dimanche 31 mai 2009

Un vieux pachyderme

Il est vieux, très vieux sans doute. Il s'installe toujours au même endroit, face au lac, le vélo appuyé contre un arbuste qui le masque du chemin. Il se déplace avec tout ce qu'il lui faut: tapis de sol, serviette de bain, panier pique-nique, bouteille d'eau fraîche, lecture, journaux.

Il doit faire cela depuis des années. Lorsque je viens en fin de matinée, il est déjà installé. Je l'ai vu partir l'autre jour vers cinq heures. Je l'ai aperçu plus tard sur son vélo, sur la piste cyclable quand elle borde la route au pont de Croix-Luizet.

Sa peau est parcheminée, on dirait celle d'un pachyderme, d'une couleur uniformément caramel, pendante comme les seins d'une vieille africaine que j'avais aperçue au Togo essayant d'occuper un bébé avec ces tétines effondrées. Il lui reste quelques cheveux vaguement roux tout autour de la tête. Son visage aussi semble attiré peu à peu vers le sol, ainsi que ses fesses qui n'ont plus rien d'érotique. Il s'apparente au pachyderme également par ses oreilles, qu'il a grandes et très découpées et peut-être (mais je n'ai jamais observé de si près un éléphant) par son sexe long et ses testicules chauves qui accompagnent et précèdent son mouvement vers le bas.

Beaucoup le saluent en passant, quelques-uns s'arrêtent pour échanger deux ou trois propos civils. Je ne l'ai jamais vu occupé à autre chose qu'à sa lecture ou à prendre le soleil. Jamais de gestes équivoques, jamais de tentative d'approche. Je me place souvent non loin de lui quand je vais au lac, sûr d'avoir un voisin à ma convenance, c'est à dire discret et tranquille.

J'ai voulu savoir quelle lecture, en dehors des journaux locaux, il apportait pour accompagner ses longues heures de farniente. Je me suis penché un peu et j'ai vu: le Manuel d'Epictète. Je pense, à le regarder vivre au bord de ce lac, qu'il doit en appliquer les sentences.

Cache-sexes

Ce matin, à la radio (France Inter, évidemment), capté un petit morceau d'émission sur les réserves du Musée du Quai Branly, à Paris.

Le responsable interviewé présentait certains objets, dont, chose rare, des cache-sexes amérindiens datant de la découverte du Nouveau Monde, ou peu s'en faut.

Les amérindiens, à qui les conquérants offraient des perles de pacotille en échange de leur or et de leur nourriture, s'en étaient fait des cache-sexes. Des cache-sexes en perles de pacotille. Il y aurait beaucoup à analyser pour un historien ou un sociologue, entre foutage de gueule pur et simple de leur part ou intégration obligée, mais embellie, de la pudibonderie bondieusarde de l'Europe occidentale.

Zigzags

Si la matinée d'hier fut sous le signe de l'harmonie, il n'en fut pas de même l'après-midi.

Ma mère ne pouvant plus que très difficilement faire la sieste dans les anciens fauteuils de son salon, trop bas d'assise et trop profonds, je m'étais mis en chasse d'une chaise à accoudoirs confortables et à dossier haut, où l'on puisse appuyer la tête. Ma sœur m'avait indiqué une piste à Castorama mais le fauteuil en question ne pouvait convenir.

Pendant que j'étais, mercredi après-midi, dans cette zone de la banlieue est de Lyon où se concentrent moult grandes surfaces alimentaires ou sportives et tout aussi moult magasins de meubles et de bricolage, je prospectai donc plusieurs autres enseignes et finis par trouver mon bonheur chez Ikea: la hauteur, la profondeur, l'assise, l'aspect robuste, tout convenait. Mais, mais, mais, il ne restait que le modèle d'exposition et l'on ne voulut pas me le céder. Il fallut donc reprendre la route de cette banlieue sinistre hier après-midi, une fois vérifié l'arrivage d'un nouveau stock. J'étais cependant surpris que, sur Internet, le prix indiqué soit de vingt euros supérieur à celui affiché deux jours plus tôt en magasin. Bien décidé à en faire la remarque, je tombai sur un vendeur très attentif et aimable qui, heureusement, me confirma l'ancien prix et m'indiqua où je pouvais retirer le meuble.

Et c'est là que les choses se sont singulièrement gâtées. La partie exposition du magasin est à l'extrémité sud, et la partie self-service bien sûr à l'extrémité nord. Ce n'est pas ce qui m'aurait fait peur. Non, j'ai été exaspéré par la configuration même dudit magasin. Pas de ligne droite du sud au nord, obligation de zigzaguer sans cesse, de passer devant tous les rayons,de s'arrêter parce que bouchon devant promotions "exceptionnelles", de voir tout ce que le magasin propose à l'œil concupiscent du consommateur moyen un samedi après-midi. Et une fois arrivé à une sorte d'entrepôt, s'entendre dire par un jeune con, parce qu'on ne trouve pas le produit, que les numéros d'allées sont indiqués au-dessus de chacune d'entre celles et qu'il ne reste plus qu'à lever la tête.

Il restait aussi à tenter de saisir le fauteuil en kit sans faire tomber le reste de la pile, à le transporter, et il n'est pas léger, par ses propres moyens jusqu'à la caisse la plus proche (c'est un euphémisme), à exercer son ironie naturelle rien qu'à l'intérieur de soi en lisant que le magasin s'engageait à ce qu'il n'y ait pas plus de trois clients en attente à chaque caisse alors que nous étions douze à celle que j'avais choisie, à enfin regagner son véhicule où l'on découvre que quelqu'un d'honnête mais se trompant de voiture, tente vainement de l'ouvrir et ne comprend pas du tout, mais pas du tout, l'humour que vous employez pour le lui faire remarquer (c'était d'ailleurs la deuxième fois de la journée, la première juste après l'épisode du triathlonien), à chercher au milieu de centaines de véhicules où pouvait bien se cacher la sortie en direction de Lyon et à se glisser, presque avec soulagement, dans le flot des voitures entrant dans la ville en ce début de soirée.

J'en connais une qui n'aura jamais conscience de l'épreuve endurée pour que ses fesses soient confortablement installées. Si ce genre de meuble n'était pas si difficile à dénicher, j'aurais d'ailleurs laissé tomber en cours de route. Avant de la reprendre, cette route, je me suis défoulé en faisant quelques photos de ce qui constitue la sortie traditionnelle du samedi après-midi en famille. Nous vivons une époque moderne!

P.S.: J'avais ressenti la même impression d'être pris pour un gogo aux Musées du Vatican, il y a quelques années, quand j'avais voulu accéder à la Chapelle Sixtine!

samedi 30 mai 2009

Post-scriptum

Harmonie supplémentaire de cette matinée. Comment ai-je pu l'oublier? Pendant qu'avec Stéphane I., nous bavardions sur la pelouse face au lac, un nageur qui tentait d'enfiler correctement sa combinaison noire, n'y parvenant pas seul, est venu directement se planter devant moi pour me demander de l'aide: est-ce que je voulais bien tirer sur la languette qui lui pendait dans le dos et remonter ainsi totalement la fermeture éclair? Et comment! Point ne fut besoin de me le dire deux fois. Pendant qu'il entreprenait un demi tour pour me montrer son côté pile, j'eus le temps d'apercevoir son ventre plat et les renflements gracieux qui tendaient la combinaison là où se trouvaient muscles et corps caverneux. Le dos valait bien la face: musclé et bronzé, couvert d'une fine toison noire, il plongeait jusqu'à ce qui semblait une chute de reins plus que prometteuse. Malheureusement, la combinaison, là, était bien en place. Il me fallut encore une fois admirer de "l'extérieur" les formes généreuses et athlétiques d'un mâle sublime. Mais que de beauté! "Une pomme!" comme disait Jeannette des fesses de Marius dans le film de Robert Guediguian. Eh bien, ce matin, moi aussi, je me suis fait mon film! Un court métrage, d'accord, mais je sens bien que vous êtes jaloux! Je l'aurais bien croquée, la pomme...

Harmonies

Signe de la matinée. Tout y a été harmonies.

Le réveil, tôt mais sans brusquerie, au milieu d'un rêve agréable que j'ai tout de suite oublié. Le petit déjeuner au soleil dans la cuisine en écoutant des infos pas trop déprimantes. Le trajet jusqu'à Miribel avec Stéphane I, par le périphérique et l'autoroute de Genève étonnamment calmes par rapport à hier.

Et puis surtout notre circuit autour du lac, avec les trois boucles que je lui adjoins maintenant: la plus petite autour de l'étang où une couvée de cygnes a vu le jour cette année, la plus dénivelée, bordant une autre retenue d'eau et traversant un bois touffu, la dernière, la plus grande, là où l'on voit toujours des cerfs-volants parce que le vent s'y engouffre comme dans un couloir.

Nous avions décidé de ne pas forcer, craignant une chaleur excessive. Ce ne fut pas le cas. Il faisait même frais dans les endroits ombragés. Mais le bon rythme a été pris dès le départ et nous l'avons maintenu d'un commun accord. Du coup, pas de fatigue, pas d'essoufflement, pas de deuxième souffle à rechercher. Nous n'avons pas beaucoup parlé non plus, là aussi d'un commun accord qui n'a pas eu besoin de mots. J'avais l'impression de retrouver des sensations éprouvées pendant le semi marathon de l'an dernier.

J'ai déjà parlé du bonheur que l'on ressent en courant lorsque l'effort se fait oublier, lorsque la douleur des premières minutes disparaît et que l'on sent son corps obéir parfaitement à la sollicitation, devenir aussi prévisible et régulier qu'une mécanique bien huilée qui ne connaîtra pas la défaillance. Ce matin, ce bonheur était double. J'ai eu conscience, à un certain moment, que Stéphane I. et moi, nous étions parfaitement en rythme, en osmose si l'on peut dire. Nos jambes, la même en même temps, s'associaient dans une foulée semblable. Même nos souffles paraissaient égaux et parallèles. Le bref instant où l'on prend conscience de cette fusion a quelque chose de sensuel, d'érotique même: une communion des corps comme dans un acte d'amour.

Je n'ai bien sûr rien dit et c'est Stéphane I. qui, après, m'en a parlé alors que nous nous reposions un moment dans la pelouse, face au lac, après avoir sacrifié aux étirements obligatoires. Il avait lui aussi remarqué cette adéquation parfaite entre nous deux. Je ne pensais pas qu'il y aurait été sensible, croyant que ce genre de détail n'était remarqué (et amplifié?) que par un vieux fou comme moi.

L'harmonie se poursuivit chez lui, où il m'invita pour la première fois, devant un apéritif qui se prolongea un peu. Je l'ai vu alors se détendre petit à petit et parler comme jamais auparavant il ne m'avait parlé. Il semble me faire maintenant une grande confiance et j'en suis très heureux.

