mercredi 27 mai 2009

Deux heures vingt

Deux heures vingt. C'est le temps qu'il m'a fallu ce matin pour parcourir le trajet de chez moi au collège, trajet qui se passe habituellement en vingt minutes au maximum.

Tunnel de Fourvière fermé dans les deux sens, pour des raisons techniques selon la radio, plus un accident de camion renversé sur la chaussée selon une de mes collègues. Je n'avais pas connu ça depuis la venue à Lyon du président chinois qui m'avait valu de patienter trois heures avant de regagner mon home sweet home.

J'avais bien vu les panneaux lumineux annonçant cette fermeture, mais près de chez moi, la circulation était fluide et puis je suis obligé de passer tout près de ce tunnel pour monter Choulans. J'ai commencé à être bloqué sur le pont sur le Rhône. Au début, on se dit que si ça a roulé jusque là, ça ne devrait pas être trop long. On se réjouit d'avoir le temps d'arriver puisque qu'on est parti de bonne heure. Les minutes passent. On s'intéresse aux émissions de radio. On écoute un peu plus attentivement, puisqu'on n'avance pas. On se surprend à penser: "Tiens, d'habitude, à la météo, je suis à tel endroit" et l'on commence à mesurer l'écart.

Les jambes se mettent à fourmiller. Pourquoi ne pas utiliser le frein à main et se les dégourdir un peu? Mais au prochain saut de puce, on recommence à se crisper, comme si cette attitude allait faire avancer plus vite. On jette un regard curieux devant, sur le côté derrière, pour voir le frémissement désiré et aussi pour reluquer sans en avoir l'air les compagnons d'infortune. Je suis sur la file de gauche. A droite un énorme camion dont je ne peux apercevoir le conducteur, puis une adorable petite tuture noire conduite par une adorable petite folle blanche. Rien d'intéressant donc.

Le camion et la folle sont passés. On voit bien que l'autre file, celle où justement l'on n'est pas, avance plus vite que la sienne. On a pris déjà un retard d'au moins quatre véhicules. Alors, dès que c'est possible, quand un conducteur n'a pas le réflexe d'avancer suffisamment rapidement, on change de file, on se glisse dans l'espace laissé libre un instant de trop. Petite joie éphémère car alors, bien sûr, c'est la file où l'on se trouvait auparavant qui se met à être plus rapide. Bon, d'accord, mais ça ne va pas durer. Et ça dure et l'on voit son ancien voisin de derrière de profil puis de dos. Et l'on découvre les suivants, nouveaux visages, nouveaux profils, nouvelles nuques. Mais pourquoi a-t-on changé de file?

Et puis, pourquoi? on ne sait pas, tout s'arrête. Pendant une demi-heure, plus rien ne bouge. Les feux, au loin, passent au vert puis à l'orange puis au rouge puis encore au vert et encore à l'orange et rien ne change. Et bien sûr on se trouve au pire endroit, au milieu de la trémie, là où l'on sent bien les gaz d'échappement, là où l'on pense tout à coup que tout peut s'effondrer, comme tout à l'heure au milieu du pont, et que l'on se retrouverait enseveli sous combien de tonnes de béton et des ferrailles? Plus rien à regarder, plus rien à espérer.

Pour patienter, on passe à d'autres occupations. Appeler le collège pour dire que l'on sera en retard pour la première heure de cours, sans savoir encore qu'on serait à peine arrivé à la fin de la seconde. Appeler J. qui est peut-être lui aussi coincé quelque part dans Lyon. Mais non, il est arrivé sans encombre au travail. L'appareil photos! Prendre quelques vues inhabituelles, depuis cette trémie où forcément l'on ne s'arrête jamais en temps normal. Voir, en faisant semblant de ne pas le remarquer, l'air étonné, rarement complice, des voisins assistant aux contorsions pour obtenir le meilleur cadrage ou le moins pire.

Enfin, se laisser aller, ne plus lutter, tenter simplement d'oublier que l'on a le dos qui s'ankylose et que l'on voudrait bien étendre un instant les jambes. Fermer la vitre car décidément ça sent trop mauvais. Et, tout à coup, en voyant une voiture en panne, qui ralentit encore la progression des deux files, recevoir un grand coup dans le ventre, qui coupe presque la respiration, quand on pense que la veille, on a remarqué que son réservoir d'essence était presque à vide, et que l'on a oublié de passer à la pompe.

Ne pas oser, quelques secondes, abaisser le regard jusqu'à la jauge, par peur de la voir clignoter en rouge, avoir aussi l'impression que, depuis deux minutes, le moteur ne fait plus le même bruit, que l'odeur de brûlé ne provient pas de l'extérieur mais de son capot. Se dire qu'avec la pente de Choulans et la vitesse de dégagement, on a cent fois le temps de tomber en panne sèche. Imaginer les autres, hargneux, que l'on gêne et qui vous insultent. N'y en aura-t-il pas un pour vous aider, pour sortir un bidon de son coffre et vous offrir un litre pour vous permettre de vous dégager?

Et alors que le désespoir noir vous guette, s'apercevoir que la voiture de devant a avancé, d'au moins quatre ou cinq mètres, se souvenir que la dernière fois qu'une telle progression a eu lieu remonte à deux heures en arrière. Revoir la petite voiture noire à côté de soi, puis le camion. Découvrir que, sur le pont de la Saône, ça bouge, peu, mais ça bouge. Franchir le pont, monter Choulans, éprouver une joie étrange à voir le Collège, et avoir une heure devant soi, la seule heure où normalement on ne travaillait pas, pour savourer un café bien tassé et bavarder, tout heureux, avec le menuisier au beau regard vert qui change une fenêtre de la salle des profs. Lui demander si l'on peut le photographier en train de travailler et s'entendre répondre oui avec un beau sourire. Oublier alors les deux heures précédentes et se retrouver aussi frais qu'au saut du lit.

Mais ne rêvez pas: les photos, vous ne les verrez pas!

4 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Ah, ils sont beaux les menuisiers des écoles privées ! Je confirme :)

Lancelot a dit…

Tiens, ce matin j'étais dans l'embouteillage, moi aussi...? Je n'ai pas remarqué... Mais non, ma Clio à moi ne comporte que deux portes. Sinon, la similitude de couleur et de modèle est frappante. Quant à la plaque, je ne connais jamais mon numéro par coeur, alors...

Excellente description du phénomène des changements de file pleins d'espoir pour s'apercevoir au final que ce sont TOUJOURS les autres qui avancent le plus vite.. Ca fait partie des "Mad Laws" anglaises ! Ca fait longtemps que j'ai envie de faire une note sur ça...

Demander au beau menuisier la permission de le photographier ? Quelle excuse as-tu invoquée ? Ton log-book sur la rénovation de l'établissement ? Ou ton intérêt pour la menuiserie..? Dans les deux cas, ça a dû lui paraître fortement cousu de fil cochon... Mais il aime peut-être ça... ;-)

JaHoVil a dit…

Tu ne devrais pas te séparer de ton tricot ! Euh, je veux dire bouquin.

Si tu avais vu le beau noir de la carte routière sur le tunnel de Fourvière ! Mais, tu n'as pas encore d'accès internet dans ta voiture. Une bonne idée de cadeau de Noël, non ?

Bises, J.

La Discrète a dit…

Très drôle et très...réaliste !! :-))