mardi 31 mars 2009

Momentino

Ce matin, quand la ficelle est sortie du tunnel, il y avait du soleil à Croix-Paquet et les arbres étaient en fleurs. Puis elle a replongé dans les ténèbres, direction Opéra. Mais l'empreinte des fleurs était restée sur les vitres.

Comme le temps passe...

Encore une journée qui a filé sans que je m'en rende compte.

Ce matin, Isabelle m'a apporté les bulletins trimestriels que je devais remplir après le conseil de la classe dont je suis le professeur principal. Pendant que j'apposais mes pattes de mouches au bas de ces pages et que cuisaient sur le gaz quelques légumes à la vapeur, elle m'entretenait des nouvelles du collège. Élèves en pleurs, collègues en profonde détresse, directeur aux abois, parents en berne: je ne suis pas là. Comme il est doux d'entendre de tels propos, même si l'on en croit pas un mot (ou presque). D'ailleurs les coups de téléphone ont succédé aux mails, sans cesser, depuis deux jours. Je me suis même retrouvé à un moment avec un interlocuteur sur ma Ligne France Télécom., un autre sur Free et le troisième sur le portable. Vive le progrès!

J'ai profité de sa voiture pour aller à mon rendez-vous chez l'urologue, à l'Infirmerie Protestante, non que je sois particulièrement protestant mais parce que c'est là que je me fais soigner. Peu d'attente bien que mon rendez-vous ait été pris en surnombre. A peine le temps d'entamer le roman japonais que j'avais emporté au cas où. Sortie une demi-heure plus tard avec, devant moi, un avenir plus plaisant que prévu: la sonde sera enlevée vendredi matin et je dois revoir l'urologue vendredi soir. Trois jours à attendre au lieu d'un mois. Espérons que madame ma vessie acceptera ce jour-là de fonctionner correctement!

Il faut dire que je m'habitue mal à ma laisse. Si la nuit, elle ne me gêne en rien pour dormir, c'est une tout autre musique la journée. Essayez simplement de prendre une douche normale avec ce fil au bas du ventre: il faut penser à tout, où l'accrocher, quand la décrocher, comment se pencher, se savonner, s'essuyer, comment ne pas oublier qu'elle est là et ne pas se précipiter pour répondre au téléphone. Il faut la cacher sous l'ample pantalon de jogging quand on sort dans la rue, en espérant ne pas être bousculer, il faut mesurer son pas, en envergure comme en rapidité. C'est là que l'on se rend compte du bonheur que l'on connaît sans même s'en apercevoir quand rien ne se détraque.

En revanche, je suis à la lettre le conseil du médecin de garde des urgences. Cette femme d'origine méditerranéenne, d'une bonne cinquante d'années, très douce et, pour moi, très belle avec son visage mélancolique, m'a, avant de me laisser partir, et ce avec un petit sourire complice, bien recommandé de "ne pas trop me la tripoter". Elle parlait de la sonde, bien sûr, what else?

Le reste? Sieste rapide, visite quotidienne chez le pharmacien, achats de denrées alimentaires au magasin le plus proche, recherche d'un cabinet d'infirmières, téléphone à leur répondeur pour qu'elles me contactent, visite à ma mère pour soulager ma sœur qui donne beaucoup en ce moment.

En fin d'après midi, sur l'écran de mon téléphone portable apparaît un numéro inconnu. C'est le cabinet d'infirmières qui me rappelle pour confirmer le rendez-vous de vendredi matin, comme convenu avec leur répondeur. Mais la personne qui me parle en direct a une voix beaucoup plus chaleureuse que la machine, beaucoup plus humaine, douce et profonde et en plus, c'est.....un infirmier. Je ne sais pas pourquoi, je l'imagine jeune, beau, tendre, souriant, sensuel, câlin, bien fait de sa personne, sentant le sable chaud sous sa blouse blanche entrouverte d'où émerge un nuage de poils annonciateurs d'une toison fournie. Je suis prêt, en imagination, à me lancer déjà dans la plus fleur bleue des aventures de la collection Harlequin, moi dans le rôle de l'être à la dérive (pas autant que ça tout de même), lui en sauveur amoureux de ma faiblesse. Bon, enfin! Attendons vendredi! Je vous raconterai, si vous êtes sages!

Niet, niet.

Depuis quelques semaines, mon adresse mail est envahie par des spams aux titres rédigés en alphabet cyrillique. Qu'est-ce que c'est que ça? L'œil de Moscou? La mafia russe? L'invasion tchétchène? Les billets du Bolchoï? Et pourquoi toujours eux en ce moment? Ouvre l'œil, tovaritch!

lundi 30 mars 2009

On ne s'affole pas

Je viens, suite à une mauvaise manipulation de faire disparaître de mon écran la liste des blogs que je lis régulièrement. Il ne me reste plus qu'à la refaire, en allant chercher toutes les adresses sur Google. Joie sublime!
Si l'un d'entre vous apparaissait auparavant et ne se retrouve pas dans la nouvelle liste, qu'il ne se formalise pas: je refais cette liste de tête et l'un des éléments peut momentanément m'échapper. Qu'il me prévienne surtout et je le rétablirai immédiatement.
Allez, au boulot!
Fin de soirée. Qui ai-je oublié?

Quietis dies (Jour de repos)

On a toujours l'impression que les journées vont durer, que l'on va faire des tas de choses, que l'on s'arrêtera le soir, heureux de la tâche accomplie et qu'en se retournant sur les heures écoulées, on ne pourra que se dire: " Je suis content de moi."
C'est ce que je me disais ce matin: un lundi entier ici, avec des impératifs médicaux bien sûr mais aussi des plages de temps immenses pour ranger, pour lire, pour téléphoner, pour rêver, pour dormir... Et puis, il est déjà six heures: les lettres en attente sont toujours sur le bureau, les papiers demandant à être classés traînent encore sur le canapé, j'ai bien terminé un roman mais pas entamé un autre, ma sieste fut bonne et réparatrice mais pas si longue que ça et la majorité de ce qui était en projet ce matin l'est encore ce soir.
Pourtant, je ne regrette pas ma journée. L'urgent a été réglé: visite chez le généraliste pour obtenir mon arrêt de travail, prise de rendez-vous avec l'urologue, détour par la pharmacie (ces temps-ci, les médicaments s'empilent chez moi, encore plus vite que les feuilles de papier.), téléphones avec le collège pour régler l'administratif et quelques impératifs pédagogiques. De ce côté-là, je suis à jour.
J'ai déjeuné avec J., lui aussi en forme moyenne. Nous avons ensemble un instant voyagé au pays des "ours" et c'est lui qui a répondu à mes messages, par jeu. Je ne sais pas où le reste du temps est passé. Quoi qu'il en soit, pas un instant je ne me suis senti coupable de ne pas être au travail. Personne, d'ailleurs, ne me l'a reproché. Dans mes trente trois ans d'enseignement, c'est ma troisième semaine d'absence: pas de quoi suspecter mon amour du travail, je pense.

Ce que je pensais devoir arriver, c'était plutôt les questions posées à moi-même sur le programme qui, pendant ce temps, ne se fait pas, sur les élèves qui restent avec des points incomplètement abordés, sur la rupture d'une certaine continuité logique des acquisitions, d'autant qu'ensuite il y a les quinze jours de vacances de Pâques. Eh bien non. Ce repos, je le prends sans états d'âme inutiles, en ayant, à certains moments, la conscience de l'avoir mérité. J'ai sans doute appris, peu à peu, à être plus égoïste.

Le Désert de la grâce

Il ne faut pas s'arrêter au titre, un peu mièvre, de ce roman de Claude Pujade-Renaud. Son contenu vaut mieux que ce que ces quelques mots pourraient en laisser deviner. Des voix se mêlent, dans ce Paris de la fin du XVII° et du début du XVIII° siècle, autour de l'abbaye de Port-Royal des Champs. Celle de l'"Invisible" que l'on croit être un homme et qui est la femme par qui les écrits divers du monastère seront sauvés de la destruction. Celle de d'un médecin de la cour, Claude Dodart, fils du médecin des religieuses. Celle surtout de Marie-Catherine Racine, la fille du dramaturge, à la recherche de la véritable personnalité de son père.

Les témoignages, les interrogations se croisent, à travers cette cinquante d'années évoquées, sans ordre chronologique, rien qu'avec le fil ténu d'une pensée linéaire. J'ai eu du mal à entrer dans ce livre. Le thème m'intéressait fortement mais peut-être ai-je au départ été un peu déçu par le genre choisi par l'auteur: celui du roman. Pourtant je reconnais à Claude Pujade-Renaud une grande qualité: celle d'un style agréable, plus léger que rédigé, un style dont, à la lecture, on ne peut deviner qu'il est celui qu'un écrivain femme.

On évoque aussi les "Solitaires", ces messieurs qui se retirèrent du monde et vécurent en ermites autour de l'abbaye. On évoque Blaise Pascal et ses sœurs, Pascal qui, comme Racine, est aujourd'hui inhumé dans l'église Saint-Etienne du Mont. Le jansénisme m'a toujours questionné. Je crus même longtemps, dans mon adolescence, en être un adepte assidu jusqu'à ce que je découvre que certaines de mes faiblesses, ou plutôt que certains des points qui me constituaient en tant que moi ne pouvaient pas
être compatibles avec cette doctrine trop rigoureuse. J'en suis très éloigné aujourd'hui, même si, parfois, les anciennes réactions réapparaissent. Mais, décidément, je mets l'homme au centre et la recherche de la plénitude dans sa vie mortelle au-dessus du désir de la perfection terrestre.

Les deux extraits suivants ne donnent pas vraiment une image du roman, mais je les ai choisis parce qu'ils parlent de Racine et, à travers la narratrice de ces passages, la Champmeslé, de ma tragédie préférée, Phèdre:

Lors de la première- je n'ai pas oublié ce 1er janvier 1677-, j'entrais du fond de la scène, ombre chancelante descendant lentement, progressant à pas retenus vers la demeure des ombres, accomplissant le destin qu'il m'avait assigné, à moi la coupable, la criminelle, au dernier acte de cette tragédie écrite pour moi (...), cette marche brisée, suspendue, à la limite de l'effondrement (...), Cette Phèdre spectrale qui venait de s'empoisonner, touchante et terrifiante en même temps, infiniment lente, ployée puis tentant de se relever afin de proférer le peu qui lui reste à dire, ce peu si essentiel, cette Phèdre-là (....) les stupéfierait.(...) Ils en sont restés muets d'horreur, les importuns sur la scène comme les spectateurs du parterre. J'ai imposé le silence d'où naît la poésie.

Dur et habile, cet homme. En affaires comme au lit. Il affirmait que, après l'amour, mon intelligence des pulsations et sonorités de ses alexandrins, était encore plus aiguisée. Sa voix grave, sensible, travaillait mon corps en profondeur, sur scène ou entre les draps. Ma Champmeslé, ma bien nommée, murmurait-il en me pénétrant, nous avons tant mêlé nos jambes, nos sexes, nos râles, les rythmes de nos souffles et ceux de ses vers, nos humeurs et nos salives. Non, il ne m'aimait pas, et moi non plus. (...) Bien entendu, j'avais d'autres amants, il le savait, qu'importait! Mais avec lui seul j'ai autant joui du langage, au lit comme au théâtre.


