jeudi 30 septembre 2010

Pensée du jour

Il y a des gens qui attrapent la mode comme on attrape des boutons. Et c'est tout aussi laid. Je les laisse se gratter.

mercredi 29 septembre 2010

Bacalao

Bacalao, cela veut dire morue en portugais. Étrange titre pour ce premier roman de Nicolas Cano, surtout quand on sait qu'il raconte une histoire d'amour. Amour peut-être à sens unique d'un professeur de français en lycée pour l'un de ses élèves que sa fascination transforme vite en dieu vivant.

L'élève, un jeune adulte de dix-sept ans, est provoquant, même parfois sans le savoir, et c'est lui qui fera le premier pas sur le versant du sexe. Le professeur, homme d'une bonne quarantaine assez peu entretenue, se laisse sombrer dans cette passion en s'y abandonnant totalement, acceptant d'abdiquer sa personnalité et son amour-propre pour celui qu'il ne peut voir sans trembler de passion.

Le roman se passe dans un premier temps à Lyon, puis à Madère. J'ai été gêné dans la lecture de la première partie par une trop grande proximité du personnage de Vincent avec moi-même (je ne parle pas de l'attrait pour les élèves, dont, jusqu'à ce jour, j'ai su me préserver) et ce dans la ville où j'habite. Chaque lieu évoqué me parlait, chaque itinéraire, quelques situations dans le monde de l'éducation également. Je n'ai réellement pu me laisser aller que dans la deuxième partie, ne connaissant pas cette ile portugaise.

Et j'y ai éprouvé un plaisir doux, subtile, qui m'a parfois rappelé Sagan dans ses moments de légèreté grave. Ce roman est un roman d'amour impossible sous-tendu par les références constantes à La Princesse de Clèves. Mais il est intéressant de citer aussi l'autre roman que l'on évoque souvent dans ces pages: Le Vieil Homme et la mer, d'Hémingway, ce roman de victoire dans la défaite. Car qu'est-ce d'autre, dans Bacalao, qui, en cela, louche vers Mort à Venise que l'acceptation de la déchéance pour vivre un amour unique?

La nature d'Ayrton, son attitude, son désir avec ses manifestations fortuites condamnaient Vincent à attendre son bon plaisir. Depuis la première fois, ses faveurs s'étaient succédé de manière aléatoire. (...) Peu importait car Vincent l'aimait. Il l'aimait depuis le début, depuis la première minute. Il avait passé la majeure partie de sa vie d'adulte à attendre cet amour-là. Il savait désormais qu'il n'avait jamais aimé quelqu'un de cette manière. Il n'aurait pas su mesurer ni quantifier, il était juste capable du geste que font les enfants en écartant les deux mains quand ils veulent mesurer l'amour qu'ils éprouvent pour leur mère.
Bacalao, Nicolas Cano, arléa.

mardi 28 septembre 2010

Chez moi

Il me vient parfois des envies d'Italie, de voyages, de rencontres. Échanger quelques mots, au détour d'un musée, sur l'Annonciation d'un primitif italien que vient dorer le soleil à travers le rideau de lin de la haute fenêtre qui donne sur la place du Dôme et sa fontaine. Regarder, amusé, en s'humectant les lèvres de son espresso, celles de l'homme à la table voisine dont le bas des moustaches accroche encore la mousse du cappuccino englouti. S'émerveiller de la beauté des filles, au dos des vespas et penser à Hepburn quand elle serrait la taille de Peck dans le soleil de l'été romain. Découvrir, au bas d'une colonne, la grasse plante d'acanthe, comme un reflet vernissé de celle qui là-haut contemple aujourd'hui le ciel. Voir fuir, à son approche, les chats du Palatin ou le vol de pigeons au carillon des cloches du Trastevere. Regarder le soir s'embraser et les milliers d'oiseaux tournoyer dans l'or du crépuscule. Se dire qu'il doit faire bon, tout au sommet du palazzo, sur ce petit balcon où pendent trois chemises et qu'éclaire la clématite pour un instant encore. Découper dans la pénombre la silhouette du pin maritime où ont cessé de bruire les cigales et se dire qu'il doit faire bon mourir sur cette terre, là où même Dieu est élégant.

Callas

Sur mon bureau, depuis bientôt un mois, il y a un bouquet de callas blancs. Le même bouquet de callas depuis quatre semaines. Au départ, ils étaient cinq, ces sortes de petits arums qui ont l'air si fragiles. L'un d'entre eux a très vite baissé la tête sur une tige qui, trop imbibée de liquide, ne le soutenait plus. Les autres sont toujours là, avec un fond d'eau, intacts, ni flétris, ni penchés vers la table, ni ternis. Je ne pensais pas que c'était possible. J'en ai acheté cinq autres, mis dans la cuisine, pour voir.
Pardon d'avance à tous ceux, voyageurs du net, qui arriveront ici en croyant y trouver quelques mots sur Maria!

lundi 27 septembre 2010

Début d'automne

Ciel gris et bas, froid à cause d'un vent du nord qui vient parfois former des vagues sur le Rhône. La ville sous ce temps moche. Gambetta me semble peu à peu perdre son âme, cette sorte de métissage entre vieux commerces un peu guindés ( Au Gant grenoblois, Au Trousseau modèle) et étals exotiques proposant riz d'orient ou sari coloré. Les boutiques de téléphones portables envahissent tout, avec déblocage proposé (et même devis pour déblocage), et devantures immondes, aux couleurs criardes sans aucun attrait.

La foule n'y était pas nombreuse cet après-midi. J'y marchais lentement, volontairement, pour ne pas céder à la tentation du citadin. Rien ne me pressait. Je voulais voir le Rhône sous ce temps de pluie et poursuivre jusqu'à Decitre, à Bellecour, pour éventuellement l'achat de quelques livres.

La place est décidément bien laide aujourd'hui. Les grands arbres ont été coupés et le temps que ceux qui les ont remplacés aient atteint la même taille, je n'aurais sans doute plus mal aux dents. Les grilles d'aération du métro s'effondrent par endroit, les jets d'eau et leurs bassins ne sont plus qu'un lointain souvenir, des barrières de sécurité y traînent maintenant sans cesse tant les manifestations, plus ou moins intéressantes, y sont diverses et nombreuses. Si j'étais un touriste étranger, que penserais-je (irréel du présent!) de ce quasi terrain vague au milieu duquel la statue équestre de Louis XIV par Lemot (statue que les lyonnais appellent habituellement Le Cheval de bronze, faisant ainsi l'économie de son royal cavalier) se prête sans broncher aux manies des photographes asiatiques et aux rendez-vous des hordes de bizutés de l'automne?

Acheté deux romans, alors qu'à l'extérieur de la librairie il pleuvait à verse: Le vieil Homme et la mer (Hemingway) et Le Fusil de chasse (Inoué). Ceux qui sont responsables de ces achats se reconnaîtront!

dimanche 26 septembre 2010

Cocorico bis

Et encore plus fort, le cocorico! Vous savez ce qu'est un derby? C'était hier soir le 100° entre les deux grandes rivales: Lyon et Saint-Étienne. Gagné par les Verts, et à Gerland en plus. On n'avait pas vu ça depuis presque vingt ans. Je ne vous raconte pas le calme qui régnait cette nuit dans les rues lyonnaises. Allez, je m'arrête sinon vous allez croire que le football m'intéresse, ce qui n'est pas le cas. Non, je suis juste stéphanois et j'habite à Lyon. Je ne peux pas vous expliquer: trop difficile à comprendre quand on n'est pas d'ici. Mais promis, je n'en parlerai plus!

Résultats de la Ligue 1 de football

1 Saint-Étienne
2 Rennes
3 Toulouse
4 Caen
5 Marseille
6 Lille
7 Brest
8 Montpellier
9 Sochaux
10 Nice
11 Paris SG
12 Monaco
13 Bordeaux
14 Lorient
15 Nancy
16 Valenciennes
17 Auxerre
18 Lens
19 Lyon
20 Arles-Avignon

Momentini

- Le droguiste de la place Saint-Louis est un commerçant à part: je crois vraiment qu'il n'a aucune intention de vendre la marchandise qui se trouve dans son magasin. En tout cas, il ne pousse pas à la consommation. Il faut vraiment insister pour qu'il vous montre un de ses articles qui se trouve sur un rayonnage, à deux mètres cinquante du sol. On a toujours l'impression d'arriver au moment où il ne faut pas. Dommage, car les drogueries de quartier se font rares. J'en ai toujours aimé l'odeur, mélange de toile cirée et d'autres fumets inclassables.

- Très heureux qu'enfin le camp du Struthof en Alsace ait appliqué, avec les autres plaques commémoratives, celle des triangles roses, les premiers à y avoir été internés, les derniers à y être honorés. 215 d'entre eux y sont morts. Il n'est plus qu'un survivant. Je suis aussi heureux pour lui.

- En farfouillant sur Internet, j'ai retrouvé un ami des années collège et lycée. Nous avons usé ensemble nos fonds de culotte à Saint-Étienne, à Claude Fauriel. Je l'aidais en version latine et grecque, il m'a fait connaître la musique classique (premier disque acheté: les trois sonates de Beethoven, Clair de Lune, Appassionata et Pathétique, chez Deutch Grammophon). Le garçon est devenu une sommité dans son domaine, ses deux domaines devrais-je dire: philosophie et Histoire de l'Art. Sur la vidéo que j'ai visionnée, je l'ai retrouvé plus de quarante ans après, vieilli, grossi, un peu dégarni et pourtant avec les mêmes cheveux frisés fous, le même sourire et la même façon de de bouger ses mains en parlant. Mon ordinateur est toujours muet mais, intérieurement, je l'ai entendu, le même. Que dirait-il, lui, s'il me retrouvait?

- Je fais moins de photos, je fais moins de vélo, je ne cours plus du tout, je marche moins dans la ville. Je ne peux pas tout faire: je grossis!

samedi 25 septembre 2010

Chasse ouverte

Se prendre en plein visage la violence du monde. ne pouvoir l'éviter, être incapable de la minimiser. Ne pas en avoir le temps avant qu'elle ne vous bouleverse. Pourquoi aujourd'hui plutôt qu'hier. pourquoi ces images, ces mots plutôt que d'autres, parfois plus cruels?

A midi, j'ai vu, à New Delhi, de jeunes policiers qui partaient à la chasse à l'homme dans les rues de la ville. L'homme, c'était un vieillard, maigre et buriné, un long bâton dans une main, une boîte de conserves métallique dans l'autre. Son tort: il mendiait. Un des policiers l'a projeté au sol et a expliqué ce qu'il faisait à la caméra, un sourire carnassier de vainqueur aux lèvres: on lui avait donné l'ordre de débarrasser la ville de tous ces trop nombreux mendiants, il obéissait aux ordres. Pas seulement: apparemment, il y prenait un grand plaisir.

Dans un sursaut de désespoir, le vieillard a tenté de fuir en se mettant à courir sur ses maigres jambes au milieu de la circulation. On l'a à nouveau plaqué au sol puis mené dans un bus qui tenait lieu de tribunal itinérant. Il avait pris l'attitude de l'orant, les deux mains jointes tendues vers son chasseur, aussi dérisoire qu'un lapin qui demanderait grâce à un fusil. Dans le bus, un juge enturbanné, l'air guilleret et les mains manucurées, dans un costume civil sombre. Pas d'avocat: l'homme de "justice" explique que la vidéo prise avant et pendant l'arrestation du vieillard tient lieu de preuve incontestable.

L'homme applique son pouce trempé dans l'encre sur un papier "officiel" et est immédiatement condamné à un an d'internement dans un camp spécialement réservé à tous ces hommes ramassés au coin des rues. Plusieurs centaines, désœuvrés, qui attendent que leur peine soit écoulée avant de sortir. S'ils récidivent, ils écoperont de trois ans. Et que peuvent-ils faire d'autre?

