertrand Pontalis, Traversée des ombres (Ed. Gallimard)

Bout d'ficelle, celle, celle...



C'est reparti pour la création des étranges petits animaux à partir du roman de Jean-Claude Mourlevat, La Rivière à l'envers (Tomek). Mardi, une heure et demie de plaisir (même si fatigante) avec deux classes de sixième. Eux aussi avaient l'air ravis. Une vraie ruche de près de soixante gamins. Je vous montrerai le résultat quand ce sera fini.

On prend les mêmes et on recommence.

Reprise des travaux depuis plus d'une semaine. Cette fois, c'est au tour des chaises en bois paillées, des petites tables et du bonheur du jour de l'entrée à être décapés, poncés, passés au brou de noix et vernis. Moins salissant que la phase précédente mais je ne suis pas sûr que ce soit plus drôle pour Jean-Claude.

D'autres achats aussi, ça n'en finit pas. Repéré la semaine dernière des doubles rideaux qui nous avaient tapé dans l'œil pour les deux fenêtres de la grande pièce. Cet après-midi, nous avons fini par en choisir d'autres, plus en harmonie avec le papier peint. Bien sûr, les promotions actuelles ne concernaient pas ceux que j'ai finalement achetés! Trouvé aussi des galettes pour les chaises de la cuisine. Tip top: elles reprennent exactement les coloris des carreaux des murs. Je vais m'asseoir sur un arc-en-ciel.

Il me reste encore à trouver les deux lustres pour la grande salle. Je n'ai encore rien vu de bien tentant, ou alors à des prix qui dépassent largement mes possibilités actuelles. Il va bien falloir que je me décide: deux ampoules nues au milieu des rosaces, ça n'est pas ce qu'il y a de mieux!

Le plus drôle dans l'histoire, c'est que chaque fois que nous débarquons dans un magasin, Jean-Claude et moi, je vois, aux regards des vendeurs, qu'ils nous prennent pour un couple homo en train de s'installer. On ne fait rien pour les détromper!

mercredi 5 octobre 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (51)

Judy Garland, Over the Rainbow.

Chienne de vie









On boude ?

Pourquoi nous ?

Je m'appelle Sébastien. J'ai treize ans. J'habite dans l'Ain, une petite ville où il ne se passe pas grand chose. J'ai deux frères. Je suis l'aîné. Mon père et ma mère ne s'entendent pas très bien mais on a l'habitude, surtout moi, parce que les deux autres, ils sont un peu trop petits pour comprendre. Dernièrement, ça encore empiré. J'étais dans ma chambre. Je les ai entendus se disputer, comme presque tous les soirs, mais hier, on aurait dit qu'ils allaient se battre tellement ils criaient. Alors, j'ai mis mes écouteurs et j'ai monté le son de ma musique. Je ne veux pas savoir ce qu'ils se disent. Je préfère ma musique. Et puis, dans la nuit, je me suis masturbé. Quand je suis stressé, je le fais toujours, ça me détend.

Ce matin, papa est entré dans ma chambre plus tôt que d'habitude. Le dimanche, on a le droit de rester plus longtemps au lit. J'ai été un peu surpris de le voir, mais je n'ai rien dit. Pas la peine d'en rajouter après la soirée d'hier. Il m'a dit que maman dormait encore et qu'elle avait besoin de repos. Alors, il m'a proposé d'aller faire une ballade en voiture, au bord du lac. On emmènerait aussi mes deux frères, bien sûr. Ça me plaisait assez comme programme, même avec mes deux frères. Il m'a dit que, comme il faisait beau, nous pourrions sans doute nous baigner, au bord, parce que plus loin, l'eau est trop froide. J'ai pris mon maillot de bain avant qu'il change d'avis. Papa, c'est comme ça: un moment, c'est tout rose, juste après, c'est tout noir.

Pour ne pas tomber en panne, il a dit que nous nous arrêterions en route dans une station essence pour faire le plein. Je ne sais pas pourquoi il m'a dit ça, c'est son problème, après tout, de s'occuper de sa voiture. J'ai pris mon petit déjeuner et nous sommes partis en direction de la montagne. Nous, nous habitons dans la plaine, mais moi, je préfère la montagne. Je me sens bien dans les bois. Quand nous marchons, mon père est obligé d'attendre les plus petits, qui traînent la patte. Ça me permet de partir devant. C'est ma liberté à moi. Une fois, de l'autre côté de la route, dans un champ, j'ai même vu une marmotte. Comme je ne faisais pas de bruit, elle ne m'a pas repéré. Elle était drôle, dressée sur ses deux pattes arrières, à sentir le vent. Mais quand ils sont arrivés, ils ont tout foutu en l'air avec leurs cris de gamins et mon père qui rouspétait.

Ce que j'aimerais, c'est qu'on me mette dans un internat, en ville. J'ai un copain qui y est allé, il m'a dit que c'était super. On pourrait avoir deux lits à côté et discuter la nuit, nous raconter nos histoires. A la maison, je n'ai personne à qui les raconter. Mes frères sont trop petits et, avec mes parents, je ne peux pas en placer une ou alors ils ne m'écoutent pas.