Dernière marque d'une amitié naissante: il m'a demandé si j'accepterais de faire la Saintélyon (course de nuit au début de l'hiver, d'une distance d'environ soixante kilomètres entre Saint-Étienne et Lyon) en équipe avec lui et deux de ses amis. Sachant que le plus vieux des trois n'a pas encore quarante ans, je trouve une telle demande assez gratifiante pour moi. Je n'ai pas dit non, d'autant que l'expérience me tente depuis déjà un bon bout de temps. Mais il va falloir intensifier les entraînements. D'autres occasions de se voir, donc. Et ça n'est vraiment pas désagréable.

vendredi 29 mai 2009

Trous noirs

L'autre jour, des commentaires postés le même soir sur trois blogs différents, tous trois demandant validation du propriétaire pour être publiés.

Aucun n'est finalement apparu. Bien sûr, le blogueur peut décider, et c'est son droit le plus absolu, de ne pas afficher le commentaire, mais, en l'occurrence, tous trois étaient gentils et plutôt flatteurs pour eux. Alors la censure ne s'imposait pas.

Deuxième solution: la fatigue qui m'a fait oublié de les enregistrer avant de tourner la page. Je veux bien l'admettre pour un mais trois, cela deviendrait inquiétant.

Alors, tout à l'heure, en me promenant sur la blogosphère, j'ai peut-être eu l'explication. Chez Kab-Aod, en effet, Lancelot s'étonne de ne pas voir apparaître un long commentaire qu'il avait rédigé la veille. Et il me semble qu'il a rencontré ce problème le même soir que moi.

Alors: des ratées dans la communication, messieurs nos hébergeurs?

Hôtel Iris

Il faut que j'écrive à chaud sur ce roman, sans trop réfléchir à ce que j'ai ressenti en le refermant. J'ai lu très vite Hôtel Iris de Yôko Ogawa. Parce que j'aime cette écrivain, parce j'aime son style, parce que j'aime ses histoires, parce que j'aime sa perversion.

Et côté perversion, cette fois-ci, j'ai été gâté. Pourtant celle d'Ogawa me plaît, j'y décèle même une forme de pureté et d'aspiration à l'ascèse, alors que par exemple, je ne pourrais plus jamais lire un livre de Stephen King.

Une toute jeune fille travaille dans l'hôtel tenue par sa mère et, un soir, elle fait la connaissance d'un client un peu bizarre, qu'une prostituée vient d'insulter et qui semble avoir des désirs bien particuliers. Cet homme la fascine au point qu'elle désire le revoir et qu'elle y parviendra. Il naîtra entre eux une relation sado-masochiste intense sur l'île faisant face à la petite ville où se trouve l'hôtel. La jeune fille se pliera à tous les caprices du presque vieillard, transformant en plaisirs et orgasmes tout rabaissement, toute violence, toute insulte.

On est parfois mal à l'aise et pourtant c'est une belle histoire d'amour, une des premières de Yôko Ogawa aussi achevée. A aucun moment ne m'ont rebuté les détails sordides de cette passion car il s'agit d'une passion, où plaisir et douleur, eros et thanatos sont toujours étroitement liés. Cet homme est-il un pervers dangereux? Que cherche cette fille à peine sortie de l'enfance dans cette relation qui pourrait la détruire et qui pourtant la construit? Le plus amoral de tous n'est-il pas le neveu, jeune et beau lui, avec qui elle aura une seule relation sexuelle et qui disparaîtra sans se retourner? Le mal n'est pas forcément là où l'on croit qu'il se trouve.

Si comme d'habitude nous avions été seuls tous les deux, si le neveu étudiant n'avait pas été là, j'aurais sans doute passé de l'huile sur son corps.
- Rien qu'avec la langue, aurait-il ordonné sur le ton qui retenait prisonnier celui qui l'écoutait. (...)
Quel goût pouvait donc avoir l'huile de noix de coco? Je me disais que ce serait bien si elle n'était pas trop douce à en engourdir l'intérieur de la bouche. Parce que je voulais goûter pleinement sa nudité avec ma langue.
Je léchais ses épaules tavelées d'éphélides. J'introduisais ma langue entre les plis de son ventre. Je la faisais crapahuter sur ses flancs moites de transpiration, sous ses pieds pleins de sable. J'étalais uniformément l'huile de manière à ne rien laisser à découvert.
Plus la chair au service de laquelle je suis est laide, mieux c'est. Cela me permet de me sentir vraiment misérable. Lorsqu'on me brutalise, lorsque je ne suis plus qu'un bloc de chair, naît enfin au fond de moi une onde de pur plaisir.

(Trad. de Rose-Marie Makino-Fayolle.)

Momentini

- Mes excuses d'abord à tous ceux qui, ces derniers jours, m'ont laissé un commentaire sur ce blog sans recevoir de réponse. Manque de temps sur le moment et puis après, il est trop tard, ça sent le réchauffé. Je vais essayer à nouveau d'être plus régulier.

- Il y a des jours sans et il y a des jours avec. Aujourd'hui, c'était plutôt avec: deux jalons posés, au collège, pour d'autres jours, d'autres conversations, d'autres rencontres peut-être. Des indices: un collègue et un artisan.

- Revu Raphaël aujourd'hui: étonnant de fidélité en amitié. C'est ce que j'apprécie beaucoup chez lui.

- Un de mes grands plaisirs de la journée: avoir raccroché au nez d'un vicomte. Qui? Le vicomte Le Jolis (??) de Villiers de Saintignon, plus sommairement appelé Philippe de Villiers, qui fait sa campagne européenne par téléphone. Même s'il s'agissait d'un disque, ça soulage!

- Bientôt, bientôt, deux bavards vont se rencontrer. Affaire à suivre.

- A Lyon, on dirait l'été.

jeudi 28 mai 2009

Au revoir à toutes

J'ai déjà fini mon tour des blogs ce soir. Très peu ont écrits. Il y a des jours comme ça, un peu vides. Peut-être est-il trop tôt aussi.

Je ne pensais pas aujourd'hui éprouver un sentiment aussi profond face à ce qui est maintenant une certitude: le départ des dernières religieuses de la congrégation où loge mon collège. Bien sûr, il n'en restait plus beaucoup. Cinq ou six, tout au plus, dont la plus jeune a largement dépassé la soixantaine et la plus vieille frôle le centenariat.

Mais je les connais depuis si longtemps: vingt-neuf ans exactement. Certaines étaient au début impliquées directement dans la vie de l'école: Anne-Elisabeth fut directrice-adjointe, Annette avait été surnommée la sœur reproductrice (devinez par qui!) parce qu'elle se chargeait de nos stencils puis de nos photocopies. Il y eut aussi la sœur "croûtons" qui distribuait les trois tranches de pain réglementaires à la cantine et à qui nous pouvions difficilement en soutirer une quatrième, même nous les adultes. A une collègue qui prétendait "adorer" le pain, il fut répondu, poliment mais fermement: "Contentez-vous d'adorer Dieu!". Je parle bien évidemment d'un temps que les moins de vingt ans.....

Aujourd'hui, le directeur leur offrait un apéritif d'adieu. Peu à peu, en effet, dans les semaines qui viennent, elles vont rejoindre leur nouveau lieu de vie et, pour la plupart d'entre elles, de mort. Certaines restent dans la région, la supérieure rejoint l'Ile-de-France, d'autres le sud-ouest. Il en restera deux ici, pour faire la jonction avec quelques nouvelles arrivées, plus jeunes, pour qui les travaux de rénovation ont été faits. Ainsi verrons-nous encore la furtive silhouette de Blandine, si discrète que la plupart des enseignants ne la connaissent pas, et le derrière rebondi d'Ilona qui s'occupe de quelques fleurs dans un coin de parc et dont l'allure générale rappelle étrangement l'une de ces petites fées grassouillettes et pourtant voletantes qui s'attellent à la confection de la robe de bal de Cendrillon, chez Disney. Vous voyez de qui je veux parler?

Elles étaient toutes là, à midi, pour écouter le discours du directeur, à l'exception d'Anne-Elisabeth qui a fait une mauvaise chute hier et se retrouve à l'hôpital. Emmanuelle-Marie, la supérieure, y est allée aussi de son petit mot pour évoquer toutes les années passées sur la colline. Je la connais depuis bien longtemps et nos premiers rapports, lors de la mise en place de la rédaction d'un projet éducatif commun à toutes nos écoles, avaient été assez musclés. A l'époque, elle ressemblait davantage à un char d'assaut qu'à une servante du Seigneur. Elle a gardé la carrure d'un Leclerc mais son caractère, comme le mien sans doute, s'est un peu adouci et nous aimons aujourd'hui échanger quelques mots au détour d'un couloir et en traversant le parc. Lorsque je suis arrivé dans la salle à manger, tout à l'heure, j'ai cru un instant qu'elle allait m'embrasser. Je regrette ce soir d'avoir réprimé cet élan spontané, par timidité.

Anne, la presque centenaire, Annette aussi nommée, a tenu à rajouter un mot. Une des phrases m'était directement destinée, j'en ai été très touché. Anne, c'était l'originale, celle qui ne se pliait qu'à contre-cœur à la règle, celle qui faisait tout pour y échapper: les photocopies, comme je l'ai déjà dit, mais aussi la tête gratuite pour les élèves des écoles de coiffure (Ah! ces reflets bleus certains jours! ou ces frisettes uniquement sur le devant! "A quoi bon faire friser l'ensemble, me dit-elle, puisque je chante de face!"). Elle faisait effectivement partie d'une chorale assez réputée sur Lyon, ce qui lui permettait, certains soirs de spectacle, de rentrer un peu plus tard et d'avoir ainsi l'impression de frôler l'interdit. Elle ne m'a jamais dit son âge, elle n'a jamais voulu, ni à moi ni aux autres. Je l'ai su par indiscrétion en "haut" lieu!

Il y avait aussi Marie-France, la pas agréable, celle qui ronchonne ou vous sourit mais de loin, celle que l'on rencontre le moins, et puis Claire, Chiara bella, ancienne professeur d'anglais qui croit qu'elle maîtrise cette langue et qui la prononce aussi mal qu'elle estropie les quelques mots d'italien qu'elle me glisse à chacune de nos rencontres. Claire qui a vidé les surplus de la bibliothèque et m'a réservé plusieurs livres sur l'art italien de la Renaissance, Claire qui ressemble à Olive, la femme de Popeye et pour qui je garde une certaine tendresse.

Je n'ai pas écouté les discours. Preuve que le moment me dérangeait, me touchait, comme je l'ai dit, plus que je ne me le serais imaginé, j'ai fait le pitre pendant ce temps, et pris quelques photos que j'ai ratées, comme d'habitude lorsque je mets à photographier des êtres humains. Pourquoi?

Derrière tout cela, surtout, il y a avait la présence discrète de ma grande amie dans cette congrégation, qui s'en est allée il y a déjà plusieurs années, d'abord dans une maison de retraite où elle ne voulait pas se rendre, puis auprès de Celui qu'elle servit toute sa vie de toute son âme. Il y avait Odilia, ce petit bout de femme au visage rond et lisse, à la voix de douceur et d'autorité naturelle, au regard tendre et malicieux, aux mots à décrypter, à l'humour ravageur pour qui savait écouter. Nous nous sommes toujours écoutés et je l'entends encore parfois, au détour d'une pensée. Sa photo est dans mon portefeuille.

mercredi 27 mai 2009

Deux heures vingt

Deux heures vingt. C'est le temps qu'il m'a fallu ce matin pour parcourir le trajet de chez moi au collège, trajet qui se passe habituellement en vingt minutes au maximum.

