jeudi 30 juin 2011

A la manière de (suite)

Voici donc la suite de la nouvelle écrite par l'un de mes élèves.

La belle inconnue baissa la tête, essuya des larmes avec un mouchoir de fine dentelle et lui répondit d'une voix triste:
- Hélas, j'aurais souhaité ne jamais avoir besoin de votre aide. En effet, mon histoire est bien tragique et il me peine de vous la raconter.

Holmes invita la dame à s'asseoir et elle commença à expliquer, d'une voix émue, le drame qu'elle vivait.
- Hier, j'étais sortie voir une amie et, en rentrant chez moi en fin d'après-midi, je fus témoin d'une scène atroce. Je découvris mon mari pendu par une corde à une poutre du plafond, dans son bureau. J'appelai aussitôt Scotland Yard à mon secours. Le commissaire Lestrade et ses hommes arrivèrent rapidement. Ils examinèrent le bureau, la maison, puis, ne trouvant rien d'anormal, ils conclurent à un suicide. Mais je ne puis croire à cela, reprit la dame dans un sanglot. Mon époux a toujours été courageux en toutes circonstances. Un tel acte ne correspond pas à sa personnalité.

De plus, j'ai remarqué quelques détails très surprenants. Tout d'abord, mon mari a été officier dans la Royal Navy avant d'être banquier. Alors, il devait savoir faire les nœuds coulants. Or, il était pendu par un nœud simple, plat. Ensuite, il avait une tâche d'encre noire sur la main mais il n'y avait pas de lettre sur son bureau. Mon mari était si méticuleux: pourquoi, dans ce cas, aurait-il ouvert un encrier?
Ces temps-ci, il était très attristé par le décès de sa chère tante écossaise, Gladys Mac Kenzie, dont il venait de recevoir un gros héritage. En plus de ce deuil, il était très surmené car sa banque affrontait d'énormes difficultés.

Holmes écouta attentivement la dame en vert, la scrutant du regard tout en arpentant le salon. Après un instant de réflexion, il annonça:
- Fort bien. Je suis en mesure de vous apporter mon aide, à une condition toutefois: ayez l'obligeance de me donner votre nom et de me permettre de me rendre à votre domicile demain matin pour inspecter le lieu du drame.

Confuse de ne pas s'être présentée en arrivant, la dame baissa les yeux au sol:
- Victoria Stonehill, épouse de Lord William Stonehill. Nous résidons au 12 Kensington Road. Venez à neuf heures, précisa-t-elle.
- Voudriez-vous bien m'accompagner, mon cher Watson, pour élucider cette affaire pressante? m'adressa Sherlock Holmes d'une voix persuasive.
- Affirmatif, c'est un honneur et un plaisir pour moi de participer à vos investigations, lui répondis-je.

La belle veuve nous remercia, quitta le 221b Baker Street à bord d'un cab et disparut dans le brouillard, laissant comme seule trace de son passage un agréable parfum de mystère.
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Je peux lui dire merci

Je ne sais pas ce qui l'emporte chez moi, de la joie de voir les travaux de mon appartement parvenus bientôt à leur terme ou de la tristesse à envisager que je ne côtoierai plus Jean-Claude tous les jours ou presque, comme c'est le cas depuis plus d'un an. Je pense que cette cohabitation forcée va me manquer beaucoup.

En un an, nous avons eu le temps de prendre des habitudes: notre verre de Schweppes pris en commun en fin d'après-midi, avant que je ne file chez ma mère et allongé d'eau plate parce que c'est plus désaltérant, notre bonbon à la menthe après le repas de midi, notre long silence pendant que l'un et l'autre travaillons, moi à mon bureau, lui dans une des pièces adjacentes.

Jean-Claude n'est pas un bavard. Pourtant, on se sent bien avec lui. Il est d'une patience quasi angélique: on ne peut pas imaginer toutes les petites babioles qu'il a dû reprendre dans chaque pièce avant de se lancer dans le gros œuvre. Dernièrement, c'est le plafond du salon qui, après avoir été préparé, a décidé de se fendiller sous la première couche de peinture.

Moi, il y a bien longtemps que j'aurais terminé tout ça à la va vite en baissant les bras devant l'adversité. Pas lui: il râle un (petit) coup, recommence, gratte, mastique, ponce, repeint, et à la fin, c'est toujours parfait. Réellement, je l'admire. Quand j'étais au collège, il a passé des journées entières seul au milieu des gravats ou de la poussière. Le soir, il me faisait remarquer quelque imperfection, quelque détail sur un mur ou un plancher que, bien qu'habitant ici depuis vingt ans, je n'avais jamais remarqués. L'œil du pro, sans doute!

Et puis, ce qui ne gâche rien, il est drôle, d'un humour un peu semblable à celui que possédait mon père, où il faut réfléchir avant de comprendre l'astuce ou le jeu de mots. Parfois, j'entends, alors que je corrige mes copies, un petit couinement inattendu, qu'il lance pour se détendre sans doute. Cela ressemble étrangement à celui d'un chaton réclamant sa nourriture. Mais, même dans ces moments-là, il reste le plus souvent impassible et grave. Quelqu'un qui ne le connaîtrait pas pourrait être impressionné par son visage austère, mais les yeux souvent sont pleins de malice.

Quand je l'ai connu, il y a trente ans, avant de le perdre de vue pour je ne sais quelle raison, j'étais loin d'imaginer, bien que, dans le groupe que nous fréquentions tous deux à cette époque, il soit le seul qui trouvait grâce à mes yeux, que ce grand garçon très effacé et un peu froid pouvait réserver autant de bonnes surprises. Nous avons, depuis bientôt trois ans, noué une amitié solide et profonde, et ce grâce à Frédéric qui a été l'artisan actif de nos retrouvailles.

mercredi 29 juin 2011

Pour finir l'année en beauté

Comme chaque année depuis déjà pas mal de temps, je fais rédiger à mes élèves de cinquième, dans le cadre d'un atelier d'écriture, une nouvelle policière à la manière de Conan Doyle. Après quelques recherches sur cet écrivain et sur le plus connu de ses héros, Sherlock Holmes, après quelques lectures leur permettant de dégager la structure d'un tel récit, les voilà au travail pour de longs mois.

Beaucoup de sueur, beaucoup de découragements, beaucoup de brassage de méninges pour parvenir à me rendre, vers le début du mois de juin, un texte acceptable. Si ce n'est pas toujours la cas, je peux tout de même dire que la plupart de leurs écrits sont très honorables pour des enfants de cet âge et que certaines de leurs maladresses les rendent encore plus attachants (les anachronismes en particulier).

Mais cette année, ma fierté de professeur a été plus que comblée: l'une de ces nouvelles était largement au-dessus du lot, à tel point que si je n'avais pas connu cet élève, j'aurais douté de l'origine véritable de ce texte. Non seulement l'intrigue était assez bien ficelée (ce qui est le plus difficile à réaliser pour eux), même si la fin montre un certain manque de temps pour améliorer, mais tout y est: atmosphère, style, vocabulaire. Il en buvait du petit lait, Calyste!

Juste pour vous mettre l'eau à la bouche, voici le début de cette nouvelle à laquelle je n'ai pas changé un seul mot. J'espère que, si son auteur tombe un jour sur ce billet, il me pardonnera mon indiscrétion.

L'affaire commença le 8 décembre 1897 à Londres, l'année de l'inauguration de Tower Bridge. Il faisait nuit, le temps était froid et humide. un épais brouillard engloutissait la ville depuis plusieurs jours déjà. L'atmosphère au cœur de la cité était lugubre, nul être dans les rues, seules les âmes perdues pouvaient errer dans cette ambiance de terreur.

Mon ami Sherlock Holmes et moi étions tranquillement installés dans le salon, au premier étage du 221b Baker Street. Il fumait sa pipe, les yeux perdus dans le vide. Cela faisait plusieurs semaines qu'aucune énigme ne s'était présentée. Il s'ennuyait mais, pour ma part, au cabinet médical, je ne manquais jamais de travail. Ce soir-là, je lisais paisiblement le Times, en levant les yeux sur Holmes de temps à autre.

Soudain, le bruit sourd et métallique du heurtoir en bronze de la porte d'entrée retentit, nous extirpant de notre douce torpeur. Ces coups annonçaient peut-être une nouvelle énigme? Mon ami dut penser la même chose que moi car il se redressa rapidement de son fauteuil. A mon plus grand soulagement, je vis ses yeux étinceler d'une étrange lueur: son instinct de détective était en alerte!

Mrs Hudson alla ouvrir et une belle femme entra, coiffée d'un somptueux chapeau vert à la mode française et vêtue d'une élégante robe longue de velours du même vert. Ses yeux étaient noisette et ses cheveux, châtain clair, étaient rassemblés en un chignon tenu par une baguette de nacre sculptée. Elle portait au poignet de magnifiques bracelets et à son annulaire gauche une superbe alliance ornée de rubis. Elle nous salua et nous demanda:
- Pourriez-vous me dire lequel d'entre vous est le grand détective Sherlock Holmes? S'il peut me recevoir, j'ai une enquête digne de lui.

Mon ami, que seul le travail intéressait, demeura impassible. Toutefois, je le connaissais bien: derrière ce masque froid se cachait la plus vive des joies, celle du passionné désireux d'exercer son talent. Il se leva prestement de son fauteuil et lui répliqua sur un ton plus enjoué qu'il ne l'aurait souhaité:
- Je suis Sherlock Holmes. Que puis-je faire pour vous, Madame?

....

Une otage libérée après cinq minutes de rétention

Alors que j'étais dans le salon de la clinique pendant qu'une aide-soignante préparait ma mère dans sa chambre pour la nuit, je regardais comme tout le monde à la télévision les nouvelles concernant la libération des deux otages français en Afghanistan. Tous les regards étaient tournés vers le petit écran et, pendant un bon moment, je n'ai pas prêté attention au bruit de loquet de porte qui se répétait dans mon dos. Finalement, perturbé par cette litanie incessante, je me suis retourné et ai vu la porte vitrée du bureau de l'infirmière d'où provenait les parasites. L'infirmière s'était maladroitement enfermée à l'intérieur et ne parvenait plus à se libérer.