Vrais pauvres ou faux mendiants, comme il en est aussi chez nous, comment faire la différence? Est- ce cela, l'essentiel? Je n'ai pas l'angélisme chevillé au corps. Il en est sans doute parmi eux qui, comme on le disait autrefois, ne valent pas la corde pour les pendre. Mais peu m'importe. Ce qui m'a choqué, blessé même, c'est cette chasse à l'homme comme à un animal que l'on est sûr de prendre, ce déni de toute dignité, de tout respect, ce sourire triomphant du jeune devant le corps décharné du vieux. Tout ceci a l'air d'un jeu totalement déshumanisé, où les plus forts s'amusent beaucoup. Et malheur aux vaincus. Plus la peine de se déplacer pour aller dans un ciné club revoir Les Chasses du Comte Zaroff: vous l'avez en direct aux informations à la télévision, juste après le repas, sur la digestion.

vendredi 24 septembre 2010

Shirobamba

Shirobamba, du japonais Yasushi Inoué, est un livre doux, un livre sur lequel on aime s'endormir, non que l'on s'ennuie mais parce que l'on est bien.

C'était pendant la quatrième ou cinquième année de l'ère Taishô, il y a environ quarante ans. les enfants avaient l'habitude, le soir, de courir çà et là sur la routr du village en criant "Les shirobamba! les shirobamba!" Ils poursuivaient ces petites bêtes blanches qui flottaient comme des flocons d'ouate dans le ciel commençant à se teinter des couleurs du crépuscule.
(Trad. de Rose-marie Fayolle avec la collaboration d'Anne Rabinovitvch.)

Ce sont les premières lignes de ce roman, reprises en quatrième de couverture et pour une fois bien choisies. Shirobamba est le roman d'un de ces enfants,Kôsaku, élevé par une de ses grand-mères, Grand-mère Onui dans un petit et humble dozô (maison en terre, à l'épreuve du feu) dans le même village qu'habite le reste de la famille, mais dans la maison haute, la maison noble.

Kôsaku rend parfois visite à ceux du haut ou à ses parents, dans une autre ville, mais ce n'est que dans son dozô et avec Grand-mère Onui, en fait l'ancienne maîtresse de son arrière-grand-père, qu'il veut vivre. La vie quotidienne d'un enfant du Japon, face aux maîtres d'école, face aux complexités d'une famille éclatée, face à la découverte encore bien innocente des plaisirs sensuels. Écrit dans une langue classique et dans un style épuré, ce romande 1962 ne ressemble pas au reste de la littérature japonaise que je connais par mes lectures. Il est, je l'ai dit au début de ce billet, doux, et sain. Et dire qu'il m'a touché n'est pas mentir. Moi qui est vécu jusqu'à l'âge de huit ans avec ma grand-mère maternelle, je me retrouvais en quelque sorte en univers connu.

jeudi 23 septembre 2010

Cocorico

Classement de la ligue 1 de football:

1 Saint-Étienne
2 Toulouse
3 Rennes
4 Caen
5 Sochaux
6 Lille
7 Nice
8 Marseille
9 Paris SG
10 Monaco
11 Brest
12 Montpellier
13 Bordeaux
14 Valenciennes
15 Nancy
16 Lorient
17 Lyon
18 Lens
19 Auxerre
20 Arles-Avignon

Non, non, ne fuyez pas, vous êtes bien toujours chez moi. Ce n'est pas que ça m'intéresse vraiment mais ça fait tout de même près de trente ans que l'on n'avait pas vu ça! Alors, au cas où ça ne durerait pas!

Petit moment de cuistrerie, pour ceux que ça intéresse

La langue française, par ailleurs et quoiqu'en disent certains d'une grande richesse de vocabulaire, de sonorités et d'adaptabilité, a parfois de légères faiblesses pour rendre clairement quelques nuances, en particulier si on la compare au latin.

Prenons par exemple le cas de l'expression de la condition dans les deux langues. (Je précise que, si vous souffrez en ce moment, c'est la faute à Karagar!):
- la première façon de la marquer s'appelle l'éventuel (indicatif dans les deux propositions en français, idem en latin).
Ex: S'il faisait beau, nous allions au bord de la mer.
- l'autre nuance où les deux langues se rejoignent est l'irréel du passé: la condition exprimée ne s'est pas réalisée dans le passé. ( indicatif plus-que-parfait+ conditionnel passé en français, deux subjonctifs plus-que-parfaits en latin) Notons que le latin est ici tout de même plus simple que le français.
Ex: S'il avait fait beau, nous serions allés au bord de la mer.
C'est ensuite que les choses se gâtent pour notre bonne vieille langue nationale:
où le latin marque deux nuances, le français, qui les perçoit aussi, ne les rend pas clairement et les juxtapose même.
- le potentiel indique que la condition peut se réaliser un jour. (Indicatif imparfait+ conditionnel présent en français, deux subjonctifs présents en latin, encore une fois plus logique).
Ex: S'il faisait beau, nous irions au bord de la mer (sous-entendu: et cela est bien possible à un moment ou à un autre car, comme le dit mon grand philosophe d'ami Jean-Claude: "Il fait toujours beau quelque part!")
- l'irréel du présent indique que la condition n'est pas remplie en ce moment (Indicatif imparfait+ conditionnel présent en français, deux subjonctifs imparfait en latin).
Ex: S'il faisait beau, nous irions au bord de la mer (sous-entendu: mais il ne fait pas beau.)

Ainsi, dans ces deux derniers cas, là où le latin exprime les nuances différemment, le français ne peut être clair sans recourir au contexte qui, parfois, n'aide guère.
Merci, Karagar, de m'avoir fourni l'occasion de mon premier cours sur écran!!! Et pardon pour les autres: promis, je ne recommencerai plus. Enfin, sauf si vous insistez!

Si j'étais. Eux.

Aucun n'a choisi l'irréel du passé: ce qui ne s'est pas passé autrefois et ce que cette non-réalité implique dans l'aujourd'hui, cela ne les touche pas encore. Heureux êtres en plein devenir. Ils ont opté pour le potentiel, ce qui demain peut être, ce qu'ils voudraient en faire, ce qu'ils sont sûrs d'en faire.

Eux, ce sont elles, deux filles dont j'ai demandé les textes.

Si j'étais dans ton corps, je voudrais être la larme que tu pleures, pour naître dans le bleu de tes yeux, vivre sur tes joues roses et mourir sur tes lèvres rouges. Et te dire que la vie continue.

Si j'étais astronaute, je sculpterais la lune. Ainsi, quand arrivera l'éclipse totale, le soleil dessinera dans le ciel un visage qui nous est à tous inconnu.

mercredi 22 septembre 2010

Phénicie ....aussi

Ce matin, partage du cours de sixième avec Stéphane. Je ne sais pas lui mais moi, j'en éprouve toujours autant de plaisir. Pas de prise de tête dans l'attribution du temps de parole, une grande complicité et beaucoup de similitudes de vue dans la façon d'exercer notre métier, je pense.

De quoi s'agissait-il? De la Communication, de ce qu'il faut pour qu'elle existe, de ce qu'on doit éviter de peur qu'elle ne s'interrompe et des différents supports qu'elle peut emprunter. Dont, bien sûr, l'écriture. Alors, forcément, nous avons parlé des hiéroglyphes, de l'alphabet grec et de l'écriture cunéiforme, du boustrophédon aussi (qui connaît?) et des langages codés.

Nous avons donc un moment voyagé dans le temps et dans l'espace, de l'Antiquité à nos jours, sous les cieux de Grèce, d'Égypte...... et de Phénicie.... aussi!

Si j'étais

Mes élèves de cinquième avaient beaucoup de travail en français pour demain, jour de contrôle. Il faut dire que le jeudi, ils doivent me supporter pendant deux heures et demi auxquelles il faut rajouter une heure pour les latinistes. Pourtant, bien qu'un peu juste dans le bouclage de mon programme, j'ai tenu à garder l'heure de module écriture. Une sorte de respiration un peu plus décontractée, un petit moment de plaisir, enfin j'espère.

Pour ne pas les alourdir trop, j'ai seulement demandé un petit texte, deux ou trois phrases tout au plus, commençant par "Si j'étais....". En donnant cette contrainte, je me suis dit que c'était là d'une grande banalité, un peu comme raconter ses vacances d'été à la première rédaction de l'année ( en passant, je peux vous certifier qu'aucun professeur de français ne donne ce sujet. Pure caricature!). A combien de rêves de métiers convoités vais-je avoir droit, du style pompier ou esthéticienne devenus, avec deux ou trois ans de plus, avocate ou vétérinaire?

Je ne pourrais m'en plaindre, le sujet s'y prêtant. Pourtant, je suis sûr qu'il y aura, rarement, autre chose. Si deux ou trois continuent dans la lignée de leur premier texte, c'est absolument certain. J'espère seulement ne pas trouver la proposition tournée dans un tout autre sens, non vers l'avenir et les rêves de gosse mais vers un passé plus noir et pas encore neutralisé que, peut-être, l'un ou l'autre d'entre eux, traîne déjà derrière lui: "Si j'étais arrivé plus tôt, Ludovic ne serait pas mort...". Mais pourquoi ai-je de telles idées, moi?

mardi 21 septembre 2010

Je vois, je vois....

C'est la troisième ou quatrième fois que cela m'arrive dans ma vie. La toute première, c'était lors de mon entrée en sixième: la nuit qui avait précédé, j'avais en rêve clairement vu la salle de classe et l'enseignant qui nous accueillit ce jour-là, celui qui devait me marquer durablement et être à l'origine de mon choix de carrière. Une autre fois, ce fut pour l'accident de voiture d'un ami: tout était exact dans le rêve que j'en fis la veille, à l'exception du nombre de roues détériorées.

Et voilà qu'encore une fois, un de mes rêves se révèle prémonitoire. J'avais aujourd'hui rendez-vous chez un nouvel oculiste, choisi pour la proximité de son cabinet avec mon domicile. C'est lui aussi qui avait opéré Pierre de la cataracte en 2002, mais, personnellement, je ne le connaissais pas. Il m'a aujourd'hui parut fort sympathique et surtout très compétent, me déconseillant de changer de verres pour une si légère dégradation de ma vue en trois ans.

Le rendez-vous était à 16h30. Il me faut tout au plus dix minutes pour faire le trajet nous séparant. Une heure auparavant, je me dis que j'avais encore bien le temps de corriger quelques copies. Et puis, bien sûr, à 16h je songeai à partir. Mais j'oubliai d'abord mon téléphone portable puis rouvris la porte pour rechercher l'ancienne ordonnance. Finalement, c'est presque au pas de course que je me rendis à son cabinet.

Immeuble cossu de l'Avenue de Saxe, pas très loin de mon ancien appartement. Je connais bien le quartier. Toutes ces constructions ou presque datent du début du XIX° siècle et sont à peu près sur le même modèle. Celle-ci est bourgeoise sans être ostentatoire. L'ascenseur est au fond du hall et a visiblement été surajouté après la construction. C'est sans arrière-pensée que j'appuyai sur le bouton d'appel. L'engin était déjà au rez-de-chaussée.

Lorsque j'en ouvris la porte, je découvris une cabine minuscule, très étroite et tout en profondeur. La même que dans mon rêve (avec tout de même quelques centimètres de plus, mais à peine) mais ayant pivoté de 45 degrés. La montée des trois étages me parut interminable dans ce lieu entièrement clos, et même si je n'avais l'oreille qui frôlait la paroi, je ne bénéficiais pas non plus d'une grande liberté de mouvements. Curieusement, j'étais, dans la réalité, beaucoup plus mal à l'aise que dans mon rêve.