(Claude Pujade-Renaud, Le désert de la grâce, Actes Sud)

dimanche 29 mars 2009

Éclaire-moi

Lumière des livres.

Mictions, clystères et doigts de fée.

Chez François-Jean, impossible de faire un gros pipi comme j'en avais terriblement besoin. Je réitérai à deux reprises: vainement. Rentré chez moi, je réessayai: toujours rien. Cela m'était déjà arrivé par le passé mais, me semblait-il, pas avec cette intensité. Je ne me trompais pas. J'eus beau feinter, attaquer l'ennemi par le revers, faire diversion savante, en venir à la force: rien n'y fit. Ma vessie refusait obstinément de rendre ce qui n'aurait dû être chez elle qu'en transit.

A plus de trois heures, ne dormant toujours pas et ressentant une douleur de plus en plus grande au bas du ventre, là où était apparue une boursouflure impressionnante, j'abandonnai la lutte. Je ne pouvais déjà plus me tenir couché ni assis sans de terribles élancements qui bientôt remontèrent jusqu'aux reins. Pendant que la position debout m'était encore permise, position pliée en deux plutôt, je téléphonai au Samu qui, rapidement, m'envoya une ambulance pour m'emmener aux urgences de Grange-Blanche.

Un hall presque désert: j'avais de la chance. Je fus immédiatement pris en charge par une équipe de nuit tout aussi sympathique que le tandem d'ambulanciers qui m'avait convoyé jusque là. L'une des infirmières présentes connaissait même Raphaël, ce qui me permit de bien vite me sentir presque chez moi. Comme je l'avais envisagé, on me dirigea aussitôt vers une sonde afin de libérer ce ventre qui n'en pouvait plus de gonfler.

L'intromission de la sonde fut pratiquée par un étudiant qui m'avoua ensuite que j'étais le premier homme qu'il introduise. In peto, j'éclatai de rire, bien sûr, mais ma grivoiserie s'arrêta là: quand vous avez un tuyau de plastique remontant dans la verge et permettant à un litre et demi d'urine de s'évader enfin, je vous assure que vous pensez à tout sauf à la coquinerie. D'ailleurs je n'étais pas non plus très sensible à son physique. Je dois aussi dire qu'il se débrouilla comme un chef, que je le complimentai sur sa douceur et qu'il me remercia au moins trois fois d'avoir accepté de servir de cobaye.

Après prise de sang, le reste de la nuit se passa en somnolences interrompues par la voisine du box d'en face, une jeune fille de vingt-six ans, qui ne cessa de hurler à travers la porte fermée. J'eus l'explication ce matin: elle était arrivée avec trois grammes quatre dans le sang et refusait le fait qu'on l'ait attachée. Comment fait-on pour accumuler autant d'alcool dans le sang? Comment peut-on ne pas être malade avant? Quel plaisir là derrière? Elle dit à un moment qu'elle avait bu quatre verres et qu'ensuite elle ne souvenait plus de rien.

Vers onze heures, on accepta enfin de me laisser repartir, en me faisant promettre de contacter rapidement mon urologue. Comme s'il était besoin de promettre. Je vais avoir cette laisse attachée à la partie la plus intime de ma personne pendant un mois. La moindre des choses, c'est que je sache exactement pourquoi.

A Grange-Blanche, ce matin, j'avais refusé l'arrêt maladie. J'ai finalement changé d'avis dans la journée. Outre le côté pratique qu'il va falloir gérer le plus intelligemment possible, et il faut bien reconnaître que marcher avec ce harnachement n'est pas toujours très aisé, je me sens, en tout cas aujourd'hui, assez fatigué, et je vais prendre le temps, sans avoir à courir sans cesse, de téléphoner aux spécialistes et de faire des examens si nécessaires. Cela, pour l'instant et dans mon cas, me semble plus intelligent que d'emmener cinquante sixièmes visiter le cinquième arrondissement gallo-romain pour finir par un guidage commenté par mes soins du Musée de la Civilisation Gallo-Romaine. Rome attendra ou, après tout, quelqu'un prendra ma place!

Voilà pourquoi, Monsieur, votre blog fut muet.
Si vous ne savez pas comment passer vos nuits de changement d'horaire, demandez-moi!

(Une heure plus tard: je me rends compte seulement maintenant que j'aurais bien pu prendre la photo précédente comme illustration de ce billet! Elle en aurait été un bon résumé.)

Troupeaux, mystères et course à pied

Je n'ai même pas eu le temps de raconter la journée d'hier tant elle fut chargée. Si chargée qu'elle s'est pour moi terminée ce matin à 11h.

D'abord, après bien des hésitations et malgré les incertitudes du temps, de la course à pied avec S.I, cette fois-ci côté confluant (ou confluence comme il semble à la mode de le dire actuellement). Les nombreux chantiers en cours ne nous ont pas permis de suivre l'itinéraire initialement choisi, et nous avons eu souvent à enjamber tuyaux, câbles et palissades en tout genre.

L'après-midi, c'était l'enquête désormais traditionnelle dans les rues de Lyon pour les Quais du Polar. Là aussi, beaucoup d'hésitations: vers midi, une pluie tenace et froide s'était mise à tomber et nous avions pratiquement décidé, J. et moi, d'annuler la sortie. Puis ciel un peu plus dégagé et départ pour la piste du criminel que nous suivîmes à cinq.

Autant la résolution de l'énigme m'avait intéressé l'an dernier, autant cette année j'ai préféré faire des photos et me divertir avec J. tout en faisant de nombreux commentaires sur les silhouettes rencontrées, pendant que les trois autres s'efforçaient de venir à bout des rébus, messages chiffrées et questions de logique.
Cela nous mena de la Place des Terreaux, envahi ce jour-là par une armée de pandas inoffensifs et leurs gentils gardiens(!), à la Place de la République où nous croisâmes du troupeau bêlant, Bellecour puis Perrache, Charlemagne, pour finir par l'hôpital Saint-Luc/Saint-Joseph et le Centre Historique de la Résistance et de la Déportation. Bon moment de détente passé sous un ciel finalement plus clément que prévu.

Juste le temps de souffler un peu avant de repartir, monté sur un vélo, pour la Presqu'île où j'étais invité à dîner, d'abord par un ami qui dut annuler suite à une refroidissement sévère, puis par François-Jean. Je pensais que ma journée allait s'achever sur cet agréable repas passé en tout aussi agréable compagnie. Il n'en fut rien. Je n'en étais en fait qu'aux prémices de mes aventures.

En effet, en toute fin de soirée, je ressentis le besoin urgent de soulager ma vessie. Et c'est là que les ennuis commencèrent.

vendredi 27 mars 2009

Ingérer

Lundi trente mars, c'est l'anniversaire de ma mère. C'est aussi la Saint Amédée (écrit avec un "e", bien sûr). Hasard du calendrier.
Mon Amédé à moi n'avait pas cette lettre muette à la fin de son prénom. Je n'ai toujours pas ingéré son absence.

D'une réflexion à l'autre

Cette semaine, je n'ai que peu touché terre, conseils de classe et fin de trimestre oblige. Beaucoup de travail et beaucoup de fatigue, mais résultats plutôt satisfaisants: tout s'est bien passé, à quelques tensions inévitables près. Il faut ajouter à cela la présence de trois stagiaires dynamiques et qui en veulent, l'absence de Nicolas, en semaine de stage, les brèves apparitions d'Isabelle (elle était là mais je ne l'ai pas vue beaucoup, comme d'autres de mes collègues). Une semaine qui a passé sans que je m'en rende compte, comme globalement la période entre Février et Pâques. Vendredi prochain, je suis en vacances. J'y crois à peine.

Pâques arrive. Je sais que J. et sa famille ne seront pas à Lyon à ce moment-là. Ils vont me manquer. L'an dernier, j'avais assisté à la veillée pascale avec eux, ça avait été pour moi un moment très fort, beaucoup d'émotion, un pas important dans mon cheminement. Cette année, je ne veux pas que ces jours-là retombent dans la banalité. Il faudra que je me prenne par la main seul et que je me renseigne. J'ai toujours peur d'assister à quelque chose qui m'éloigne à nouveau de cette spiritualité qui renaît en moi. Je tiens pourtant à la fois à marquer mon appartenance à cette église que je redécouvre comme mienne et à manifester par ma façon d'être qu'elle n'abrite pas, loin s'en faut, que des réactionnaires et des esprits bornés et belliqueux. C'est ce qu'il me semble que je dois faire en ce moment, comme d'autres, nombreux, le font aussi.

La période des conseils de classe nous donne l'occasion de voir plus longuement, en attendant le deuxième conseil de 18h30, quelques collègues que l'on croise rapidement en semaine et à qui l'on a à peine le temps d'adresser deux mots. Belle occasion pour moi d'approfondir des amitiés et de faire plus ample connaissance avec certains ou certaines des jeunes arrivés de cette année.

Beau recrutement. La relève est visiblement assurée. Tout à l'heure, il y en avait trois dans la salle des profs, trois jeunes et Jean-Marie et moi, les vieux, assis à les écouter, à apprécier leur bonne humeur, à déceler leur stress d'avant conseil, comme si les ogres-parents allaient les dévorer tout rond, à se regarder à la fois complices et émus de tant d'enthousiasme. Je leur souhaite tous les bonheurs...et tous les courages.

En conseil, ils m'impressionnent par leur sérieux, par leur professionnalisme, par leur manière de s'exprimer, comme si un mot prononcé à la place d'un autre allait changer la face du monde, irrémédiablement. Mais ce qui me plaît le plus en eux, c'est qu'ils aiment les enfants, je l'ai vu, j'en suis sûr. A partir de là, tous les rêves sont possibles.

Inédit

Grande première aujourd'hui au collège: nous avons assisté à quelque chose d'encore entièrement inédit. Finies les clopes fumées derrière le stade, finis les baisers furtifs pendant que le prof tourne le dos, finis jeu du foulard et autres barbaries stupides et dangereuses. Nous avons innové. Il faut bien se mettre au goût du jour, ma brave dame.

Et celui-ci était parfumé aux épices, au parmesan et à la sauce piquante, avait été manipulé par des mains expertes avant de cuire rapidement dans un four industriel. Son nom: pizza! Des élèves de troisième n'ont rien trouvé de mieux que de commander des pizzas par téléphone et se les faire livrer dans la cour du collège. Bonne idée, non?, dénotant esprit d'initiative et autonomie parfaite.

Alors, dans la même optique, je propose que les livreurs arrivent jusque dans nos classes: "Et une margherita, une! Le calzone, c'est pour qui? Un coca là, faites passer." Il suffirait simplement que le prof pousse un peu ses cahiers et ses livres, tous outils bien pesants, totalement démodés et vulgairement ringards, et tout baigne. Bien sûr, ceux qui ne pourraient s'acheter de pizzas auraient la possibilité d'apporter leur manger et, pour être vraiment heureux, il suffirait de virer définitivement le vieux placard de bois et de le remplacer par un petit réfrigérateur, avec fontaine de glaçons, bien sûr (pour le coca)!