Galant homme comme vous me connaissez, héros de ces temps modernes où la technologie avance à grands pas (au risque parfois de trébucher), je suis allé avertir l'aide-soignante afin qu'elle vienne appliquer son doigt (lequel?) sur l'appareil extérieur pour reconnaissance digitale. La jeune femme a pu ainsi voir son emprisonnement cesser rapidement. Mais bien qu'elle arbore une figure souriante, j'ai bien senti qu'elle commençait déjà à être gagnée par la panique. Ce pour quoi je ne peux pas lui en vouloir, moi qui suis resté coincé dans un ascenseur pendant dix minutes qui m'ont paru les plus longues de ma vie.

A la télévision, on continuait à parler des deux héros du jour.

Les Paupières

Huit nouvelles de Yoko Ogawa, c'est un plaisir qui ne se refuse pas. Comme le suggère la quatrième de couverture, ces courts récits pourraient servir d'introduction à la lecture de son œuvre de plus en plus conséquente, en particulier de ses textes plus ambitieux, tant les thèmes qui y sont abordés sont récurrents dans ses romans.

Ainsi les personnages de la nouvelle qui donne son titre au recueil, Les Paupières, sont-ils une toute jeune fille et un homme d'âge mûr qu'elle a aidé à se relever alors qu'il était tombé dans la rue et qui l'emmène régulièrement sur une île où leurs rapports deviennent rapidement très ambigus, mélange de fétichisme et de voyeurisme. Ce thème est repris quasi exactement dans son roman Hôtel Ibis, publié en France en 2000.

L'originalité de ces nouvelles vient plutôt de leur composition, moins linéaire que celle des romans, composition qui mélange parfois les époques sans que le lecteur en soit informé et où la part de l'inconscient, toujours omniprésent dans l'ouvre de cette écrivain japonaise, est ici beaucoup plus clairement explicitée.

(Yoko Ogawa, Les Paupières. Ed. Actes Sud. Trad. de Rose-Marie Makino-Fayolle.)

mardi 28 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (21)

Une autre grande oubliée: Eva, Les Enchaînés

Regarder ailleurs

Pierre est mort il y a six ans aujourd'hui. En 2005, il faisait, en cette fin juin, la même chaleur accablante que ces jours derniers. J'y ai pensé dans la journée mais je n'ai pas pensé qu'à cela. Je suis serein maintenant. Comme diraient ceux qui utilisent si mal la langue française, j'ai "fait" mon deuil.

Je déteste cette expression. On ne "fait" pas son deuil, on le souffre d'abord, terriblement, on le supporte ensuite, on finit par l'accepter si l'on ne veut pas sombrer. Mais si peu de choses sont de l'ordre du volontaire dans ce processus! J'ai même appris par hasard que les différentes phases par lesquelles on passe et où l'on se croit seul à passer sont en fait prévisibles comme lot de chacun qui vit ces moments-là. Cela m'avait profondément choqué et irrité au moment où je l'ai su. Ça aussi, je l'ai accepté, finalement.

L'intime, ce que l'on garde au fond de soi n'est pas là. Les lettres posthumes que j'avais écrites à Pierre en Creuse m'ont beaucoup aidé à remonter la pente à un moment où elle était particulièrement difficile à gravir. Je ne les relirai pas mais je crois que, si je le faisais aujourd'hui, je n'en changerais pas un mot. Maintenant, l'appartement a changé, c'est le mien, j'ai réussi à me débarrasser de beaucoup de choses qui n'étaient que poids mort inutile, j'ai rencontré d'autres gens. Je ne vis plus dans le passé, je ne lui tourne pas le dos. Simplement, je regarde ailleurs. Et je ne mettrai pas "Ténèbres" dans les tags sur cet article.

Projets

Ce matin, c'était l'épreuve de français du brevet des collèges (à noter que je ne mets pas de majuscules tant cet examen bidon, destiné à faire croire que 90% des collégiens ont acquis le niveau requis en fin de troisième, n'en mérite pas!) que j'ai surveillé dans une salle avec une autre professeur (oui, oui, je maintiendrai cette orthographe au féminin contre vents et marées) du collège associé. L'épreuve se terminait à 12h15. A 12h10, j'ai soudain pensé que cinq minutes plus tard, j'allais être en vacances, les vraies, les grandes. Encore une fois, je ne les ai pas vu venir.

Ainsi, pendant deux mois, plus de réveil à six heures en se maudissant de s'être couché si tard la veille, plus de retour à vingt heures (après ma mère) en ne sachant plus où l'on habite, plus de copies, plus de parents grincheux à recevoir, plus de collègues pleurnicheuses ou vipérines à supporter! Je ne réalise pas encore tout à fait!

Cette année, il n'y aura pas de voyage en Creuse: la première fois depuis bien longtemps. Les amis qui me recevaient ont maintenant trois petits enfants et la famille agrandie envahit les lieux pour tout l'été. A mon avis, je peux faire une croix dessus pour les années à venir aussi.

J'ai presque envie de m'offrir, à un moment ou à un autre, un petit séjour à Paris. Je n'ai pas mis les pieds dans la capitale depuis plus de vingt ans. J'y ai encore quelques amis que je ne vois jamais. Ce serait là une belle occasion de vérifier s'ils ont autant vieilli que moi! Et puis, je me vois bien dans les rues avec mon appareil photos à la main. A étudier.

Un petit séjour en Savoie aussi, chez Émile qui me l'a proposé, et peut-être un autre dans les montagnes de la Maurienne. mais rien n'est encore fixé. La rénovation de mon appartement étant sur le point d'être terminée, ce ne sera pas le travail qui manquera pour le remettre en ordre et m'en faire un chez moi dans l'atmosphère et la décoration, s'il me reste encore quelques sous sur mon compte.

Des envies donc, et des points d'interrogation. Mais, comme je l'ai écrit dans un billet précédent, j'aime assez l'imprévu. Pour l'instant, je crois que je vais savourer mes premiers instants de liberté retrouvée, essayer d'arrêter la cigarette et de reprendre le sport qui me manque vraiment. On ne va pas me reconnaître à la rentrée avec mon corps d'athlète!

lundi 27 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (20)

L'amour de mes vingt ans.
Gribouille: Mathias

Bon, mais c'est la dernière fois !

Et c'est bien parce que c'est toi, Erin, qui me le demande. Être awardisé par cette chaleur! J'aurais préféré être ventilé, vaporisé, brumisé! Sept révélations inédites me concernant donc, si j'ai bien compris! Allons-y:

1. Lorsque j'étends une lessive, je mets toujours des pinces de la même couleur pour un linge. Je n'ai jamais compris pourquoi! Ce n'est pas pour une raison esthétique, plutôt mathématique.

2. Je ne dévie pas facilement de ma trajectoire lorsque je marche sur un trottoir, surtout si c'est un jeune qui vient en face (les vieux, c'est plus fragile, je m'écarte). Non parce que j'estime forcément avoir la priorité vu mon âge mais plutôt pour voir la réaction de l'autre lorsqu'il me découvre. Cela va de l'excuse à moi adressée, et retournée en réponse, au carambolage en règle.

3. Je n'aime pas les poignées de mains molles, d'autant plus si elles sont moites de surcroît. Le caractère des gens qui les pratique ne me convient pas. Attention: je ne demande pas non plus que l'on me broie les phalanges dans un étau, comme le faisait par jeu l'ancien cuisinier de mon collège.

4. Seules m'intéressent à prendre les photos qui n'ont pas de but précis. Ainsi, je déteste les photos de famille. Ce qui me plaît, ce sont les objets ou plutôt des détails d'objets que l'on ne reconnaît guère ensuite. Parce que leur forme me parle, ou leur couleur ou le jeu de la lumière sur leurs reliefs.

5. Je ne supporte pas les gens qui considèrent que l'on DOIT faire telle ou telle chose à tel âge et NE PAS FAIRE telle ou telle autre à tel autre âge ou dans telle ou telle circonstance. Où est donc inscrit ce sacrosaint calendrier de ce qui est permis quand on est jeune et ne l'est plus ensuite?

6.Je n'ai jamais programmé de longue date les périples de mes vacances, sauf force majeure comme la réservation d'une place en avion par exemple. Je préfère l'imprévu, la pulsion du moment. Comme je privilégie les régions où l'on ne risque pas trop de se retrouver face aux hordes de touristes en shorts et tongs qui fleurent bon l'huile solaire à la noix de coco (beurk!), je ne me suis jamais trouvé pris au dépourvu.

7. Si je recommençais ma vie, je me rebellerais encore plus tôt contre les gens qui ont cru longtemps que j'étais un enfant calme et très sage et qui ont fini par me le faire croire à moi-même. C'est pour cette raison que, dans mon métier d'enseignant, j'ai toujours pris garde à ne jamais enfermer un enfant dans un rôle immuable, même si le gamin semblait y être à l'aise.

Pas de noms pour poursuivre cette chaîne mais si ça dit à certains....

dimanche 26 juin 2011

Étranger

Le cimetière est en pente, raide comme le sont tous les prés de ce coin de Loire où j'ai vécu enfant. D'un côté, le village que je ne reconnais plus, tant la ville proche a envahi les lieux de ses immeubles vite construits et de ses villas immondes. De l'autre, conservée intacte, la vue sur le semblant de plateau et au loin, le massif du Pilat, proche et lointain, qui barre les deux vallées presque parallèles, du Gier et du Rhône. Dans mon pays, pas de lignes de vignes ni de majesté fluviale, seulement les prés ponctués de grandes fermes tristes et alanguies, les bois de sapins et les sommets dénudés que recouvre la neige en hiver. J'en aime la douce sauvagerie .