Depuis quelque temps, une voyante extra-lucide s'est installée dans mon quartier. Ça me donne des idées tout ça, pour occuper ma future retraite.....

lundi 20 septembre 2010

Tu ou vous ?

Lors de ma dernière année d'enseignement dans le public en tant que maître-auxiliaire, j'avais à m'occuper de deux classes de seconde et d'une classe de première. Ces derniers ne m'ont laissé que peu de souvenirs: trop préoccupés par la réussite à leur bac de français, ils ne m'ont montré tout au long de l'année que le dessus de leur crâne penché sur la feuille blanche qu'il fallait à tout prix noircir au maximum. Leurs résultats furent bons, d'ailleurs. En revanche, les classes de seconde étaient, à l'époque, très intéressantes. Sortant du collège, ces étudiants n'étaient pas encore très à l'aise dans leur nouvelle position mais manifestaient une curiosité et une étonnante envie d'apprendre ce qui, jusque là, était réservé aux grands.

C'est ainsi que j'ai connu d'immenses plaisirs en leur faisant étudier Phèdre ou Bel-Ami, par exemple, ou en entendant une élève défendre vaillamment Camus dont j'avais osé attaquer L'Étranger. C'est d'ailleurs cette élève qui me fit découvrir Les Justes, du même auteur.

Parmi tous ces jeunes gens et jeunes filles, il en était une qui avait un bien bel amoureux: un grand garçon blond au regard très doux et aux gestes pleins de tendresse. Je l'avais remarqué dans le lycée: il faut dire que sa blondeur très claire attirait immanquablement les regards. Comme il venait régulièrement rejoindre sa bien-aimée à la sortie de mon cours, j'ai eu plusieurs fois le loisir de le contempler tout mon saoul.

A la fin juin, comme tout maitre-auxiliaire, je quittai mon poste et eus la chance de pouvoir, en septembre, obtenir des heures dans le privé. Quelques années plus tard, lors de la réunion de pré-rentrée, je remarquai dans les nouveaux venus un collègue de technologie, jeune et blond comme les blés. C'est seulement en entendant le principal le présenter que je compris qu'il s'agissait de l'ancien élève du lycée où j'avais travaillé. Lui, en revanche, m'avait bien sûr reconnu tout de suite. D'où ses coups d'œil incessants de mon côté pendant la réunion, coups d'œil que, bien évidemment, j'avais interprétés d'une tout autre manière, en étant presque gêné de son audace.

Bien sûr, en tant qu'ancien élève, je le tutoyai immédiatement. J'ai toujours tutoyé mes élèves, eux m'ont toujours vouvoyé. Il n'y a jamais eu de dérapage dans cette marque de respect. Mais lui, au double statut désormais, comment allait-il se débrouiller, quel choix allait-il faire: tutoyer un nouveau collègue ou vouvoyer un ancien professeur? Eh bien, il ne parvint pas pendant très longtemps à se décider. Et c'est ainsi que, au cours des deux ou trois premiers mois de notre cohabitation au collège, il s'évertua à prononcer à mon intention des phrases souvent alambiquées, voire tarabiscotées, où il réussissait à n'employer ni le "vous" ni le "tu". Mais que d'énergie déployée! Moi, en vieux sadique pervers, j'éprouvais un plaisir assez intense à le laisser s'embourber à chaque fois.

Finalement, à l'occasion des vacances de Noël, je lui lançai enfin la phrase que, visiblement, il attendait avec impatience: "Mais tu peux me tutoyer, tu sais!". Pudeur surprenante de la part d'un enseignant, mais je dois dire qu'il fut le seul de toute ma carrière et que l'autre ancienne élève que j'ai encore aujourd'hui comme collègue ne s'est jamais embarrassée de telles subtilités.

Autres détails à son actif: il aimait Boby Lapointe et prénomma sa première fille Solveig! Comment ne pas l'aimer, lui?

dimanche 19 septembre 2010

Ascenseur

Il fait soleil. L'humeur aussi est au beau. Je dois prendre cet ascenseur que je ne connais pas et j'attends sagement que la cabine, arrêtée alors haut dans les étages, descende jusqu'à moi. Lorsqu'enfin elle apparaît, un léger carillon retentit pour prévenir de sa présence. La cabine est minuscule, non pas dans le sens de la largeur car, sur cette dimension-là, elle est comme toutes les autres cabines d'ascenseur, mais dans celui de la profondeur. Autrefois aussi, dans mon ancien logement, près de la Préfecture, j'avais connu ce genre d'habitacle un peu étroit, le seul que ces immeubles très anciens permettaient d'installer sans toucher aux structures lourdes des murs. Mais jamais étroite à ce point.

Pourtant pas un seul instant, je n'hésite. Je dois (pourquoi ?) monter et je monte. La porte de métal coulissant se referme sur moi. Je ne peux me tenir que de profil, les bras collés au torse pour ne pas risquer de toucher la paroi qui commence à défiler à quelques centimètres de mon oreille gauche. Je ne sais pour quelle raison, alors que l'ascenseur est déjà en marche, je dois alors appuyer sur le bouton de l'étage à atteindre. Mais les rêves ne sont pas toujours logiques, n'est-ce pas. C'est à ce moment-là que je me rends compte que je ne peux pas effectuer le mouvement de rotation nécessaire: les boutons sont derrière moi, sur mon côté gauche, et il m'est impossible de les voir ou les toucher.

La cabine continue pourtant à monter. Étrangement, je n'éprouve aucune angoisse, malgré la paroi qui, sans raison, se rapproche parfois encore davantage de moi. C'est un peu comme si je vivais une expérience scientifique ou que quelqu'un d'autre, ayant emprunté mon apparence était à ma place coincé dans cette cabine minuscule.

Pourtant je me réveille. Il fait froid cette nuit. Il est quatre heures. Aucun bruit nulle part. Pas encore la moindre trace de lumière. Je rajoute sur mon lit l'épaisseur du peignoir de bain qui attend mon réveil sur le dos du valet et je me rendors. Il y a eu d'autres cauchemars en début de nuit, il y en aura d'autres jusqu'au matin. Mais ceux-là, je les ai publiés.

samedi 18 septembre 2010

Culture et beaux mollets

Je peux vous assurer que la culture, ça donne aussi de beaux mollets. Combien de kilomètres ai-je parcourus en cette première journée du patrimoine? L'ennui, dans tout ça, c'est que le soir on a des tas de choses à raconter et une fatigue bien pesante qui s'installe durablement.

Avant de partir ce matin, je m'étais fait une liste de sites à voir: les prioritaires, ceux auxquels je ne renoncerai pas, et les deuxièmes choix, s'il reste du temps ou en solutions de repli. Je n'ai presque pas dévié de mon projet, à l'exception, en fin de matinée, du Fort Lamothe et de la Grande Mosquée, abandonnés par manque de temps. La file d'attente devant la prison Montluc était en effet plus longue que prévu.

Car pour la première fois, ce haut lieu de l'histoire de la dernière guerre mondiale s'ouvrait au public. Les locaux où passèrent successivement Jean Moulin, René Laynaud, Marc Bloch, les écoliers d'Izieux, les fusillés de l'Homme de pierre, dont l'un, Albert Chambonnet, habita l'appartement où je loge actuellement, et, plus récemment, un de leurs bourreaux, Klaus Barbie, ces locaux, utilisés ensuite comme prison de femmes, et ce jusqu'en 2009, sont aujourd'hui vides et en cours d'aménagement. Dans les années qui viennent, la région a l'intention d'en faire le Mont Valérien de Lyon. On a maintenant la certitude que ces bâtiments historiques, dont l'architecture n'a absolument rien de remarquable, ne seront pas détruits.

La foule était impressionnante à faire la queue devant la petite porte d'entrée où ne passaient que peu de gens à la fois. Plusieurs fois, j'ai longé ces murs, à à peine plus de cinq minutes à pied de chez moi. J'y suis entré aujourd'hui. Quelques rénovations ont déjà été faites à l'intérieur dans le respect de ce qui était au moment de la guerre, en particulier la peinture grisâtre des cellules, couleur authentifiée par quelques survivants. Le rez-de-chaussée du bâtiment principal comporte un réfectoire où était aujourd'hui aménagée une exposition retraçant l'histoire du site. Jouxtant ce réfectoire, une première série de cellules dans chacune desquelles on découvre la photo et le sort de l'un des 8000 détenus passés par Montluc entre 1942 et 1944. Certaines, la plupart, sont attribuées au hasard, d'autres sont celles où le prisonnier cité a effectivement été interné, comme celle où sont mentionnés Élise Rivet et François Boursier.

De là, on monte au deuxième étage (le premier n'a pas encore été restauré): même agencement de 32 cellules, dont celle de Jean moulin, authentifiée elle aussi. Dans ce qui fut la crèche de la prison pour femmes, dans une cour dont les murs sont ornés de dessins d'enfants, d'anciens prisonniers, trois exactement, témoignaient de leur histoire, des raisons de leur arrestation, de la façon dont les nazis procédèrent. Tout près, au fond d'un long chemin entre les hauts murs gris, le mur des fusillés. Dans une autre cours, la "cabane aux juifs".

Le ciel gris et le vent froid qui nous tinrent compagnie durant toute l'heure d'attente étaient bien en harmonie avec la tristesse des lieux. J'ai repensé au Struthof, en Alsace, que je visitais autrefois avec mes élèves et où nous demandions aussi à un ancien du camp de venir témoigner. Lorsque je suis ressorti, le soleil pointait. Petite escale chez moi pour grignoter et le lièvre était déjà reparti par les rues de Lyon. Au programme de l'après-midi: le Musée Saint-Pierre et son jardin intérieur, les Musées Gadagne et leur nouvelle terrasse, la mairie annexe du 5° arrondissement et son exposition sur la citerne Berelle (citerne romaine interdite au public et pour la visite de laquelle je me damnerai), l'église Saint-François de Sales, premier prix pour l'accueil peu sympathique, et les nouvelles archives municipales où je suis arrivé, hélas, après le départ de la dernière visite guidée de la journée.

Outre l'intérêt que j'ai pu personnellement trouvé à ces visites, intérêt diversement partagé puisque nous étions des milliers sans doute à Saint-Pierre et que la citerne Berelle n'a, dans l'après-midi, attiré qu'un centaine de personnes, au dire des étudiantes en charge de l'exposition, outre cet intérêt, j'ai été particulièrement sensible à deux aspects de cette journée: d'abord le professionnalisme de ceux qui reçoivent les visiteurs. Ces journées ont été inaugurées il y a déjà plus de 20 ans et l'on sent, dans la plupart des monuments, que les responsables sont à la fois heureux de faire connaître leurs trésors et capables d'offrir au public le plus grand bien-être et le plus grand sérieux possible.

Ensuite que tous ces gens, gardiennes des salles des musées, étudiants sur le pont pour l'occasion, professeurs bénévoles pour guider les visites, simples employés municipaux, m'ont toujours présenté un visage souriant et bienveillant, acceptant même à l'occasion, et elles furent multiples, de plaisanter et même de me confier leurs préférences esthétiques (Ah! comme elle avait l'air ravi, cette surveillante, de découvrir que moi non plus, je n'aimais pas la dernière acquisition fort dispendieuse du Musée des Beaux-Arts: la Fuite en Égypte, de Nicolas Poussin. Le cartouche en-dessous, d'ailleurs, est beaucoup plus prolixe sur les noms des différents mécènes que sur l'artiste lui-même ou son œuvre. Mais peut-on encore, dans ce cas, parler de mécènes?).

Journée bien remplie, donc. Demain, repos. Enfin presque.

vendredi 17 septembre 2010

Aucun membre pour l'instant

Je suis passé de l'autre côté de chez toi, là où le texte dit "Il n'y a aucun membre pour l'instant". Tiens, tiens! Aux illustrations, j'avais pourtant cru....