Elle est pas belle, la vie?!

jeudi 26 mars 2009

Non et puis oui.

Je suis un peu ronchon ces deux derniers jours. Pourquoi? Je n'en sais rien. Pas de vraies raisons. Mais je me rends compte que, le matin, j'arrive au boulot en rogne. Peut-être à cause d'un mal de crâne qui me poursuit depuis plus de huit jours, moi qui ne connais jamais ça d'habitude. Je pense à une allergie quelconque.

Pourtant, passés les premiers moments un peu difficiles (surtout pour les autres), je trouve toujours quelqu'un ou quelque chose pour me remettre d'aplomb et me redonner envie de plaisanter. (C'est à ça que l'on voit que je patauge: je ne plaisante plus.) J'appelle ça de la chance (la aussi surtout pour les autres). Ainsi chaque jour s'achemine mieux qu'il n'a commencé.

Ce soir, par exemple, après une journée bien chargée, j'ai rencontré en sortant d'un conseil de classe, N.B., un ancien élève aujourd'hui âgé de trente-deux ans qui venait répéter. Nous nous sommes fait la bise. Nous nous la faisons depuis que, lors d'un repas chez des amis communs, il m'a présenté son ami et que nous avons ainsi baissé les masques. Je le trouve beau, particulièrement ce soir avec ses vêtements façon baroudeur de charme et son léger hâle attrapé au ski.
Bon petit échange dans la nuit qui venait de tomber et qui pourtant gardait un peu de bleu marine au ciel qui s'assombrissait.

Parler.

Hier, alors que je m'apprêtais à corriger quelques copies entre deux heures de cours, j'ai croisé le plus jeune de mes collègues, un garçon gentil mais qui a l'air compliqué et pas toujours bien dans sa peau. Nous avons toujours eu un bon contact, sans nous connaître davantage que cela. Il faut dire qu'il est titulaire du poste depuis cette année seulement. Nous échangeons un bonjour journalier agrémenté souvent d'une plaisanterie ou d'une petite conversation rapide.

Mais hier, j'ai tout de suite senti, à la façon dont il s'y est pris pour que je ne quitte pas la salle des profs, qu'il avait besoin de parler. Adieu, copies! Bonjour, ami!J'ai accepté l'invite et il m'a expliqué qu'il avait une heure plus tard rendez-vous avec un homéopathe pour essayer de calmer des crises d'angoisse de plus en plus fréquentes. Il m'a décrit ses symptômes, les répercutions de ces crises sur son maintien physique. Effectivement, il est parfois totalement crispé sur lui-même, aussi bien dans le corps que dans la parole.

Il m'a dit qu'il souffrait de cet état de fait, que ne pouvoir parvenir seul à régler le problème le peinait, ou plutôt l'avait peiné, lui avait fait douté de lui. Maintenant, il hésitait moins à demander de l'aide, à parler, à se dire. La preuve, il avait franchi le pas avec moi. Je sais qu'il se confie également beaucoup à Gilles. Une bonne chose. Moi, je ne peux, éventuellement, l'aider qu'avec ma compréhension première et ce que m'ont montré les années passées, sans vouloir parler d'expérience. Gilles, lui, a plus de recul, de méthode, de mots pour conceptualiser.

Que ce garçon de vingt-cinq ans, débutant dans le métier, me fasse pleine confiance et m'avoue sa faiblesse actuelle m'a beaucoup touché. Est-ce l'effet barbe qui, comme me l'ont dit certains, a rapproché mon visage de celui des anciens sages? J'ai calculé rapidement qu'il s'en faut de bien peu d'années pour que je puisse être son grand-père. Est-ce cet aspect patriarche qui l'a rassuré et lui a permis de franchir le pas? Je savais, à décrypter son attitude vis à vis de moi, qu'il m'aimait bien mais je ne m'attendais pas à ces confidences.

Aujourd'hui, nous nous sommes croisés et il avait le sourire. Il a fait une apparition rapide dans la salle des ordinateurs où je travaillais seul, visiblement uniquement pour me dire qu'il me raconterait plus tard. Je vais essayer d'être à l'écoute et de ne pas faire trop de grosses bourdes avec mes sabots oh oh oh, avec mes sabots.

mercredi 25 mars 2009

Verdure de mai

La communauté restructurant ses locaux pour se loger dans plus petit, on m'a offert gentiment quelques livres qui n'entreraient plus dans la nouvelle bibliothèque réduite de moitié. Ce sont principalement des livres sur l'Art italien de la Renaissance et cette délicate attention m'a bien fait plaisir.

Parmi ces ouvrages s'en trouve un consacré aux poèmes de Michel-Ange. J'ignorais même qu'il en eût écrit. Ce livre, édité aux Editions Mazarine en 1983, présente également quelques trente-cinq dessins du grand maître.

Eh bien, il faut bien le dire: il me semble que Michel-Ange était meilleur dessinateur, meilleur sculpteur et meilleur peintre que poète. Je n'ai fait que feuilleter rapidement les 175 pages, mais je n'ai rien lu de très accrochant. Sauf peut-être ce simple distique, écrit sous un dessin de fenêtre:

Chi non vuol delle foglie
non ci venga di maggio.

Celui qui n'aime pas la verdure
ne devrait pas venir ici en mai.


Juste rafraîchissant. J'imagine la scène.

Moi aussi

Olivier, hier soir, a publié la photo que le guide Schmap 2009 a choisie dans ses clichés pour illustrer les pages sur la capitale.

J'ai eu moi aussi, il y a quelques temps, la surprise de recevoir un mail me demandant si j'acceptais de concourir avec une de mes photos de Lyon. Il s'agissait d'une vue de la place Antonin Poncet et particulièrement de l'"arbre à fleurs" qui l'orne du côté du Rhône. Renseignements pris, la proposition avait l'air sérieuse et j'ai accepté. Quelques jours plus tard, j'ai appris par le même canal que ma photo avait été définitivement retenue. Petit plaisir personnel. Où va se nicher la fatuité? Voici donc le chef-d'œuvre:



(PS: Tout pareil que mon ami parisien, cette photo, comme toutes les autres dans ce blog, est "cliquable".)

mardi 24 mars 2009

Autobiographie.8: un souvenir d'enfance joyeux.

J'ai, depuis un moment déjà, lâché mon projet d'"autobiographie". Parce que j'éprouve une petite difficulté: la prochaine étape, hormis la photo d'enfant pour laquelle je n'ai guère eu le temps de fouiller les archives familiales, doit être la narration d'un souvenir d'enfance joyeux. Or, j'ai beau cherché, je n'en trouve pas!

Entendons-nous bien: je ne suis pas en train de jouer les "Cosette", d'essayer de me faire plaindre en me mettant à larmoyer sur une enfance difficile. Non, j'ai été, je pense, assez heureux dans mon enfance, de toutes façons déjà barricadé dans mon monde intérieur dont seul Pierre, des années plus tard, a trouvé une des clés de sortie.

Mais de la joie, de la grande, de la vraie, de la débarrassée de toute autre pensée, je ne me souviens pas d'en avoir jamais éprouvé. J'ai des souvenirs tendres, des souvenirs nostalgiques, d'autres tristes ou dramatiques, pas de vraiment joyeux. Chacun de ces moments se surimprimait à un ailleurs où j'étais chez moi et où la réalité n'avait que peu d'impact. Ainsi ne pouvais-je être totalement joyeux, pas plus que réellement malheureux non plus. Je gardais toujours un recul, bien involontaire de ma part, face au vécu, face à ce qui m'arrivait, si bien que je n'étais jamais où je devais être. Le "hic et nunc" n'était pas fait pour moi. La joie implique un abandon total au moment présent, une reddition sans condition aux sensations de ce moment, une sortie de soi-même, une exposition aux autres dont j'aurais été bien incapable, quand bien même je l'aurais voulu.

En fait, mon seul souvenir pleinement joyeux, je le connais. Il n'appartient pas à mon enfance, mais à mon âge d'homme. Il n'est ancien que d'une année, même pas. Ce sentiment extrême que l'on nomme la joie, je l'ai connu le jour où j'ai participé au semi marathon de Lyon. Cela peut sembler étonnant, voire absurde, pourtant, si j'essaie de mettre un instant sur ce que je pense correspondre au sentiment de joie, c'est à ce jour-là que je songe.

J., d'ailleurs, me l'avait dit ensuite: à chaque fois qu'il me voyait passer devant lui, j'arborais un large sourire qui ne me quitta pas tout au long du parcours. Joie intense, encore plus profonde à l'arrivée. Joie de sentir mon corps m'obéir, ce corps à qui, pendant des années, je n'avais rien demander d'autre que d'accompagner mes désirs sensuels. Joie de le percevoir dans ses rouages, de sentir que la mécanique fonctionnait bien, merveilleusement bien, que je pouvais encore exiger davantage de lui, qu'il m'accompagnerait sans souffrir jusqu'au bout de l'effort.

Et, au bout, derrière la ligne d'arrivée, la satisfaction ineffable d'y être parvenu, d'avoir réalisé mon projet, mon rêve. Moi l'incapable, moi celui qui avait toujours besoin de béquilles, de soutien, de réconfort, je venais de créer quelque chose par moi-même, seul, quelque chose que j'aimais, que je ne songeais pas une seconde à minimiser, quelque chose qui m'appartenait. A ce moment-là, le regard des autres, leur appréciation m'indifféraient. Je n'y pensais même pas, peut-être pour la première fois de ma vie. Ce que j'avais fait m'appartenait vraiment et rien ne pouvait ternir cette joie. J'en étais étourdi moi-même, tant la sensation était nouvelle.

Je vais, cette année, me réinscrire pour cette compétition. J'ai déjà recommencé à courir un peu plus chaque semaine. Pourtant je doute de retrouver une seconde fois cette pureté de diamant de la joie de ma première participation. Nous verrons bien.

Le bouquet mystère.

Petite perle adorable d'un élève aujourd'hui, rapportée par une collègue au repas de midi et qui nous a beaucoup fait rire. Ce garçon est venu se plaindre auprès d'elle: il en avait assez, disait-il, d'être le "bouquet mystère" d'un camarade de sa classe qui ne cessait de l'ennuyer!!!

Autre joyeuse trouvaille cet après-midi en atelier-écriture: "Holmes et Watson étaient entassés dans leur fauteuil." Espérons que ce dernier avait les reins solides! Et d'ailleurs que faisaient nos deux charmants compagnons dans cette position-là?

Merci, patron.

J'ai rencontré ce matin mon directeur pour notre entretien annuel. C'est lui qui a instauré cette façon de faire que je trouve agréable et bienvenue: au moment de la notation administrative, il offre la possibilité à ceux qui veulent le rencontrer de prendre rendez-vous pour un tête-à-tête d'une demi-heure. Le mien a duré presqu'une heure. Non, pas de difficulté particulière: ma note administrative est au maximum et ne peut plus augmenter, j'ai la mention très bien à "assiduité", "ponctualité" et "rayonnement", les trois rubriques à considérer et mon appréciation écrite est des plus favorables. Bref, je suis vieux!