Le soleil tape fort, autant que le vent souffle, glacial, dans les mois les plus sombres. Le cimetière est désert, même de lézards sur les marbres prétentieux. Pourquoi faut-il, chaque fois que j'y pénètre, que me viennent tout de suite à l'esprit les premières pages de l'Étranger de Camus, comme si, aujourd'hui, adulte, je ne pouvais dissocier ce début de roman de l'enterrement de ma grand-mère maternelle quand je n'avais que huit ans?

Les fleurs sont desséchées et la terre boit goulûment l'eau du grand récipient en plastique blanc (un ancien bidon de lessive liquide dont on trouve là des dizaines aux abords des points d'eau) que je vide sur elles. Seul un splendide hortensia rose prospère, au nord, le long du mur d'enceinte qui vient mourir contre le sombre tombeau d'un baronnet local. A droite, il y a mon géniteur et ma grand-mère paternelle, à gauche le père qui m'a élevé, ma grand-mère maternelle et ma sœur. J'ai cru longtemps que ce serait là, face aux montagnes et aux vallées, que mes os tomberaient en poussière. Ce ne sera pas le cas. La ville m'a avalé moi aussi.

Deux parmi les gens

C'est bien lui, encore vivant dans la banlieue de Lyon, le Père Grandet, tel que je me le suis imaginé dans mon adolescence alors que j'essayais de lire le seul roman de Balzac que je ne suis jamais parvenu à terminer. Un ancien militaire tel qu'on ne les imagine pas: trois pommes un peu asséchées par l'âge dominées par un nez aquilin qui lui fait un profil de médaille antique. Il nous avait invités hier soir, à dix, dans son jardin que vient enlaidir une piscine à l'eau verdâtre où, pour rien au monde, je ne tremperais les pieds. Il s'est pourtant fendu, le vieux rat, cette fois-ci, pas comme pour le repas précédent, pris à l'intérieur et gâché par un récital de piano qui n'en finissait pas et digne des balbutiements d'un apprenti peu doué. Je craignais le pire (n'est-ce pas, dans mon tempérament, le digne héritage de ma mère?), il ne vint pas. Au final, si l'on excepte un malaise vagal de sa (presque) compagne à l'apéritif, une soirée agréable dans la moindre touffeur des hauteurs lyonnaises.

Et elle, à qui ressemble-t-elle maintenant, cette cousine que je trouvais si belle autrefois et chez qui j'ai déjeuné aujourd'hui? La chaire un peu alourdie par ses soixante-dix-sept année de célibat, la voix toujours calme et sans la moindre pointe d'accent ligérien, alors qu'elle a toujours vécu à Saint-Chamond. Ma mère prétend qu'un jour, je lui aurais écrit une lettre d'amour. J'en doute. Moi, au contraire, je me souviens que ce fut la première personne à qui, enfant, je déclarais, sûr de moi, que, comme elle, je ne me marierais jamais. Fanfaronnade, transfert amoureux ou prémonition, je ne me trompais pas ce jour-là. Un appartement de vieille fille d'aujourd'hui, propre, banal, où tout objet à sa place, où les souvenirs s'entassent sur les petits bahuts et les tables basses, où les lampadaires et les poignées de porte sont dorés jusque dans le moindre de leurs enlacements baroques. Un intérieur dont je rêvais, enfant, quand nous vivions dans la maison des mines occupée par mes parents et qui, aujourd'hui, ne respire pour moi qu'ennui et immobilité. La cousine Bette? Pourquoi n'ai-je plus de modèle?

Et un peu de musique, ça vous dirait? (19)

Ce soir, une idée comme une autre. Je possède des piles de CD que je n'écoute plus que très rarement, voire jamais. Certains même, au deuxième rang, sont peut-être encore sous cellophane, ou jamais écoutés jusqu'au bout.

Alors, j'ai pioché au hasard dans les rayons de la musique classique, bien décidé à enserrer le petit objet dans ma chaîne, quel qu'il soit. Le hasard, quand on sait ma passion pour la musique religieuse, aurait pu plus mal faire: je suis tombé sur le Requiem de Saint-Saëns interprété par l'Orchestre national d'Ile de France dirigé par Jacques Mercier. Je ne garde aucun souvenir de cette œuvre. Pourtant Saint-Saëns n'est pas un musicien complètement anodin pour moi. Pierre m'avait fait découvrir il y a longtemps sa Symphonie n°3 pour orgue qui, à une époque, passa en boucle dans notre appartement. Et je ne parlerai pas de son Carnaval des Animaux, sans doute son œuvre la plus connue.

Pour les voix: le Choeur régional Vittoria (directeur artistique: Michel Piquemal), Françoise Pollet, Magali Chalmeau-Damonte, Jean-Luc Viala et Nicolas Rivenq. Pour l'orgue: Jacques Amade. Enregistrement réalisé à l'église Notre Dame du Travail, Paris, juillet 1989.

Dès les premières mesures du Kirie, on ne peut pas se tromper: on est bien chez Saint-Saëns. D'ailleurs, l'orgue, cet instrument que j'aime tant le soir et si peu le matin, fait vite son apparition au sein de cette musique romantique. Saint-Saëns, organiste à l'église de la Madeleine à Paris, voyait le développement de sa carrière bridé par cette régularité des services dus à cette paroisse. Il décida d'en démissionner en 1877. Or il se trouva que l'un de ses amis, Albert Libon, directeur général des Postes, lui légua par testament la somme de cent mille francs destinée à lui permettre de se consacrer entièrement à la composition musicale.

Une condition cependant à ce leg: Saint-Saëns devait, un an après le décès de son ami, exécuter un Requiem écrit de sa main. Or Libon mourut subitement en 1877. Saint-Saëns, en 1878, écrivit cette Messe en huit jours dans un hôtel de Berne.

samedi 25 juin 2011

Au paradis de Ra

Je viens d'apprendre la mort de Christiane Desroches-Noblecourt. A presque quatre-vingt-dix-huit ans, cette égyptologue française n'avait rien perdu de son dynamisme et de sa passion pour la vallée du Nil. Je l'ai découverte il y a quelques années en lisant son ouvrage La Grande Nubiade consacré au sauvetage des temples d'Abou-Simbel menacés d'engloutissement par les eaux du futur barrage Nasser en 1954.

Cette femme n'avait pas hésité à l'époque à s'engager au nom de la France pour que ces temples ainsi que celui d'Amada soient préservés envers et contre tout. Pour ce dernier, elle demanda, après avoir proclamé: "La France le sauve!", un entretien avec le général de Gaulle qui, lorsqu'il apprend les paroles officielles de Desroches-Noblecourt, lui répondit sèchement:
" Comment, madame, avez-vous osé dire que la France sauverait le temple, sans avoir été habilitée par mon gouvernement ?"

Il en fallait plus pour déstabiliser cette inconditionnelle des monuments égyptiens:
" Comment, Général, avez-vous osé envoyer un appel à la radio, alors que vous n’aviez pas été habilité par Pétain ? ». Telle fut sa réponse au général qui, finalement ne l'impressionnait que fort peu. Ce dernier, dit-on, se mit alors à sourire et le temple d'Amada fut sauvé comme l'avait promis ce petit bout de femme au caractère bien trempé.

La dernière fois que je l'ai vue à la télévision, elle était, en compagnie de Jacqueline de Romilly, l'helléniste tout aussi célèbre et tout aussi âgée, l'invitée de Jean-Pierre Elkabbach pour son émission Bibliothèque Médicis en 2006. Un pur régal que cette soirée! Outre le plaisir lié à la science extrême et à l'intelligence supérieure des deux femmes, nous avions pu assister ce soir-là à une sorte de joute oratoire entre ces deux spécialistes de l'Antiquité, joute légère et passionnante qui jamais ne tomba dans la cuistrerie. A certains moments même, et parmi les plus agréables, j'ai eu l'impression de participer à une conversation de deux petites filles défendant chacune son univers, hors du monde , seules face à face avec leur immense savoir, sur le bord d'un chemin herbeux.
A six mois d'intervalle, elles sont parties toutes deux rejoindre les dieux qu'elles connaissaient si bien et qui ont accompagné leur vie. Puissent-ils en faire autant dans les ténèbres!

Pour ceux que cela intéresse, voici le lien pour revoir cette émission:
http://www.dailymotion.com/video/xg7ja8_jacqueline-de-romilly-avec-jean-pierre-elkabbach_news
Durée: 1 heure environ.

vendredi 24 juin 2011

Le bonheur est dans le punch

Lorsque je suis arrivé au repas, après le temps perdu dans les embouteillages lyonnais d'hier soir, je me suis garé au bas du parc et, en sortant de la voiture, j'ai entendu, au-dessus de la pénombre des arbres de la pente, le brouhaha de toutes ces voix humaines de gens heureux de se retrouver. J'ai un instant eu l'envie de repartir, de fuir vite cette foule qui entamait l'apéritif, de me retrouver seul, chez moi, à savourer le silence ou le cliquetis de mes doigts sur le clavier.

Pourtant, j'ai sauté dans l'arène, comme en apnée, comme pour un suicide. Des têtes d'aujourd'hui, des têtes d'autrefois, tous ces collègues assemblés dans la cour, un verre à la main, près des tables dressés en pétales de marguerite. J'ai bu du punch, vite, deux verres cul sec, pour me donner du courage, pour me réveiller de la léthargie qui m'avait envahi. Cela ne fit que m'endormir davantage.

Et puis l'un est venu pour me dire que ma chemise était belle. Un autre a remarqué que le vieillissement m'allait bien et que, s'il était peintre, il aimerait me peindre. Celui-ci a remarqué que j'avais minci et, qu'avec ma barbe et mes cheveux tout fous, j'avais l'air d'un artiste. On m'a pris par le cou pour rajouter une troisième bise aux deux conventionnelles ici, un baiser de tendresse qui m'a fait chavirer. Alors, j'ai souri, j'ai ri, j'ai bu encore un peu, beaucoup, parce que j'étais bien, enfin, au milieu de tous ces gens qui ont rempli ma vie, de ces vieux avec qui nous égrenions des souvenirs, de ces jeunes pour qui je ne suis pas tout à fait transparent, de cette faune enseignante que je hais bien souvent et dont beaucoup, hier, ont su me montrer combien ils m'aimaient.