L'atelier transformé en module

L'atelier écriture s'appelle maintenant module. Peu importe, si ça peut faire plaisir! Deux séances ont déjà eu lieu: une première pour expliquer le travail de l'année, la suivante pour que chacun lise le texte libre que j'avais demandé d'écrire. Bien sûr, dans la semaine précédente, j'avais eu des tas de questions sur "ce qu'on pouvait faire, ce qu'on avait le droit d'écrire, sur le nombre de lignes, sur la présentation, sur la possibilité d'un dialogue, sur l'obligation d'une description,etc, etc.". Ils ont tellement peu l'habitude déjà d'être libres!

Hier après-midi au CDI, où chacun a lu son texte à l'oral devant les autres et la documentaliste qui participe aussi à l'aventure, la séance a débuté par un grand silence: personne ne voulait commencer. On voyait bien que certains en avaient envie mais, devant les copains, on ne voulait pas montrer qu'on y tenait tant que ça. Les premiers à passer, finalement, ont été des garçons. Ils avaient écrits des textes trop léchés pour être honnêtes, au vocabulaire déjà tellement élaboré qu'avec Annie, la documentaliste, nous avons échangé un sourire en coin: ça sentait le recopié à peine déguisé.

Peu importe. Ces trois "plagiaires" avaient ouvert la voie (la voix!) aux autres. Toute la classe a eu le temps de passer, les uns rougissants, les autres avalant les mots pour en avoir plus vite terminé, d'autres cachant leur gêne derrière des attitudes de clowns, d'autres enfin calmes et les pieds bien plantés sur le sol, le feuillet immobile entre les doigts.

Que dire de leurs textes? Un plaisir d'abord: tout le monde avait fait l'effort d'écrire une dizaine de lignes au moins, personne n'avait "oublié" le texte chez lui. Encore plus surprenant: pas de petit chat perdu ou d'oiseau tombé du nid, pas d'attaque terroriste et meurtrière, rien de ces sujets bateaux que l'on retrouve encore souvent, et c'est bien normal, chez des enfants de cet âge-là. Le texte le plus "attendu" parlait de la passion d'une jeune fille pour l'équitation, et encore était-il bien écrit et échappait à la mièvrerie.

Non, des textes assez "originaux" à défaut d'être personnels, où l'on sentait le travail effectué. Jamais ce ne fut de l'oral couché à la va vite sur le papier. Un des derniers élèves à lire a même réussi à nous surprendre, Annie et moi, par la qualité de son texte. Et aucun doute, cette fois-ci: il était bien de lui. Pendant sa lecture, d'ailleurs, le silence était absolu dans la salle. Ces petits, sans le savoir, ont déjà de drôles d'antennes qui leur poussent pour déceler la qualité là où elle est. Il m'a ensuite confié que ce n'était pas la première fois qu'il écrivait pour lui-même. Ni la dernière sans doute!

jeudi 16 septembre 2010

Dédicace

La passerelle du Collège vibre sous mes pas. J'aime cette sensation de fragilité, au-dessus du Rhône. Un homme, à la bonne saison, y est installé, dans le renfoncement d'une pile. Il ne demande pas l'aumône, il dit bonjour, simplement, sans rien demander. Je lui réponds, simplement, sans rien lui donner. Une forme de respect. Derrière moi, tout au fond de la rue, les cloches de Saint-Pothin se mettent à sonner à la volée. Pour quelle raison? Dix-huit heures trente, ce n'est pas encore l'Angélus. Devant moi, le Passage Ménestrier,avec sa perspective de Pont des Soupirs. La ville l'a rebaptisé rue. Vers la plus grande banalité.

De l'autre côté de l'artère principale, la librairie est illuminée. Est-ce ainsi tous les jours? Je n'y suis jamais venu le soir. Personne devant la porte! Un doute, un instant. Non, c'est bien aujourd'hui, j'en suis sûr! Et en entrant, je l'aperçois, brièvement, qui passe entre deux murs de livres. Son premier mot en me voyant: "Oh". Le mien: "Oh", aussi, en écho. Quelques amis sont déjà là.

Je me procure le roman. Étrange de voir son nom sur cette couverture blanche et quasi monacale que vient à peine maculer un minuscule point rond. Depuis le temps qu'il en rêvait, qu'il y travaillait. J'avais peur d'être un peu jaloux alors que je suis immensément content pour lui. Enfin, il y est parvenu: c'est son premier roman publié. Il s'est installé dans une pièce du fond, derrière un bureau qui fait face à une vingtaine de sièges et côtoie une table garnie de rafraîchissements. Quelqu'un, une femme, est déjà là, à parler avec lui pendant la dédicace. La pièce est sonore, les autres ne sont pas encore venus jusqu'ici, j'entends les mots qu'ils échangent. Comme moi, une très ancienne connaissance.

Je savais ce qu'il allait écrire sur la page de garde lorsque je lui aurai tendu mon exemplaire. Il l'a écrit. Il ne pouvait pas écrire autre chose. Il a l'air intimidé. Il me le dit pour excuser son écriture hachée qu'il a peur que je ne déchiffre pas. Moi? Avec toutes les pattes de mouches de mes élèves. Nous faisons le projet de nous revoir un soir plus longuement, autour d'un repas. Il me propose de boire une coupe de champagne. Je m'éloigne un peu, d'autres attendent leur tour.

Et puis, tout à coup, je fuis. Je ne veux pas rester plus longtemps. Je ne peux pas. Je ne suis pas à l'aise dans la librairie. Francis, le libraire ami, n'est pas là ce soir: il vient de s'envoler pour le Japon. Je sors en même temps que cette femme qui le connait aussi depuis des années. Nous bavardons un instant. Elle l'a rencontré en 81, moi c'est encore plus ancien, vers la fin des années 70. Nous évoquons quelques souvenirs. Elle est sympathique. Peut-être la reverrai-je un jour.

Et en traversant la passerelle dans l'autre sens, je me souviens: de nos rêves de gloire et d'argent le long des villas cossues du parc de la Tête d'Or; du soir où, désespéré, il avait voulu se supprimer mais, après avoir avalé des cachets, avait fini par nous téléphoner et nous dire dans quel hôtel il se trouvait. Pierre était parti sur place pendant que je l'occupais à parler au bout du fil, pour ne pas rompre le lien; d'un autre soir enfin, moins morose mais toujours peu ardent, où, après un dîner chez nous, il n'avait pas voulu que nous le raccompagnions chez lui en voiture. Nous avons mis un mouchoir sur notre anxiété (de chez nous à chez lui, il y avait le Rhône) et nous avons bien fait: ce soir-là, il rencontrait le garçon avec qui il partage encore sa vie aujourd'hui.

Je m'en suis voulu d'être parti aussi vite. De ne pas être à sa fête en ce jour important, de retrouver mes instincts de solitaire contre lesquels il me faut bien souvent lutter. Mais je ne peux faire semblant et n'arrive plus que difficilement à me forcer. Je savais que ce n'était pas ce soir que nous échangerions. Il avait bien d'autres choses à faire. Nous allons nous revoir, face à face. D'ici là, j'aurai lu son roman. Je dois finalement être un peu possessif, non?

mercredi 15 septembre 2010

Patrimoine

Deux merveilles ce soir, revues à la télévision: l'abbaye de Cluny et Saint-Savin dans la Vienne. Deux hauts lieux de la spiritualité et de l'art.

Je me souviens de la splendeur de la nef centrale de Saint-Savin, de ses colonnes colorées et de ses fresques de la voûte que l'on vient de restaurer. J'ai envie d'y retourner bientôt. Après tout, la Vienne n'est pas très loin de la Creuse et un blogueur récemment rencontré pourrait peut-être me tenir compagnie.

Quant à Cluny, je me souviens de ma dernière visite en compagnie de Frédéric. Nous n'avions pu tout voir car le site était en chantier pour pouvoir fêter dignement son 1100ème anniversaire. Quelque chose que j'ai appris ce soir: l'abbaye (Cluny 1, 2, ou 3, je ne sais plus. Il me semble qu'il s'agit de Cluny 3) a été édifiée à la suite du rêve d'un moine qui réussit à convaincre ses supérieurs du bien-fondé de cette construction qui deviendra rapidement un des centres spirituels du monde du Moyen-Age. Et ce moine s'appelait..... Gunzo! Tiens, tiens! Ça me rappelle quelqu'un!

PS: je recherche depuis quelque temps le nom de cette magnifique église, pas très loin de Saint-Savin, dans un lieu un peu plus escarpé, me semble-t-il, dont les chapiteaux, magnifiques, ont encore leur peinture rouge d'origine. Quelqu'un pourrait-il me rafraîchir la mémoire? Le nom du village, si je me souviens bien, se termine par -ac.

Mourir pour un remords

Ce devait être ma première année à l'université. Je n'avais pas vingt ans. J'avais quitté la région stéphanoise et ma famille pour m'installer dans une chambre minuscule de cité universitaire. En tendant les bras de chaque côté du corps, on pouvait presque toucher les deux murs. Il était interdit d'y inviter qui que ce soit, il était même interdit d'en décorer les murs, à l'exception d'un minuscule carré recouvert de liège au-dessus du bureau. Je venais de la campagne, d'une grande maison, inconfortable mais immense, et qui donnait sur les champs. J'avais perdu ma plus petite sœur quelques mois auparavant. J'étais malheureux. Je ne connaissais pas encore Pierre.

Malheureux mais fier. J'avais seul décidé de quitter Saint-Etienne pour venir à Lyon, pour vivre mon homosexualité dans une grande ville mais surtout pour fuir mon père avec qui je ne m'entendais pas. Il était convenu que je rentrerais un week-end sur deux. Le deuxième, je le passais à m'ennuyer dans ma chambre ou à errer dans une ville où je ne connaissais personne. Les rencontres crapuleuses ne manquaient pas (pensez! j'avais 20 ans!) mais je n'en éprouvais bien souvent plus que de la lassitude et du dégoût.

Lorsque je rentrais dans la famille, je ne passais qu'une nuit sous leur toit: celle du samedi au dimanche. Malgré les demandes répétées de ma mère, je refusais toujours d'y dormir celle du dimanche au lundi, ce qui, pourtant, était tout à fait possible avec l'emploi du temps qui était le mien. Là aussi, je l'avais décidé et je m'y tenais, même si rien ne m'attendait à Lyon, même si le prince charmant tant espéré ne s'était jamais manifesté un dimanche soir.

Qui connaît ma mère sait combien elle a le don d'insuffler un profond sentiment de culpabilité à tous ceux qui l'entourent. Peut-être est-ce là l'apanage (naturel?) de toutes les mères mais la mienne possède cet art au plus haut point, même encore aujourd'hui malgré sa maladie. C'est donc toujours profondément malheureux que je quittais le toit familial le dimanche soir, malheureux de devoir réintégrer la grande ville où la solitude me pesait, malheureux de rendre triste ma mère.

Je possédais à l'époque une 4L, une merveille pour moi qui découvrais alors les joies de la conduite automobile, joies que je connais encore aujourd'hui. Un dimanche soir, alors que j'étais parti depuis à peine cinq minutes et que je roulais dans la campagne en direction de l'autoroute, le remords se fit particulièrement sentir. Pourquoi après tout rentrer ce soir-là plutôt que le lendemain matin? Je n'y gagnais rien, je n'y perdais rien non plus et rester pouvait faire plaisir à ma mère. Sous le coup d'une subite impulsion, je décidai de faire demi-tour.

Mes parents étaient alors gérants d'un commerce d'alimentation dans un petit village de la Loire qui, depuis, a dû décupler sa population. Leur commerce était situé à la sortie du village, dans un bâtiment nouvellement construit. Au rez-de-chaussée, le magasin sur le devant, et le garage derrière qui communiquait avec les pièces d'habitation au premier étage. Afin de leur éviter une frayeur, j'essayai de faire le moins de bruit possible en glissant ma voiture dans le garage. Peut-être étaient-ils déjà couchés: je n'avais pas vu de lumière aux fenêtres du premier.