Tunnel de Fourvière fermé dans les deux sens, pour des raisons techniques selon la radio, plus un accident de camion renversé sur la chaussée selon une de mes collègues. Je n'avais pas connu ça depuis la venue à Lyon du président chinois qui m'avait valu de patienter trois heures avant de regagner mon home sweet home.

J'avais bien vu les panneaux lumineux annonçant cette fermeture, mais près de chez moi, la circulation était fluide et puis je suis obligé de passer tout près de ce tunnel pour monter Choulans. J'ai commencé à être bloqué sur le pont sur le Rhône. Au début, on se dit que si ça a roulé jusque là, ça ne devrait pas être trop long. On se réjouit d'avoir le temps d'arriver puisque qu'on est parti de bonne heure. Les minutes passent. On s'intéresse aux émissions de radio. On écoute un peu plus attentivement, puisqu'on n'avance pas. On se surprend à penser: "Tiens, d'habitude, à la météo, je suis à tel endroit" et l'on commence à mesurer l'écart.

Les jambes se mettent à fourmiller. Pourquoi ne pas utiliser le frein à main et se les dégourdir un peu? Mais au prochain saut de puce, on recommence à se crisper, comme si cette attitude allait faire avancer plus vite. On jette un regard curieux devant, sur le côté derrière, pour voir le frémissement désiré et aussi pour reluquer sans en avoir l'air les compagnons d'infortune. Je suis sur la file de gauche. A droite un énorme camion dont je ne peux apercevoir le conducteur, puis une adorable petite tuture noire conduite par une adorable petite folle blanche. Rien d'intéressant donc.

Le camion et la folle sont passés. On voit bien que l'autre file, celle où justement l'on n'est pas, avance plus vite que la sienne. On a pris déjà un retard d'au moins quatre véhicules. Alors, dès que c'est possible, quand un conducteur n'a pas le réflexe d'avancer suffisamment rapidement, on change de file, on se glisse dans l'espace laissé libre un instant de trop. Petite joie éphémère car alors, bien sûr, c'est la file où l'on se trouvait auparavant qui se met à être plus rapide. Bon, d'accord, mais ça ne va pas durer. Et ça dure et l'on voit son ancien voisin de derrière de profil puis de dos. Et l'on découvre les suivants, nouveaux visages, nouveaux profils, nouvelles nuques. Mais pourquoi a-t-on changé de file?

Et puis, pourquoi? on ne sait pas, tout s'arrête. Pendant une demi-heure, plus rien ne bouge. Les feux, au loin, passent au vert puis à l'orange puis au rouge puis encore au vert et encore à l'orange et rien ne change. Et bien sûr on se trouve au pire endroit, au milieu de la trémie, là où l'on sent bien les gaz d'échappement, là où l'on pense tout à coup que tout peut s'effondrer, comme tout à l'heure au milieu du pont, et que l'on se retrouverait enseveli sous combien de tonnes de béton et des ferrailles? Plus rien à regarder, plus rien à espérer.

Pour patienter, on passe à d'autres occupations. Appeler le collège pour dire que l'on sera en retard pour la première heure de cours, sans savoir encore qu'on serait à peine arrivé à la fin de la seconde. Appeler J. qui est peut-être lui aussi coincé quelque part dans Lyon. Mais non, il est arrivé sans encombre au travail. L'appareil photos! Prendre quelques vues inhabituelles, depuis cette trémie où forcément l'on ne s'arrête jamais en temps normal. Voir, en faisant semblant de ne pas le remarquer, l'air étonné, rarement complice, des voisins assistant aux contorsions pour obtenir le meilleur cadrage ou le moins pire.

Enfin, se laisser aller, ne plus lutter, tenter simplement d'oublier que l'on a le dos qui s'ankylose et que l'on voudrait bien étendre un instant les jambes. Fermer la vitre car décidément ça sent trop mauvais. Et, tout à coup, en voyant une voiture en panne, qui ralentit encore la progression des deux files, recevoir un grand coup dans le ventre, qui coupe presque la respiration, quand on pense que la veille, on a remarqué que son réservoir d'essence était presque à vide, et que l'on a oublié de passer à la pompe.

Ne pas oser, quelques secondes, abaisser le regard jusqu'à la jauge, par peur de la voir clignoter en rouge, avoir aussi l'impression que, depuis deux minutes, le moteur ne fait plus le même bruit, que l'odeur de brûlé ne provient pas de l'extérieur mais de son capot. Se dire qu'avec la pente de Choulans et la vitesse de dégagement, on a cent fois le temps de tomber en panne sèche. Imaginer les autres, hargneux, que l'on gêne et qui vous insultent. N'y en aura-t-il pas un pour vous aider, pour sortir un bidon de son coffre et vous offrir un litre pour vous permettre de vous dégager?

Et alors que le désespoir noir vous guette, s'apercevoir que la voiture de devant a avancé, d'au moins quatre ou cinq mètres, se souvenir que la dernière fois qu'une telle progression a eu lieu remonte à deux heures en arrière. Revoir la petite voiture noire à côté de soi, puis le camion. Découvrir que, sur le pont de la Saône, ça bouge, peu, mais ça bouge. Franchir le pont, monter Choulans, éprouver une joie étrange à voir le Collège, et avoir une heure devant soi, la seule heure où normalement on ne travaillait pas, pour savourer un café bien tassé et bavarder, tout heureux, avec le menuisier au beau regard vert qui change une fenêtre de la salle des profs. Lui demander si l'on peut le photographier en train de travailler et s'entendre répondre oui avec un beau sourire. Oublier alors les deux heures précédentes et se retrouver aussi frais qu'au saut du lit.

Mais ne rêvez pas: les photos, vous ne les verrez pas!

mardi 26 mai 2009

Le conseil de discipline.

Le conseil de discipline est un des moments de la vie scolaire que j'apprécie le moins, non parce qu'il est lieu de conflits et de tensions mais parce qu'il représente un terrible constat d'échec.

Le conflit et la tension ne me gênent pas: il en faut pour faire avancer les choses et une tension bien gérée par exemple peut être extrêmement salutaire dans la mise au point et la réalisation d'un projet. Mais, comme sans doute tout enseignant qui se respecte, je n'aime pas l'échec. Échec dans l'apprentissage de connaissances nouvelles, bien sûr, mais avant tout échec relationnel, quand le pont indispensable de l'un à l'autre s'arrête avant la rive ou n'est qu'un mirage à peine ébauché.

Aujourd'hui, c'est un garçon de cinquième qui était face à ce conseil. Composé de l'élève et de ses parents, du directeur et de la responsable de niveau, d'un nombre représentatif de professeurs de la classe ainsi que d'un parent d'élève, des délégués des élèves de ce même groupe et d'un représentant de l'équipe éducative hors enseignants, il dure en général plus d'une heure et se termine par une décision irrévocable: la mise à pied pour quelques jours, l'exclusion définitive avec sursit ou l'exclusion définitive immédiate. J'ai connu, au long de mes années de métier, tous les cas de figure.

Chacun à tour de rôle présente la situation, les griefs accumulés qui ont provoqué la convocation de ce conseil de discipline, les explications nécessaires et les arguments en faveur ou défaveur de l'élève. Ce matin, avant même que la discussion soit engagée, la mère a attaqué. Je l'ai une première fois contenue en lui demandant de bien vouloir présenter la personne qui l'accompagnait, une femme qui avait tout l'air d'une travailleuse sociale et qui ne manqua pas de l'être. Quand le directeur, en tout bonne foi, dit qu'il n'avait pas connaissance que Matis (appelons l'élève ainsi) était suivi sur ce plan-là et qu'il s'en réjouissait, cette femme qui, à aucun moment n'avait été conviée et n'a même pas décliné son identité complète, a rétorqué qu'en aucun cas, une famille n'était tenue de prévenir l'équipe éducative de cette situation qui ne la concernait qu'elle. Le dialogue était d'ores et déjà déjà bien mal engagé!

Ensuite, ce fut de pire en pire. Chaque remarque d'un professeur était immédiatement suivie par une justification hautaine de la mère ou du fils, façon de se comporter qui sembla surprendre et irriter l'éducatrice elle-même qui, du coup, n'ouvrit pas la bouche de toute la séance. Le plus intéressant fut lorsque, au reproche fait à Matis d'avoir quitté plusieurs fois le collège alors qu'il n'en avait pas le droit, en particulier au moment de la cantine, la mère nous répondit que c'était de notre faute puisqu'il POUVAIT matériellement sortir.

Je dois ici expliquer que le parc du collège où j'enseigne est assez grand et qu'il a beau être ceinturé de murs, être surveillé par au moins cinq pions, on ne peut, c'est vrai dans tous les établissements scolaires, empêché un élève qui veut s'enfuir de le faire. Mais il est certain que, dès l'absence illégale constatée, la famille est immédiatement prévenue par téléphone ou mail, ou parfois les deux. Cette femme aurait voulu pour son fils, que pourtant elle couvrait à toutes les attaques, une école-prison qui la dispensait, elle, de ses responsabilités.

Je suis, ce soir, assez content de ne m'être énervé à aucun moment et d'avoir pu dire les choses de façon claire et sans prendre de gants, de façon polie mais ferme, renvoyant cette femme à sa responsabilité de mère, car, après tout, c'est bien de son fils que nous étions en train de parler. Je lui ai simplement rappelé qu'en inscrivant Matis dans ce collège privé, elle avait fait un choix d'adulte responsable, qu'elle avait lu le projet éducatif qui est distribué à chaque parent lors du premier rendez-vous avec le directeur, et que, dans ce projet éducatif, elle avait pu découvrir notre façon de travailler et d'envisager la relation enseignant-enseigné qui est aux antipodes de l'école prison.

Nous tenons, lui ai-je rappelé, à former des enfants, des adolescents, de futurs adultes, non seulement en leur enseignant les matières du programme mais aussi en leur apprenant le respect des autres et d'eux-mêmes, en leur montrant le chemin de la vie en commun dans une société où chacun a sa place, même le plus différent. Je sais que cette façon d'appréhender l'éducation ne nous est pas spécifique, qu'elle n'est même pas propre à l'enseignement privé et que mes collègues et amis du public partagent là-dessus les mêmes opinions et les mêmes aspirations. J'apporte cette précision afin que l'on n'aille pas s'imaginer que je suis en train de faire l'apologie de l'école privée.

Je parle d'un enfant de bientôt treize ans, troublé, perturbé par l'absence d'un père, que la mère, par contrecoup, couve d'un amour destructeur pour elle comme pour lui. Il fut décidé, en fin de conseil, d'un renvoi définitif avec sursit. A l'annonce de cette décision, la mère se mit à sourire en nous couvrant tous d'un regard méprisant. L'après-midi, cet élève que j'ai eu pendant une heure de cours avait compris que, quoi qu'il fasse, il serait dédouané à la maison. Même avec moi, avec qui, pourtant, le dialogue jusqu'à ce jour n'avait pas été interrompu, il s'est montré méprisant et hautain.

Ce garçon a besoin d'un suivi psychologique sérieux (plus de quelques coups de pieds au cul bien sentis, d'accord!). Je l'ai dit, par deux fois. Il est évident qu'une mère ne lui suffit pas: il lui manque un père. J'ai toujours été très sensible à cette demande de la part de certains de mes élèves, non pour y répondre directement (surtout pas, je ne suis pas leur père, je suis leur prof) mais pour faire admettre au corps enseignant à très grande majorité féminine, qu'un garçon, ce n'était pas une fille et que ce qui fonctionnait pour l'une ne fonctionnait pas forcément pour l'autre. Après des années de surdité absolue, j'ai l'impression que, peu à peu, certaines oreilles se débouchent. Chez les enseignants, en tout cas. Pour cette femme, ce n'est pas gagné.

lundi 25 mai 2009

J'ai retrouvé "Mon Œil".

Pour l'instant, ma radio de voiture est branchée sur France Musique. Par hasard, cet après-midi, j'ai intercepté une émission qui m'a beaucoup intéressé, même si je n'ai pu la suivre intégralement.

L'invité était Alain Rémond, l'ancien chroniqueur de Télérama, magazine où pendant de nombreuses années il présenta une foule de petits billets hebdomadaires intitulés "Mon œil", billets consacrés à la télévision et qui firent mon régal aussi longtemps qu'ils parurent, tant je me trouvais presque automatiquement en osmose de pensées et d'opinions avec leur auteur. Quand il fut éjecté, de façon assez brutale si je me souviens bien, je ne suis resté abonné que très peu de temps. Depuis, je n'ai pas repris, malgré des relances incessantes.

Outre le fait de retrouver cet homme et d'entendre pour la première fois sa voix à la radio, c'est surtout ce qu'il disait qui m'a intéressé, car j'y ai trouvé une explication à mes affinités avec lui. Il y parlait de ses billets, bien sûr, et de son écriture en général, qui comprend aussi quelques romans, dont certains autobiographiques consacrés à son enfance dans l'ouest de la France et à ses premiers pas à Paris. Pour n'en citer qu'un, sorti en éditions de poche, je vous conseille la lecture de "Un Jeune Homme est passé" (Seuil), publié en 2003, il me semble.

Qu'a-t-il dit qui m'a autant retenu? Il a expliqué que pour lui, l'écriture était avant tout musique, des mots aussi bien que des phrases, des paragraphes tout autant que de la page. En écrivant, il entend ce qu'il écrit comme si une voix le lui disait, sa propre voix sans doute, la seule à pouvoir juger du bon tempo et de la meilleure sonorité. Cela ne pouvait que me plaire, .... et me rappeler mes premiers billets dans ce blog, il y aura bientôt deux ans. Le choix de son titre aussi, Potomac, parce que c'est là le mot qui m'a ouvert à la poésie des sons.

Aujourd'hui, Alain Rémond publie, entre autres, un billet journalier dans le quotidien La Croix.

Mes hommes . - 1: du Levant.

Qu'ai-je retenu de celui-ci? Ce n'était pas le premier, bien sûr. Je l'ai connu alors que je m'approchais de mes cinquante ans. Rencontré au parc de la Tête d'Or comme je rentrais, épuisé, d'une fin d'après-midi orgiaque.

Ce sont ses jambes que j'ai remarquées d'abord: à la fois fines et musclées, de belles jambes d'homme, sensuelles et viriles mais touchantes aussi par une certaine grâce. Elles apparaissaient poilues comme il faut, sans excès, et bronzées sous le short plus clair. Ce devait être la fin de l'automne, un automne particulièrement beau puisque nous étions peu habillés. Oui, ce sont ses jambes que j'ai vues d'abord, puis sa silhouette de grand garçon bien équilibré, plutôt élancé et un peu lisse. J'ai bien sûr tout de suite aperçu sa calvitie naissante, ce qui m'excite tant chez un homme. Sa peau mate luisait sur son front dégarni.

En passant, lorsque nous nous sommes croisés, il m'a regardé. La nuit tombait. Malgré ma fatigue, j'ai quitté le chemin principal pour amorcer un détour, lui aussi. Nous nous sommes rapprochés d'un massif de fleurs, au bord de la pelouse. Qui allait faire le premier pas? Il s'assit dans l'herbe, l'air indifférent. Je connais cet air là. C'était donc à moi de me lancer. Je vins lui parler, je ne sais plus de quoi, mais nous nous sommes bien vite retrouvés côte à côte dans le gazon qui fraichissait sous l'obscurité grandissante.

Originaire du Proche-Orient, il en avait le mat de la peau et les yeux sombres. Une grande timidité dans l'approche également, masquée par une extrême politesse. Il est devenu mon amant, avec des rapprochements et des éloignements successifs. Une année entière, par exemple, je l'ai perdu de vue. Nous n'avions comme moyen de contact que le parc: pas d'adresse, pas de numéros de téléphone. Un rendez-vous manqué et nous ne pouvions plus compter que sur le hasard. Le hasard n'a pas été avec nous pendant de longs mois.

Il vivait plus ou moins avec une femme, moi avec Pierre. Ce que nous partagions n'était donc que du plaisir gratuit, ce qui le rendait précieux. Et puis un jour, je suis allé chez lui. Après ses jambes, c'est son côté maniaque que j'ai retenu. Comme c'était drôle, après l'amour, de le voir, une fois que nous étions douchés, briquer la salle de bains afin qu'il n'y reste aucune éclaboussure, aucune trace d'un passage quelconque, aucun objet dérangé de sa position initiale. Cela aurait pu tuer le plaisir, moi cela m'émouvait, comme l'image d'une sainte italienne posée au-dessus de son réfrigérateur.

Il a une petite dizaine d'années de moins que moi. Lorsque je l'ai rencontré, il avait un peu de mal à accepter vraiment son homosexualité. Il préférait parler de bisexualité et entretenait, pour la galerie et aussi pour lui-même, le mythe de la femme qu'il pourrait bien épouser. A ce jour, il ne l'a toujours pas fait. Respectant sa frilosité sur ce point et sur bien d'autres, je lui ai pourtant fait peu à peu franchir quelques pas importants, aussi bien dans sa tête que dans son corps. Il a fini par accepter certains gestes, certaines pratiques courantes entre garçons consentants et a semblé bien vite y prendre même un certain contentement.

Aujourd'hui, je le vois rarement mais toujours avec plaisir. Nos liens se sont un peu distendus lorsqu'il a quitté Lyon mais nous sommes toujours restés en contact téléphonique. Maintenant il a réintégré son appartement lyonnais. Il s'est un peu empâté mais pas trop et de l'ensemble de sa personne émane encore beaucoup de sensualité, sensualité à laquelle je ne reste pas insensible. Mais je ne sais pas s'il continue à nettoyer sa salle de bains avec autant de soin. Il faut que je pense à le lui demander, la prochaine fois!

Addendum

Mon billet d'hier (Quatre jours en mai)n'était pas complet. Pour bien le comprendre, il faudrait rajouter ceci, que j'avais l'intention d'écrire, et puis mes idées sont parties sur un autre chemin: lorsque je rentrais de mes escapades érotiques, je retrouvais Pierre, toujours tendre, toujours aimant et nous continuions notre vie, comme chaque couple avec des hauts et des bas mais surtout un besoin commun d'être ensemble. J'avais tout: l'excitation de l'interdit et du nouveau et le confort du solide et de la tendresse. Je ne percevais pas alors à quel point cela pouvait être exceptionnel. J'étais gâté et ne m'en rendais pas compte. Aujourd'hui, bien sûr, je rentre dans une maison vide et je suis un peu comme un enfant chéri à qui l'on a ôté ses jouets.

dimanche 24 mai 2009

Post coïtum animal triste

Et puis, tiens, pour détendre l'atmosphère, un petit extrait du livre (non, non, ne partez pas!) que m'a prêté Kicou. Décidément ce sont les grands malades qui sont les plus drôles!

C'est un poème, à la manière de Victor Hugo:

Bouse endormie


Et son rut accompli le taureau ruminait
ouvrant l'œil à demi après le débandage
à la vache avachie qui avait pu semer
cette tarte d'épinards dans le champ des herbages.

Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèles.

N.B. Ne pas oublier que, dans le "Booz" de Hugo, Ruth était une moabite.

(Jean L'Anselme, Con comme la lune, poésies, Rougerie)

Quatre jours en mai

On dirait un titre de film, de ceux que l'on applaudit ce soir à Cannes, vedette ou réalisateur, dont on entend parler partout pendant quelques jours et qui, parfois, sont bons.

Dans celui-ci, un seul acteur, un seul réalisateur, un seul scénariste: moi. Une seule musique: le blues, celui des origines. Un seul regard: celui tourné vers mon nombril. Un seul éclairage: terne malgré le soleil. En fait, j'ai mal vécu ces quatre jours. Peut-être de mon simple fait.

L'atmosphère dans ma tête était aussi lourde que la touffeur atmosphérique. Des nuits trop courtes, par manque de sommeil vraiment réparateur, n'ont rien arrangé. J'ai traîné ma mauvaise humeur, tournée contre les autres mais surtout contre moi.

En fait, voilà déjà un grand laps de temps que les circonstances me rendent libre et sans contraintes (ou presque): semaine d'arrêt de travail, quinzaine de vacances, ponts des 1er et 8 mai, fin de semaine à la maison après les corrections de copies d'examen. Je crois de ce pont de l'Ascension était de trop. Je ne m'y suis vraiment senti bien qu'une demi-journée, en préparant mes cours prochains.

Pourquoi ce mal être? J'ai très longtemps été très gâté par l'existence. Avec Pierre, il était rare que je me demande quoi faire de jours de liberté. Nous étions deux: si l'un séchait, l'autre avait forcément une idée. Pendant des années, d'ailleurs, chaque période de vacances ou pont un peu important se passaient à la campagne, dans le Chablais. Nous y retrouvions les voisins qui étaient aussi des amis. Le temps nous manquaient même pour satisfaire tout le monde, ceux sur place et ceux qui nous rendaient visite.

Aujourd'hui, c'est différent. La maison de campagne n'existe plus et je n'ai pas encore le courage de rendre visite à ces anciens voisins. Aussi, lorsqu'arrivent quatre jours de repos, avant même de m'en réjouir, comme toute personne normalement constituée, j'éprouve une appréhension certaine à l'idée de me retrouver seul aussi longtemps. Un moment, oui, j'apprécie, mais plus, non. Ne dire que des mots attendus, sans réelle signification, aux commerçants, dans la rue, au marché, jouer la civilité, celui qui est heureux du beau temps qui revient et des prix qui baissent, je sais très bien faire mais j'ai l'impression, à chaque phrase, de creuser davantage encore mon potentiel de colère rentrée.

Même chose pour la libido. Lorsque Pierre était là, je m'en allais souvent en escapades coquines, qui avaient en plus un petit relent d'interdit. Je n'avais que peu de temps pour satisfaire mes désirs et mes pulsions et ces contraintes me rendaient ces moments encore plus précieux, augmentaient ma fin de la chair de l'autre, de l'inconnu, et lui donnaient le goût exquis de la rareté à consommer vite et, si possible, bien. Aujourd'hui, rien ne m'empêche de sortir quand je veux, de rencontrer qui je veux, où je veux, de vivre en Sardanapale lubrique ou enamouré. Je le fais sans doute mais je n'y retrouve que rarement ce petit fumet sauvage d'antan.

Alors, voilà, qu'est-ce que je veux, réellement? C'est là qu'est le nœud de l'affaire. Tant que je n'aurai pas éclairci ce point, je risque de me retrouver dans la même situation que ces quatre jours: hésiter entre plusieurs directions différentes à suivre, n'en prendre vraiment aucune, et en vouloir aux autres de ne plus m'apporter ce que je trouvais en eux autrefois. J'ai conscience d'être terriblement égoïste en écrivant cela, mais je suis égoïste dans ces moments-là. Et je crois que je vais sans doute le rester, voire accentuer ce côté pour un temps, jusqu'à ce que je sache un peu plus clairement ce que je veux.

J'ai plutôt tendance à être gentil et à désirer faire plaisir aux autres, à ceux auxquels je tiens. Je ne sais plus si c'est la façon idéale de se situer face à eux, puisque, en agissant ainsi, en me contraignant, j'aggrave ma frustration, mon besoin d'autre chose. Mettre trop souvent ses propres aspirations entre parenthèses pour les troquer contre celles d'autrui, c'est accumuler du manque et forcément leur en vouloir au bout d'un moment, alors qu'ils n'y sont, la plupart du temps, pour rien.

En même temps, ne penser qu'à mon plaisir personnel, zapper tous ceux qui m'entourent ou, pire, me servir d'eux quand j'en ai besoin, comme la pratique semble s'en généraliser, je ne peux pas, je ne sais et ne veux pas savoir faire. Alors quoi? Écrire d'abord, se montrer sincère dans ce que l'on écrit, dans ce que l'on livre de soi, sans enjoliver la sauce avec des flonflons romantiques, au risque de déplaire mais tant pis. Moi, écrire, ça me soulage.

D'ailleurs, les signes sont nombreux d'une reprise d'énergie: j'ai arrosé mes plantes (signe contraire: je n'en ai pas encore parlé cette année), j'ai descendu la poubelle, vidé le casier à bouteilles, je me suis fait plaisir au marché ce matin, en achetant ce dont j'avais envie (ça paraît naturel, ça ne l'ai pas forcément pour moi), j'ai vérifié les déclarations d'impôts, j'ai fait du rangement (un peu). Je suis là à écrire et je ne sens plus ce poids qui m'a pesé tous ces jours.

Alors m'apparaissent les bons moments que j'ai à peine entrevus: la lecture achevée du livre de Camilleri, l'après-midi à Miribel avec Stéphane, la chambre bleue avec Kicou, même malade, le repas de ma sœur, excellent, à midi, les retrouvailles avec Raphaël et la rencontre de son ami Éric. Il faudra que je veille à ne me souvenir que de ceux-là.

Ainsi, voyez, s'il y a une palme à décerner ce soir pour les Quatre Jours en mai, ce n'est certes pas celle du martyr. Il ne faut pas exagérer.

samedi 23 mai 2009

Le Roi Zosimo

Si Almodovar est un cinéaste espagnol que j'apprécie pour sa folie certaine, Andréa Camilleri tient un peu la même place dans mon cœur pour la littérature italienne.

Voici un assez vieux monsieur qui, après une bonne partie de sa vie passée, si je ne me trompe pas, à côtoyer comme metteur en scène théâtre, radio et même télévision, s'est mis à la littérature en inventant à la fois un personnage très attachant de policier, l'inspecteur Montalbano, et un style bien à lui mêlant l'italien académique, la langue sicilienne et même le patois de la région d'Agrigente, qu'il connaît bien puisqu'il est né tout près, à Porto Empedocle, la Vigàta de ses romans.

Outre ses romans policiers, il a écrit un certain nombre d'autres ouvrages, toujours situés en Sicile et mêlant tous humour et truculence, verve et connaissance approfondie des us et coutumes îliennes.

Pour tenter de rendre le foisonnement du style de cet auteur hors-norme, les traducteurs ont presque toujours recours au vocabulaire et tournures du français régional de Lyon. Un plaisir donc pour moi, puisque je le connais, de retrouver des mots ou expressions oubliées que mes parents, autrefois, employaient dans la conversation courante.

Le Roi Zosimo (titre en italien: Il Re di Girgenti, le Roi de Girgenti, un des anciens noms d'Agrigente) ajoute à ce plaisir celui d'y trouver également des emprunts nombreux à l'ancien français. Tout cela se lisant avec une grande facilité, secourue, si besoin, par un glossaire en fin d'ouvrage.

Quid de ce roman? Le plus simple est de donner la parole à l'auteur qui, dans une note à la fin du livre, cite le passage trouvé par hasard dans un livre qui lui a donné l'idée d'écrire cette histoire:

" Le peuple réussit à neutraliser la garnison des Savoie, instrument d'un roi excommunié par le souverain pontife, prit le contrôle de Girgenti et entreprit de réorganiser le pouvoir politique en désarmant les nobles, en faisant justice sommaire de plusieurs dirigeants, fonctionnaires et policiers locaux, et en allant jusqu'à proclamer roi son propre chef, un paysan du nom de Zosimo. Mais l'absence d'un programme politique réaliste priva cette contestation destructrice d'une issue positive. il fut facile au capitaine Pietro Montaperto d'avoir raison des insurgés et de reprendre le contrôle de la ville."( Agrigente, de A. Marrone et D.M. Ragusa. Trad. du passage: Dominique Vottoz)

A partir de là, l'imagination débordante de Camilleri fait le reste. Cinq cents pages de plaisir comme je n'en ai pas eu à lire depuis longtemps.

Pas d'extrait cette fois-ci. Donnez-vous la peine d'aller vous rendre compte par vous-mêmes

La mauvaise Éducation

La mauvaise Éducation à la télévision l'autre soir. J'aime Almodovar. Tout ou presque. Et là encore, j'ai marché.

Cette histoire d'enfants abusés dans un pensionnat religieux et qui se retrouvent dans le milieu du spectacle à l'âge adulte est parfois à la limite du crédible. Mais l'art d'Almodovar d'enrouler les situations est tel qu'on est indulgent avec lui, qu'on fait semblant d'y croire, d'avaler cette intrigue tenant à la fois du film noir et du roman réaliste à deux sous.

Je ne sais pas si le réalisateur se moque de nous mais il s'en moque avec talent. Et c'est bien ce qu'on demande au cinéma: être une illusion plaisante!

La Biche

La Biche

La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.

Maurice ROLLINAT, Les Refuges

Je t'imagine, Kicou, en blouse d'écolière, les mains dans le dos, les deux pieds bien joints, tournée vers le tableau et récitant les vers avec ta voix un peu perchée, bien concentrée pour ne pas te tromper et finissant par une petite révérence apprise à l'école de danse.
Merci, Madame.

Avant l'orage

La RN86. Deuxième samedi. Kicou est dans un lit médicalisé, dans la chambre bleue. Celle que j'occupais toujours, avant, et qui donne sur les iris du jardin. Georges dort, exténué, à l'étage.

Kicou est pâle, dans les draps blancs, Kicou aux cheveux blancs, aujourd'hui. Kicou qui se peigne un peu, parce que suis là et parce qu'il fait chaud. Kicou aux joues bouffies par la morphine qui s'échappe d'une petite pompe noire pendue au pied du lit et dont elle peut, quand elle souffre trop, augmenter la dose. Kicou qui ne mange plus rien. Elle est nourrie par perfusion, tout un appareillage pendu à une potence, que l'on a surnommé la vache à trois pis.

Kicou qui essaie, qui réussit bien au début, dans la voix, plus ferme, comme dans le corps, qu'elle redresse sur les oreillers. Laurent, son fils, est là et parle. Trop. Pour masquer quoi à qui? Kicou qui sourit de ne pas maîtriser encore toutes les commandes de son lit-navette spatiale. Heureuse aussi quand nous nous retrouvons tous les deux, seuls, un instant.

Kicou qui plonge, qui perd le contact, qui flotte entre deux eaux, entre veille et sommeil, qui reprend pourtant là où elle avait arrêté sa phrase. Kicou qui parle encore d'aller "peut-être" à un spectacle le 19 juin. Sa volonté de vivre. Kicou qui retrouve, avant que je parte, les paroles d'une poésie apprise à l'école primaire, par l'un et par l'autre, à une décennie d'intervalle. "La biche brame au clair de lune...". Kicou qui me prête un livre qu'on lui a offert et qui l'a beaucoup fait rire. Kicou que je quitte.

L'air est insupportablement lourd et chaud le vent du sud. L'orage avance.

Guignol

La nuit est sombre. Le désir devrait briller tout au fond, dans les fourrés, derrière les bosquets, comme un ver luisant. Comme une étoile. Rien. Aucune lueur autre que celle des cigarettes dont le rougeoiement est annoncé par l'âcreté de l'odeur. Aucune autre lumière que celle des phares des voitures tournant sur le parking dans leur danse grotesque dont les faisceaux viennent à intervalles réguliers éclairer les fantômes sans visage.

Une seule émotion provoquée par l'irruption soudaine d'une silhouette là où l'on ne l'attendait pas. Comme au théâtre Guignol, les marionnettes en scène pour ce tableau apparaissent et disparaissent d'un coup, derrière le bois du chevalet ou les rideau de faux velours rouge. Comme à Guignol, c'est toujours la même histoire qui est racontée.

Des mains se tendent vers un corps nu, adossé à un arbre, s'offrant à qui le veut. Mais s'offre-t-il et quelqu'un le veut-il? Ou bien n'est-ce qu'une habitude? En y croyant. En n'y croyant pas. Un autre plus loin se masturbe. Je tends la main vers son torse, un instant, juste un instant. Je ne saurai faire naître le plaisir de ces gestes mécaniques.

Le désir est dans ma tête, pas dans mes mains. Une silhouette plus lourde s'approche de moi. Il sait ce qu'il veut. Il passe son T.shirt par dessus la tête, le short balaie le sol. Il me touche. Je tends la main, puisqu'il le faut bien.

Même conduire dans la nuit ne m'apaisera pas.

jeudi 21 mai 2009

Comment transformer une journée de merde en conte érotico-aquatique avec gros engins et carrures adéquates?

Je les ai regardés. Ils étaient deux. Ils jouaient. Dans le Rhône. D'abord, je les ai vus sur la berge, juste au bord de l'eau troublée par les rafales de vent. Leurs combinaisons noires. Le galbe du deuxième qui tapait sur les fesses du premier. Légèrement masqués par un arbre.











Plus loin, ils étaient au milieu du fleuve. De la vitesse simplement, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, se croisant et se recroisant. La photo était difficile. Entre les arbres, je n'apercevais qu'une petite partie du Rhône et ils passaient si vite.

Je les ai laissés et suis parti à la recherche des animations pour le départ du rallye Hannibal. J'avais trop tardé. Des sportifs, plus. Mais des enfants, des familles, des isolés, un homme qui promenait son chat comme on promène son chien. Abominable faune des dimanches ennuyés.

Au retour, ils étaient encore là. Je le savais. Par dessus le bruit du vent, j'entendais, au-delà du rideau d'arbres, l'écho des deux moteurs. Je suis revenu à leur point de départ. Ils me voyaient les photographier. L'un d'entre eux surtout qui lançait ses acrobaties devant mon appareil. Ils jouaient maintenant, comme au tout début. Des sauts, des virages, des plongeons, des geysers envoyés sur l'autre, comme une virilité débordante.



Et puis ils sont revenus au bord, tout près de moi, et le plus beau a laissé son bolide au bord et ils n'ont plus pris qu'un seul engin, se faisant face, l'un couché sur la coque, l'autre tenant les commandes. Ils se regardaient. Parade aquatique, parade amoureuse, jaillissement du désir. Comment puis-je en être sûr? Je le sais, c'est tout. Je suis parti. Ils m'avaient adouci.

Non

Hier, ce fut la journée des "Non". Non à tout et à rien, "non" que j'ai entendus trop souvent au fil des heures. Non divers, multiples, variés. Petits "non" et "non" qui touchent davantage. Quelques "oui" aussi, pour faire ressortir les refus, pour les mettre en valeur, comme s'il en était besoin.

Alors, moi aussi, j'ai dit non, ici, hier soir. Et pour finir, ce canular de très mauvais goût.

mardi 19 mai 2009

Momentini

J'ai retrouvé Nicolas, brièvement, juste le temps de se regarder droit dans les yeux et de se sourire.

J'ai retrouvé le menuisier portugais aux yeux verts avec qui le courant passe si bien.Je me demande si je ne vais pas lui demander de venir refaire mes deux portes-fenêtres trop vieilles et mal isolées.

J'ai envie, envie, envie de soleil sur ma peau, sur tout mon corps. Hier, j'y ai pensé mais trop de travail.

J'ai envie que quelqu'un me serre dans ses bras, fort.

Du soleil et des bras, je ne demande pas grand chose. Si?

Ferdinand

On refait l'enduit de la chaussée en bas de chez moi. C'est intéressant un moment: voir par la fenêtre tous ces gros engins de chantier qui s'illuminent peu à peu avec la nuit qui tombe, essayer de repérer dans les jaquettes jaunes celui qui est le mieux fait, le plus attirant, le plus susceptible de faire naître des fantasmes.

Et puis, bien vite, on s'en lasse. Les bips incessants des camions qui reculent, les coups de klaxon, les voitures qui s'impatientent de ne plus avoir qu'une file pour s'écouler. Le bruit, diffus derrière mes doubles vitrages mais omniprésent. L'odeur du goudron chaud, un peu écœurante, dès qu'on ouvre la fenêtre. J'ai du mal à me concentrer sur ce que j'écris.

Juste dire ma soirée d'hier, le bon repas chez David et Floriane, mes presque voisins, elle la fille du camarade de régiment de Pierre. Ils ont maintenant un bébé que j'ai découvert hier. J'ai demandé de le prendre dans mes bras, moi qui autrefois avais horreur de ça. Lui aussi n'a pas arrêté de me sourire, très intrigué par tous ces poils de barbe et de moustache qui recouvrent le bas de mon visage et dont il n'a pas l'habitude. Il ne s'est pas privé de les caresser, de les triturer, de les tirer comme pour les arracher. Et puis, un long moment, il a doucement appuyé sa tête contre ma joue et est resté comme ça, pendant que je fondais de tendresse. Il sentait bon, ce petit être contre moi, il avait confiance, il n'était que douceur. Et moi, je sentais au fond de moi quelque chose de chaud et d'humide qui montait, qui montait et troublait ma vue. Merci, petit Ferdinand, pour ce moment de grand bonheur.

lundi 18 mai 2009

Rituel du matin

Longtemps, j'ai détesté les matins. Non, je n'entame pas ici un billet aussi long que les analyses méticuleuses de notre cher Marcel qui lui, chacun le sait, s'est longtemps levé de bonne heure.

Maintenant, je ne sais plus faire autrement et même quand j'en aurais le temps, traîner au lit en étant éveillé m'agace vite. Car le problème est là: avec l'âge, je me réveille plus tôt. Finies les longues nuits de dix heures avec lever quand les autres passent à table. A huit ou neuf heures maximum, je suis debout, même si je me couche très tard.

En temps ordinaire, c'est à dire lorsque je travaille, je règle le radio-réveil sur six heures. Je n'aime pas courir après les minutes le matin, sinon je deviens hargneux et je ne veux pas que les élèves fassent les frais de mes humeurs. Il me faut tout mon temps, tous mes temps: celui de me réveiller correctement, celui de déjeuner sans stress, celui de passer à la salle de bains et de refaire le lit, celui (dix minutes) consacré à l'ordinateur, celui enfin de rouler lorsque la circulation n'est pas trop intense et d'arriver au collège suffisamment tôt pour admirer un lever de soleil par exemple ou bavarder un instant avec quelques collègues calmes, loin de la volière de la salle des professeurs.

A six heures, sur France-Inter, j'écoute les infos, parfois d'une oreille distraite, parfois même en en perdant la plus grosse partie, replongé que je suis dans un état de semi-conscience. En général, le journal des sports me fait enfin mettre les pieds par terre. Direction la cuisine, dans le noir: je n'éclaire jamais le couloir qui sépare la partie nuit de la partie jour de l'appartement. La lumière me blesse et j'aime m'y accoutumer peu à peu. Première occupation: le pipi du matin. Puis préparation du petit déjeuner tout en écoutant la suite des émissions de France-Inter.

J'émerge peu à peu à la conscience du monde qui m'entoure. Je ne suis pas particulièrement grognon. Je l'ai cru longtemps mais je me suis rendu compte que, lorsque j'avais des amis chez moi au réveil, j'étais de loin le plus enjoué et le plus souriant. Simplement il ne faut pas que la machine s'emballe. Au menu du premier repas de la journée: thé (qui a remplacé le café depuis environ un an), jus d'orange pressé (par mes soins, avec des oranges fraîches) et brioches avec confiture.

De retour dans la partie nuit, j'aère la chambre et refais le lit. Le voir tout lisse et bien tendu me procure le premier plaisir de la journée. En général, c'est là que se situe le petit tour sur l'ordinateur pour vérifier si j'ai eu des lecteurs pendant la nuit, pour être sûr qu'on pense toujours à moi. C'est absurde, mais j'aime bien trouver un petit commentaire nouveau au réveil. J'ai des lecteurs qui se couchent très tard, d'autres qui se lèvent très tôt. Il y a donc presque toujours du nouveau à découvrir.

Mon cartable est prêt depuis la veille au soir, toujours. Je n'y rejette jamais un coup d'œil avant de partir le matin. Souvent, il y a un deuxième passage aux toilettes. J'ai beaucoup aimé l'humour d'un commentaire, chez Lancelot, qui parlait des effets rapides de la nourriture et de la boisson du matin et des inconvénients qui en découlent. Je suis bien d'accord avec ce commentaire. Aussi la douche n'arrive-t-elle qu'en fin de parcours. D'abord parce que je suis pratiquement incapable de faire quoi que ce soit de correct avant d'avoir déjeuné, ensuite parce que l'eau, élément que j'aime beaucoup pourtant, est assez violente de contact le matin, enfin parce que j'aime être encore sous cette sensation de grande propreté en sortant de mon immeuble pour rejoindre ma voiture.

Contrairement à certains que je connais, je ne m'attarde pas outre mesure dans la salle de bains. Que voulez-vous, quand on a un corps de rêve, inutile d'angoisser! Le plus long est en général le choix des vêtements car on dirait qu'ils prennent un malin plaisir à ne pas se coordonner. Ce qui semblait aller de soi le soir ne convient plus du tout le lendemain matin. La paire de chaussettes choisie arbore un beau trou à l'une des extrémités, le sweat vous jette à la figure une tache qui n'est pas partie au lavage et que l'on n'avait pas vue la veille, le pantalon est mal repassé, il manque un bouton à la chemise, là, juste sur le devant. Alors voilà, il faut recommencer et ça prend du temps.

Une fois dans la voiture, c'est parti: la journée commence. Souvent je chante, parfois à tue-tête, et, s'il pleut, je me dis que c'est bien pour ma carrosserie qui ne connaît pas souvent la laverie. Je m'amuse à considérer mes voisins aux feux rouges, je leur invente une nuit, des histoires, un but. Parfois on se sourit, avec l'un d'eux. C'est un des moments que je préfère dans la journée, celui où je me dis: allez, il faut y aller, il faut l'avaler, en tirer le maximum de joies et d'intérêt et en faire profiter les autres.

En somme, j'ai appris, avec les années, à aimer le matin. Le seul hic, c'est que j'aime toujours le soir également. Résultat: des nuits parfois bien étriquées et parfois aussi (souvent?) un manque de sommeil certain. En plus, j'ai toujours l'impression de ne pas avoir fini ce que je voulais faire, de ne pas avoir pu m'intéresser de suffisamment près à tout ce qui m'attire. Il faut que la fatigue se fasse vraiment sentir pour que je me couche. Mais, une fois au lit, tout va bien: mon livre est là pour assurer la transition entre réel et monde des songes.

dimanche 17 mai 2009

Autobiographie.13: Une photo de moi enfant




Les yeux grands ouverts sur le monde!









Apparemment, je n'ai jamais cru au Père Noël!

Photos de famille

Dans le film La Vie est un long fleuve tranquille, un des personnages, la mère de la famille bourgeoise, dit quelque chose comme: "C'est lundi, c'est raviolis! (je ne suis plus très sûr du jour.) Moi, je peux dire: "C'était dimanche, c'était ma mère!".

Après le repas et un temps de sieste plutôt calme pour une fois, l'impératrice régnante refusa toute idée de promenade à l'extérieur. Il est vrai que le vent était assez fort cet après-midi. Mais il restait tout de même près de trois heures à occuper, si possible autrement qu'en récriminations, phrases assassines et énervement grandissant. Ma sœur a eu l'idée de sortir les boîtes où s'entassent les vieilles photos de famille. Là aussi, je craignais le pire: nous allions avoir droit aux éternelles anecdotes cent fois racontées et cent fois entendues.

Eh bien, non. J'ai proposé de prendre un stylo et d'indiquer au dos de chaque photo de qui il s'agissait. Cela n'a rien d'un exercice facile. Pour les quatre, voire cinq, générations de ma famille dont le portrait a été tiré grâce à l'invention et surtout à la banalisation de la photographie, ça n'a pas été très compliqué. Bien sûr, quelques visages échappent parfois à toute tentative d'identification, mais dans l'ensemble, l'oncle Pierre, le grand-père Honoré et la grande tante Clémence comme Antonin, Reine, Marguerite, Maurice et les autres se sont prêtés de bonne grâce à ce jeu dominical.

On voit, en se penchant sur le défilé des générations, l'évolution de la photo: du noir et blanc à la couleur, bien sûr (mais aujourd'hui, nous n'avons manipulé que le noir et blanc), mais aussi dans la pose: tellement guindée dans le studio du photographe professionnel, où l'on tentait de sourire, mais pas trop pour rester digne, devant un drapé de velours que l'on imagine rouge ou la perspective vaporeuse d'une rocaille romantique; puis, peu à peu, plus libre, jusqu'à se libérer totalement sur les clichés pris en famille, dans les fêtes ou comme ça, pour se faire plaisir.

En revanche, pour d'autres, trop nombreux, le silence persiste. Ma mère ne nous a été que d'un faible appui, car elle mélange les visages et les époques. Ainsi tout l'après-midi, m'a-t-elle appelé par le prénom de mon père et parlé de mon "frère" au lieu d'employer le mot "oncle". Quelques rares fulgurances ont parfois permis d'identifier un ou deux de ces inconnus. Mais je me rends compte que je suis maintenant un de ceux qui en savent le plus sur la famille. Mon frère, qui met tout cela en forme sur son ordinateur, fait souvent des erreurs que je lui montre quand je les découvre.

Dans ce lot abondant de photos jaunies, auxquelles se rajoutaient bien souvent de vieux articles de journaux, principalement de la rubrique nécrologique, ou des images pieuses de communion solennelle, nous avons retrouvé les portraits de deux hommes que j'ai tout de suite reconnus, là n'était pas la difficulté. Cette dernière consistait plutôt à savoir comment rédiger l'identification au dos de la photo. L'un comme l'autre avaient, pour un temps assez long, vécu avec ma grand-mère paternelle. Celle-ci, veuve à même pas quarante ans, n'avait pas arrêté sa vie de femme avec la mort de son mari. Cela peut sembler naturel aujourd'hui, mais à l'époque, ça ne l'était certes pas: une femme qui n'endossait pas l'abstinence en même temps que le tablier sombre et les bas noirs était considérée comme une moins que rien. Ainsi fut sans doute considérée ma grand-mère, qui visiblement, s'en est toujours fichu comme de sa première chemise. Elle avait ce tempérament qui me plaît tant chez elle d'une grande autonomie et d'une grande liberté.

Ces deux hommes ont-ils été plus que des compagnons de solitude? Ont-ils été ses amants charnels? Je n'en sais rien mais je le lui souhaite. Alors, pour ne pas laisser s'installer un silence mensonger, j'ai écrit leur nom au dos de la photographie, suivi de la mention "ami" (avec guillemets) de ... (nom de ma grand-mère). J'ai failli mettre "amant", mais je n'en sais rien, après tout.

Un après-midi passé en compagnie de cette femme qui m'a, à moi seul, fait tant de confidences, ce n'était certes pas pour me déplaire. Il reste encore du travail pour mettre un nom sur tous ces visages. Mais si nous ne le faisons pas maintenant, qui le fera plus tard?

samedi 16 mai 2009

Les Dialogues de Calyste (7)

(Ben oui, pourquoi y aurai'k Platon et les carmélites.)

Le fils (grand ado): - Franchement, j'comprends pas pourquoi "décapiter", ce serait qu' la tête.
Le père: - On peut dire aussi "démembrer" et ça dit bien ce que ça veut dire: les membres.
Le fils: - Oui, ou bien "amputer"! Mais j'vois pas pourquoi "décapiter", ce serait qu' la tête!

(Au final, ça n'a plus ni queue ni tête!)

Autour du Pilat

Il y avait plusieurs possibilités, plusieurs itinéraires éventuels. Finalement, nous avons choisi la RD356 (plus bas 1056), c'est à dire l'ancienne RN86, qui longe le Rhône par la rive droite puis file ensuite sur Nîmes. Une journée de soleil avec J.

Premier arrêt à Givors. Destination surprenante pour qui connaît la ville qui n'a que très peu d'attraits touristiques. Mais tous les deux, nous voulions voir de plus près cette église que l'on aperçoit du pont du Rhône et qui, de loin, a quelque chose des églises mexicaines ou sud-américaines. Il s'agit, nous le savons maintenant, de Saint-Nicolas, mais elle était fermée bien sûr. Un petit tour dans la vieille ville et au bord du Rhône, près du pont à sens unique et cap au sud pour rejoindre Vienne.

Vienne, c'est autre chose. Et ce matin, en plus, c'était jour de marché, un beau marché qui sent bon déjà le midi, échelonné sur plusieurs rues et places de la ville. Outre les vestiges romains bien connus, la bourgade possède également bien des traces du Moyen-Age et de la Renaissance, perdues dans des rues étroites où il est impossible de stationner, voire de circuler. Visite approfondie de la Cathédrale Saint-Maurice, en ce moment en restauration.

Nous avons retraversé le Rhône pour déguster une petite friture assez appétissante dans un restaurant de St Romain-en-Gal où l'une des serveuses semblait posséder autant de cervelle qu'un oisillon mais compensait par un très beau sourire. Quant au cuisinier, sa belle voix grave a fait beaucoup d'effet à J. Moi, j'ai ausi remarqué ses yeux bleus (oui, je sais, Lancelot, encore!).

Ensuite, nous avons attaqué la montée sur les pentes du Pilat, ce massif qui sépare la vallée du Rhône et celle du Giers et dont le nom viendrait de Ponce Pilate, personnage historique dont on perd la trace après la Passion du Christ et qui, après avoir siégé à Vienne, serait enterré dans ces montagnes. Rien de moins sûr, mais c'est joli.


Arrêt au belvédère de Tupin-et-Semons pour admirer la vue sur cette vallée du Rhône si riche en agriculture et viticulture puis, après être passés tout près de chez Kikou, que nous devions voir mais qui finalement a dû annuler à cause de sa trop grande fatigue, nous avons rejoint Pélussin, un peu plus haut sur les pentes, qui n'a d'intéressant que son site étagé, aux paliers marqués successivement par deux églises et un château, et un petit bout de vieille ville apparemment en partie occupé par des artistes sculpteurs et verriers.

La route nous a conduits ensuite au col de Pavezin, en nous offrant, au détour d'un virage, le spectacle d'un champ de coquelicots et de bleuets mêlés, dominé par des massifs de genêts. Magnifiques couleurs de printemps dans cette journée estivale. Il y avait très longtemps que je n'avait pas vu de bleuets!

De là, redescente sur Sainte-Croix-en-Jarez où nous avons visité ce qu'il reste de l'ancienne Chartreuse aujourd'hui occupée par des appartements. Pour l'avoir vue il y a de nombreuses années et m'attendant au pire, je peux témoigner que les efforts de restauration et les travaux entrepris en ce sens ont magnifiquement amélioré l'endroit, fort agréable et intéressant à la visite aujourd'hui. Un seul regret: les panneaux d'explications ne sont pas suffisamment précis sur l'emplacement exact des détails à voir.

En bas, c'était Rive-de-Gier et le retour à la nature saccagée durant des siècles par l'industrie lourde de cette région. Autoroute jusqu'à Lyon. J'ai dit à J. que j'avais l'impression, au cours de cette troisième balade d'une journée ensemble, d'avoir vu moins de choses que les fois précédentes, impression peut-être due au fait qu'à part Givors, je connaissais déjà l'itinéraire, ou à une certaine fatigue des deux lurons aujourd'hui. Mais ce qui restera, outre le plaisir d'être ensemble, c'est une magnifique journée d'été (et dire qu'au départ, la balade était prévue pour hier, où l'on a pas vu le soleil!) et, pour ma part, une prise de couleurs certaine sur le visage.

vendredi 15 mai 2009

Envie

Rome me manque, peu à peu.
Rome, je l'aime. C'est la plus belle. Avant Paris même.

J'ai envie du goût amer des oranges mordues par hasard au Palatin, dans les jardins Farnèse.
J'ai envie des ruelles sombres dans la touffeur de l'été, où sèchent éternellement des tentures de vêtements accrochés tout là-haut.
J'ai envie du bruit des Vespas et des filles qui rient à l'arrière en serrant bien leur beau conducteur.
J'ai envie de la courbe du Tibre et des façades fanées.
J'ai envie du café espresso sur la place du Panthéon en regardant défiler les touristes.
J'ai envie des nuées d'étourneaux qui sillonnent le ciel au-dessus du Pincio.
J'ai envie de l'élégance de la Via del Babuinio et du luxe de la Via Veneto.
J'ai envie de la Via Appia Antica et de ses traces de fornications au pied des tombeaux antiques.
J'ai envie des églises et de la volée des cloches le dimanche. Les cloches en Italie n'ont pas le même son qu'en France.
J'ai envie des vendeurs, des voleurs et des braves gens.
J'ai envie, au jour de l'an, du panettone et de l'Asti spumante.
J'ai envie du marché de Noël sur la Piazza Navona, avec l'espoir d'y croiser une Béfana précoce.
J'ai envie de la bière dans le petit café Via della Pace, juste derrière la place, sous la glycine, entouré de beaux mâles aux longs cils recourbés.
J'ai envie des chats de la Piazza Argentina et du bruit du tramway quand il tourne.
J'ai envie des carafes de vin blanc, à la marque légale embuée de fraîcheur.
J'ai envie de ces nuits où ressortent l'odeur du jasmin et les rires des filles.
J'ai envie de m'éveiller le matin et d'avoir encore envie.

Je ne suis jamais allé seul à Rome.

Sourire.

Hier soir, apéritif avec Evelyne chez mon équipière de correction en binôme. Ai fait la connaissance de son mari, qui, après un passage dans la banque, a radicalement changé de cap et s'investit maintenant dans la psychologie au profit de la mère et l'enfant en bas âge. Homme intéressant et très calme, tellement calme qu'il a eu du mal à faire entendre parfois sa voix au milieu du concert pédagogue à trois organes. J'ai parfois tenté de faire bifurquer la conversation sur d'autres sujets. Entreprise très difficile: il n'y a rien de pire que des profs qui parlent ensemble.

La plus belle joie de ma soirée, très agréable tout du long, fut au début, à mon arrivée. Leur petit garçon d'à peine trois ans n'était pas encore au lit et, quand je suis rentré, il m'a regardé droit dans les yeux (si l'on peut dire vue la différence de taille), sérieusement, posément, puis, après brève analyse, m'a tendu les bras et les joues avec un grand sourire radieux. J. dira qu'encore une fois, il n'y en a que pour moi!

Le courrier à deux vitesses

A la poste il y a une heure pour faire peser et timbrer un courrier. Une queue importante dans le bureau. Elles le sont toujours mais là, ça dépassait tout ce que j'avais déjà connu. Je prends ma place dans la file, maudissant les déodorants qui ne tiennent pas jusqu'à la fin de l'après-midi ou qui restent à sécher sur l'étagère sans que quiconque pense à les utiliser. L'avancée se fait lentement. Trois guichets sur les quatre sont ouverts. On ne peut donc pas trop se plaindre. Le quatrième est même au bout d'un moment occupé par un supérieur, sans doute, mais qui ne veut se charger que des lettres ou colis à récupérer.

A un moment arrive un homme corpulent et rougeaud qui coupe la file et va s'installer ostensiblement près d'un guichet. Le client précédent parti, il se pose et fait ses affaires. Personne ne bronche. Je remarque qu'au-dessus de ce guichets, en plus de la mention "Toutes opérations" se lit une inscription plus énigmatique: " carte Pros". Ce monsieur doit donc être un pro, cette race qui, multipliée, passe outre l'orthographe française et adjoint un "s" à ce qui n'est pourtant même pas une abréviation mais un préfixe pur et simple.

Je décide, lorsqu'il repassera près de moi pour sortir, de lui demander, avec le maximum de politesse en ma possession à ce moment-là et toute la diplomatie dont je serai capable, en quoi cette carte lui donne la priorité sur une vingtaine d'autres personnes qui attendent leur tour. Je n'en aurai pas l'occasion. Non seulement ce monsieur ne sort pas et s'assoit dans le bureau pour lire son courrier recommandé, sans doute moins sensible que moi à l'atmosphère ambiante, mais un autre, celui-ci d'origine asiatique, effectue la même manœuvre de dépassement que le précédent. La dame derrière moi commence à faire entendre de légers grognements. C'est bon signe, signe que je peux attaquer avec l'espoir de rencontrer quelque soutien autour de moi. A ma question, l'asiatique répond fort poliment que cette carte pro est une carte pour les entreprises et qu'elle donne effectivement la priorité aux guichets.

Arrivé devant la préposée, je lui fais connaître, poliment moi aussi, car elle n'y est pour rien, mais fermement tout de même, mon sentiment sur cet état de fait. Non seulement ce bureau est, depuis des années, trop petit pour le quartier de la Part-Dieu, mais en plus la Poste se met elle aussi au service à deux vitesses: ceux qui ont les moyens de ne pas attendre et les autres, toujours les mêmes, qui marinent dans leur sueur et leurs odeurs mêlées.
Pourquoi ces entreprises n'utilisent-elles pas des boîtes postales? Pourquoi, si l'obtention de leur courrier est si pressée, ne font-elles pas affaire avec des entreprises privées?

Et, divine surprise, cette femme de cinquante ans est d'accord avec moi. Elle ne cautionne pas la politique de ce service public qu'est encore, il me semble, la Poste. Elle m'indique gentiment qu'il existe des automates à l'extérieur qui auraient pu me faire gagner du temps mais qu'elle ne s'en sert elle-même jamais. Je la comprends: comme pour les pompistes il y a quelques années et comme bientôt pour les caissières de grandes surfaces, ces machines auront bientôt raison de son emploi et de celui de ses collègues. En plus, me dit-elle avec un grand sourire, elles ne parlent pas, ces machines. Et elles ne sourient pas aussi bellement que vous, chère madame que je remercie pour sa sincérité et sa gentillesse.

Quand je suis ressorti du bureau de poste, personne n'avait bronché: chacun attendait son tour, résigné, comme des bœufs devant le pistolet à l'abattoir. Mais il y avait un peu de soleil dans le ciel gris. Alors j'ai souri. Comme ça, à personne. Ou à moi, c'est comme on veut.

jeudi 14 mai 2009

Droits d'auteur

Étrange expérience aujourd'hui.

Pierre avait participé il y a assez longtemps, à l'écriture d'un ouvrage collectif en sociologie. Chaque année, il recevait le relevé de ses droits d'auteur sur cette production mais sans en toucher la somme puisque celle-ci était encore trop faible. Les droits ne sont en effet versés qu'à partir d'une vingtaine d'euros il me semble. En attendant, ils sont capitalisés.

Il y a un mois, j'ai reçu, au nom de Pierre, un chèque d'une cinquantaine d'euros: le livre s'était visiblement davantage vendu ces derniers temps. Après avoir demandé conseil au notaire, j'ai pris directement contact avec cet éditeur. Je suis en effet héritier de ces droits et les chèques devront à l'avenir être libellés à mon nom. Il suffit en fait de faire parvenir aux services financiers une attestation de dévolution successorale.

Pourquoi étrange expérience? J'avais rêvé, plus jeune, toucher des droits d'auteur sur des écrits à moi, des romans, que je n'ai jamais envoyés à aucun comité de lecture. Depuis bien longtemps, l'idée m'en était totalement sortie de la tête. Et aujourd'hui, c'est la sociologie qui approvisionne ce chèque. Outre le côté cocasse de l'affaire, je trouve un peu "brassant" de revenir encore une fois, par ce biais, sur le passé, comme si encore aujourd'hui tout cela avait une réalité. Décidément tourner la page n'est pas si aisé quand la société elle-même vient retenir le geste.

mercredi 13 mai 2009

Chair

Chair aimée, recherchée, chassée, traquée, palpée, caressée, malaxée, effleurée, cognée, léchée, mordue, sucée, triturée, sentie, gonflée, tendue, bleuie, offerte, étirée, distendue.

Chair repue un instant, moite, voluptueuse, suante, relâchée, rétractée, couverte, essuyée, nettoyée, réceptrice, frissonnante, si sensible, à l'autre presque, chair donnée mais reprise bientôt.

Chair inassouvie, monstrueux appétit, Léviathan insatiable, impatiente, renouvelée, obsédante, impérieuse, tyrannique, que te faut-il de plus que ces festins énormes?

Ma chair.

Planchon, oui mais...

Roger Planchon est mort. De toutes parts proviennent les hommages et les rétrospectives de sa vie, que ce soit en tant que comédien ou que metteur en scène. A Lyon l'émotion semble tout particulièrement vive, puisque Planchon, créateur du Théâtre des Marronniers, toujours existant tout près de Bellecour, a aussi dirigé pendant de nombreuses années le TNP (Théâtre National Populaire) installé à Villeurbanne.

Très longtemps, j'ai été un des abonnés fidèles de ce théâtre. Je me souviens de spectacles époustouflants de poésie, à la mise en scène intelligente, comme celle de Georges Lavaudant pour Les Géants de la Montagne de Pirandello, je me souviens avec tendresse de la grande époque Chéreau, je me souviens des salles écroulées de rire avec Le Saperlo ou autres productions de Gildas Bourdet. Oui, j'ai vécu à Villeurbanne, dans ce théâtre, des moments exceptionnels.

Mais au fil des années, ces moments sont devenus rares. D'abord la proportion majoritaire de profs intellos dans le public m'a très vite exaspéré: qu'y avait-il de populaire dans les commentaires "éclairés et profonds" que l'on entendait à l'entracte ou à la sortie, sur la place Lazare Goujon? Ces gesticulations et discours de petits snobs à la culture souvent aussi limitée qu'elle voulait paraître brillante ne m'intéressent pas. J'ai toujours alors envie de leur clouer le bec en leur mettant le nez dans leur ignorance, ce qui ne serait pas bien difficile. (J'écris au présent car c'est toujours une envie que j'ai aussi forte aujourd'hui!)

Et puis à ce qui m'avait tant touché et passionné ont succédé des pièces à thèses, lourdes de messages inavalables, des mises en scène à la provocation gratuite, une indigestion de théâtre allemand d'avant-garde (et l'on ne peut pas me taxer de ne pas aimer l'Allemagne). Ainsi voyait-on une truie sur scène, ou bien un personnage assis sur la cuvette de ses toilettes ou vomissant avec bruitages expressifs à l'appui. Le pire était les pièces dont la représentation s'étendait sur deux soirées. Ce fut la mode à une époque, comme si la longueur avait à voir avec la qualité (Piergil, s'il te plaît, ne t'arrête pas à cette phrase!). Et Planchon en a été un grand adepte.

Au total, je ne garde pas une estime particulière pour le Planchon metteur en scène, pas plus d'ailleurs que pour le Planchon acteur, trop semblable chaque fois à lui-même. Je lui préfère de loin comme acteur son ami Jean Bouise, décédé il y a quelques années, et comme metteur en scène Jean Dasté qui créa la Comédie de Saint-Etienne et en fit longtemps une des scènes françaises les plus renommées. Je tenais à citer ces deux hommes, Bouise et Dasté, bien trop oubliés aujourd'hui, et à leur rendre hommage.

(Pas de photo du TNP: il est en (gros) travaux. Une vue partielle de la place Lazare Goujon, juste devant, qui sépare le théâtre de la mairie de Villeurbanne.)

mardi 12 mai 2009

L'ancien et le nouveau.

Ce matin, j'ai exceptionnellement repris le chemin du collège pour accompagner mes élèves de sixième au site gallo-romain de St-Romain-en-Gal, une sortie prévue de longue date.

Arrivés beaucoup trop tôt (merci, Bérangère), nous avons dû attendre presque une heure l'ouverture des portes. J'en ai profité ainsi que Stéphane pour faire quelques photos. Ensuite nous nous sommes séparés pour accompagner chacun notre classe. Avec la mienne, nous avons commencé par le musée et j'ai repris mes explications sur l'implantation d'une ville romaine, sur le site particulier de Vienne, sur les différents pièces d'une domus, sur l'impluvium, sur le compluvium, sur le triclinium, sur la technique de la fresque et de la mosaïque. Dehors, sur le site, j'ai complété par le caldarium, le frigidarium et le tepidarium, par le système des égouts et leurs regards (un mot que les sixièmes découvraient dans cette acceptation), par l'atelier de foulon, par l'immense maison des Dieux Océans, par les latrines publiques et j'en oublie sans doute.

J'aurais dû prendre un grand plaisir à cette visite. Je n'en ai pas éprouvé. Bien sûr, j'étais assez fatigué (corrections?), bien sûr le soleil n'était pas vraiment de la partie mais surtout il y a peut-être trop longtemps que je guide les élèves sur ce site. Je me suis entendu redire les mêmes choses une fois encore et je me suis surpris à ne pas y mettre le même enthousiasme qu'autrefois. Je crois qu'il est temps d'imaginer autre chose. A tout prendre, mes photos de l'extérieur du bâtiment du musée m'ont plus intéressé.

En y réfléchissant, j'avais là ce matin deux de mes mondes côte à côte: celui des romains, de leur art et de leurs techniques, que je prisais tant autrefois, et celui du béton, du verre et de l'acier qui m'attire davantage aujourd'hui. L'ancien et le nouveau, pour l'architecture urbaine mais surtout pour la mienne interne! Et au retour, direction Caluire pour la suite des corrections.

La journée s'est terminée chez J. pour un agréable repas tranquille et décontracté. Maintenant je vais tâcher de ne pas trop faire attendre mon lit.

lundi 11 mai 2009

On a pris l'R.

A la baguette.

Un peu normal pour un restaurant chinois.


Les amateurs apprécieront!


Mais pourquoi seulement à midi?


Du sado-mezzo?