Deux femmes

L'une a imprégné ma vie pendant plus de trente ans, m'accueillant jeune professeur perdu dans ce collège trop bourgeois pour lui où je suis resté parce qu'elle était là. Des parties de rigolades, des moments d'engueulades vite passés, jamais graves. Elle aimait me tripoter les poils des bras et en jouait avec d'autant plus d'ardeur qu'elle savait que je détestais ça. Elle m'avait donné tant de surnoms. Elle a accompagné toutes mes dizaines d'adulte, fidèlement, par ses fêtes fleuries dans sa cave voûtée. Elle ne sera pas là pour la prochaine. La plante de sa tombe a fleuri sur mon balcon, cette semaine. Elle savait des paillardes et des cantiques. Elle était vivante, à l'excès. Pour moi, elle l'est encore.

L'autre, je n'ai d'elle que sa voix, un jour, au téléphone, et ses milliers de mots que je retrouvais certains soirs en éclairant cet écran. Attachement profond qui, jamais, n'a failli. Tantôt rires, tantôt mélancolie, et tendresse toujours. Nous avions projeté de nous rencontrer là-bas, dans son Lubéron aimé qu'elle photographiait si bien. Nous aurions bavardé des auteurs que nous aimions en commun, de la même musique qui nous faisait vibrer. La mort ne l'a pas voulu.

L'un s'appelait Kikou, l'autre s'appelait Danielle. Je n'aime pas le 24 juin, je n'aime pas le mois de juin.

mercredi 22 juin 2011

Ville

Lorsque je regarde la ville de haut, j'ai toujours un petit pincement au cœur. Je cherche bien à l'éviter, à l'oublier en me disant que c'est une belle ville que la mienne, avec les toits à tuiles romaines des vieux quartiers à mes pieds, le grand vide de la place au milieu des immeubles bourgeois du centre, les allées bien tracées qui, parallèles, s'en vont vers l'est, la tâche de verdure du parc et de son lac et, tout au fond, le profil des Alpes qui, s'il est trop net, est, dit-on ici, annonciateur de pluies.

Lorsque je suis avec des amis qui ne la connaissent pas, je leur fais repérer les monuments déjà visités les jours précédents: la cathédrale au bord de la Saône, les multiples églises, le toit de l'Hôtel de Ville qui brille maintenant comme un sou neuf, l'arrondi peu gracieux de l'opéra nouveau, les pentes de la colline où l'on travaille ou la boucle du Rhône lorsqu'il comprend enfin que sa destinée est provençale.

Mais rien n'y fait: au bout d'un moment, mon regard est attiré vers le point de cette ville où je vis, où je dors, où j'aime aussi. Il me faut le trouver dans cette fourmilière de maisons et de rues, de façades blanches ou ocres. On ne voit pas mon immeuble, mais je sais qu'il est là-bas, caché par un plus haut que lui, et que c'est là que j'ai fait mon terrier.

Et alors, le pincement dans les entrailles s'accentue: que suis-je dans tout cela? Un tout petit humain perdu au milieu d'un million d'autres, que l'on ne remarque presque plus au fur et à mesure qu'il vieillit, un dont la disparition passera inaperçue le jour où elle arrivera, comme celle de tant d'autres depuis qu'un certain Munatius Plancus a eu l'idée, il y a vingt siècles, de venir s'installer là.

Il n'y a pas plus propice à l'humilité qu'une grande ville vue d'en haut.

Mais, en redescendant, l'écrasante cité inhumaine redevient ma ville. Les rues, les places, les fleuves font resurgir les souvenirs de ma vie: tel amour vécu ici, tel déception rencontrée là, un ami chez qui nous passions des soirées, dans cette rue étroite, un magasin où l'on a pris un fou rire en achetant des pantalons, un rendez-vous manqué, la beauté d'un rayon de soleil sur une façade. Peu à peu, le tissu retrouve sa trame familière.

On arrive dans son quartier, celui que l'on appelle son quartier malgré les amis qui trouvent qu'il est bien grand, ce quartier, pour n'en former qu'un. Lorsqu'on aime marcher, les distances ne sont pas celles de la géographie mais celles des chaussures. Tiens, si j'achetais du pain, il est bon dans cette boulangerie. Ma voisine, sur le trottoir d'en face, en route pour la ville (comme si ce mot-là n'était associable qu'au centre), et qui ne m'a pas vu.

Un dernier carrefour à traverser et l'on sait avec certitude combien il reste à faire, en sautillements de trotteuse au poignet, en mètres à dérouler sous ses semelles qui se sont faites plus lourdes. Si l'on osait dire le nombre de pas, on ne se tromperait guère. Le quotidien afflue. Penser à acheter des cigarettes pour ne pas avoir à redescendre. Le fleuriste n'a pas encore sorti ses bouquets sur le trottoir, il est trop tôt. C'est le jour de fermeture du primeur. La croix verte de la pharmacie n'en finit pas de se former et de se déformer. A l'intérieur, on sait qui est là, comment sont disposées les choses, l'odeur que l'on percevrait tout de suite en entrant.

Et, en traversant la rue, la dernière avant l'immeuble, son immeuble, on s'entend appeler par son nom et, avant de se retourner, on sait que l'on existe. Le cœur est calme. On est redevenu immortel.

mardi 21 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (18)

Ma fête de la musique à moi, ce soir, ce sera avec les Variations Gloldberg par Glenn Gould. Rien de mieux que Bach pour retrouver une certaine sérénité après une journée chargée, un trimestre qui s'étire, une année pesante (elles le sont de plus en plus) et un orage qui ne fait que nouer les nerfs par la chaleur rentrée. Il y a tout dans Bach: la joie, la mélancolie, le délire, et surtout, surtout, cette composition si intelligente, si mathématique, si logique dont je ne me lasse pas. Vous l'entendez? Non? Dommage!

Surprises

Ce matin, je m'attendais à la surprise des troisièmes. Arrivé dans la salle, rien, personne, silence total. On les avait lâchés plus tôt, les uns après les autres, pour éviter tout débordement aux alentours du collège. Un peu déçu, et en même temps, je ne suis pas un fanatique des au-revoir qui se prolongent.

Dans l'après-midi, j'en croise un, pourtant. Que fait-il là? Je n'en sais rien. Quand il me voit traverser la cour, il vient à moi pour me parler:

"Monsieur, avant de partir, je tiens à vous dire que je suis heureux de vous avoir eu comme professeur de latin et de français pendant ces années de collège. Vous m'avez beaucoup appris et, même si vous êtes parfois un peu trop strict, nous avons bien travaillé. Vous êtes un homme cultivé..."

Et le meilleur est pour la fin:
"...et je pense que vous êtes intelligent."
Sales gosses, va!

lundi 20 juin 2011

Choses lues

1. Un petit galet rond, bien lisse, bien doux dans la main que l'on oublie de poser sur la table de nuit avant de s'endormir. C'est une femme qui raconte la vengeance d'un chien trop chéri puis délaissé à la naissance du bébé. Avec des mots simples, distanciés par le souvenir de l'époque heureuse puis de la tragédie. Et de l'humour même, l'humour désillusionné de l'homme face au fatum en marche.

2. Une fleur séchée entre les pages d'un livre, défraîchie et pourtant intacte, dont on croit encore percevoir le parfum quand on tourne la page qui la cachait. Et le bouquet de jeunesse reprend vie, une vie faite de riens, d'attente, d'odeurs et de sons, de bonheurs si bêtes que l'on en pleure encore de les avoir perdus. Quand l'homme redevient l'enfant qu'il était regardant son grand-père dormir.

1. Un soupçon légitime, Stefan Zweig
2. Le Café de l'Excelsior, Philippe Claudel

Momentini

Il y a longtemps que je les ai délaissés. Ils me manquaient. En vrac:

- Demain, c'est ma dernière heure de cours avec les troisièmes. Pour certains, je les connais depuis la sixième. Ils m'ont dit qu'ils me préparaient un petit quelque chose, du genre de l'année dernière en fin de quatrième mais en plus travaillé. Je crains le pire! L'an dernier, c'était un défilé costumé à la mode grotesque. Je dois en avoir quelques photos qui traînent par là.

- Les travaux touchent à leur fin. Encore une bonne quinzaine sans doute. Une autre inscription de vingt ans en arrière sur le mur du salon: "Ici, piano bar". C'est Kikou qui s'était amusée comme une folle à les écrire. Dans quelques jours, ce sera le deuxième anniversaire de sa mort.

- Un petit tour dans le Jura samedi, près de Coligny. Le ciel, en quittant Lyon, nous laissait présager encore une journée de pluie. Nous avons mangé dehors! Au marché de Saint-Amour, acheté un CD de Barbara: "A l'Atelier, Bruxelles 1954". Écouté en partie dans la voiture au retour avec Frédéric. Chansons de cabaret de sa jeunesse (celle de Barbara, pas celle de Frédéric!), un peu monocordes pour les trois ou quatre que j'ai entendues. Réessayerai un autre jour.

- Après les pivoines, retour des glaïeuls sur les marchés. J'aime cette fleur populaire au nom guerrier.

- La semaine prochaine, on nous présente notre nouvelle directrice. Commentaire de la fille d'une de mes amies qui l'a eue comme enseignante: "On dirait qu'elle a un balai dans le cul". Rien pu en tirer d'autre. Ça promet!

- Après deux lectures courtes, entamé celle de Mon année dans la baie de Personne de Peter Handke. Abord plutôt ardu mais intéressant. Ne sais pourtant pas si j'aurai le courage d'aller bien loin. Ce n'est pas vraiment ce qu'il faut pour les méninges fatiguées d'un prof en fin d'année!

- Acheté une montre à ma mère pour la fête des mères, avec des chiffres bien visibles. Premier jour: aucune réaction. Deuxième jour: embrassades à n'en plus finir. Troisième jour, la phrase qui tue: "Tu sais, toi, qui me l'a offerte?"

