J'ai déjà fini mon tour des blogs ce soir. Très peu ont écrits. Il y a des jours comme ça, un peu vides. Peut-être est-il trop tôt aussi.
Je ne pensais pas aujourd'hui éprouver un sentiment aussi profond face à ce qui est maintenant une certitude: le départ des dernières religieuses de la congrégation où loge mon collège. Bien sûr, il n'en restait plus beaucoup. Cinq ou six, tout au plus, dont la plus jeune a largement dépassé la soixantaine et la plus vieille frôle le centenariat.
Mais je les connais depuis si longtemps: vingt-neuf ans exactement. Certaines étaient au début impliquées directement dans la vie de l'école: Anne-Elisabeth fut directrice-adjointe, Annette avait été surnommée la sœur reproductrice (devinez par qui!) parce qu'elle se chargeait de nos stencils puis de nos photocopies. Il y eut aussi la sœur "croûtons" qui distribuait les trois tranches de pain réglementaires à la cantine et à qui nous pouvions difficilement en soutirer une quatrième, même nous les adultes. A une collègue qui prétendait "adorer" le pain, il fut répondu, poliment mais fermement: "Contentez-vous d'adorer Dieu!". Je parle bien évidemment d'un temps que les moins de vingt ans.....
Aujourd'hui, le directeur leur offrait un apéritif d'adieu. Peu à peu, en effet, dans les semaines qui viennent, elles vont rejoindre leur nouveau lieu de vie et, pour la plupart d'entre elles, de mort. Certaines restent dans la région, la supérieure rejoint l'Ile-de-France, d'autres le sud-ouest. Il en restera deux ici, pour faire la jonction avec quelques nouvelles arrivées, plus jeunes, pour qui les travaux de rénovation ont été faits. Ainsi verrons-nous encore la furtive silhouette de Blandine, si discrète que la plupart des enseignants ne la connaissent pas, et le derrière rebondi d'Ilona qui s'occupe de quelques fleurs dans un coin de parc et dont l'allure générale rappelle étrangement l'une de ces petites fées grassouillettes et pourtant voletantes qui s'attellent à la confection de la robe de bal de Cendrillon, chez Disney. Vous voyez de qui je veux parler?
Elles étaient toutes là, à midi, pour écouter le discours du directeur, à l'exception d'Anne-Elisabeth qui a fait une mauvaise chute hier et se retrouve à l'hôpital. Emmanuelle-Marie, la supérieure, y est allée aussi de son petit mot pour évoquer toutes les années passées sur la colline. Je la connais depuis bien longtemps et nos premiers rapports, lors de la mise en place de la rédaction d'un projet éducatif commun à toutes nos écoles, avaient été assez musclés. A l'époque, elle ressemblait davantage à un char d'assaut qu'à une servante du Seigneur. Elle a gardé la carrure d'un Leclerc mais son caractère, comme le mien sans doute, s'est un peu adouci et nous aimons aujourd'hui échanger quelques mots au détour d'un couloir et en traversant le parc. Lorsque je suis arrivé dans la salle à manger, tout à l'heure, j'ai cru un instant qu'elle allait m'embrasser. Je regrette ce soir d'avoir réprimé cet élan spontané, par timidité.
Anne, la presque centenaire, Annette aussi nommée, a tenu à rajouter un mot. Une des phrases m'était directement destinée, j'en ai été très touché. Anne, c'était l'originale, celle qui ne se pliait qu'à contre-cœur à la règle, celle qui faisait tout pour y échapper: les photocopies, comme je l'ai déjà dit, mais aussi la tête gratuite pour les élèves des écoles de coiffure (Ah! ces reflets bleus certains jours! ou ces frisettes uniquement sur le devant! "A quoi bon faire friser l'ensemble, me dit-elle, puisque je chante de face!"). Elle faisait effectivement partie d'une chorale assez réputée sur Lyon, ce qui lui permettait, certains soirs de spectacle, de rentrer un peu plus tard et d'avoir ainsi l'impression de frôler l'interdit. Elle ne m'a jamais dit son âge, elle n'a jamais voulu, ni à moi ni aux autres. Je l'ai su par indiscrétion en "haut" lieu!
Il y avait aussi Marie-France, la pas agréable, celle qui ronchonne ou vous sourit mais de loin, celle que l'on rencontre le moins, et puis Claire, Chiara bella, ancienne professeur d'anglais qui croit qu'elle maîtrise cette langue et qui la prononce aussi mal qu'elle estropie les quelques mots d'italien qu'elle me glisse à chacune de nos rencontres. Claire qui a vidé les surplus de la bibliothèque et m'a réservé plusieurs livres sur l'art italien de la Renaissance, Claire qui ressemble à Olive, la femme de Popeye et pour qui je garde une certaine tendresse.
Je n'ai pas écouté les discours. Preuve que le moment me dérangeait, me touchait, comme je l'ai dit, plus que je ne me le serais imaginé, j'ai fait le pitre pendant ce temps, et pris quelques photos que j'ai ratées, comme d'habitude lorsque je mets à photographier des êtres humains. Pourquoi?
Derrière tout cela, surtout, il y a avait la présence discrète de ma grande amie dans cette congrégation, qui s'en est allée il y a déjà plusieurs années, d'abord dans une maison de retraite où elle ne voulait pas se rendre, puis auprès de Celui qu'elle servit toute sa vie de toute son âme. Il y avait Odilia, ce petit bout de femme au visage rond et lisse, à la voix de douceur et d'autorité naturelle, au regard tendre et malicieux, aux mots à décrypter, à l'humour ravageur pour qui savait écouter. Nous nous sommes toujours écoutés et je l'entends encore parfois, au détour d'une pensée. Sa photo est dans mon portefeuille.
jeudi 28 mai 2009
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3 commentaires:
Mais si mais si, j'ai écrit un peu partout !
Les religieuses sont souvent très différentes et tu décris bien leurs traits distinctifs. Au lycée du coin, elles sont aussi parties depuis quelques années. Ça manque un peu à certains. Tu aurais pu faire cette accolade. Et pour les portraits, if faut mettre le flash et pas se la jouer en douce.
Bises, J.
'les petites fées grassouillettes et pourtant voletantes', c'est celles de la Belle au Bois Dormant, mon chaton. Les personnages qui s'activent autour de la robe de bal de Cendrillon, c'est les souris et les petits oiseaux (une scène magnifique !!!). La fée de Cendrillon, elle est grassouillette aussi, mais elle arrive plus tard. Et elle est seule ! (oui je sais, cette mise au point est un peu pédante, mais comme je sais que tu adores les dessins animés, et que moi aussi....)
'Emmanuelle-Marie, la supérieure (...) : je la connais depuis bien longtemps et nos premiers rapports (...) avaient été assez musclés' : j'attends avec impatience le commentaire de Piergil sur ce coup-là !! ;-D
La fin est adorable. Bisous à toi.
Très beau portrait de toutes ces femmes qui ont accompagné une partie de votre vie...
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