Alors que je récupérais mon bagage sur le siège arrière, la lumière du garage soudain s'éclaira et, en me retournant prestement, je vis mon père derrière moi, une barre de fer à la main, prêt à frapper celui que, dans le noir, il avait pris pour un cambrioleur. J'avais été à deux doigts de faire un mort stupide et lui un absurde infanticide. Inutile de dire l'avoinée que j'essuyai avant de pouvoir regagner mon lit. Je n'ai jamais plus rebroussé chemin, quoi que dise ma mère!

mardi 14 septembre 2010

Mes contes et mes légendes

J'ai toujours dit beaucoup de mal des textes publiés sous l'appellation "Littérature Jeunesse", chez quelque éditeur que ce soit: une illustre inconnue (en général, ce sont des femmes, censées peut-être être plus proches des enfants, à moins que l'on ne veuille en cela calquer la réalité du monde professoral et ainsi effectuer un bon coup de marketing), une illustre inconnue donc s'empare des mythes et des légendes antiques ou du Moyen-Age et, après avoir soigneusement épluché le contenu des programmes scolaires, pond (verbe employé à dessein, tant la périodicité est grande) un texte insipide la plupart du temps par où officiellement, on espère attirer les jeunes vers la lecture et la connaissance de ces textes fondateurs que sont par exemple L'Odyssée, Les Métamorphoses ou le Cycle Arthurien, et officieusement gagner un peu d'argent.

Textes sans aucune valeur littéraire, parfois racoleurs, au mieux inutiles, à peine lus déjà oubliés. Bien sûr, la langue employée est adaptée au public visé et ainsi est-il épargné à ce public de pré adolescents le moindre effort qui pourrait, à la longue, rehausser le niveau de son vocabulaire. Pour illustrer ces "produits", des illustrations d'une laideur absolue, caressant là aussi l'animal dans le sens du poil en louchant par exemple sur les mangas asiatiques. Depuis plusieurs années, je pestais contre cette façon de faire découvrir la littérature aux enfants, cette sorte d'ersatz sans rapport aucun avec la valeur et la richesse de l'œuvre originelle. Il semble d'ailleurs que les textes officiels aillent maintenant dan mon sens. Mais les éditeurs?

Il y a une dizaine d'années, il existait dans la collection Étonnants Classiques de Garnier-Flammarion une très honorable édition du Chevalier au lion de Chrétien de Toyes, édition au texte bien traduit et à l'adaptation suffisamment complète pour rendre un compte effectif de l'œuvre. Après avoir tâté l'an dernier d'une autre édition parce que celle-ci était épuisée, j'ai décidé cette année de revenir à mes premières amours. Un coup de téléphone au libraire m'a appris que l'édition G-F était passée de 220 pages à 150 environ. Il me reste à découvrir ce que le texte de Chrétien de Troyes est devenu. J'ai finalement opté pour cette édition, refusant absolument, contrairement à certaines de mes collègues, de cautionner la réécriture de ce chef-d'œuvre par une écrivaillonne contemporaine.

Pourtant, pourtant.....


Il existait, lorsque j'étais enfant, des livres fabuleux , des livres que j'ai dévorés des yeux aussi bien pour les lire que pour en scruter les illustrations. Il en existait toute une collection sous le titre générique de "Contes et Légendes". A l'une des pages de garde, il était indiqué: Paris, Librairie d'Education Fernand Nathan, 18 rue Monsieur-Le-Prince (VI°), Tous droits réservés. Ces simples indications me faisait déjà rêver, moi le fils de mineur et de paysan dans les mains de qui ce trésor venait d'être mis. Que dire alors des plus gros caractères juste au-dessus? J'ai en ce moment sous les yeux un des ouvrages de cette collection, récupéré de justesse auprès de la documentaliste du collège qui voulait s'en débarrasser:. Voici ce qu'on peut y lire. D'abord tout en haut: Collection de contes et légendes de tous les pays. Puis au centre, en caractères plus gras et plus importants: Légendes du monde grec et barbare, et ensuite, en plus petit: racontées aux enfants par Laura Orvieto. Enfin, en minuscule: traduction Monod seule autorisée. Huitième édition.

J'ai toujours lu, dans tous mes romans, cette première page jusque dans les moindres détails parce que, là aussi, je trouvais du plaisir, sans doute comme le pélerin qui, avant d'entrer dans la cathédrale, se recueille un instant dans le narthex. Laura Orvieto? Qui était-elle donc? Je ne connaissais pas l'Italie à l'époque où je lisais ces récits, je ne savais bien sûr pas qu'il existait en Ombrie une ville de ce nom à la sublime cathédrale. Pourtant, qu'elle m'a fait rêver, cette dame, par tout ce qu'elle m'a raconté!

Dans ces premières éditions (dont l'origine remonte à 1916), les illustrations étaient aussi importantes pour moi que les textes. Il y avait d'abord celles qui inauguraient chaque chapitre, à la manière des enluminures du Moyen-Age, mais toutes sages, en noir et blanc. Puis,peu nombreuses, une petite dizaine par volume, celles qui occupaient une pleine page et sur lesquelles je m'arrêtais longuement parce que, plus peut-être encore que le texte, elles permettaient à mon imagination de s'envoler vers ses rivages lointains, de m'asseoir à la table des dieux et des rois, de lutter en armure aux côtés des héros grecs, de souffrir dans Troie auprès de la triste Andromaque. Trois couleurs seulement dans ces pages-là: du noir, du blanc et du orange, encadrées d'un filament noir. En-dessous, une phrase reprise du texte: "- Laomédon, me donneras-tu tes chevaux maintenant, dit Héraclès au roi." Poésie des mots, déjà.

En 1927, la collection s'ouvrira aux contes et légendes des régions de France, puis, en 63, changera un peu sa présentation: les vieilles couvertures devenues trop austères, aux couleurs des illustrations intérieures, seront blanches désormais, et agrémentées, sur le dos, d'un filet d'or. La couleur fait aussi son apparition dans les illustrations. La page de garde n'indique plus Librairie d'Éducation, comme s'il s'était agi d'un gros mot. Le rêve s'éloigne. Peut-être en même temps que ma première enfance et ma capacité à rêver de rien.

Pourtant, pourtant...

Lorsque je regarde ces livres, lorsque je les feuillette sans les lire (je veux garder intacts les souvenirs que j'en ai), je me dis qu'ils m'ont offert, avant mes premiers voyages, avant la découverte personnelle des sites dont ils parlent, avant que j'apprenne les langues antiques dans lesquelles les récits qui les ont inspirés ont été écrits, mes plus beaux moments d'évasion, lus dans les prés en gardant les brebis de mon père ou au lit, bien souvent en cachette de lui. Peut-être les enfants d'aujourd'hui rêvent-ils devant d'autres supports, qui, moi, me laissent indifférent ou m'insupportent. Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr.

lundi 13 septembre 2010

Fleurs

Hier, en allant au marché, j'ai acheté des fleurs: un bouquet pour moi, un pour ma mère et un pour ma sœur, que j'avais invitées pour le déjeuner. Les fleuristes sont de retour sur la place Saint-Louis. Août a semblé triste sans leurs étals colorés.

Mais ma sœur avait eu la même idée et acheté elle aussi trois bouquets. Profusion donc, d'autant que j'ai toujours sur mon bureau quelques petits arums rapportés dans la semaine. Cette abondance m'a fait comprendre une chose dont je n'avais jamais pris conscience jusqu'ici: je préfère les bouquets tout simples aux savantes compositions dans lesquelles les fleuristes se lancent parfois, avec plus ou moins de bonheur.

En fait, je n'aime pas mélanger plusieurs sortes de fleurs. En tout cas dans un vase, car, dans un jardin, c'est exactement l'inverse: un côté fouillis savamment dosé n'est pas pour me déplaire. Mais sur une table, non. Il me semble que la beauté de chaque fleur nuit à celle de sa voisine, alors que les fleurs d'une même espèce se complètent: celle-ci, encore peu éclose, offre des nuances pastel qu'elle perdra demain; celle-là, superbe, étale son opulence avant de baisser la tête; cette autre prend bien la lumière, particulièrement le soir; une autre encore élance le plus gracieusement sa corolle comme si elle allait se mettre à danser.

Ainsi, en ce moment, les calices des arums blancs (les seuls que j'aime vraiment) sur mon bureau, tout près de moi alors que je tape ce billet, les tournesols resplendissants dans ma cuisine, qui illuminent le bois verni de ma vieille table ronde, les iris de l'autre semaine que je n'ai pu remplacer, à mon grand déplaisir, ces bouquets simples me plaisent davantage que celui, au salon, où le lys côtoie la rose,le gerbera et d'autres tiges non identifiées. Je suis un homme simple, finalement!

dimanche 12 septembre 2010

Momentini

- Le dimanche soir, va savoir pourquoi, j'ai toujours une sorte de vague à l'âme qui me prend, sans raison. J'ai déjà fait de gros progrès puisqu'auparavant, c'était le dimanche entier que je détestais. L'écriture est souvent un excellent remède à ce genre de petites "faiblesses".

- Depuis combien de temps n'ai-je pas réellement écouté de la musique? Réellement pour moi, ce n'est pas mettre la radio, c'est me lever de ma chaise, choisir un CD selon l'humeur ou l'envie du moment et l'installer sur la chaîne. Je crois qu'en ce moment, j'ai besoin d'être surpris par une musique.

- C'est encore une fois Olivier Autissier qui m'a appris ce matin la mort de Claude Chabrol. Il a une façon de le faire qui me plaît, sans un moment, juste un nom et une photo. C'est beaucoup mieux que tous les longs discours, que l'on revienne de la préhistoire ou pas.

- Ce soir, Casablanca à la télévision. Une façon comme une autre de me rappeler que, dans mon enfance, j'étais amoureux (tendrement) de deux femmes: Michèle Morgan et Ingrid Bergman. Toutes deux belles et élégantes. En revoyant leurs films aujourd'hui, je ne change pas d'avis et suis fier de mes goûts d'enfant.

- L'accumulation des nuages sur l'est de Lyon ce soir était splendide. Par leur taille, par leur enchevêtrement, par le contraste de leurs couleurs, d'un blanc étincelant au noir le plus profond, les deux se côtoyant. J'aurais pu prendre une photo, je ne l'ai pas fait. Impression d'un plus grand plaisir encore que celui de posséder: avoir vu. Un peu comme le pêcheur qui remet à l'eau sa prise.

samedi 11 septembre 2010

Une autre braderie

La grande braderie de la Croix-Rousse, à Lyon, c'est comme celle de Lille, mais en nettement plus petit. C'est aussi en septembre et elle précède de peu celle d'Oullins où je ne suis plus allé depuis très longtemps.

Petite braderie si on la compare à celle de la capitale nordique mais bien suffisante pour mes jambes avec les parties vélos et les parties pédibus sur les pentes. J'ai voulu monté à pied depuis l'opéra, en traboulant au frais, en gravissant les escaliers interminables, en saluant au passage les Voraces où l'on croise toujours maintenant quelques groupes de touristes. Aujourd'hui, c'étaient des asiatiques. Juste avant d'arriver sur le plateau, sur la place Colbert, un repas de quartier, à l'ombre de cette église désaffectée qui menace ruine et que certains voudraient sauver parce qu'elle fait partie de l'histoire lyonnaise. J'ai oublié son nom, elle borde la montée Saint-Sébastien dans sa partie supérieure.
Sur le plateau, la braderie. Le long du boulevard et sur les places adjacentes, les trottoirs sont suffisamment larges pour que l'on puisse circuler à peu près à l'aise. Un vide-grenier s'est installé derrière la mairie dont sort un mariage alors que j'y parviens. Mais la Grand Rue de la Croix-Rousse est quasiment inabordable tant la foule y est dense. Je bifurque sur l'église Saint-Denis où je n'étais jamais entré. Dans une cour adjacente, un club pour personnes âgées. L'une d'entre elles à qui je le demandais m'indique le cinéma paroissial, un des plus vieux de Lyon et un des moins chers, à la programmation excellente. Il a conservé sa façade rétro. Il est beau.