- Appris dans le Jura la mort d'Évelyne Pages. Souvenirs des Disques d'Or ou de Stop ou encore sur RTL.

dimanche 19 juin 2011

Mon autocar et moi

Il arrivait à 7h10, été comme hiver. Je le voyais descendre la légère pente depuis le village et prendre au ralenti le virage qui contournait le pré de ma grand-mère où, plusieurs fois, des gens moins prudents s'étaient retrouvés embarqués dans la pente abrupte jusqu'au puits et à la mare. Jamais pourtant il n'y avait eu de blessés graves et l'on retrouvait parfois au matin le conducteur endormi, la tête sur le volant, en train de cuver les derniers miasmes de son vin de la veille.

Même si je ne l'avais pas vu de la fenêtre de la cuisine, j'aurais été prévenu de son arrivée par la pétarade impromptue qui venait troubler le silence de la campagne et les premiers champs des oiseaux. C'était une vieille guimbarde bleue et jaune qui fumait à chaque reprise et dont le bruit aurait réveillé le mort le plus consentant. J'avais tout le temps alors de gagner avec mon cartable l'arrêt sous l'arbre qui m'avait frôlé de sa branche basse un matin d'hiver et qui m'avait terrorisé à m'en faire dresser les cheveux sur la tête.

Le tacot assurait cinq trajets par jour, depuis le village jusqu'à la Grand' Poste de Saint-Étienne, place Grenette, deux le matin, un à midi et deux le soir, par l'un desquels je rentrais au bercail. Je le pris pendant des années pour me rendre au lycée et le rituel était toujours le même. Une fois ouverte la porte actionnée par une grande manivelle actionnée par le chauffeur et montées les quelques marches qui permettaient d'accéder jusqu'à lui, il fallait, bien que celui-ci me connaisse depuis des années, montrer sa carte d'abonnement et s'enfiler ensuite dans le couloir en prenant garde de ne pas être déséquilibré par son brusque redémarrage.

Alors, une vieille fille, toujours la même, me faisait signe de venir la rejoindre sur le siège voisin du sien, parce que, disait-elle, j'étais un petit garçon bien sage et qu'elle m'aimait mieux que ces voyous qui peuplaient l'arrière de l'engin antédiluvien. Quelques sièges, derrière, vers le milieu du car, je voyais pourtant la fille dont j'étais éperdument amoureux et auprès de qui j'aurais préféré passer la demi-heure qui nous séparait de l'arrivée. Mais il n'était pas pensable de résister à l'appel de cette vieille sèche, au chignon impeccable, qui aurait été bien estomaquée d'apprendre, un ou deux ans plus tard, à une époque où je faisais déjà semblant de ne plus la voir, les turpitudes auxquelles je me livrais dans mes rares moments de liberté.

Un jour, par hasard, je m'assis auprès d'un homme que je ne connaissais pas mais qui, lui, me connaissait bien: c'était un ami de mon père, ouvrier comme lui, qui s'en allait en ville pour je ne sais quelle raison. Il me parla de celui que je n'avais jamais connu et avec qui il avait travaillé pendant plusieurs années. J'aurais donné beaucoup pour avoir vécu, ne serait-ce qu'un instant, un seul de ces souvenirs avec celui qui m'avait donné le jour.

Au deuxième voyage, je constatai, encore un peu innocent, que son genou avait une fréquente tendance à frôler le mien d'abord, puis à le coller de façon de plus en plus insistante. Ce contact me rebuta d'abord mais la curiosité et mon désir d'adolescent furent les plus forts, et nous finîmes par nous connaître bibliquement le jour même dans un coin perdu de la ville. Ce fut la seule fois, tant, le désir passé, je me sentis mal avec moi-même et avec la terre entière. Je ne répondis plus jamais à aucun de ses appels et finis par choisir une place à côté de gens dont je supposais par avance qu'ils ne me réservaient aucune surprise.

A la belle saison, le vieux "courrier" se tirait tant bien que mal du trajet de sept kilomètres jusqu'à la poste. Mais l'hiver, nous devions faire face à de multiples avanies qui, bien souvent, me firent arriver en retard à mes premiers cours. Un jour, le car ne parvint jamais à monter la dernière côte avant d'entrer dans la ville. Était-ce l'état de la route, verglacée par endroits, la vétusté de l'engin ou l'état d'ébriété du conducteur qui en étaient responsables? Je n'en sais rien. Mais il fallut que tous les passagers descendent du tracassin et le reprennent en haut de la pente, où, après de nombreux essais, il finit par se hisser.

Une autre fois, sans que rien ne le fasse présager, il se mit à fumer, d'abord comme à son habitude, à l'extérieur, puis à l'intérieur même. A ceux des adultes qui s'en inquiétaient, le Toine, qui faisait les trajets du matin, ne répondit que par des phrases émises sur le ton le plus rogue puis carrément par des insultes. Cet homme n'avait jamais été très conciliant. Lorsque j'arrivai chez moi, ma mère, d'un œil en accent circonflexe, se mit à sentir mes vêtements et mes cheveux et j'échappai de justesse à la gifle qui partit alors qu'elle tirait sa conclusion: "Toi, tu as fumé!" (il fallut pourtant attendre plusieurs autres années pour que je prenne ce vice!).

Au début, quand la "compagnie" était florissante, il y avait également un receveur pour accompagner le chauffeur. Je me souviens encore de sa sacoche de cuir noir,aussi fendillée que les sièges sur lesquels nous étions assis, de laquelle il tirait la monnaie à rendre après avoir "édité" le billet du voyage sur un engin à plusieurs roues crantées qu'il disposait d'une certaine façon selon l'arrêt de montée et celui de descente. Celui-ci valait bien l'autre quant à l'odeur de vinasse et de tabac froid qui s'en dégageait mais, à mes yeux, sa chevelure grisonnante impeccable, lui conférait un air plus distingué.

C'est pourtant lui, qui, d'un ton peu amène, me fit remarquer, un soir d'hiver, alors que la nuit était déjà tombée, que la lampe que ma mère éclairait à l'approche de mon heure d'arrivée pour que je n'aie pas à parcourir les quelques mètres jusqu'à la maison dans le noir (il n'y avait aucun éclairage public dans ce lieu-dit à l'écart du village), que cette lampe donc aveuglait le chauffeur lorsqu'il passait devant notre ferme. Ma mère, vexée, décida alors de me confier une lampe de poche et de ne plus éclairer la route. Quelques temps plus tard (ce devait être les vacances puisque je n'étais pas dans le car), alors que nous commencions à souper, nous entendîmes quelqu'un jurer à grands cris devant notre porte fermée. C'était le chauffeur du car qui, n'y voyant plus rien, avait manqué son virage et s'était retrouvé à quelques centimètres seulement de notre maison un peu en contrebas de la route. Je crois que, ce soir-là, elle savoura sa vengeance de la façon la plus exquise pour elle et laissa le soûlard se débrouiller tout seul pour se sortir de ce mauvais pas. Par mesure de sécurité, elle nous fit cependant gagner rapidement la partie de la maison la plus éloignée de la porte d'entrée.

Aujourd'hui, des situations telles que celles dont je viens de parler, ne seraient même pas envisageables. Il y a longtemps que les deux avinés auraient perdu le droit de conduire un autocar dans l'état où ils étaient, qui plus est rempli de jeunes enfants. A l'époque, l'alcoolisme faisait partie intégrante de la vie quotidienne de ces mineurs qui tiraient de la bouteille à la fois la force de résister à la dureté de leur travail et l'illusion de vivre quelques moments heureux. La ligne n'existe plus depuis longtemps, chacun possédant une voiture et les enfants étant déposés par icelle à la porte des établissements scolaires, les deux hommes ont depuis des décennies rejoint les vignes du Seigneur où, je l'espère, ils jouissent de meilleurs crus pour leur gosier assoiffés. Il ne reste de tout cela que les souvenirs que j'en ai et sur lesquels je me suis épanché peut-être un peu trop ce soir.

vendredi 17 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (17)

Henryk Gorecki, Symphony of Sorrowful Songs (Symphonie n°3).
Rebecca Evans

Je n'arrive pas à trouver cette musique triste!

Invitation à l'accès

On lit un blog pendant longtemps, on l'aime. On y va le soir en se disant: "Tiens, de quoi va-t-il parler aujourd'hui? Sera-ce drôle, nostalgique, plein de bruits et de fureur? Il n'a rien publié aujourd'hui, il le fera demain..." Et puis un jour, sans l'avoir vu venir, on se ramasse une claque virtuelle. Non, le blog n'a pas disparu, l'auteur n'a pas cessé d'écrire. C'est pire. On tombe sur une page blanche avec en gros ces mots en gros caractères que l'on relit plusieurs fois avant d'y croire:

"Seuls les lecteurs invités ont accès à ce blog".

La porte sur le nez, fermée, hermétique! On se sent puni, puis bientôt enragé. Sans doute y a-t-il des moyens d'être invité mais je ne veux pas les connaître. Puisqu'on n'est plus désiré, eh bien tant pis, on passera son chemin! Cela ressemble à une impolitesse, une tromperie, une publicité mensongère. Je ne comprends pas que l'on en arrive là lorsque l'on écrit sur Internet. Je ne me lancerais pas dans le débat de l'exhibitionnisme des blogs: je n'ai jamais ressenti ça ainsi. Jouer sur son écran, c'est en accepter les règles, même si, pour certaines, on les découvre au fur et à mesure des mois qui passent. Alors, Messieurs les censeurs, pourquoi ne pas écrire simplement sur un petit carnet, sur un volumineux cahier, sur tout ce qu'on veut mais pour soi seul, sans faire comme ces gens qui m'horripilent qui lancent un mot censé vous appâter et, lorsqu'on fait mine de s'intéresser à ce qu'ils disent, se rétractent immédiatement avec des mines entendues, non pour ravaler leur imprudence mais pour vous amener à les questionner?