En fait, j'aime beaucoup ce rendez-vous avec un homme que, par ailleurs, j'apprécie à son poste pour son calme, sa connaissance des dossiers et l'action qu'il a menée pour redresser nos effectifs qui s'en allaient à vau-l'eau. J'ai également beaucoup apprécié son comportement plein d'empathie et les quelques mots qu'il m'a adressés lors de la mort de Pierre, comme il l'aurait fait pour n'importe quel couple orthodoxe. Je ne dis pas que je n'ai rien à lui reprocher, un peu de mollesse parfois peut-être avant la prise de décision, mais globalement je trouve qu'il mène fort bien la barque qui lui a été confiée il y a quatre ou cinq ans.

Alors, de quoi avons-nous parlé pendant cette heure ensemble? De tout ou presque: de travail bien sûr et de pédagogie, de l'avenir de nos projets, des enfants que ce gouvernement est en train de faire dans le dos de l'école (aussi bien publique que privée), insidieusement, sournoisement, avançant masqué mais avec de plus en plus d'audace chaque année (je parle bien sûr de la dotation annuelle en HP et en HSA), mais aussi du pape et du préservatif, de la chrétienté et des intégristes catholiques, de l'Opus Dei et tutti quanti.

Pouvoir ainsi dialoguer pendant près d'une heure sans avoir à regarder sa montre, sans sentir l'autre absent, présent physiquement mais déjà dans l'activité suivante, ne pas avoir à peser ses mots, à tourner autour du pot pour énoncer ses idées et ses convictions, c'est un bonheur rare aujourd'hui dans le monde du travail. Ce directeur-là nous le permet et je ne peux que l'en remercier.

lundi 23 mars 2009

Merci

Merci, Messieurs, d'être aussi beaux et d'avoir croisé mon chemin ce soir.

Cité.

Tout à l'heure, en rentrant à pied du centre ville, vers six heures, j'ai encore une fois été bluffé par la beauté de Lyon, particulièrement ce soir les quais du Rhône.

Magnifiquement remis en valeur, à mon avis, par les aménagements récents qui ont sonné le glas des parkings à voitures et recoins dépotoirs, ils s'embellissent surtout de la présence humaine retrouvée, à toute heure, en toute saison. Les gradins de cet amphithéâtre ne sont jamais vides, même à des heures avancées de la nuit. On y retrouve une sorte de qualité de vie à l'ancienne, lorsque les gens se regroupaient à la campagne devant leur maison et passaient ainsi la soirée, à échanger avis et recettes, cancans et nouvelles.

J'ai cette impression-là: la renaissance de la "cité", celle du citoyen, celle de l'homme, celle du frère. On s'y rend pour bavarder, pour faire de la musique, pour lire, pour courir, pour rouler, pour marcher, pour s'embrasser, pour ne rien faire que regarder couler les eaux du Rhône vers leur débouché provençal.

Ce soir, je me suis arrêté sur le pont. Appuyé sur le garde-fou, j'ai regardé vivre un moment ce petit bout de ville, rendu encore plus beau par la lumière rasante de la fin de journée. Je n'étais plus pressé, j'étais bien, j'étais avec les autres.

dimanche 22 mars 2009

Est-ce que?

Voilà qu'au moment de prendre le chemin de ma chambre me revient la démangeaison familière des doigts sur les touches noires, le besoin de dire, d'écrire encore quelque chose. Comme d'habitude.

Ce soir, en rentrant, j'ai vu mon téléphone qui clignotait, signe de message laissé pendant mon absence. Qui? Je suis toujours curieux de le savoir et, sitôt mes deux mains libres, j'ai écouté ce que l'on avait voulu me faire savoir. C'était sans compter avec la vétusté de cet appareil qu'il faut vraiment que je me décide à changer de toute urgence.

Une voix d'homme, visiblement d'un certain âge, une voix que je connaissais sans pour autant parvenir à l'attribuer avec certitude à quelqu'un. Quelqu'un qui n'a pas appelé depuis très longtemps ou qui appelait pour la première fois: mon message sur le poste fixe date de plusieurs années, alors que Pierre était encore là et, pour ne pas avoir à choisir entre sa voix et la mienne, nous avions opté pour une solution neutre: faire enregistrer les quelques mots d'accueil par sa nièce. Je n'ai pas encore changé ce texte (encore une nécessité urgente!).

Ainsi le vieux monsieur s'excusait-il auprès de la "dame" de la déranger mais ajoutait qu'il voulait parler à (suivaient mes nom et prénom). De la phrase suivante, je n'ai qu'un mot: "est-ce que ?". Ensuite, l'appareil n'a plus enregistré et a coupé la communication. Outre l'agacement devant la technique défaillante à un moment crucial, le fait de ne pas savoir ni de qui ni de quoi il s'agit m'énerve un peu.

Mais si, il y a quelques années, j'aurais écouté et réécouté cette voix, me perdant en conjectures, élaborant des suppositions toutes plus saugrenues les unes que les autres, je me dis aujourd'hui que le monsieur, s'il a vraiment quelque chose à me dire, me rappellera, que cet appel est sans doute quelque chose qui risque de me remettre face aux années écoulées, dont les pages, pour moi, sont presque toutes bien tournées, et que ce mystère ne m'empêchera pas de dormir.

Vous voyez: j'ai changé!

Kaléidoscope

J'avais l'idée ce soir d'écrire un billet sur le bonheur. Trop long, trop ambitieux pour un dimanche soir. J'ai, en ce moment, plus envie de me mettre dans mes draps jaunes, de tirer sur moi ma vieille robe de chambre et de me plonger dans les aléas de la vie à Port-Royal des Champs avant de fermer livre, lampe et paupières pour profiter d'une nuit réparatrice.

Deux jours mosaïque, kaléidoscope, assemblage de petits moments distincts que j'ai appréciés dans leur diversité: ma mère, bien sûr mais aussi un marché de printemps où acheteurs et étals reviennent en nombre, un horaire de messe à Saint-Louis (j'irai peut-être dimanche prochain), des tulipes dans ma cuisine, une visite au chantier de la tour Oxygène, quelques photos de plus, un bon repas entre amis, un moment de nudité au soleil, le premier de l'année, une vivifiante course le long du Rhône, des velléités de ménage approfondi (c'est la première fois depuis bien longtemps), un moment à rêver sur des peintures à refaire dans le salon, de la lecture, une sieste, le ciel bleu, la réponse à un long mail, des photos sur Flick'r, les miennes, celles des autres, de gros embouteillages dans la ville. La vie, quoi. Mais, après tout, c'est peut-être ça, le bonheur?

samedi 21 mars 2009

500/cinq sens.

Avant de sortir, il me reste pourtant quelque chose à faire. Lancelot m'a lancé un défi: il faut que je rentre en lice et déploie mes "talents" sur le thème suivant:
« Écrire un article relatant ce que vous feriez s’il vous restait 500 euros et 500 secondes à vivre. Vous avez carte blanche, que ce soit en 500 mots ou en 500 lignes, laissez libre court à votre imagination. »

Je demande auparavant à Patrick de m'excuser: il m'avait lancé la même invitation et j'avais botté en touche par manque de temps. Mais aujourd'hui, c'est samedi, et puis peut-on refuser deux fois une invitation sans risquer de passer pour mal élevé?

8 minutes 20 secondes, donc. Je sais parfaitement ce que je ferais.

Je prendrais ma tenue de coureur. 8 minutes, c'est le temps pour parcourir environ deux kilomètres. Un peu moins mais la perspective de la dernière ligne droite me donnerait des ailes. Je rejoindrais ce parc que j'aime tant. Il ferait beau, quelle que soit la saison, et la nature serait généreuse.

Que faire des 500 euros? J'avais pensé, au départ, les emporter avec moi, en coupures de cent euros, et en lâcher un toutes les cent secondes afin d'en faire profiter les chanceux sur mon chemin. Mais, risquant ainsi d'avoir à mes trousses une meute de poursuivants intéressés, je ne tenterais pas l'expérience. J'aime courir seul. J'ai déjà dit le plaisir que c'est, une fois le corps à son rythme trouvé, de sentir la mécanique se débrouiller seule, en rouages bien huilés, et de voir son esprit s'envoler vers des songes mouvants, vers ce que je trouve être une forme de spiritualité. La course est pour moi une forme de prière. Je distribuerais donc ces cinq billets à ceux qui assisteront par hasard à mon départ.

Libéré de ce fardeau, je tenterais une dernière fois de faire exulter cette machine qui me sert de corps, elle qui m'a toujours bien servi, je lui donnerais son ultime plaisir, je la mènerais jusqu'au bout de son désir. Je verrais défiler les lieux familiers, la ville d'abord puis les grilles du Parc, les serres et les parterres, les jardins et le zoo, les grands platanes malades et les frères coureurs, les familles et les enfants. Je ferais un dernier tour, sachant trouver où se cache l'arbuste qui sent bon, où le soleil est le plus doux sur la peau, où le travesti lit sur un banc, où la vieille dame donne à manger aux écureuils, où les bosquets s'agitent parfois de frénésies furtives. Je verrais et me souviendrais des jours anciens, de tous ces bonheurs, de toutes ces jouissances et de tous ces rêves.

Mais comme le temps passe. Il faudrait se hâter. Je le verrais là bas, au bout du chemin, mi ombre et mi soleil. Il m'attendrait, fidèle au dernier rendez-vous. Sans que je le lui aie dit, il saurait qu'il doit être là, au bout de ces secondes qui s'égrènent. Mes dernières foulées. Déjà je capterais son sourire dans les yeux, déjà je sentirais l'odeur de sa nuque, je percevrais les anciennes étreintes, celles où nous gémissions, je réchaufferais sa main dans la mienne. Une partie de moi s'arrêterait à le contempler, se demandant encore pourquoi lui, pendant que l'autre franchirait les derniers mètres, abolissant l'espace entre nos deux corps qui bientôt s'assembleraient exactement, comme les deux dernières pièces d'un puzzle.

Et, quand je serais dans ses bras, quand tout serait en place, comme mortaise et tenon, comme vague et rivage, qu'il aurait mis mes mains sous sa chemise, à même sa peau pour les réchauffer, je poserais mes lèvres sur les siennes, et, à l'ultime seconde, lui donnerais mon dernier souffle, qu'il aspirerait pour qu'il soit sien, et je garderais les yeux ouverts sur le ciel et son regard.

Prochains chevaliers au départ: Fabrice, Petrus, S.(Tranches de vie) et Querelle.

Calme.

Il fait froid. Vent du nord. Une journée magnifique. Du soleil partout. Du bleu qui éblouit. Hier, j'ai sacrifié mon après-midi. Mon démon de liberté, celui que j'écoute bien souvent, celui qui m'est le plus fidèle, me poussait à laisser là cartable et cahiers, courrier et courses à faire, pour partir à l'aventure, plaisir et photos. Je ne l'ai pas fait. Il fallait que je déblaie. Trop de tâches accumulées. Je me réjouis de ma décision. En un après-midi et début de soirée, j'ai tout réglé. Les rédactions attendront. Je suis libre aujourd'hui. J'avais parié sur le beau temps. Pari gagné.