Plongée dans la foule. J'avais en tête d'acheter un lot de poêles à frire pour remplacer les miennes qui ont bien mérité d'être mises à la retraite. Je rentrerai chez moi sans, mais avec une bonne grosse tomme de Savoie que je suis bien décidé à entamer ce soir. Devant l'hôpital, une septuagénaire bien mise me demande son chemin: elle veut rentrer chez elle après une visite à une amie hospitalisée et est un peu perdue au milieu de cette foule. Elle ne semble pas se rendre compte qu'elle habite assez loin de l'endroit où nous nous trouvons. Je l'accompagne un moment en empruntant pour le chemin du retour la rue parallèle à celle des échoppes, elle pratiquement déserte. J'ai tout le temps de me rendre compte qu'effectivement la vieille dame est bien perdue et pas seulement géographiquement. Je la quitte au gros caillou, après m'être assuré qu'elle a retrouvé (approximativement) ses repères.

Entré aussi dans une pittoresque librairie de livres d'occasion de la rue de Belfort que j'avais repérée depuis longtemps. Pour me contraindre, j'annonce au libraire (tout aussi pittoresque que sa boutique) que je n'achèterai pas de livres mais que j'entre pour la beauté du lieu où les ouvrages occupent tout l'espace. Ici, on est ailleurs, chez quelqu'un pour qui le profit n'a aucune importance, quelqu'un qui aime les livres et pour qui j'imagine que se défaire de l'un d'entre eux, même s'il est là pour ça, constitue chaque fois un petit déchirement intime.

Je suis rentré fourbu après un détour par Villeurbanne pour le courrier de Jean-Claude. Rien acheté (à part la tomme de Morzine) mais plein de bruits, de couleurs et heureux du spectacle d'une humanité humble mais heureuse. Au moins pour un après-midi.

vendredi 10 septembre 2010

Matin rouge

Il me manque. Je l'attends. Il manque à mon corps. Ma tête, je peux la raisonner, la détourner vers d'autres pensées, d'autres occupations, mais mon corps parle, lui, quoi que je fasse: il l'attend, lui aussi, le jour, la nuit même, dans mes rêves et mes gémissements. Alors, j'ai décidé de le laisser parler. Qui s'en soucie, d'ailleurs ici? Autour de moi, la plaine, cette plaine stupide de Caroline du sud que je haïrais si elle n'était pas à mon image: assoiffée, desséchée, tendue vers ce qui doit arriver, la pluie, l'ondée rafraîchissante, nourrissante, la même que celle que mon ventre espère à chaque instant, à se tordre, à se tendre, à s'offrir.

Ce matin, j'ai pris ma belle robe rouge, celle qui me dessine et me révèle, celle qui me colle comme une autre peau. C'est dimanche. Les autres sont partis à l'office. J'ai prétexté de la fatigue. Je voulais être seule. Il ne reviendra pas aujourd'hui mais je veux faire comme si. Il me trouvera là, sur le pas de la porte, lorsqu'il arrivera. Je reconnaîtrai entre toutes la nuée de poussière que sa voiture soulèvera sur la route. Ce sera un jour comme celui-ci, plein de soleil, torride.

J'ai beau essayer de l'oublier, je sens le désir partout en moi, qui me fait cambrer la croupe, comme une jument en chaleur, qui me fait me raidir pour qu'il me prenne, par devant, par derrière, avec violence, à grands coups de boutoir, comme une jument, exactement. Lorsqu'il est nu et que je suis nue, nous sommes deux animaux que rien n'arrêtera. Ses yeux fous plongent dans les miens et nos regards s'accouplent avant nos sexes. Parfois, nous n'avons pas le temps de nous déshabiller, pas l'envie. Il me prend alors dans la cuisine, contre la table, à même le sol, assis sur une chaise, ou dans le salon, sur le vieux canapé. Avec lui, j'aime tout, même la blessure au front qu'il m'a faite un jour contre le bois de ce meuble.

Ma poitrine, à ce souvenir, est dressée. J'ai l'impression qu'elle va jaillir de cette robe tant elle a besoin de ses mains. Du bout des doigts, je m'agace le bout des seins. Ils sont durs, pointent et en redemandent. Il sait que j'aime ça, qu'il me fasse venir les larmes aux yeux en les serrant trop fort. Il me traite de salope et je l'arrête avant que mon désir ne déborde. Alors, je l'excite à mon tour, en suçant son sexe ou en écartant son anus avec ma langue qui tour à tour le caresse, le chatouille, en force la porte pour s'enfoncer plus avant lorsque le désir le fait se tenir à quatre pattes, les fesses à la hauteur de mon visage. Je sais qu'il aime ça.

Il devient alors forcené et me réclame l'objet, celui que je n'ai pas et qu'il prend goulûment parce que son désir le veut, parce que pour un instant il se livre comme je me livre à lui, sans retenue, offert à ma fantaisie. Dans ces moments-là, je voudrais être un homme et le satisfaire de mon propre sexe, sans objet, rien qu'avec la rigidité de mon membre. Nos corps se comprennent, nous savons comment les combler, les faire se tordre dans les draps moites avant de retomber, fourbus et en nage, secoués encore de soubresauts incontrôlés.

J'ai laissé les volets de la maison fermés. Tout à l'heure, bien avant que les autres ne reviennent de l'office, je ne pourrai plus tenir. Je laisserai tomber ma robe près du vieux canapé, sur le tapis où elle fera comme une grosse fleur écarlate, un grand coquelicot dans un champ de blé, et je m'étendrai, nue, sur les coussins défoncés. Alors, doucement, très doucement, avec une patience infinie, je caresserai mon corps, comme il le fait, je le mouillerai de salive, comme il le fait, je passerai mes mains dans tous les plis de mon sexe, de mon aine, de mes fesses, comme il le fait, et je les sentirai, comme il le fait. Il m'a appris à aimer les odeurs, celles qui ne sont qu'à moi et qu'aucun autre que lui ne peut connaître. Alors, en pensant à tout ce que nous voulons encore faire ensemble, à tout ce que je veux qu'il me fasse découvrir, mes mains s'activeront plus fébriles, mon souffle se fera court, jusqu'à disparaître parfois quelques secondes, et je sombrerai dans le plaisir.

( D'après un tableau d'Edward Hopper, South Carolina Morning, 1955)

Un doigt dans l'argile

1940. Il y a soixante-dix ans, la découverte des grottes de Lascaux. Je ne suis pas un inconditionnel de la préhistoire à laquelle je préfère de loin, bien sûr, les périodes romaine et gallo-romaine. Voir un morceau de silex ou trois pierres assemblées au pourtour vaguement noirci ne m'a jamais fait fantasmer. Pas même rêver. Je me dis: "Tiens, des restes de la préhistoire!" et je me sens quitte de respect avec la culture.

Pourtant, il y a quelques jours, en voyant à la télévision un documentaire sur une autre grotte de Dordogne, un peu moins connue et dont j'ai oublié le nom (Non, il ne s'agit pas de Font-de-Gaume!), j'ai soudain été très ému. Le cameraman, accompagné de spéléologues compétents, s'était introduit profondément dans un mince boyau débouchant sur une petite salle qu'un projecteur éclaira brièvement. Les dessins étaient à peine visibles, tracés du doigt dans l'argile des parois, fragiles, exposés. Tout en haut, la silhouette d'un cervidé, que personne n'avait contemplé depuis de nombreux siècles.

Ce dessin était là, dans le noir, depuis si longtemps, dans les entrailles de la terre, entouré d'obscurité et de silence. Celui qui l'avait tracé, il n'en reste probablement plus rien aujourd'hui, pas le moindre morceau d'os, rien que ce dessin à la fois naïf et très habile. Et pourtant, un jour, un homme avait quitté le soleil et la végétation pour s'enfoncer, sans doute avec une lampe alimentée de graisse animale, dans ce boyau étroit dont il ne savait rien, ni où il conduisait, ni s'il était habité par quelque bête dangereuse, sans savoir où le menaient ses pas et sa reptation, sans même l'idée de revenir. Et là, loin de tous, pour lui, pour quelque divinité vénérée ou parce que quelque chose voulait sortir de lui, il avait esquissé cet animal qu'il côtoyait à l'extérieur, qu'il tuait pour se nourrir mais qu'il respectait sans doute.

C'est à la fois cette fragilité de l'œuvre et cette foi de charbonnier de l'homme qui m'ont touché, en même temps que la vue de ce dessin qui dormait là alors qu'à l'extérieur explosaient si souvent le bruit et la fureur.

( A noter un livre oublié lui aussi et pourtant captivant, même si plutôt pour enfants: Le Mystère des grottes oubliées, de l'allemand Hans Baumann.)

jeudi 9 septembre 2010

Perseverare diabolicum

Un grand moment de solitude en fin d'après-midi! Me tromper de jour ne m'a pas suffi: il a fallu que j'en rajoute une couche. Comme j'avais du temps devant moi, j'ai eu l'idée de faire un peu de ménage dans mon blog, en particulier en remettant à jour certaines adresses de blogs que je lis régulièrement et en en rajoutant certaines autres que j'ai découvertes depuis peu et qui m'intéressent.

Et là, bien sûr, un clic de trop, un mouvement malheureux de la main et tous les liens vers ces blogs disparaissent complètement! Grand moment de solitude, vous dis-je! Alors, une fois sorti de l'abasourdissement consécutif à ma bourde (je me serais fiché des claques mais je ne me suis même pas énervé, preuve que les vacances ne sont pas encore trop loin derrière), j'ai reconstruit pierre après pierre ma liste d'origine, cherchant chez les uns, reconstituant les autres, en y incorporant les nouveaux. Ce n'était pas très difficile, sauf pour un blog américain (écrit en français) que j'ai mis plus longtemps à retrouver. J'espère n'avoir oublié personne de la précédente. Je ne crois pas, mais sait-on jamais?

Eh bien, non, Karagar, pas de soirée blog. Je ne suis pas superstitieux mais je me méfiais: ne dit-on pas "jamais deux sans trois"? Alors télévision, comme de plus en plus fréquemment ces derniers temps. Passé un bon moment devant Les Incorruptibles de Brian de Palma que je n'avais jamais vu vraiment en entier. Là aussi beaucoup de ... "disparitions" mais je n'y étais vraiment pour rien.

Errare humanum est

Je m'en faisais une joie, j'y pensais déjà depuis quelques jours: un de mes amis de jeunesse vient de publier son premier roman et le signait ce soir dans une librairie lyonnaise tenue par un autre de mes amis. A ma grande surprise, les deux ne se connaissent pas.

Dès la fin du dernier cours, donc, j'ai quitté le collège, ravi d'avoir terminé une aussi longue journée et surtout de rentrer me rafraîchir un peu avant de me rendre dans la presqu'île. Circulation fluide: tant mieux, je n'arriverai pas trop tard et pourrai sans doute profiter d'un moment plus calme pour parler avec l'un ou avec l'autre, que je n'ai pas vus depuis longtemps.

Bien sûr, avant de partir, petit tour sur mon blog: y a-t-il de nouveaux commentaires, les autres ont-ils écrit quelque chose? Lire les billets les plus courts, garder les autres pour la soirée. Ne pas trop tarder, je sais que l'écran est chronophage. J'arrive, avec un peu de mal, à m'extirper de la blogosphère. Je ne serai pas en retard. Peut-être resterai-je dans le centre après la séance de signatures pour grignoter quelque chose sur le pouce. Une bonne petite soirée sympathique s'annonce...