On dit ou l'on ne dit pas. Cela me semble plus sain et lorsque je suis dans une situation semblable, je passe à autre chose, laissant le quidam jouant les intéressants avec son sujet brûlant dans les mains. Et s'il se brûle, je n'en ai rien à foutre! Voilà!

jeudi 16 juin 2011

Deux façons de voir (et d'entendre) (2)

TROIS CHOEURS RELIGIEUX, ROSSINI: LA CARITA (n°3)


Orfeó Valencià Navarro Reverter, Retaule de Nadal 2007




Leslie Howard

Voix

Pour une voix, je me damnerais, je serais capable de m'avilir, de devenir esclave, de ramper aux pieds de l'être qui la possède, à condition qu'il n'en joue pas mais la fasse couler et me la laisse écouter, la laisse m'envahir, me posséder, me transpercer jusqu'au bout du voyage, jusqu'au silence qui en résonne encore.

Pas seulement les voix des théâtres lyriques (alto surtout, qui a toujours été ma tessiture préférée, celle de Kathleen Ferrier que je reconnaîtrais entre mille) mais les voix des actrices aussi (réentendu l'autre jour celle de Suzanne Flon qui me bouleverse à chaque fois, plus aujourd'hui que le croassement guttural du timbre abîmé de Jeanne Moreau). Mais les voix de la radio aussi, énonçant les appellations mystérieuses de la météo marine du soir, Marie-Pierre Planchon, ou nous montrant la voie qu'empruntera pour une heure notre humeur vagabonde, Kathhleen Evin. Mais celles de la vie aussi, celles que l'on entend dans la rue, le long d'un trottoir et sur lesquelles je ne me retourne pas pour en garder l'immatérialité. Celle d'un correspondant au téléphone, de laquelle je me suis laissé caresser quatre heures durant il y a des années pour découvrir, lorsque je l'ai rencontré, que rien d'autre ne pouvait nous rapprocher.

Elle avait le physique de sa voix, elle, la dame du TNP. Je l'avais contactée il y a deux ans pour programmer une visite scolaire. Rien n'avait pu se faire, dates indisponibles et travaux du grand théâtre. Je l'ai rencontrée hier seulement. Pas besoin de me dire que c'était elle, je l'ai reconnue silencieuse, au milieu de toutes les autres. Une femme de mon âge, plus toute jeune mais belle de ses rides et de ses années, une femme qui habillée simplement, comme une déesse en vacances, sut tout de suite ensorceler les élèves que j'ai rarement vus aussi silencieux.

Ce qu'elle leur a dit, je ne le sais pas tout. Assis dans cette salle vide, un peu à l'écart du groupe, je regardais ce corps, banal comme tous les corps émouvants, qui bougeait peu, aux mouvements feutrés, et je buvais la douceur, le phrasé de l'eau qui coule le long de berges herbeuses, frôlant les fonds d'algues vertes et sûre de s'écouler comme on est sûr de la mort, l'hésitation soudaine à choisir un mot plutôt qu'un autre parce qu'elle aussi aime les mots et ne supporte pas de les galvauder, le choc léger contre un galet avant de rebondir dans la souplesse de la limpidité.

Ce sont les femmes qui me font ça, presqu'uniquement. L'eau de leur voix qui me porte aux rêves de genèse, avant l'autre, avant la séparation.

mardi 14 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (16)

Duetto dei Gatti, Rossini.
Pauline Tinsley (pour son 80° anniversaire) et Elizabeth Vaughan.

Les Ailes du sphinx

Hier soir, j'ai eu beaucoup de mal à m'endormir: était-ce le rosé bu assez copieusement au restaurant, la musique de Wagner ou la lourde chaleur de la nuit lyonnaise? J'ai lu, plus que d'habitude, en me disant que le lendemain, je ne serais pas frais pour mes cours et les deux conseils de classe qui les suivaient. A l'heure qu'il est, ça tire un peu, mais la bête est coriace!

Cet endormissement retardé (rare chez moi) m'a permis de terminer un roman policier en train, un des nombreux qu'Andrea Camilleri consacre aux enquêtes du Commmissaire Montalbano, ainsi nommé en référence à l'auteur de polars espagnol Manuel Vázquez Montalbán dont le héros, Pepe Carvalho, partage avec l'italien son goût pour la bonne gastronomie et les moments d'humeur massacrante . Les Ailes du sphinx ne me semble pas être son meilleur mais se lit tout de même sans déplaisir.

On y retrouve son personnage fétiche dans son commissariat de la petite ville fictive de Vigata, en Sicile (en réalité Porto Empedocle), avec ses collègues habituels, Fazio, Augello et le truculent et imbécile Catarella, toujours à la recherche de la bonne prononciation d'un nom propre et dont la propension à déformer les expressions proverbiales me rappelle une ancienne collègue professeur de gymnastique dont la préférée était: "J'ai dit à cet élève qu'il fallait prendre le cheval par les cornes et se mettre au travail!".

Le texte original mêle l'italien classique au sicilien et à divers patois locaux et la traduction de Serge Quadruppani est assez fidèle, grâce à différents subterfuges (dont, dans quelques livres, le recours au parler lyonnais), à ce meli-mélo linguistique.

Un petit plaisir sans prétention donc, mais je sais que, lorsque j'ai envie d'une lecture légère sans me prendre la tête, juste pour le plaisir, je peux faire confiance à Camilleri.

(Les Ailes du sphinx, Andrea Camilleri, Fleuve noir.)

lundi 13 juin 2011

Tod und liebe

Ayant étudié Tristan et Iseult cette année avec mes cinquièmes, je ne pouvais faire moins que d'aller écouter la version de Wagner à l'opéra de Lyon ce soir. Je ne suis pas a priori un fanatique de ce compositeur allemand dont la musique me fait souvent l'effet d'un festin trop arrosé et trop copieux: on en ressort heureux mais un tantinet absent et congestionné.

Je dois dire que cette fois-ci, j'ai un peu changé d'avis, même si j'ai passé la majeure partie de l'Acte II dans les bras d'un monsieur un peu plus méridional répondant au doux nom de Morphée. La qualité des voix et surtout la beauté de la mise en scène sont pour beaucoup dans mon plaisir de ce soir. La plupart du temps, les chanteurs évoluent autour ou dans une sorte de demi-sphère évolutive, rappelant par ses escaliers improbables les décors du Métropolis de Fritz Lang.

L'éclairage, absolument époustouflant, avait l'art d'accompagner la musique et d'en souligner les moments forts, en particulier dans le dernier air d'Isolde où sa simplicité (un cercle de lumière blanche autour de la soprano et le corps de Tristan, alors que tout le reste baignait dans la pénombre) me restera sans doute longtemps marquée dans l'esprit. Le leitmotiv de cet air que l'on pressent déjà au premier acte et qui revient sans cesse dès qu'est évoqué l'amour des deux protagonistes s'épanouit alors dans une mélodie outrageusement romantique qui m'a littéralement fait me dresser sur mon siège (nous étions au dernier rang de l'orchestre, heureusement!).

Quatre heures et demie de bonheur (on ne va pas chipoter sur quelques endormissements!) entrecoupées de deux entractes où j'ai, par hasard, rencontré, avec sa mère, l'élève que j'ai renversée il y a deux ans en voiture et à qui j'ai fait, par inadvertance, une bise profondément sincère, et suivies d'un amical repas avec Frédéric et Jean-Claude dans un petit restaurant de la rue Pizay. Ce soir, je me coucherai heureux!

Distribution:

Tristan: Clifton Forbis
Isolde: Ann Petersen
Le roi Marke: Christof Fischesser
Kurwenal: Jochen Schmeckenbecher
Brangäne: Stella Grigorian
Un jeune marin/Un berger: David Danholt
Un pilote: Laurent Laberdesque

Direction musicale: Kirill Petrenko
Mise en scène: Alex Ollé La Fura dels Baus
Costumes: Nina von Mechow
Lumières: Lothar Baumgarte
Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon

La version (qui n'est pas celle de ce soir) de la mezzo-soprano Waltraud Meier:

dimanche 12 juin 2011

Lessive

Une autre odeur qui me revient de mon enfance est celle des jours de lessive, quand nous habitions à la campagne. La grande corbeille de linge sale apparaissait un jour ou l'autre de la semaine et nous savions, nous les enfants, que ce jour-là, il faudrait être sage car, je ne sais pourquoi, ma mère était toujours d'une humeur massacrante lorsqu'il s'agissait de le laver.

Déjà, cette corbeille m'attirait irrésistiblement, éveillant ma curiosité enfantine devant les dessous parentaux mêlés à ceux, plus anodins, de mon frère et de mes sœurs. Un slip de mon père, un soutien-gorge de ma mère me plongeaient dans des abîmes de perplexité et je tâchais déjà d'y déceler ce qui pouvait faire la différence entre eux et nous, les gamins, à la vue de qui, en temps ordinaires, ces dessous étaient cachés.

J'aimais le bruit de la robuste machine où ma mère les enfournait bien vite avant que je n'aie pu approfondir, j'aimais l'odeur de savon qui s'en dégageait et les soubresauts qui lui prenait à certains moments de la lessive, comme si les vêtements noyés avaient entamé entre eux une sarabande diabolique. C'était une vieille machine, une sorte de coffre-fort, lourd et massif, qu'il fallait ensuite déplacer jusque devant la porte pour la vider de son eau. Enfin venait le moment que je préférais: celui de l'essorage.

Le haut de la machine était équipé de deux rouleaux de caoutchouc compact qui, lorsqu'on actionnait une manivelle, se mettaient à tourner en sens inverse l'un de l'autre et entre lesquels il fallait glisser le linge encore mouillé. Pour les petits vêtements, les mouchoirs et le serviettes, ce n'était pas trop compliqué mais, lorsque l'on en venait aux draps, il fallait veiller à les positionner correctement, sans laisser trop de plis qui risquaient, à cause de leur trop grande épaisseur, de bloquer le mécanisme. Étant l'aîné, j'étais le seul préposé à aider ma mère et, donc, le seul, à recevoir la foudre parentale en cas de difficulté. Mais ce désagréable inconvénient ne parvenait pas à gâcher en moi le plaisir éprouvé à faire tourner ces rouleaux.