Je sors de la sieste. La course à pied de ce matin m'a fait sombré quelques instants dans les bras de Morphée. Alors qu'à cause du froid, nous avions prévu, S. et moi, un parcours plus court que la semaine dernière, nous l'avons, j'ai l'impression, rallongé. Nous étions tous les deux en forme et avons poussé au retour jusqu'à la hauteur du pont Pasteur. S., malgré le vent, avait mis un short. Un de ses grands shorts de footeux qui masquent la moitié des cuisses. Attentons encore un peu la venue des chaleurs.

J'ai lu plus d'une heure, sans me presser, luxe ultime. Un roman concernant Port-Royal dont je parlerai bientôt. Je côtoyais à mon réveil monsieur Racine et monsieur Pascal, entraînés sur les chemins tortueux de la grâce divine.

Mon temps est libre. Je me le répète. J'en savoure la phrase elle-même. J'ai tout mon temps. Le repas de midi était prêt d'hier soir, celui de ce soir se passera ailleurs, en invitation. L'immeuble est calme, comme désert, la rue s'endort elle aussi. Bonheur d'habiter un quartier qui se vide le week-end.

Les petites jonquilles sauvages offertes par Jean-Claude sont sur mon bureau, et semblent vouloir durer encore, trois bulbes du couloir ont fleuri sans que je m'en préoccupe: jacinthes violettes, fragiles et odorantes. L'orchidée rapportée de mes vacances dans le Gard a huit fleurs blanches égrenées sur sa tige. La plus ancienne sommeille, elle aussi.

Le calme est tel ici que je m'y laisserais bien aller. Ne rien faire du tout, rester allongé avec mon livre, somnoler, rêver, réfléchir. Pourquoi pas? Mais je sais de quelle matière je suis fait. Le soir venu, je serais en manque de mouvement. Le trop plein d'énergie, il faudrait le brider ou risquer de mal dormir. Je ne peux m'arrêter qu'avec mes limites physiques. Et puis le ciel est si beau. Allez, je sors.

vendredi 20 mars 2009

Évidence.

C'est le printemps!

Comme les femmes sont belles au cinéma!

Ce matin, pendant que mes troisièmes latin se battaient avec la relative, j'ai feuilleté un livre d'anglais oublié par un élève et qui traînait sur mon bureau. Une double page était entièrement consacrée à Audrey Hepburn: quelques petits textes de présentation à la portée des potaches et des photos surtout, en couleurs ou en noir et blanc, tirées de ses films ou prises lors de ses apparitions publiques. Ainsi se succédaient des scènes de Breakfast at Tiffany's, Funny Face, Sabrina Fair et un cliché avec son dernier compagnon lors d'un gala de l'Unicef.

Mais c'est une autre qui m'arrêta, une toute simple, en noir et blanc, d'une beauté fulgurante. On y voit Audrey Hepburn s'agripper fermement à Gregory Peck sur une Vespa que celui-ci conduit et qui les promène dans les rues de Rome. Il s'agit bien sûr d'une scène du film Roman Holiday, Vacances Romaines.

Cette photo possède une grâce rare: beauté de l'image qui s'impose sans artifice et où l'on devine dans les nuances de gris tout le soleil du Latium, dans les passants tous les bruits de la rue, beauté de la ville éternelle en arrière-plan, avec son atmosphère des années cinquante, avant l'air du tourisme de masse, beauté phénoménale des deux acteurs, Gregory Peck en costume croisé impeccable, penché élégamment sur un côté pour faire tourner le scooter, et Audrey Hepburn derrière lui, un peu crispée, apeurée, tellement fragile et tellement forte à la fois. Tout est grâce légère dans cette photo, grâce que se partagent sans se jalouser une femme, un homme et une ville.

Je dois avoir la reproduction en format poster de cette photo dans mes archives au fin fond d'un placard du collège. Il faudra que je cherche. Rappelons que, née en 1929, Audrey Herburn commença sa carrière d'actrice au début des années cinquante, qu'elle remporta l'oscar en 1953, abandonna sa carrière plus tard pour se consacrer à ses enfants et qu'après un dernier film en 1989, elle mourut en Suisse en 1993. Je ne sais pas s'il y eut un jour une femme plus belle qu'elle.

jeudi 19 mars 2009

Avalanche

Hier après-midi, une avalanche de soleil. Avant et après un rendez-vous chez le dentiste, j'ai pris le temps de flâner, de traîner un peu, car je savais qu'aujourd'hui je n'aurais pas une minute à moi (ce qui fut effectivement le cas).

Avec cette lumière-là, tout me paraît beau: les gens, les bêtes, les maisons, les rues, les arbres. Et je mitraille ce plaisir avec mon appareil. Même une crotte de chien, bien cadrée, me paraît sublime.

Le fleuve brille.

Les gens dorent.

Les chiens dorment.

Les vélos attendent.

Le bus se la joue mystère.

Les étudiants s'amusent.

Le gouvernement s'égare.

Louis regarde ça de haut.

Une dame de ses amis se choque.

Même eux sourient.

Ça vit. J'aime.

Hortaugrafe.

Enfin...., s'ils font du bon pain!

mercredi 18 mars 2009

Autobiographie.7: "Je me souviens".


(A la manière de Georges Perec)

1. Je me souviens des chemises à fleurs et des cravates en cuir, fines lanières de couleur.
2. Je me souviens des pistoles en chocolat, dans leur boîte-tube octogonale.
3. Je me souviens des bas et collants Dim, multicolores, et de la musique de la publicité.
4. Je me souviens de la question toujours sans réponse: "Mais où est donc Ornicar?"
5. Je me souviens des frites légères et de leur parade aquatique, au bord de la piscine, à la Esther Williams.
6. Je me souviens du savon miracle et de sa question: "Quelle est la mère? Quelle est la fille?"
7. Je me souviens du grand concours annuel du Progrès: "Avez-vous le coup d'œil?"
8. Je me souviens de ma première chute à vélo, dans le gravier.
9. Je me souviens qu'il fallait mettre un grain de sel sur la queue de l'oiseau pour l'attraper mais que celle du lézard se cassait si l'on essayait de le saisir par là.
10.Je me souviens de De Gaulle, en noir et blanc, à l'ORTF.
11.Je me souviens de l'âge de raison, à sept ans. Avant: rien.
12.Je me souviens des "leçons de choses", à l'école primaire.
13.Je me souviens de l'Aronde de mon père.
14.Je me souviens de la pendule de l'écran, de la mire avant le début des émissions et du petit train Interlude.
15. Je me souviens de mon Solex, beau comme un dieu noir.
16.Je me souviens des caramels à un centime, des coquilles de sucre à lécher et des rubans de réglisse avec la perle au milieu.
17. Je me souviens des fleurs du jardin de ma mère.

mardi 17 mars 2009

Momentini

Encore des stagiaires, ce matin, dans notre cours commun, à Stéphane et moi. Quel chemin parcouru depuis la venue des premiers, il y a trois ou quatre ans, venue qui nous avait passablement angoissés! Aujourd'hui, rien de cela, d'autant que, garçon comme fille, tous deux sont très sympathiques et "en veulent". Ambiance décontractée laissant même la place à des moments d'humour.

La nouvelle policière rédigée en atelier-écriture avance à grands pas pour certains groupes, la majorité. Je n'en crois pas mes yeux. Cette classe de cinquième, moyenne voire faible, s'est prise au jeu et travaille. Les textes qu'ils proposent chaque mardi sont bien sûr à revoir pour le suivi logique ou chronologique, à corriger pour la syntaxe et la conjugaison, mais l'ensemble est très honorable et même plusieurs fois bien écrit et vivant. Ça vaut la peine de se fatiguer.

Ce matin, mon collègue Nicolas m'a invité chez lui! Rien qu'avec cette phrase, je sais que l'attention un peu somnolente de certains de mes lecteurs que je ne nommerai pas vient tout à coup de se réveiller de façon brusque et soudaine. Oui, je suis allé chez Nicolas. Oui, nous n'étions que tous les deux! Oui, nous avons bu un thé à la menthe poivrée, en nous accoudant à la balustrade du balcon. Oui, il m'a fait visiter les lieux, même la chambre conjugale!...Mais après le fantasme, place à la réalité: lui et sa famille ont failli mourir intoxiqués cette nuit par un feu qui avait pris dans leur salon. Sans doute une bougie mal éteinte! Heureusement la forte odeur de brûlé les a réveillés et ils ont pu faire le nécessaire pour limiter la casse avant l'arrivée des pompiers. Quelques dégâts, certes, pourtant pas trop importants si on les compare avec ce qui aurait pu être. Mais surtout, des traces de fumée partout, un appartement sens dessus dessous, à vous faire descendre le moral plus vite que le thermomètre en hiver. Et, cerise sur le gâteau, Nicolas est inspecté cette semaine, pour la validation définitive de son travail. A voir sa tête malheureuse à midi, au repas, je l'aurais volontiers serrer dans mes bras pour lui donner un peu de chaleur amicale! Je me suis contenté de le réchauffer des yeux.

Oreilles rebattues.

Dans ma boîte aujourd'hui, une lettre de publicité qui me fait toujours sourire. Un ami autrefois avait cru malin de me faire une blague et de donner mon adresse à un organisme touristique spécialisé dans les croisières pour troisième ou quatrième âge argenté (je ne parle pas que de la chevelure) mais il a mal orthographié mon prénom et, depuis, la faute se perpétue à chaque courrier envoyé.

En général, ces lettres partent à la poubelle immédiatement après que je les aie ouvertes (je ne jette jamais de courrier non décacheté). Aujourd'hui, j'y ai lancé un coup d'œil rapide et je n'ai pas ri de ce que je lisais. Voici:

Chère Madame, Cher Monsieur,
Amateurs de beaux voyages et de tarifs privilégiés... il est temps de prendre le large vers un lieu protégé, où la fête est permanente et où vos rêves deviennent réalité.
Face à la crise dont nos oreilles sont rebattues, malmenant ainsi le moral des Français, les Fêtes Musicales en Mer sont le parfait antidote. D'autant que...


Le premier paragraphe m'a tout de suite fait penser à ces villages pour vieillards friqués, aux États-Unis, où le territoire est entouré de fil de fer barbelé ou de hauts murs et où ceux qui prétendent entrer sont savamment filtrés par un service d'ordre efficace au service de ces vieilles peaux ne demandant qu'à vivre entre elles.

Quant au deuxième, encore mieux: ainsi, on nous rebat les oreilles avec la crise? Voyez ces grands vilains qui ne font que parler du désagréable et ne laissent pas les gens être cons tranquillement! Le moral des Français est malmené par ces Cassandres jacasseuses? Il suffirait donc qu'elles se taisent, ces voix du malheur, pour que tout aussitôt l'Age d'Or se réinstalle dans nos chaumières! Aussi vous propose-t-on, puisque décidément il est bien difficile de ne pas rencontrer au moins une fois par jour ces "prédiseurs" d'Apocalypse , de vous boucher les oreilles, de vous bander les yeux et de partir vers "ce lieu protégé où la fête est permanente". Mais avant de partir, Chère Madame, Chère Monsieur, suivez bien mon conseil: n'oubliez pas de vous faire élargir l'anus! Ça fera moins mal quand ça pénétrera!

PS1:A ceux qui trouveraient mon billet trop vulgaire, je ferais remarquer que les mots familiers, comme friqués, vieilles peaux et cons , sont nettement moins nombreux que ceux relevant d'un niveau de langage soutenu, comme "rebattre" (et non rabattre) les oreilles, Cassandre, Age d'Or, Apocalypse. A moins qu'on ne considère bien sûr qu'anus et crise sont aussi de gros vilains mots. Mais là, je ne peux plus rien.

PS2: Je tiens à la disposition de ceux qui seraient intéressés par ce genre de voyage l'adresse de ce faiseur de rêves. Écrivez-moi un mail et vous aurez droit en prime à une recette excellente pour le préparatif avant le départ. Réussite garantie! Mais la maison se réserve le droit d'établir une certaine limite d'âge!

lundi 16 mars 2009

Autobiographie.6: un souvenir d'enfance douloureux.

Un épisode de ma vie d'enfant a tenu jusqu'à très récemment une place très importante dans ma vie, beaucoup plus importante sans doute que celle qu'on avait voulu lui donner au moment où il s'est déroulé.

Je vivais avec ma grand-mère maternelle. Ma mère, veuve de mon père et remariée, avait eu deux enfants dans un intervalle d'à peine onze mois. On m'avait confié à l'aïeule chez qui je devais rester jusqu'à sa mort, en 1960. J'avais alors presque huit ans.

J'ai gardé beaucoup de souvenirs, pour la plupart heureux, de cette période de ma vie. Je ne revoyais mes parents et mes (demi) frère et sœur que le dimanche après la messe, mais ils ne me manquaient pas vraiment. J'aimais la solitude, et je m'étais choisi un frère selon mon cœur, le fils d'une amie de ma mère, le petit-fils d'une amie de ma grand-mère, Yvon, dont j'ai déjà longuement parlé ici (Abécédaire: Y).

Ma grand-mère était une femme sèche physiquement, le contraire de l'aïeule paternelle: elle descendait du mont Pilat et en avait sans doute gardé une certaine aridité, une conscience aigüe de la réalité due à ses origines de paysanne pauvre. Elle m'aimait profondément mais je ne garde aucun souvenir de cajoleries de sa part ou de tendresse particulière. Elle avait également érigé en principes de vie les règles religieuses et morales dans le carcan desquelles on l'avait elle-même éduquée. Le fait d'avoir passé une grande partie de mon enfance dans le giron de cette femme du XIX° siècle (elle était née en 1885, année de la mort de Victor Hugo) explique sans doute bien des choses chez moi.

Bien entendu, nous n'avions pas la télévision. Lorsque mes parents firent l'achat d'un poste, je fus fasciné par cette nouveauté, par ces images en noir et blanc qui bougeaient, qui apportaient des nouvelles de la planète entière. Le départ du dimanche soir s'avéra ainsi plus difficile: chaque fois, je voulais rester un peu plus longtemps chez mes parents, non pour les voir eux, mais pour profiter davantage de la lanterne magique. Il fallait que ma grand-mère me menace de ne plus me donner la main, le soir dans son grand lit, pour que je cède, vaincu par cet avertissement qu'elle pouvait réellement mettre à exécution. Et je ne pouvais m'endormir tranquille si je n'avais pas, avant de sombrer, cette main sèche et ridée qui serrait la mienne.

Peu à peu, quelques foyers, même humbles, s'ouvrirent à la modernité et s'équipèrent de leur téléviseur. Peu, car je me souviens encore des longues soirées d'été, passées à jouer dehors entre gosses, pendant que les adultes, assis sur des chaises qu'ils avaient sorties sur le pas de leur porte, échangeaient des propos que nous n'écoutions pas et auxquels nous n'aurions rien compris. Peu mais suffisamment pour que le virus prenne. Les gens commençaient à parler de certaines émissions qu'il ne fallait pas manquer: Cinq Colonnes à la Une, les Coulisses de l'exploit, la Caméra explore le temps.

Pour moi vint le temps des premiers feuilletons. Ma grand-mère, faisant là une entorse de taille à ses règles de vie, me permit une fois par semaine, de descendre chez sa belle-soeur, deux maisons plus loin, pour y voir une émission dont j'ai tout oublié, y compris ce sur quoi elle portait. La permission était agrémentée, bien sûr, d'une heure impérative de retour au bercail.

Un soir, (l'émission avait-elle duré plus longtemps? Voulais-je simplement tenter de rallonger le temps de cette relative liberté?) je ne rentrai pas à l'heure. Pas de quoi inquiéter qui que ce soit dans ce petit village où tout le monde connaissait tout le monde et où les maisons restaient grandes ouvertes toute la journée. Dix minutes, un quart d'heure peut-être. Lorsque j'arrivai devant la porte de l'appartement, celle-ci refusa de s'ouvrir.

J'essayai à plusieurs reprises de tourner le loquet dans un sens, puis dans l'autre, de pousser doucement puis plus fort. Rien ne voulut bouger. La porte restait désespérément close. Et, à l'intérieur, un silence de tombeau. Mon cœur se mit à battre bruyamment, des picotements d'angoisse ramollirent mes jambes: j'étais perdu! Fou d'inquiétude, j'eus tout de même l'idée de frapper chez la voisine, une très vieille dame elle aussi, dont le mari était décédé peu de temps auparavant. Tous deux formaient un couple que je juge aujourd'hui exemplaire: calmes toujours, toujours souriants, lui aux petits soins pour elle, se tenant la main lorsqu'ils venaient, chaque soir, assister à mon bain de bébé dans une grande bassine d'eau fumante sur la table de la cuisine. J'ai oublié son nom à lui; elle, elle s'appelait Victoire.

Victoire m'ouvrit et me fit entrer dans la salle que je connaissais bien, celle où l'on faisait cuire le repas et où l'on mangeait, celle où l'on recevait aussi, l'autre étant réservée pour la nuit. Il y avait dans un coin un meuble radio imposant, dont l'œil lumineux me fascinait, ainsi que, plus tard, quand je sus lire, les noms exotiques des émetteurs européens. Il y avait, sur la grande table de cuisine, un beau dessous-de-plat musical dont on me faisait écouter la mélodie quand j'avais été particulièrement calme, et je l'étais. Il y avait, sous la radio, un jeu de cubes de bois, que j'organisais en convoi ferroviaire, et un vieil almanach Vermot dans lequel je découpais les têtes des députés élus au Parlement. Ce sont là mes deux premiers jeux, jeux de rien qui m'occupèrent des heures sur le sol de la cuisine. Il y avait, sur le rebord intérieur de la fenêtre, sur un plan de bois rugueux et veiné abritant un placard fermé par un rideau, de beaux géraniums à grosses boules roses dont j'aimais l'odeur particulière des feuilles ainsi que le relent de moisi de la terre trop arrosée.

Non, Victoire n'avait pas vu ma grand-mère. Non, elle ne savait pas où elle était. Elle savait simplement que, puisque j'avais désobéi en rentrant plus tard que permis, je lui avais fait beaucoup de peine et qu'elle était partie pour toujours. Je ne la reverrais plus. Je ne peux aujourd'hui qu'analyser froidement et de loin ma réaction à cet instant. Ce que je ressentis à ces mots dut être terrible. Le monde s'écroulait. Le seul être sur qui je pouvais prendre appui n'était plus là. On m'avait abandonné, une nouvelle fois. Je n'étais bon à rien, personne ne voulait s'embarrasser de moi, je ne valais rien comparé à tous les autres enfants que l'on chérissait dans leur famille.

La vieille voisine dut voir la panique sur mon visage car bien vite, elle tint à me rassurer en m'indiquant d'un clin d'œil la porte de la chambre, restée entrebâillée pendant toute la scène. Je me précipitai dans la pièce d'à côté et y retrouvai ma grand-mère, cachée derrière la porte, qui avait tenu à me donner une leçon.

Je ne sais pas si elle m'avait donné une leçon, mais je sais ce que cet épisode a ancré en moi d'angoisses et de dépréciation. Il est toujours difficile et risqué d'analyser soi-même le fond de son être, mais je crois pouvoir dire que de ce jour date ma peur encore présente aujourd'hui d'être abandonné. Cela peut paraître risible, à mon âge, je la cache souvent mais elle est toujours là: m'arrêter sur le bord du chemin pour resserrer un lacet alors que les autres poursuivent leur route et disparaissent au prochain tournant m'est toujours pénible et je me sens à nouveau mieux lorsque je les ai rejoints. De ce jour date sans doute aussi ma méfiance envers les moments de plaisir, de joie que la vie nous réserve: je suis un bon vivant mais j'ai souvent l'impression de transgresser un interdit en m'amusant, comme si je n'avais le droit de regarder trop longtemps la télévision. De ce jour date enfin cette sensation que je ne vaux pas les autres, que mes gestes, mes actions, mes paroles sont de moindre valeur, et ce besoin d'être rassuré, que l'on me dise parfois que ce que je fais est bien fait et que je ne suis pas trop bête, que l'on m'aime aussi, un peu.

dimanche 15 mars 2009

La solitude, ça n'existe pas.

Sans paroles.

Accepter.

A midi, pendant le repas avec J. et une partie de sa famille, la discussion est venue à un moment sur la colère que l'on peut ressentir à l'encontre de Dieu au moment de la mort d'un proche. J'ai commencé à parler et puis je me suis tu, vite, par pudeur et pour ne pas plomber l'ambiance. C'est pourtant un point auquel je réfléchis encore souvent.

Lorsque ma petite sœur est morte, par accident, une hydrocution en tombant à la mer, elle avait onze ans, moi dix-huit. J'ai trouvé cette mort intolérable. Le curé de la paroisse, à mon retour, ne m'a pas aidé à me réconcilier avec Dieu, bien au contraire. Je ne pouvais comprendre comment cette mort était possible, comment Dieu, s'il était bon comme on me l'avait appris (ou plutôt comme j'avais par moi-même décidé de le voir, car la formation religieuse de l'époque penchait davantage du côté du dieu vengeur de l'Ancien Testament), pouvait-il permettre cette injustice: tuer un être qui n'avait fait aucun mal, qui avait à peine vécu?

J'ai mis très longtemps à me réconcilier avec l'idée même du spirituel. En fait, cette attirance ne m'a jamais quitté, mais je tombais de trop haut pour ressentir autre chose que de la haine. Elle a mis longtemps à s'apaiser.

Aujourd'hui, j'ai changé. J'ai près de quarante ans de plus. Je n'en suis plus à ma première mort. Je les vis presque sereinement. Presque, parce que l'attachement profond aux êtres que j'ai perdus demande le temps d'accepter l'absence, de pouvoir vivre avec des pointillés de plus en plus nombreux, mais Dieu n'est plus en cause dans cette douleur. Elle est purement humaine, physique, animale.

Certains départs m'ont même amené à progresser dans mon acceptation de Dieu. Celui de Pierre surtout, celui d'Amédé aussi. Tous les deux étaient profondément croyants, sans jamais imposer leur foi aux autres autrement que par leur façon de vivre. Je les ai enviés longtemps, j'aurais voulu connaître leur confiance, leur abandon, leur sérénité. Aujourd'hui, je comprends.

Dieu n'a rien à faire dans la mort. Dieu est ailleurs. Je le sais maintenant par la prière. Tout à l'heure, je suis allé sur la tombe de Pierre et j'ai récité le Notre Père, comme chaque fois, comme presque chaque jour maintenant, où que je me trouve. Et comme chaque fois, comme chaque jour, en disant ces paroles simples, je me suis senti enveloppé de paix. La paix est venue avec l'acceptation. Je ne cherche plus à raisonner, je ne cherche plus à comprendre. Je sais que je peux aujourd'hui vivre cette paix, en me laissant porter, en oubliant mes questions, mon orgueil, mes réticences, en m'abandonnant à quelque chose que je ne peux expliquer mais que je ne tarderai probablement plus maintenant à nommer foi.

samedi 14 mars 2009

D'un vieux monsieur.

J'espère que Christophe ne m'en voudra pas trop de lui avoir emprunté son titre. C'est en fait lui qui m'a fait repenser à ce vieux monsieur que j'ai vu aujourd'hui, et j'ai voulu établir comme un pont entre ces deux billets.

Oui, je l'avais déjà oublié, cet homme occupant la chambre de l'autre côté du couloir, face à celle de ma mère. Hier, il n'était pas là. Aujourd'hui, je l'ai découvert au moment du repas. Toutes les portes étaient ouvertes, pour faciliter le service.

De ce côté, une femme, encadrée de ses deux enfants, ma sœur et moi, à qui l'on coupe son pain, à qui l'on mélange ses cachets à la nourriture pour qu'ils soient plus facilement avalés, à qui l'on rappelle qu'il ne faut pas oublier de boire, pour qui l'on modifie l'orientation des stores pour éviter le soleil sur le visage.

De l'autre, cet homme, un vieillard maigre, au visage en couteau, un peu perdu, une peu figé déjà, seul assis dans un fauteuil trop grand pour lui, devant son plateau servi qu'il semble regarder sans le voir. Bientôt pourtant, il esquisse quelques gestes. Par pudeur, je détourne les yeux. Lorsque je le revois, il est penché en avant, la tête touchant presque le bol de soupe. Il me fait penser à un vieux rapace flairant quelque reste de nourriture que les autres, plus vigoureux, ont bien voulu lui laisser. Il flaire mais ne va pas jusqu'à manger.

J'en ai les larmes qui me montent aux yeux. On a l'habitude de voir de vieilles femmes, les vieillards mâles sont plus rares et l'on dirait pour cela qu'ils sont plus fragiles encore. Voir cet homme en fin de vie, imaginer quelle elle fut, cette vie, ce qu'il en reste encore dans sa tête trop lourde pour être soutenue. Quelles étaient ses pensées à ce moment précis? En avait-il de claires ou bien le fumet du velouté suffisait-il à ses interrogations?

Pas de (cul) bol.

Ce matin, il fallait que je me défoule. Un de mes collègues, prof d'histoire, jeune homme d'origine italienne et pas désagréable à regarder, m'avait proposé dès le début de l'année scolaire de courir avec lui. Cela ne s'était jamais fait pour des raisons x ou y. Hier, nous avons bavardé et la conversation est revenue sur la course à pied.
Rendez-vous a été pris pour ce matin. Je l'ai dit: j'avais envie de me défouler et, cerise sur le gâteau, je trouve qu'en ce moment, il vient au collège avec un pantalon qui met ses rondeurs postérieures si bien en valeur qu'il y a de quoi faire se damner un sodomite. L'idée de voir ces mêmes rondeurs dans un petit short de sport m'a fait bravement affronter cette douce damnation. J. m'avait de plus bien recommandé de bien courir derrière afin de profiter au mieux du spectacle.

Dix heures, devant la cour d'honneur de la fac. J'arrive en vélov. Il est déjà là. Mais horreur, malheur: pas de short affriolant, pas de rondeurs exposées, pas d'échancrure suggestive! Un vieux bas de jogging informe qui réduisait tout à de simples conjonctures hasardeuses. Il a dû voir ma mine déconfite ou accepter une transmission de pensée car ses presque premiers mots furent: "Je n'ai pas mis de short. Je trouve qu'il fait encore un peu frais". Moi, j'en étais pour les miens (frais, pour ceux qui ne suivent pas!). Mais bon, rien que son joli minois a déjà de quoi réjouir.

Nous voilà partis le long du Rhône, direction Tête d'Or, par les berges récemment aménagées et pas encore trop encombrées à cette heure-là. Seuls, avec quelques cyclistes, les coureurs étaient déjà là. Ah, je n'ai pas regretté d'être venu: on aurait dit que tout ce qu'il y a de plus sexy sur la spécialité à Lyon s'était donné rendez-vous ce matin: beaux bruns aux yeux ténébreux, armoires à glace à pilosité généreuse, corps magnifiquement sculptés, cuisses de rêve, hummmm... Je ne savais plus où donner des yeux. Pas un instant je ne me suis demandé si mon camarade ne finissait pas par être surpris par mes regards insistants sur ceux que l'on croisait ou par mes silences soudains lorsque qu'un dos viril venait de nous dépasser. Le printemps était bien là, pas de doute. J'ai même été gratifié à plusieurs reprises de regards pas tout à fait innocents.

Nous devions aller jusqu'au Parc puis en faire le tour et revenir sagement par le même chemin. Mais le diable m'a poussé à lui proposer de lui faire découvrir d'autres horizons qu'il ne connaissait pas et de pousser notre périple jusqu'à la Fesse-in. Pardon, je veux dire la Feyssine, bien sûr, que j'ai déjà révélée à S. il y a quelques semaines. C'est un lieu agréable pour ses arbres et ses fourrés au bord du Rhône. Je voulais voir sa réaction. Et je vous le donne en mille: de quoi me parle-t-il dans ce lieu de stupre et de débauche? De sa copine! Bon d'accord, stéphanoise comme moi, mais ça n'excuse pas tout. Encore raté!

Au retour, il n'en pouvait plus, le coco. Comme quoi, papy a encore quelques ressources dans les mollets. Les berges s'étaient peuplées et il devenait difficile d'y courir avec plaisir. Après quelques étirements sur le quai, nous nous sommes quittés tout suants et il m'a proposé de remettre ça samedi prochain. Je ne crois pas que je vais dire non. Il fera peut-être suffisamment chaud ce jour-là....!

Momentini

Deux jours avec ma mère: aujourd'hui douceur, sourire et bisous; hier, démence, coup de poing et haine. Que sera demain?

A la question de la journaliste qui l'interrogeait sur ce qu'il fallait faire pour sauver l'eau de la planète, un spécialiste de la question répondit ce matin sur France Inter: "Je ne sais pas". J'aime ce genre d'hommes qui ne se paient pas de mots.

Entendu (sans voir les protagonistes)ce soir dans un couloir de l'hôpital gériatrique:
- Non, non, Monsieur, ce n'est pas l'heure. Vous pouvez relever votre pantalon. Vous savez bien que je vous fais ça à six heures." Ah! libido, quand tu nous tiens!

Diner hier soir avec F-J. Décidément, c'est un hétéro que j'aime. Toujours même sincérité dans nos échanges. Le projet du Lubéron à pied lui tient particulièrement à cœur. Il a commencé aussi à faire le tour de mon appartement pour d'éventuels travaux futurs.

Le bouquet des forsythias vient d'exploser dans la ville aujourd'hui, d'un coup.

vendredi 13 mars 2009

Autobiographie.5: J'aime/j'aime pas.

(A la manière de Georges Perec.)

J'aime: le chocolat, l'air libre, les fleurs, l'Italie, les hommes,les femmes (différemment), les livres, le soleil, l'odeur de la terre qui fume après la pluie, me laver,les plats simples, courir, les chiens, le bordeaux, les Primitifs italiens, rire, l'Allemagne, les énigmes, photographier, la ville, les balades en montagne, New York, les pins parasols dans le Latium, les Annonciations, plaire, les récits de voyage, les voyages en train, Haring, l'estragon, les pastilles Vichy, la vérité (pas forcément dans le dire, mais dans l'être), les légumes, les lignes géométriques, Bach, les chiffres, le regard, le golfe de Naples, la voix d'alto et de haute-contre....

J'aime pas: le lait, les tissus synthétiques, les lunettes de soleil, le ski, l'expression "avoir le moral dans les chaussettes", la vulgarité gratuite, la suffisance, le football, la publicité pour la confiture Andros, me raser, la violence physique, éternuer, les mauvaises odeurs, sortir de mes gonds, l'humidité, les chaussures trop pointues, la Formule 1, B-H. Lévy, tous les intégristes, la bêtise, la mode, l'agressivité, Delerm fils, le mépris, les chaussettes rouges, le café au lait, la moquette, le transporteur UBS, les parfums trop violents, le bruit, les grosses voitures, la littérature vendue au mètre ...

(Oui, je sais: normalement c'était au tour d'une photo de moi enfant mais il faut que je cherche dans les cartons.)

jeudi 12 mars 2009

Parolé, parolé....

Depuis quelques temps, devant un malaise croissant dans les rapports entre les élèves des différents niveaux (de 6° à 3°), nous avons mis en place un certain nombre d'occasions où les élèves, ici les cinquièmes, peuvent s'exprimer, dire leurs peurs et proposer leurs espoirs d'amélioration du quotidien.

Je n'ai pu assister à une de ces réunions le jour des funérailles d'Amédé mais j'ai suivi de près le projet. Autant dire tout de suite que j'étais contre au départ: non que je redoute de donner la parole aux élèves, mais j'expliquerai plus tard pourquoi.

Aujourd'hui, nous nous réunissions entre professeurs principaux de 5° et RN (responsable du niveau). Une réunion d'une heure où je me suis profondément emmerdé, n'ayons pas peur des mots. Je n'ai pas voulu intervenir pour dire ce que je pensais car on me prend de plus en plus souvent pour un emmerdeur dans ce genre de réunions, et puis je voulais voir comment celle-ci évoluerait. Eh bien, elle n'a pas évolué. Il faudra que j'en parle avec Gilles, qui était là aussi et n'avait pas l'air non plus de s'amuser beaucoup, même s'il faisait des efforts considérables pour paraître concerné.

De quoi a-t-il été question? Alors que le dessein initial était de faire apparaître les problèmes mais aussi les désirs des élèves au quotidien dans notre collège et de tenter de les responsabiliser en les écoutant et en leur donnant éventuellement carte blanche pour la réalisation de certains projets à condition que ces projets soient bien ficelés, nous n'avons évoqué pendant une heure que moyens de renforcer la discipline, d'améliorer la surveillance, d'interdire, de punir, d'étouffer dans l'œuf toute initiative.

Seule proposition qui semblait avoir l'aval de la RN: la création entre midi et deux d'un groupe de danse jazz moderne par des filles. Explication de l'acceptation: elles sont tellement gentilles! Alors que, bien sûr, les projets présentés par des garçons sont refusés sous prétexte que... Sous prétexte que quoi au fait? Aucun officiel, mais un qui traîne dans la tête de cette dame depuis toujours: les garçons, ça ne pensent qu'à mal et c'est violent.

Du coup, j'ai pris fait et cause pour un projet de slam mis en musique, alors que je ne connais rien au slam ni à la musique urbaine, et que un des deux garçons qui le présente me semble effectivement parfois à recadrer gentiment. Mais bon Dieu, j'en ai marre de ce sexisme imbécile. On ne refuse pas un projet, pas plus qu'on ne l'accepte, pour les beaux yeux de X ou de Y mais parce que ceux qui le proposent savent le présenter, argumenter, défendre leur bébé et ont suffisamment de capacités d'organisation pour que cela tourne rond. Stop aux gentilles fifilles nunuches ou pas. Et qu'on ne vienne pas me dire encore une fois que je suis misogyne: je me contente, parfois vivement c'est vrai, de rééquilibrer la balance trop fortement en défaveur des garçons. Ils ont déjà un pourcentage de profs anormalement féminins, qu'on les laisse être ce qu'ils sont à cet âge-là, c'est à dire des chiens fous, un peu cons cons, brusques mais pas forcément violents et qu'on ne cherche plus sans cesse à les émasculer.

Voilà pourquoi j'étais dès l'origine opposé à ce projet. Il ne suffit pas de se gargariser de bons mots et d'idées généreuses. On veut donner la parole aux élèves? Bravo: j'applaudis à deux mains, j'en redemande. Mais que l'on sache bien à quoi l'on s'engage et que l'on s'y tienne! Chaque fois ce prurit de bons sentiments s'est terminé dans le silence au mieux, la réprobation beaucoup plus souvent. On a donné la parole aux élèves, on les a fait rêvé. Pour rien: aucun projet ou presque n'a dépassé le stade du velléitaire, aucune parole n'a été prise au sérieux. Voilà, je n'y crois plus.

Qu'on les laisse donc tranquilles, nos élèves, qu'ils s'occupent entre eux de leurs rêves, de leurs désirs. Que venons-nous, alors que ce n'est pas indispensable, mettre nos grands pieds d'adultes sur leurs plates-bandes adolescentes? Je trouve ça malsain. Contentons-nous de les observer d'un peu plus loin, de veiller à ce que tout se passe du mieux possible, de leur donner un coup de pouce quand il le réclame, ou mine de rien, sans qu'ils le sachent, et tout ira bien.

On ne peut pas leur demander de croire en des gens qui ne croient pas à ce qu'ils font.

Que d'herbe, que d'herbe!

Le temps des jonquilles. On en voit partout: dans les pelouses de la Tête d'Or, dans les plates-bandes le long des rues, même tout près de l'entrée du tunnel de Fourvière. Cette année est ressurgi à ma conscience un vieux souvenir lié à ces fleurs que j'aime: un séjour à Remoncourt.

Remoncourt est un petit village des Vosges, près de Vittel, un village perdu au milieu de la campagne et des collines. Paysage serein et reposant. J'y avais rejoint un ami parisien dont la famille possédait une villa que chacun utilisait selon ses vacances. C'était l'époque où j'étais très malheureux avec Pierre, où je pensais que notre tandem ne tiendrait pas longtemps. Voyant mon mal être, Yves, cet ami psychiatre parisien, m'y avait invité pour une semaine.

D'abord, je restai sur mes gardes: j'étais jeune et craignais de paraître ridicule à ses yeux. Il était, au premier abord, de ces parisiens un peu snobs qui vous distillent dans tous leurs mots une certaine dose de supériorité intellectuelle due au simple fait d'habiter la capitale. Je voulais éviter l'impair, bien décidé à lui prouver qu'en "province" aussi on avait un cerveau.

Le premier jour, alors que nous prenions le soleil derrière la villa, allongés dans l'herbe, il me proposa d'en fumer justement et sortit d'un placard de la cuisine un sac plastique bourré d'une sorte de tisane déshydratée qu'il me dit être du cannabis. Je n'en avais jamais vu. Le sac était si gros que je pensai aussitôt qu'il se payait ma tête et décidai de sourire finement, arborant un visage qui voulait aussi bien dire qu'on ne me la faisait pas que passer pour la moue d'un habitué.

Pourtant, je fus honnête et, à sa question, je répondis que je n'avais jamais essayé de produits illicites. Curieux comme je suis, j'acceptai sa proposition d'essayer ce jour-là. Il me prépara un joint et s'en roula un aussi. J'eus beau tirer dessus tant que je pus, rien ne se passa: alors que je le voyais, lui, peu à peu, réagir autrement, je ne me sentais en rien différent de l'instant précédent. Cela devint même franchement gênant pour moi quand, dans la petite supérette où nous fîmes ensuite nos courses, il se mit à sautiller, virevolter devant les autres clients ébahis alors que je ne savais plus où cacher ma honte. J'avais bien, moi, toujours les deux pieds sur terre.

Le deuxième jour, il me proposa un autre essai et j'acceptai après qu'il m'eut assuré que la veille, il n'avait pas joué la comédie du mec "parti". Rien encore cet après-midi là. Mais le lendemain, parce que j'étais profondément mortifié de ne pas avoir connu mon "orgasme" canabissien, c'est moi qui réclamai. Je me souviens parfaitement de la scène: c'était en fin de journée. Nous étions dans la cuisine en train de nous occuper de la vaisselle: lui la lavait, moi, je l'essuyais. Tout à coup, il fallut que je me retienne au buffet, que je me cramponne aux poignées des tiroirs pour garder un semblant d'équilibre. J'avais l'impression que le plancher flottait, qu'il tanguait agréablement et que mon corps ballotté était d'une légèreté extrême. J'eus le temps de lui dire:"je crois que ça vient!" avant d'éclater de rire.

Lui aussi, comme d'habitude, était fort réactif et, bien vite, nous abandonnâmes le reste de vaisselle pour nous allonger sur les canapés du salon. Il mit de la musique, je n'ai jamais su ce que c'était mais je trouvais ce morceau magnifique, aérien. On aurait dit que les notes me transperçaient, qu'elles me traversaient la tête comme un nuage d'une douceur de coton. Je me sentais alors capable de braver n'importe quoi, d'affronter n'importe qui mais ce qui me semblait le plus urgent, le plus naturel, le plus nécessaire, c'était de faire l'amour.

Apparemment, Yves devait naviguer dans les mêmes eaux, car nous nous retrouvâmes très vite dans son lit à ne plus savoir le sud du nord, à confondre l'est et l'ouest. Et toujours cette musique si porteuse, si pénétrante. Peu à peu, cependant, l'effet s'amenuisa et je découvris que mes ébats avec Yves ne figureraient pas dans le top10 de mes parties de jambes en l'air. Ce fut le premier et unique rapprochement de nos corps. En langage clair, jamais plus nous ne baisâmes ensemble. Quant à cette musique divine, je la réentendis à la radio quelques mois plus tard à Lyon. Nouvelle déception: ce n'était rien qu'un air banal, voire inintéressant.

J'eus une autre fois l'occasion de retoucher à la drogue, cette fois-ci avec du hachisch en barrette. Le trip ne fut pas agréable et me détourna immédiatement de ces aides à décoller. Enfin, une autre expérience extrêmement pénible, et involontaire de ma part, finit par me convaincre que je n'aimais pas ça. Je n'ai toujours pas changé d'avis.

Mais j'en vois qui se disent: bon, d'accord, mais quel rapport avec les jonquilles?
Eh bien, malgré cette expérience peu concluante, je garde encore aujourd'hui un excellent souvenir de cette semaine dans les Vosges: d'abord Yves avait vu mon désarroi et m'avait aidé à un moment où j'en avais besoin. Ensuite cela me permit sans doute de réévaluer la situation avec Pierre (à lui aussi d'ailleurs) et de reconstruire au lieu de donner un coup de pied à la fourmilière. Enfin, je voudrais un jour refaire ce voyage, repasser le col, revoir Gérardmer et les champs de jonquilles et de narcisses qui, dans mon souvenir, bordaient les routes à ce moment-là.

mercredi 11 mars 2009

Et si l'on changeait tout!

Et pourquoi pas:
- A tout péché mérite salaire.
- Un "tiens" vaut mieux que bonnets blancs.
- L'habit ne fait pas miséricorde.
- Qui veut voyager loin à la fin il se casse.
- Qui vole un œuf vole un moine.
- A bon entendeur ne sont pas les payeurs.
- L'habit n'a pas d'odeur.
ou bien:
- Lui mettre les pieds dans le dos.
- Le prendre entre deux yeux.
- Prendre le cheval par les cornes.
- Rendre la monnaie de l'athlète.
- Avoir les chenilles qui enflent.
- Voir Mimi à sa porte.
- Couper l'écheveau en quatre.

A vous pour la suite...

Transfert

Ils ne l'ont pas attachée aujourd'hui. Elle a été transférée. Dans un autre hôpital, un hôpital gériatrique. A nouveau, elle est perdue, elle crie son angoisse. Ses repères ont disparu. C'est une petite fille.

Lorsqu'elle dort, assommée par les drogues, on dirait un cadavre, cireux, les yeux révulsés dont on aperçoit le blanc à travers les paupières. La seule présence de vie est son ronflement, presque drôle, rassurant. Ronfle, ronfle tant que tu veux.

Lorsqu'elle s'agite, elle ressemble à une petite fille capricieuse qui veut son jouet ou son dessert. Elle s'agrippe, elle repousse, elle frappe. Elle s'accroche à la barrière, se soulève pour s'en aller. Où trouve-t-elle cette force, elle si petit moineau maintenant?

Elle ne veut pas rester. Non pas partir mais sortir, se promener, humer le soleil avant que la nuit tombe. Je te reconnais là, je t'aime. Ce besoin d'être libre et dehors. Je te comprends, je suis le même. Ne pas être contraint, n'accepter que ses propres contraintes. Est-ce toi qui m'as appris?

Lorsque la brume arrive, il y a la mort qui rôde, celle de qui? Qui est mort? Reflux des anciennes douleurs, des plaies qu'il aurait fallu prendre le temps de cicatriser et on ne l'a pas fait. Son enfant est morte et nous l'avons crue solide. Elle est morte aussi, ce jour-là, sa joie.

Alors elle crie son angoisse, elle est une petite fille, elle appelle sa mère. Elle nous insulte, elle ne veut qu'elle pour la prendre dans ses bras. Elle désigne le mur et mâche une phrase que nous ne comprenons pas. Puis le regard s'arrête: elle nous tend les bras et sert fort, fille?, mère?, qui le sait?. Tout se mélange. Je suis son fils et son mari. Elle parle de cercueil: il faudra l'acheter là, tu connais, toi. Elle lui avait bien dit de ne pas travailler autant. Et maintenant, elle est morte. Elle ne peut être que coupable, encore une fois, toute sa vie.

Elle va bientôt mourir, ma maman.