J'allai éteindre l'ordinateur quand, vraiment gratuitement, je jette un dernier coup d'œil sur le mail d'invitation. Jeudi 16 septembre! Dans une semaine! Je me suis trompé d'une semaine! Il ne se passe rien aujourd'hui. J'aurais eu l'air malin de débarquer dans la librairie ce soir et de demander pourquoi N. n'était pas encore là! J'ai vérifié mon agenda: je suis libre aussi le 16 en fin d'après-midi. Plus qu'à attendre. Mais zut!

mercredi 8 septembre 2010

Merci, Olivier

Ça y est: grâce à Olivier Autissier, je viens de retrouver ce que j'avais à dire d'hyper important hier. Simplement qu'aujourd'hui (donc, hier, j'aurais dit demain), nous sommes le 08/09/10. C'est la date que j'ai écrite ce matin au tableau. Bon, voilà, rien de plus non plus. On n'est pas obligé de trouver majeure cette info. Merci, Olivier, de m'avoir fait retrouver la mémoire.

Silence

Silence hier soir pour cause d'intempéries qui, elles, ne se privaient pas de faire un bruit d'enfer. Dans la matinée, je me moquais au collège de ces gens de la météo qui lancent des alertes orange pour un oui pour un non: on nous avait prédit le pire, rien ne s'était passé. Il suffisait d'attendre: vers 13 heures, il en tombait comme à Gravelotte et cela dura jusque tard dans la nuit, avec une intensité variable mais généralement assez violemment. Depuis près de 40 ans que je vis à Lyon, je n'ai jamais vu autant d'eau et si longtemps. Rien pourtant comparé à ce qui s'est passé dans le Gard et en Ardèche.

Et au milieu de la soirée, alors que je m'apprêtais à venir tapoter quelques touches, plus rien, plus de connexion internet. Alors au dodo tôt, comme aurait dit Françoise (je suis d'accord avec vous: très mauvais jeu de mots, mais je n'ai pas pu me retenir!). j'en ai profité pour avancer dans le roman de Yasushi Inoué que j'ai entrepris de lire. J'ai aussi pu regarder les deux premiers épisodes de la saison 2 des Tudor à la télévision. Mêmes ingrédients que feue une autre série, Rome, vérité historique, un peu d'événements romancés et surtout, surtout, du sexe (doux, doux) à outrance. Mais loin d'être désagréable au final.
Le pire: hier, j'avais quelque chose d'hyper important à écrire. Ce soir, je ne m'en souviens absolument plus!

lundi 6 septembre 2010

De la nuit à la nuit

Il faisait nuit ce matin quand je me suis levé. Premier jour. Le réveil à six heures. Il va falloir reprendre l'habitude. Je n'arrivais à mettre mes gestes dans l'ordre: allumer la petite lampe, pas la grande, celle qui éblouit trop au réveil, prendre les lunettes sur la commode, se diriger dans la presque obscurité jusqu'à la cuisine, ne pas éclairer le couloir, retrouver ses repères les yeux fermés, c'est plus facile en comptant machinalement le nombre de pas nécessaires. Ce matin, tout s'embrouillait un peu.

Dehors, il faisait frais mais pas trop. Encore possible de déjeuner la porte-fenêtre grande ouverte. Bientôt il faudra regarder à travers les carreaux les autres fenêtres qui s'éclairent une à une, les mêmes toujours, et toujours dans le même ordre. Aujourd'hui, le rituel n'est pas au point: il y a dû y avoir des déménagements pendant l'été. Le matin, sur France Inter, c'est Audrey Pulvar. J'aimais bien Patricia Martin. Elle est encore là mais plus tard dans la matinée, quand je suis déjà en classe.

Rencontre avec les sixièmes. Chaque fois, j'oublie comme ils sont petits. les filles toujours plus dégourdies que les garçons pour ce qui est de l'organisation. Comme d'habitude, je laisse ma porte ouverte pendant les cours: j'aime entendre vivre l'école autour, ça relativise l'importance de ce qui est dit entre ces quatre murs. Après tout, ce n'est qu'un petit bout de leur univers. Nous sommes allés voir la grande salle, celle où nous réunirons deux classes à certains moments. Ils ont eu l'air impressionné.

La nuit vient plus vite aussi le soir. Pour demain, on nous annonce des trombes d'eau, comme une fois tous les dix ans. Je ferai la connaissance de tous les autres, ceux qui auront pu ou voulu arriver. Je n'aime pas toutes ces feuilles mortes qui déjà jonchent les trottoirs et s'accumulent dans les caniveaux. Je vais entamer un nouveau roman.

Souvenirs de la guerre récente

Carlos Liscano est un auteur uruguayen qui a connu la dictature militaire dans son pays et passé 13 ans de sa vie en prison où il a commencé à écrire. Son roman Souvenirs de la guerre récente est un clin d'œil littéraire au Désert des Tartares, de Dino Buzzati: un homme jeune est emmené une nuit dans un camp militaire isolé afin de se préparer à une guerre imminente dont personne ne sait rien. Il y passera de très nombreuses années, à ne rien faire ou presque, sans voir un seul ennemi, sans tirer un seul coup de fusil contre un soldat adverse, avant d'être libéré avec ses camarades sans qu'aucune explication ne leur ait été donnée. Au bout d'à peine 10 jours de vie civile, de lui-même il demandera à se faire réintégrer dans l'armée.

Même si l'on voit bien la double intention de l'auteur, à la fois mettre en garde contre l'aliénation de l'être humain par l'enfermement dans un système dictatorial, et, paradoxalement, décrire la découverte profonde de soi-même au sein de cette vie carcérale, je trouve personnellement ce texte un peu dégarni et frisant souvent l'ennui. Il faut aussi que j'avoue que Le Désert des Tartares ne m'avait pas non plus franchement convaincu. J'aime les livres lents et pleins de solitude pourtant. Sans doute est-ce le contexte militaire de cette solitude qui m'a gêné chez Buzzati et me gêne encore ici, même si cette explication me semble, elle aussi, un peu mince.

L'avant-propos, de l'auteur lui-même, Échapper au silence, est cependant un texte magnifique qui, à lui seul, vaut de s'intéresser à ce livre.

On écrit pour être. On se regarde être à travers l'écriture et on se reconnaît dans celui qui écrit. Écrire, c'est faire semblant d'être un autre. On s'observe et on se rend compte qu'on fait semblant. On commence alors à se reconnaître non pas en celui qu'on est, mais en celui qu'on fait semblant d'être. Mais celui qui est sur le papier n'existe pas. Ou bien celui qui n'existe pas serait-il l'Autre, le vrai? Quand on arrive à cette question, toutes les possibilités sont ouvertes. Plus jamais on ne saura avec certitude qui est qui.
(Ed. Belfond. Trad. de Jean-Marie Saint-Lu.)

dimanche 5 septembre 2010

Momentini

- L'embêtant, quand on a peu de temps à passer devant son ordinateur, comme moi ce soir, c'est de se dire que l'on ne va pas pouvoir tout faire. Alors que sacrifier? L'écriture? La réponse aux commentaires? La lecture des autres? Choix cruel qu'il faut pourtant bien faire, et rapidement si je veux avoir les yeux en face des trous demain matin: je vois les sixièmes pour la première fois de l'année et les sixièmes, pour moi, c'est sacré! Alors, si vous me lisez, c'est que j'ai déjà fait mon choix, hein! La mort dans l'âme, rassurez-vous. Le reste demain: je trouverai bien un moment. Moi, je ne suis pas comme Dame K qui ne sais pas où caser son coiffeur. Je me fais quasiment rasé: avec mon emploi du temps, je ne peux pas me permettre d'y aller trop souvent!!!! Mais ce n'est pas pour autant que je conseille à K. de se raser, comprenez-moi bien!

- Entendu ces jours-ci dans la rue, des conversations qui atteignent des sommets. Des exemples?
1°) une jeune fille toute piercinguée (non, pas persillée, ça c'est autre chose!): -"Moi, je ne lui adresserai plus jamais la parole: il m'a trop parlé avec la bouche!"
Pas compris.
2°) deux flâneurs, aux puces, la soixantaine bien installée, devant je ne sais quoi à acheter: "Il faut se méfier, chéri, on ne sait pas s'il sont vieux d'origine." J'en connais, moi, si!

- Aux puces ce matin, sans mes compères. J'ai pu traîner davantage où je le voulais mais sans la joie d'échanger. Et rigoler de la tête de certains sans partager, c'est déjà nettement moins drôle.

- Vu ce soir un film totalement déjanté qui m'a beaucoup plu: Snatch, tu braques ou tu raques, du britannique Guy Ritchie (2000) avec, entre autres, Brad Pitt en manouche boxeur aux mains nues, et Benicio Del Toro dans un rôle de truand à quatre doigts. L'histoire loufoque des tribulations d'un bijou, de Anvers jusqu'à New-York, que se disputent un russe sanguinaire ancien agent du KGB, un Turc pas très futé tombé dans les mailles d'un organisateur de combats de boxe truqués, un faux juif et vrai escroc et trois noirs (et leur chien) aussi sombres que bêtes (et drôles) que les autres veulent saigner "à blanc". Ça va très vite, c'est plein de trouvailles de mise en scène et de cadrage, c'est très drôle et ça ne se prend guère au sérieux tout en étant d'excellente qualité. Que demander de mieux à la télévision un dimanche soir?

- J'ai appris par d'autres blogueurs la fermeture prochaine de la Librairie des Terreaux, près de la place du même nom. Après la disparition de la Proue et celle des Nouveautés, le paysage culturel lyonnais est en train de se désertifier. Je n'ai jamais été un client fidèle de cette librairie (contrairement à celle de la Proue) mais je ne passais jamais devant sa devanture sans jeter un œil attentif à ce qui s'y trouvait car ces livres-là, en général sur Lyon et sa grande région, on ne les voyait nulle part ailleurs. Et puis cette impression de grenier de son enfance...

samedi 4 septembre 2010

Un soir

Plus en demi-teinte, le soir, comme il se doit sans doute. Mes deux compagnons de jeux habituels sont partis en vacances sans moi, l'un parce qu'il est en retraite, l'autre parce qu'il peut les poser quand bon lui semble. Ce sera sans doute un de mes grands plaisirs lorsque j'arrêterai de travailler de ne plus être obligé de prendre toujours les vacances scolaires!

J'ai voulu, cet après-midi, faire ma promenade habituelle jusqu'à la presqu'île. Gambetta, que j'aime pourtant plus que toute autre artère de la ville, m'a paru bruyant et encombré. Les lyonnais sont rentrés, la ville redevient invivable. A l'angle de la place Le Viste, une fanfare d'étudiants jouait des airs entraînants qui m'ont à peine arrêté. Pas mis les pieds sur la place Bellecour. Rien acheté en librairie: rien ne m'attirait suffisamment. Le pont de la Guillotière et les berges étaient aussi remplis de ces gens qui croient prolonger l'été en mettant en valeur leur bronzage agressif. Que de tongs, que de shorts blancs, que de maillots moulants! Même pas l'ombre d'une émotion devant ces pectoraux qui ne se cachent que pour mieux se montrer.

Auparavant, j'avais pris la voiture pour aller dans le 8° photographier un endroit que j'aime. Je me promettais de le faire depuis longtemps: le pont métallique du chemin de fer et l'architecture industrielle y sont particulièrement intéressants. Arrivé sur place, je me suis rendu compte que la lumière était trop forte et excluait toute nuance sur les clichés. Déception à la hauteur de mon attente.

Alors, ce soir, pour rire, j'ai écouter Mado la Niçoise dans son précédent spectacle retransmis à la télévision. Et j'ai ri. Surpris? Pourquoi?