Le linge était mis à sécher en hiver dans une pièce du haut de la maison que nous n'occupions, mon frère et moi, qu'à la belle saison et qui nous servait alors de chambre, l'été dans le pré qui descendait en pente prononcée jusqu'à la mare et au puits et dont nous venions de rentrer les foins coupés. Lorsque, sec, nous allions le ramasser, il sentait bon l'herbe et le soleil et abritait immanquablement des nuées de sauterelles brunes que nous jouions à capturer en évitant de toucher leurs ailes, jugés dangereuses par nos esprits de gosses.

Alors, il fallait plier ces draps et, à ce moment-là, le jeu pouvait commencer: ma mère et l'un de nous tendions bien le linge en le tenant par les deux bouts et, avant qu'il ne soit correctement replié, l'un de ceux qui avait liberté de se mouvoir, s'amusait à passer sous ce pont improvisé, ce qui était permis, ou à taper dessus du plat de la main afin de nous le faire lâcher, ce qui l'était nettement moins.

Le linge propre rejoignait ensuite la grande armoire de la chambre de mes parents et nous redevenait inaccessible jusqu'à sa prochaine utilisation. Devant la porte traînait encore pendant quelques temps les traces savonneuses de l'eau rejetée qui, avant de s'évaporer complètement, réservaient encore moult plaisirs pour mon nez à l'affut.

samedi 11 juin 2011

En odeur de Paradis

Napoléon (ou, peut-être avant lui Bonaparte) disait pouvoir, les yeux fermés, reconnaître son île de Corse rien qu'à l'odeur du maquis. Je ne sais s'il a réellement prononcé cette phrase ou s'il s'agit encore une fois d'une de ces légendes qui fleurissent autour des grands hommes disparus. Il est vrai que le maquis a une odeur facilement identifiable mais cela devient un peu plus compliqué lorsqu'il s'agit de celle d'un appartement, même s'il s'agit du sien propre.

Le mien, en ce moment, n'a plus que celles, mêlées, de la peinture, du papier peint nouvellement posé et de la poussière dans les pièces en cours de travaux. Rien de personnel, rien qui puisse m'aider à l'identifier si l'on m'y conduisait en me masquant le regard.

Je suis très sensible à ces odeurs d'intérieur lorsque je me rends chez des amis ou chez des inconnus. Elles en disent aussi long sur leur personnalité que les rangées de livres dans la bibliothèque, le style de l'ameublement ou la façon d'agencer les pièces. Je me souviens d'un jour de mon enfance où l'une de mes amies m'avait fait entrer dans la chambre de ses parents alors qu'ils étaient absents. J'en avais immédiatement éprouvé comme un vertige, dû autant à la nouveauté pour moi de l'atmosphère qu'à la consistance particulière de l'air ou au fait de me sentir là par effraction.

J'ai aussi connu un arrière grand-oncle qui vivait avec sa femme dans une petite villa au bord de la Loire, dans la plaine du Forez. J'aimais m'y rendre avec ma grand-mère (c'est lors de l'une de ces visites que j'avais découvert un papillon bleu, magnifique que, malgré l'insistance de l'aïeule, j'avais refusé d'emporter avec moi, préférant lui laisser la liberté) parce qu'ils possédaient un grand jardin, magique pour l'enfant que j'étais. J'ai le souvenir de fleurs nombreuses - était-ce des pivoines? - et d'un arbre à perruches auquel nous prélevions ses sortes de fruits d'un vert pâle pour les accrocher par le bec que formait la queue à un verre rempli d'eau où, bien vite, ils s'ouvraient pour exposer à mes yeux ébahis leur intérieur duveteux.

Ces deux vieillards étaient d'une douceur angélique et me donnaient à boire une grenadine meilleure que partout ailleurs. Ils avaient sur la tête, par temps de grosse chaleur, un grand chapeau de paille qui leur masquait le haut du visage et portaient l'un et l'autre, pour les travaux de jardinage, un ample tablier de rude toile bleue qui leur descendait jusqu'aux genoux et ceinturait leur taille d'un cordon de même couleur. Je crois que chaque fois que l'on évoque devant moi le Jardin d'Eden, c'est à ce coin de paix que je le suppose ressembler.

L'entrée de la villa était protégée du soleil et des insectes qui vrombissaient dans le jardin par un rideau de capsules soigneusement resserrées autour de lanières solides qu'il suffisait de soulever d'une main pour se retrouver dans la pénombre du corridor et dans l'intimité des lieux. Lorsque le rideau s'était refermé derrière moi, c'était comme si j'entrais dans l'antre d'un magicien des légendes anciennes. Et l'aspect des deux vieux me confortait dans le sentiment qu'ils appartenaient eux aussi à un univers féérique dont, par bonheur, j'avais la chance de pénétrer les arcanes.

Mais comment définir l'odeur qui régnait dans cette grotte mystérieuse dont les contours m'apparaissaient peu à peu, une fois mes yeux débarrassés de l'éblouissement de l'extérieur? Une odeur de frais, une odeur de sérénité, qui me caressait le corps comme un voile ténu et qui me rendait immédiatement heureux.

Il y a longtemps que ces elfes ont disparu, regagnant leur pays merveilleux. Il y a longtemps que je ne suis plus le petit garçon qui tenait fermement la main de sa grand-mère pour longer la route qui menait au paradis. Pourtant, en fermant les yeux, chaque fois que je repense à eux, je retrouve, intacts, la chaleur du soleil sur ma peau, le contact pelucheux des perruches que l'on me laissait suspendre au rebord du verre, le goût des cerises cueillies, encore chaudes de l'été, le bruit du rideau protecteur retombant dans mon dos, la chanson suraigüe des guêpes ivres de chaleur, la fraîcheur de la grande cuisine où nous déposions les trésors ramassés dans le jardin et l'odeur d'un bonheur enfantin.

Franc-parler

Entendu cet après-midi à la radio un court moment de l'émission consacrée à Paul Veyne (1), professeur au Collège de France, disciple de Raymond Aron et spécialiste de la Rome antique et tout particulièrement de Sénèque auquel il a consacré un ouvrage. L'homme est intéressant, même s'il n'a pas la bonhomie de Lucien Jerphagnon et malgré le peu de temps que j'ai consacré à l'écouter.

J'ai cependant eu le temps de l'entendre dire qu'étant de la génération nourrie de Sagan et de Sartre, il ne concevait pas les rapports humains autrement que d'égal à égal, ce qui peut-être explique la froideur de ses rapports avec Aron qui, lui, tenait, au respect de la hiérarchie. Alors, je dois bien être de cette génération-là car je n'ai jamais pu concevoir ces rapports humains d'une autre façon, y compris et surtout dans mon travail. Contrairement à certains de mes collègues, je n'ai jamais tutoyé un de mes directeurs, mais n'ai non plus jamais hésité à m'adresser à eux comme à des hommes comme moi, ni à dire simplement et sans animosité ce que je pensais de certaines propositions qu'ils faisaient.

Cette attitude indépendante m'a valu la réputation (usurpée) d'une grande gueule et parfois même d'un emmerdeur, alors qu'il ne s'agit nullement de cela. On a même essayé parfois de m'envoyer en avant comme le courageux petit soldat prêt à affronter seul le feu et la mitraille, ce à quoi j'ai mis rapidement un terme une fois que je m'en suis rendu compte.

Il me semble pourtant que cette façon d'être, franche et décontractée, est la seule susceptible de pouvoir désamorcer un certain nombre de conflits qui, dans le non-dit ou la langue de bois, risquent de s'envenimer. Quelques-uns y voient du courage alors que ce n'en est pas. Ce n'est pas non plus une question d'éducation mais de nature simplement. Je suis comme ça et, je l'avoue, assez content de l'être. Reste à savoir si la nouvelle direction qui nous arrive au collège appréciera ce franc-parler comme semblait l'apprécier notre directeur actuel!
(1) le seul ouvrage que je possède de lui: Le Pain et le cirque, Points Histoire, H 196.

jeudi 9 juin 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (15)

Germaine Montero, Ma Grand-Mère.

"Ah! que je regrette mon bras si dodu, ma jambe bien faite et le temps perdu!"

Papy fait de l'assistance

Je descends l'escalier à la récréation. Une jeune collègue, à peine arrivée d'un an, en pleurs. Avant qu'elle ait pu cacher ses larmes, j'ai parlé: "Mais qu'est-ce qui t'arrive?". Elle aurait pu m'envoyer balader, puisque je la connais encore peu (nous n'avons aucune classe en commun). Au contraire, elle me répond: elle vient d'avoir une mutation qui la rapproche de son lieu d'habitation, c'est-à-dire Saint-Étienne. "Mais c'est très bien! Tu devrais être contente!". Elle me dit que c'est dans un collège difficile de la banlieue, que les élèves y sont réputés très durs et qu'elle sait (non pas qu'elle craint) ne pas être à la hauteur.

Alors, Papy parle de ses jeunes années d'enseignant, de ses remplacements aux Minguettes, alors cité chaude de Lyon, de sa boule le matin en prenant sa voiture, des élèves difficiles. Papy raconte aussi ses années dans un lycée professionnel, des semaines qu'il fallait passer à essayer de capter la confiance des jeunes, à leur faire comprendre que non, ils n'étaient pas complètement nuls, de ce jour avant les vacances de Noêl où ils lui avaient offert un kilo de truffes au chocolat en lui disant de bien se reposer parce qu'à la rentrée, ils allaient recommencer à être infernaux (ce qui n'eut pas lieu), de ses regrets d'eux quand il avait quitter cette "racaille" pour intégrer le collège bourgeois.

Papy parle comme depuis longtemps il n'a pas parlé à une collègue. La récréation a passé comme ça, entre deux portes. A peine le temps de fumer une cigarette. Mais elle, ses larmes avaient séché et elle me souriait. Bon courage, jeune fille.

mercredi 8 juin 2011

Une fille nommée Georges

Il y a quelques temps, j'ai fait un peu de ménage dans ma liste de "blogs que je lis". Certains ont disparu principalement parce que arrêtés depuis bien longtemps. D'autres sont apparus, résultat de mes errances devant cet écran. L'un d'entre eux a pour titre A Girl called Georges, et c'est un blog tenu par une fille. Pourquoi parler de celui-ci ici, ce soir? Parce que je l'aime tout simplement.