C'est à tout ça que je pense en ce moment dans la voiture. Moi, je suis devant: j'ai le droit, vu mon âge. Les deux autres sont derrière et on n'avait pas fait un kilomètre qu'ils commençaient déjà à se chamailler pour une histoire de place. Il y en a pourtant bien assez pour tous les deux. J'ai regardé papa mais il n'a pas réagi: il était perdu dans son monde. C'est bizarre: de profil, je le reconnais à peine. On ne dirait pas mon papa. Surtout aujourd'hui où il garde constamment les sourcils froncés. C'est moi qui ai dû intervenir pour les calmer. Ça a marché deux minutes. Alors, j'ai remis mes écouteurs.

Papa vient de mettre son clignotant pour entrer dans la station service. Ce n'est même pas celle où il a une carte pour accumuler des points. Il doit vraiment penser à autre chose! Et maintenant qu'il descend, le voilà qui verrouille les serrures! Mais je suis là! Pas la peine! Je peux les surveiller, les deux mioches. Et puis, il ne s'est même pas mis à la bonne pompe, son bouchon d'essence est de l'autre côté. J'essaie de lui dire par la vitre entrebâillée mais il ne m'entend pas, ou il fait comme si. Rien à cirer: il est assez grand pour s'en rendre compte tout seul.

Je ferme les yeux pour mieux m'enfoncer dans ma musique. De toute façon, s'il voyait que je me suis rendu compte de sa connerie, ça risquerait de le mettre en rogne. Débrouille-toi, pépère! C'est un jet visqueux qui me les fait rouvrir. Papa est contre la portière et nous asperge d'essence à l'intérieur. Et le briquet qu'il a à la main! Et puis, d'un coup, tout s'enflamme, mes frères, la voiture, papa, comme dans les films américains. Je vois ses cheveux prendre feu, j'étouffe, je sais que les miens sont en train de brûler aussi. Mes frères hurlent, derrière. Je vois des gens qui courent à l'extérieur. Il y a des bonbonnes de gaz contre le mur, tout près. Et tout à coup, je sais: maman est morte, elle aussi.
Mais pourquoi nous, papa, pourquoi nous?

lundi 3 octobre 2011

Rrrrrrrrrrrrrrrrr......

VOUS SAVEZ CE QU'IL VOUS DIT CE SOIR, VOUS SAVEZ CE QU'IL VOUS DIT, CALYSTE ? .................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Bonne nuit!
Pour moi, maintenant, c'est coucouche panier, papattes en rond!
(Ça valait vraiment le coup de faire un billet pour ça!)

Sukkwan Island

Acheté par hasard, ce premier roman de l'américain David Vann, dont j'ai su par la suite qu'il avait connu un immense succès de librairie, m'a un peu laissé sur ma faim. L'idée de départ est sans doute attrayante: un père décide d'emmener son fils vivre sur une île déserte d'Alaska pendant une année afin de mieux connaître cet enfant de treize ans jusque-là élevé par sa mère.

La première partie du roman est axé sur le fils, Roy, qui découvre un père avec qui il arrive finalement peu à accrocher. La deuxième se centre autour du personnage du père, Jim, en proie au regret et à l'autodestruction. Il est difficile d'en dire plus sans dévoiler ce qui fait l'intérêt de l'histoire. Histoire sombre et violente qui fonctionne comme une tragédie antique où les personnages ne peuvent échapper à leur destin.

Mais, dans ce registre-là, j'ai ô combien préféré Des Souris et des Hommes de Steinbeck! Le style de Vann ne me convient pas totalement, sans que je sache expliquer en quoi il me gêne. J'aurais aussi et surtout préféré qu'il mélange moins l'approche béhavioriste des personnages présente à certaines pages avec l'inverse, c'est à dire une analyse psychologique (à mon sens un peu superficielle) des mêmes personnages tout au long d'autres passages. En lisant ce roman, on ne s'ennuie pas mais il sera très vite oublié. A noter qu'il est publié par Gallmeister, une maison d'édition que je prise de plus en plus.
(David Vann, Sukkwan Island. Gallmeister. Trad. de Laura Derajinski)

Je le trouve si beau (4)

Cary Grant (1904-1986). La fossette

dimanche 2 octobre 2011

Les vies successives

Dans le roman que je suis en train d'achever, un personnage réfléchit à sa vie (rien de bien original, je le concède) et se demande si l'homme n'a pas en réalité plusieurs vies distinctes les unes des autres qui, en les mettant bout à bout, forment une sorte de fil (torsadé) dont la longueur l'impressionne. Il n'a pourtant qu'une quarantaine d'années.

Distincts, les morceaux de vie que l'on connaît successivement? C'est cette phrase qui m'a arrêté. J'aurai soixante ans l'an prochain et je me demande si ce personnage n'a pas raison. Qu'y a-t-il de commun entre l'enfant que j'ai été et l'adulte vieillissant que je suis aujourd'hui?