Un matin

Se réveiller le matin et deviner que le soleil est là, derrière les volets de la porte-fenêtre. Petites traces lumineuses sur le parquet là où le bois du volet est un peu abimé. Se dire que l'on a le temps, que rien ne presse et ne pas résister à l'envie de prendre son petit déjeuner sur la table de la cuisine nouvellement restaurée et vernie, une vieille table de couvent, face à la lumière, face au matin. Caresser une dernière fois de ses jambes le drap tiède des rêves de la nuit et mettre le pied à terre, faire le premier pas du jour.

Dans la cuisine, ouvrir les volets et laisser la lumière entrer à flots, éblouissante aux yeux encore trop imprégnés de la pénombre. Les géraniums rouges sont beaux cette année et la bougainvillée est en pleine floraison. Profusion de verdure: la glycine s'affermit de saison en saison et une vigne vierge joue les passagers clandestins dans le grand bac à réservoir d'eau.

Déjà la cafetière glougloute et l'arôme du café frais se répand dans la pièce. Sortir la confiture de mirabelles et quelques madeleines coques, le jus d'orange aussi, que bientôt on pourra presser soi-même. S'asseoir sur une des chaises qui auraient besoin d'être rempaillées et qui grincent toutes un peu comme si elles protestaient d'avoir encore à être utiles. Redécouvrir, comme si c'était le premier jour, le bouquet d'iris blancs, la faïence arlequin, les poteries de grès perchées sur un placard puis relever le menton, fermer les yeux et se dire qu'on est bien. Matin.

vendredi 3 septembre 2010

Normal, quoi !

- Bon alors, Monsieur, ceux qui ne font pas allemand n'ont pas de livre d'allemand?
Silence général interloqué. Le premier jour, j'évite le missile assassin, la parole qui tue, le mot dont on ne se relève plus. Il est futé, ce petit! Je sens qu'on ira loin!

A part ça, rien de marquant. Une rentrée plutôt calme avec les cinquièmes. Dans ma classe, 14 garçons, 9 filles. Au collège, on a toujours eu plus de mâles. Paysage harmonieux: je parle des tailles (pas de grand fifrelet ni de puce dont les pieds ne touchent pas par terre une fois assis sur la chaise) et des âges (ni arriéré ni trop précoce), pas des visages car l'arrivée de l'adolescence commence à faire des ravages sur leur peau post-enfantine. Deux heures avec eux ce matin:
- à récupérer les circulaires remplies par leurs parents pendant les vacances: "M'sieur, j'ai oublié la fiche sanitaire. Je vous l'apporte demain?" (Bonne idée, justement ce samedi, je ne savais pas quoi faire.). "Ah!Mais c'était aujourd'hui qu'il fallait les rendre?" "Ma maman les a envoyées par la poste." "On les a perdu sur la plage. Je peux en avoir d'autres?".
- à distribuer les livres (voir point d'orgue plus haut, en début de billet). Cette année, une chance inouïe: il n'en manquait aucun.
- à vérifier l'orthographe des noms, des prénoms, les options: "Moi, vous avez dit que j'étais en bilingue. En fait, je fais anglais et allemand..." (Regard noir)
- à expliquer le fonctionnement du nouveau cahier de liaison, à donner les premières indications topographiques nécessaires aux nouveaux élèves, à répondre à quelques questions dont les réponses ont déjà été données trois secondes auparavant.
- à commenter l'emploi du temps. Tiens, aucune réaction négative. Il faut dire que celui de cette classe n'est pas mal du tout (oui, oui, le mien aussi, Stéphane!).
- à répéter pour la quatrième fois qu'il est inutile de se lever pendant les cours pour jeter des papiers à la poubelle: cela peut attendre la fin de l'heure. Et à la fin de l'heure, quand ils sont tous partis, se rendre compte que la plupart les ont laissés sur les tables.
- à...., à....., à....
Une rentrée normale, quoi.

jeudi 2 septembre 2010

Rébellion

Dans le film que j'ai vu ce soir à la télévision, Les Fautes d'orthographe de Jean-Jacques Zilbermann, film certes un peu trop manichéen , aux bons sentiments parfois un peu trop évidents, il y a un épisode qui m'en a rappelé un semblable que j'ai vécu à peu près à la même époque (5 ou 6 ans auparavant), puisque l'action est censée se passer au début des années 70.

Les enfants de cet internat privé, trop malmenés par la tyrannie d'un directeur abusif, finissent par se révolter et jeter leur nourriture sur le sol de la salle à manger.

J'étais demi-pensionnaire au lycée Claude Fauriel, à Saint-Étienne. Cet établissement avait alors (et peut-être l'a-t-il toujours) la réputation d'être un excellent lycée. Mais les bons résultats et la qualité de l'enseignement allait de paire avec une discipline très stricte, d'autant que lorsque j'entrai en sixième, la "révolution" de 68 n'était pas encore passée par là. Ainsi était-il interdit, alors que c'était la grande mode à cette époque, de porter un badge, même le plus anodin, sur le revers de la veste que nous étions obligés de garder si la venue du proviseur ou du censeur était annoncée comme imminente. Ces messieurs venaient nous rendre personnellement nos bulletins trimestriels en n'hésitant pas, si le cas le nécessitait, à faire des commentaires parfois plus que dépréciatifs.

Il était également interdit de venir en classe en vêtements de sport, ce que je comprends aujourd'hui, vue la puanteur que dégagent les adolescents restés trop longtemps dans ces tissus synthétiques. On ne pouvait pas non plus se permettre de répondre aux professeurs sans lever la main, de contester un résultat ou une appréciation, de mâcher du chewing-gum bien sûr, de jouer dans la cour qui n'était pas la nôtre (il y en avait trois, selon l'âge). La punition, s'il s'agissait d'un domaine autre que purement scolaire, se matérialisait par des "mauvais points". Lorsqu'ils tombaient, ces mauvais points, cela pouvait être à l'unité, pour une faute légère, par exemple avoir, après le repas, laissé tomber sa serviette en papier en dehors de la gosse poubelle qui les recueillait à la sortie de la cantine. Par deux, trois ou quatre pour des fautes plus graves et maniaquement échelonnées.

Nous, les demi-pensionnaires, étions en général les mal aimés. Les externes n'avaient pas grand chose à craindre puisqu'ils rentraient chez eux à midi et n'assistaient pas à l'étude du soir. Les internes étaient, bien sûr, toujours dans les murs, mais bénéficiaient souvent de la bienveillance des surveillants, ces pions qui, pour la plupart, assuraient aussi à tour de rôle le service de nuit. Alors, c'est nous les demi-pensionnaires, qui trinquions.

Nous avions notre cour à part à midi et interdiction de mettre un pied dans celle des internes qui, d'ailleurs, constituait une caste à part peu désireuse de s'ouvrir aux autres. Nous avions aussi notre salle à manger à nous, plusieurs salles même, où l'on nous rangeaient par tables de huit. Ceux qui se trouvaient le plus près de l'allée centrale où circulaient les chariots de nourriture avaient de grandes chances de manger beaucoup plus copieusement que ceux du fond de la tablée qui devaient se contenter des restes.

Bien sûr, il y avait déjà les blagues traditionnelles de potaches qui ont encore cours aujourd'hui: vider le pot à eau ou une louche de purée dans la poche du voisin de derrière, cracher discrètement dans le plat après s'être servi soi même, se battre à coup de fromages en parts à tartiner. On ne nous imposait pas le silence complet mais il fallait se tenir, sinon la sanction tombait au moindre brouhaha. Les gens qui nous servaient ne nous regardaient pas plus que les paysans ne regardent leurs vaches quand ils leur versent dans la mangeoire leur part de foin ou de granulés. Les sourires n'étaient pas de mise. Je n'ai jamais compris pourquoi.. Peut-être avaient-ils peur de nous, tous ces adultes censés nous éduquer.

La nourriture, généralement, n'était pas bonne, en particulier ce que l'on nous servait comme étant de la viande et qui, une fois dans l'assiette, se révélait immangeable parce que froide, trop dure ou trop nerveuse. Je me souviens que c'est dans ces années-là que j'ai appris à aimer le vol-au-vent, même si celui de cette cantine avait, le plus souvent, la consistance d'une purée molle et grasse. Au moins pouvions-nous l'avaler sans risque le bris d'une dent ou l'étranglement.

Un jour que le plat de viande servie était particulièrement répugnant, viande aux reflets déjà irisés, jus figé avant d'avoir atteint l'assiette, il se produisit quelque chose que même les plus contestataires, ceux qui n'avaient pas peur d'être convoqués dans les bureaux du surveillant général, du censeur ou du proviseur (selon le nombre de "mauvais points" accumulés, l'exclusion était prononcée au 16°), n'auraient pas rêvé possible: au fur et à mesure que le chariot qui les servait avançait dans l'allée centrale, les plats tombaient au sol, dans un bruit métallique de plus en plus assourdissant, éclaboussant le carrelage de toute la graisse figée, rendant définitivement immangeable cette pitance ignoble.

Les pions présents, un à chaque bout de la salle, tentèrent vainement de ramener un semblant de calme: rien n'y fit. Car, doublant le vacarme de la vaisselle métallique qui tombait, s'élevait peu à peu un grondement d'abord sourd puis à pleine voix, sorti de ces gosiers trop longtemps contraints au silence. Les surveillants des autres pièces accoururent pour prêter main forte à leurs collègues. Peine perdue. Non seulement la rébellion ne cessait pas mais elle s'étendait même aux salles voisines, laissées sans surveillance par ceux qui avaient rejoint la nôtre.

Je ne sais plus exactement comment finit cet épisode. Je me souviens cependant avec certitude que, paradoxalement, personne ne fut puni cette fois-ci et que la qualité des produits servis dans les jours suivants s'améliora un peu.

Ce soir, dans le film de Zilbermann, il y avait le même incident, dans un décor à peu de choses près semblable. Je pense que les élèves actuels, s'ils voient cette scène, la considéreront comme dignes d'être croquée dans une bande dessinée. C'est qu'ils n'ont jamais connu et ne connaîtront jamais le poids de ces institutions répressives, le sadisme de certains personnels, enseignants ou non, qui trouvaient là tout loisir de satisfaire leur perversité et les brimades auxquelles nous étions assujettis. Pourtant, c'est dans un de ces lieux sévères que j'ai tout appris, que j'ai connu ma future vocation et que j'ai connu mes plus grandes joies intellectuelles. Alors?

mercredi 1 septembre 2010

Moins un

Déjà un de fait. Et pas des plus faciles! Mais cette année, grand calme, grande harmonie. Bon petit déjeuner offert par la maison pour commencer, puis discours réduits par rapport aux années précédentes et pas toujours inintéressants, de nouveaux jeunes collègues sans grand relief pour moi pour l'instant (ce que je veux dire par là, c'est que je ne me suis mis à baver bêtement devant aucun, pour l'instant!).

Cet après-midi, travail qui avançait rapidement grâce à tout ce que nous avions déjà mis en place à la fin juin. Les échanges se font, les collègues sont plutôt souriants. D'ailleurs, j'ai rarement vu autant de monde au repas de midi, lui aussi offert par la maison. Ma classe de cinquième où je suis professeur principal se résume à une suite de noms dont je ne connais aucun ou presque. Mon emploi du temps reçu en juillet (merci Stéphane et Gilles) n'a que peu varié dans sa dernière mouture. J'aurai encore pas mal d'après-midi libres cette année (re merci Stéphane).

Demain, repos. Déjà, oui: les cinquièmes ne font leur rentrée que vendredi. Mais je vais tâcher de rester bien sagement devant mon bureau, à peaufiner mes premières séquences de trois semaines. Les cours, les vrais, ne commencent réellement que lundi. Et ce sera parti pour environ 36 semaines. Allez hop! En selle!