Pourtant, une somme de choses nous séparent sans doute, Georges et moi: l'âge, le style, quelques préoccupations, quelques goûts non partagés... Et alors? Puisque ce que j'aime chez elle, c'est sa spontanéité, sa fleur de peau, ses écarts d'humeur, sa fidélité à l'enfance, ses passions, ses détestations, sa façon de dire "tu" en parlant d'elle, avec une pudeur qui me touche. Georges est une sacrée bonne femme dans son genre. Allez-y voir, vous ne serez pas déçu! D'ailleurs, j'en connais qui ont déjà trouvé l'adresse. c'est ici.

Pourquoi je fais du théâtre ?

Ce matin, c'était théâtre avec les sixièmes. Matières: anglais/français. De courtes saynètes apprises par cœur et plus ou moins mises en scène. Certains avaient même apporté quelques accessoires ou éléments de costume. Pas de quoi se pâmer devant le talent fou de ces chères têtes blondes (bien que certains, et, bien sûr, pas les meilleurs élèves, aient fait preuve d'une certaine sensibilité artistique dans leur interprétation) mais un bon moment tout de même. La semaine prochaine, nous allons découvrir avec eux les costumes du TNP, à Villeurbanne.

Alors que les enfants défilaient sur la scène, j'ai repensé tout à coup à un texte de Camus que j'avais fait étudier à mes élèves de première au tout début de ma carrière parce qu'il m'avait beaucoup plu à l'époque. Étonnant que j'ai pu l'oublier totalement entre temps et qu'il me revienne ainsi à la presque fin de cette même carrière. J'en ai retrouvé un extrait sur Internet, mais pas celui auquel je pensais dans lequel Camus, si je me souviens bien, affirmait que l'on ne peut rendre les autres heureux que si l'on est soi-même heureux.

Le voici tel quel et même si la brièveté de cet extrait ne rend compte que d'une partie de la réflexion de son auteur, il n'est pas loin de me plaire aussi.

Le théâtre est mon couvent.

L’agitation du monde meurt au pied de ses murs et à l’intérieur de l’enceinte sacrée, pendant deux mois, voués à une seule méditation, tournés vers un seul but, une communauté de moines travailleurs, arrachés au siècle, préparent l’office qui sera célébré un soir pour la première fois. Pour moi, en tout cas, le théâtre m’offre la commu­nauté dont j’ai besoin, les servitudes matérielles et les limitations dont tout homme et tout esprit ont besoin. Dans la solitude, l’artiste règne, mais sur le vide. Au théâtre, il ne peut régner. Ce qu’il veut faire dépend des autres. Le metteur en scène a besoin de l’acteur qui a besoin de lui. Cette dépendance mutuelle, quand elle est reconnue avec l’humilité et la bonne humeur qui conviennent, fonde la solidarité du métier et donne un corps à la camaraderie de tous les jours. Ici, nous sommes tous liés les uns aux autres sans que chacun cesse d’être libre…

…Les communautés de bâtisseurs, les ateliers collectifs de peinture à la Renaissance ont dû connaître la sorte d’exaltation qu’éprouvent ceux qui travaillent à un grand spectacle. Encore faut-il ajouter que les monuments demeurent, tandis que le spectacle passe et qu’il est dès lors d’autant plus aimé de ses ouvriers qu’il doit mourir un jour. Pour moi je n’ai connu que dans le sport d’équipe, au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagne les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités.

Pourquoi je fais du théâtre. Albert Camus.

mardi 7 juin 2011

Trop, c'est trop !

C'est parti: les kilos de spécimens scolaires envoyés par les éditeurs pour tenter d'appâter le prof naïf arrivent doucement. Encore des trucs pour lesquels il faudra trouver une place dans la bibliothèque de travail. A moins que... Mais non, je ne pourrai pas.... Une idée m'a traversé l'esprit aujourd'hui: et si je m'en débarrassais dès maintenant? Après tout, comme dit Ferrat, j'attends que l'heure de la retraite sonne. Alors pourquoi garder tout ça? Ces messieurs de Paris croient-ils que les établissements scolaires ont suffisamment d'argent pour changer tous les manuels tous les quatre ans? Autrefois, je les feuilletais attentivement, à la recherche de nouvelles idées pédagogiques. Il y a longtemps que ce virus m'a lâché! Et puis, "nihil novi sub sole": on prend les mêmes, à peu de choses près, et on recommence! Alors à quoi bon?

Tiens, par exemple, j'ai reçu ces derniers jours mon dixième Médecin malgré lui (avec fichier pédagogique, bien sûr), mon vingtième Fourberies de Scapin, mon xième Avare. De quoi me dégoûter à tout jamais de Molière. Quant au Chevalier au lion, j'en possède (possédais, car je m'en suis débarrassé) jusqu'à plus soif. Je crois que mon plus grand plaisir, dans quelques temps, sera de vider tout ça (sans oublier les classeurs de cours qui ne resteront pas un jour de plus).

Silence

Aujourd'hui, il faut bien que je me rende à l'évidence: il y a certains auteurs japonais que je n'aime pas. Je croyais être un fervent lecteur de tout ce qui se publie et s'est publié dans ce pays, mais non. Déjà, le doute s'était installé avec Mishima: malgré plusieurs tentatives (romans lus entièrement), je n'ai jamais vraiment réussi à accrocher avec cet écrivain. Or, je viens de terminer Silence de Shûsaku Endô et il m'a fallu un peu de courage pour parvenir à la dernière page.

Pourtant, cela avait bien commencé: ce missionnaire portugais qui part au pays du soleil levant sur les traces d'un compatriote qui aurait apostasié sa religion, j'en ai suivi avec intérêt le départ du Portugal et les premiers pas en terre inconnue. Toute la première partie est passionnante, tant que dure la vie cachée de cet évangélisateur risquant à tout moment de se faire arrêter suite à l'édit d'expulsion formulé par le shogun en 1614.

Mais , dès que cette arrestation est effective et que commence le long travail de sape des autorités nippones pour que Sébastien Rodrigues renie à son tour sa religion, l'intérêt s'estompe rapidement. D'un roman par lettres, on passe à un récit narratif classique et les événements deviennent alors trop prévisibles, presque inéluctables. Le seul point positif que j'en ai retiré, c'est l'éclairage, nouveau pour moi, de cette période de l'histoire du Japon que je suis loin de connaître.

J'en conclus, peut-être encore une fois trop rapidement, que c'est surtout la littérature contemporaine de ce pays qui me touche, à part toute l'œuvre de Yasunari Kawabata bien entendu.

(Shûsaku Endô, Silence. Ed. Folio n°5140. Trad de l'anglais de Henriette Guex-Rolle)

lundi 6 juin 2011

Retours

Se retrouver chez soi après quelques jours d'absence est toujours pour moi un moment d'une intensité particulière. Bien sûr, je suis content de réintégrer mes pénates mais j'éprouve en même temps une impression bizarre: comme si j'étais un intrus entrant par effraction dans l'appartement de quelqu'un d'autre. Cela ne dure que quelques secondes mais se produit à chacun de mes retours. Comme si les objets s'étaient faits à mon absence et qu'ils avaient poursuivi leur vie propre, sans moi. Je les imagine s'ébrouant comme des chiens mouillés dès que le verrou est tiré, changeant de place, se regroupant par affinité, se lançant dans des sarabandes qui ne cesseront qu'à l'approche de mon pas dans l'escalier pour retrouver bien sagement leur place initiale.

Ce livre était-il sur cette table à mon départ? On dirait que cette pièce s'est agrandie! Tiens, j'avais laissé ce mouchoir propre sur la commode sans le ranger? Les objets qui traînent rappellent les instants d'avant l'absence. Oui, bien sûr, j'ai fait ci ou ça avant de partir, je m'en souviens parfaitement. Impression de revenir en arrière, comme si les quelques jours passés ailleurs n'avaient pas existé, ou plutôt comme s'ils pouvaient recommencer, simplement en fermant la porte et en rejoignant la voiture qui m'attend dans la rue. Impression que tout est rejouable, à l'identique ou différemment. Lorsque j'ai vidé et lavé ce cendrier, je n'avais pas encore vécu ce repas, cette soirée, je n'avais découvert ce site, je n'avais pas eu cette conversation....

Un peu comme lorsque, adulte, on se penche sur ses années d'enfance. La même chose et pas tout à fait la même aussi.

Que d'eau, que d'eau !

Mac Mahon aurait pu ressortir sa phrase fameuse lors de ce pont dans le sud que nous venons de passer, Jean-Claude, Frédéric et moi. Un pont dans l'année et il faut qu'il pleuve juste à ce moment-là! Et pas du petit arrosage temporaire, non. Des journées grises, sinistres, sauf le vendredi, un peu moins gris et presque sans pluie que nous avons mis à profit pour aller faire un tour à Saint-Guilhem le Désert. Moi qui étais décidé à me baigner! Ce fut siestes prolongées, Roland Garros à la télévision, des trombes pendant le marché au Grau du Roi, petites promenades digestives à la Grande-Motte déserte, et hier après-midi, enfin, un peu de soleil pour revoir Aigues-Mortes.

Côté gastronomie, beaucoup mieux avec trois temps forts: un bon repas concocté par Lancelot et Tinours, une soirée elle aussi bien arrosée (mais au champagne!) à la Maison de la Lozère à Montpellier et un bon plateau de fruits de mer après le marché du Grau. Quant aux trajets: rafales en tempête à l'aller et six heures pour rentrer à Lyon hier soir alors qu'il en faut à peine trois en temps ordinaire!
Et ce matin, mon premier cours avec les sixièmes était consacré au..... Déluge! Et on dira que je ne suis pas l'actualité!