Une première période dont je ne connais rien, sinon les bribes relevées ça et là auprès des acteurs du moment: les premiers mois de ma vie, après la mort de mon père, ballotté d'un côté et de l'autre, chez les uns, chez les autres. Que faisait ma mère à ce moment-là? Je ne le sais pas.

La deuxième, consciente, celle-là, auprès de ma grand-mère maternelle. Jusqu'à l'âge de huit ans, c'est elle qui m'a élevé. M'a-t-elle offert la tendresse qui, sans doute, m'a manqué, dans la première? Je ne me souviens de rien de tel. C'était une femme d'un autre siècle (née en 1885) qui a surtout œuvré à m'inculquer des principes rigides de bonne éducation selon son sentiment. Moi, j'ai appris, à ce moment-là, à vivre seul et à me satisfaire de moi-même comme compagnon de jeu.

La suivante m'a vu rejoindre le cercle familial, un nouveau père (le frère du précédant) et trois frères et sœurs. J'étais l'aîné, on m'a beaucoup demandé. Les loisirs étaient rares et devaient se mériter. Je me suis accroché à ma mère, la charmeuse, et détourné de ce nouveau père, trop différent de moi et qui n'était jamais là. Ce n'est que beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de mon erreur.

Ma vie déglinguée, juste avant et après la mort d'Yvon, mon ami d'enfance, partagée entre sexe et alcool, sorties de nuit et amants successifs, tous de passage. Je croyais avoir découvert le bonheur dans la fuite et la consommation. Je croyais que l'on m'aimait moi, on aimait seulement la jeunesse de mon corps.

Ma rencontre avec Pierre et trente-trois ans de vie commune. Des moments forts et des moments terribles, où ceux que j'avais mis sur un piédestal en sont retombés les uns après les autres, Pierre y compris et l'idée qu'il se faisait de moi. Sa dépression, sa chute dans l'alcoolisme, sa maladie et sa mort m'ont suffisamment occupé pour que je m'oublie totalement et que j'y laisse d'ailleurs, réellement, une partie de ma mémoire.

La vie d'après, ces quelques années de solitude, avec l'envie de côtoyer du monde et la peur de les rencontrer. Une vie consacrée à la mise en place d'un musée, aussi bien dans ma tête que dans l'appartement où je suis encore aujourd'hui. Parallèlement, le désintérêt croissant vis à vis de mon travail d'enseignant que j'avais pourtant tant aimé. Mais n'importe quel métier, à ce moment-là, ne m'aurait pas davantage concerné. Un court moment de deuxième adolescence, j'étais amoureux, où je me suis régulièrement retrouvé devant le même mur, celui que j'avais bâti moi-même, sans m'en rendre compte, tout au long de ces périodes d'avant.

Ma vie actuelle, dont je ne peux parler parce que je la vis, où j'essaie encore d'être vivant, où j'y arrive parfois, malgré la fatigue, malgré mes sautes d'humeur et mes colères de plus en plus fréquentes, mais grâce à quelques amis qui sont encore là où que j'ai découverts et avec qui je peux être autre, oublier certains soirs les casseroles que je me trimbale.

Ce que je dis n'est pas triste. Je pense même que c'est assez banal et que n'importe qui pourrait faire la même rétrospective, avec les mêmes mots. Mais des vies, oui, j'en ai eu plusieurs. Elles se sont succédées pour moi souvent de façon un peu violente alors que d'autres ne s'aperçoivent pas du passage de l'une à l'autre. Quoi de commun entre elles? Quel fil conducteur, sinon les manques, les angoisses dont on ne se sépare jamais et aussi, heureusement, la volonté de s'en sortir, de profiter du bonheur et de la joie, la propension à vouloir être optimiste. Une belle salade!

samedi 1 octobre 2011

Pages marquantes (15)

Ils m'ont emmené à Baïes; par ces chaleurs de juillet, le trajet a été pénible, mais je respire mieux au bord de la mer. La vague fait sur le rivage son murmure de soie froissée et de caresse; je jouis encore des longs soirs roses. Mais je ne tiens plus ces tablettes que pour occuper mes mains, qui s'agitent malgré moi. J'ai envoyé chercher Antonin; un courrier lancé à fond de train est parti pour Rome. Bruit des sabots de Borysthènes, galop du Cavalier Thrace... Le petit groupe des intimes se presse à mon chevet. Chabrias me fait pitié: les larmes conviennent mal aux rides des vieillards. Le beau visage de Céler est comme toujours étrangement calme; il s'applique à me soigner sans rien laisser voir de ce qui pourrait ajouter à l'inquiétude ou à la fatigue d'un malade. Mais Diotime sanglote, la tête enfouie dans les coussins. J'ai assuré son avenir; il n'aime pas l'Italie; il pourra réaliser son rêve, qui est de retourner à Gadara et d'y ouvrir avec un ami une école d'éloquence; il n'a rien à perdre à ma mort. Et pourtant, la mince épaule s'agite convulsivement sous les plis de la tunique; je sens sous mes doigts des pleurs délicieux. Hadrien jusqu'au bout aura été humainement aimé.
Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus.... Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts...
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien.