J'ai toujours dit beaucoup de mal des textes publiés sous l'appellation "Littérature Jeunesse", chez quelque éditeur que ce soit: une illustre inconnue (en général, ce sont des femmes, censées peut-être être plus proches des enfants, à moins que l'on ne veuille en cela calquer la réalité du monde professoral et ainsi effectuer un bon coup de marketing), une illustre inconnue donc s'empare des mythes et des légendes antiques ou du Moyen-Age et, après avoir soigneusement épluché le contenu des programmes scolaires, pond (verbe employé à dessein, tant la périodicité est grande) un texte insipide la plupart du temps par où officiellement, on espère attirer les jeunes vers la lecture et la connaissance de ces textes fondateurs que sont par exemple L'Odyssée, Les Métamorphoses ou le Cycle Arthurien, et officieusement gagner un peu d'argent.
Textes sans aucune valeur littéraire, parfois racoleurs, au mieux inutiles, à peine lus déjà oubliés. Bien sûr, la langue employée est adaptée au public visé et ainsi est-il épargné à ce public de pré adolescents le moindre effort qui pourrait, à la longue, rehausser le niveau de son vocabulaire. Pour illustrer ces "produits", des illustrations d'une laideur absolue, caressant là aussi l'animal dans le sens du poil en louchant par exemple sur les mangas asiatiques. Depuis plusieurs années, je pestais contre cette façon de faire découvrir la littérature aux enfants, cette sorte d'ersatz sans rapport aucun avec la valeur et la richesse de l'œuvre originelle. Il semble d'ailleurs que les textes officiels aillent maintenant dan mon sens. Mais les éditeurs?
Il y a une dizaine d'années, il existait dans la collection Étonnants Classiques de Garnier-Flammarion une très honorable édition du Chevalier au lion de Chrétien de Toyes, édition au texte bien traduit et à l'adaptation suffisamment complète pour rendre un compte effectif de l'œuvre. Après avoir tâté l'an dernier d'une autre édition parce que celle-ci était épuisée, j'ai décidé cette année de revenir à mes premières amours. Un coup de téléphone au libraire m'a appris que l'édition G-F était passée de 220 pages à 150 environ. Il me reste à découvrir ce que le texte de Chrétien de Troyes est devenu. J'ai finalement opté pour cette édition, refusant absolument, contrairement à certaines de mes collègues, de cautionner la réécriture de ce chef-d'œuvre par une écrivaillonne contemporaine.
Pourtant, pourtant.....
Il existait, lorsque j'étais enfant, des livres fabuleux , des livres que j'ai dévorés des yeux aussi bien pour les lire que pour en scruter les illustrations. Il en existait toute une collection sous le titre générique de "Contes et Légendes". A l'une des pages de garde, il était indiqué: Paris, Librairie d'Education Fernand Nathan, 18 rue Monsieur-Le-Prince (VI°), Tous droits réservés. Ces simples indications me faisait déjà rêver, moi le fils de mineur et de paysan dans les mains de qui ce trésor venait d'être mis. Que dire alors des plus gros caractères juste au-dessus? J'ai en ce moment sous les yeux un des ouvrages de cette collection, récupéré de justesse auprès de la documentaliste du collège qui voulait s'en débarrasser:. Voici ce qu'on peut y lire. D'abord tout en haut: Collection de contes et légendes de tous les pays. Puis au centre, en caractères plus gras et plus importants: Légendes du monde grec et barbare, et ensuite, en plus petit: racontées aux enfants par Laura Orvieto. Enfin, en minuscule: traduction Monod seule autorisée. Huitième édition.
J'ai toujours lu, dans tous mes romans, cette première page jusque dans les moindres détails parce que, là aussi, je trouvais du plaisir, sans doute comme le pélerin qui, avant d'entrer dans la cathédrale, se recueille un instant dans le narthex. Laura Orvieto? Qui était-elle donc? Je ne connaissais pas l'Italie à l'époque où je lisais ces récits, je ne savais bien sûr pas qu'il existait en Ombrie une ville de ce nom à la sublime cathédrale. Pourtant, qu'elle m'a fait rêver, cette dame, par tout ce qu'elle m'a raconté!
Dans ces premières éditions (dont l'origine remonte à 1916), les illustrations étaient aussi importantes pour moi que les textes. Il y avait d'abord celles qui inauguraient chaque chapitre, à la manière des enluminures du Moyen-Age, mais toutes sages, en noir et blanc. Puis,peu nombreuses, une petite dizaine par volume, celles qui occupaient une pleine page et sur lesquelles je m'arrêtais longuement parce que, plus peut-être encore que le texte, elles permettaient à mon imagination de s'envoler vers ses rivages lointains, de m'asseoir à la table des dieux et des rois, de lutter en armure aux côtés des héros grecs, de souffrir dans Troie auprès de la triste Andromaque. Trois couleurs seulement dans ces pages-là: du noir, du blanc et du orange, encadrées d'un filament noir. En-dessous, une phrase reprise du texte: "- Laomédon, me donneras-tu tes chevaux maintenant, dit Héraclès au roi." Poésie des mots, déjà.
En 1927, la collection s'ouvrira aux contes et légendes des régions de France, puis, en 63, changera un peu sa présentation: les vieilles couvertures devenues trop austères, aux couleurs des illustrations intérieures, seront blanches désormais, et agrémentées, sur le dos, d'un filet d'or. La couleur fait aussi son apparition dans les illustrations. La page de garde n'indique plus Librairie d'Éducation, comme s'il s'était agi d'un gros mot. Le rêve s'éloigne. Peut-être en même temps que ma première enfance et ma capacité à rêver de rien.
Pourtant, pourtant...
Lorsque je regarde ces livres, lorsque je les feuillette sans les lire (je veux garder intacts les souvenirs que j'en ai), je me dis qu'ils m'ont offert, avant mes premiers voyages, avant la découverte personnelle des sites dont ils parlent, avant que j'apprenne les langues antiques dans lesquelles les récits qui les ont inspirés ont été écrits, mes plus beaux moments d'évasion, lus dans les prés en gardant les brebis de mon père ou au lit, bien souvent en cachette de lui. Peut-être les enfants d'aujourd'hui rêvent-ils devant d'autres supports, qui, moi, me laissent indifférent ou m'insupportent. Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr.
mardi 14 septembre 2010
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6 commentaires:
Une EXCELLENTE collection. Le premier que j'aie lu (j'étais en CM1), c'était "Récits tirés du théâtre grec". Des textes adaptés d'Eschylle, Sophocle, Euripide. Le nom des auteurs grecs, je m'en fichais éperdument, mais les héros et les mythes, qu'est-ce que j'adorais ça ! Après, en cinquième, on me regardait comme un phénomène de foire parce que je connaissais les noms de tous les enfants d'Oedipe, ou que je savais qui étaient les Atrides. Eh voui, c'est comme ça qu'on appâte les petits moineaux. Par la suite, j'en ai découvert beaucoup d'autres (mes plus lointains souvenirs remontent à la collection "rayée d'or" dont tu parles, je ne savais pas qu'il existait, avant, une autre présentation). J'en ai conservé quelques uns, chez mes parents. Ils dorment au fond d'un placard, leur BA accomplie depuis des années. Plus personne ne les a rouverts depuis !
Ah c'est pas croyable. Je viens de les retrouver, tous mes "contes et légendes", pousiéreusement empilés dans le grenier paternel. J'étais contente !
Et ça me fait aussi penser à un livre magnifique que j'avais déniché pour Grand Fils et qui racontait la quête de la Toison d'or. Les pages en accordéon se dépliaient sur 3 mètres, heureusement que sa chambre était vaste ! Qu'est-ce qu'on a pu y passer du temps tous les deux assis sur le plancher ! Les illustrations étaient superbes et le texte riche et très bien écrit, ce qui ne l'a jamais rebuté lui qui pourtant était aussi grand dévoreur de BD et de mangas. J'avais juste à répondre à toutes ses questions. Quel plaisir !
Je ne connais pas ce genre de choses. C'est peut-être que je suis TROP jeune ;-)
En tout cas, ça fait plaisir de lire combien ces lectures ont engendré de plaisir et de souvenirs précis à raconter.
Lorsque tu viendras à Lyon, fais-moi penser, Lancelot, à te montrer l'édition d'origine.
Moi, KarregWenn,je n'en ai pas un à moi et je n'en ai jamais eu (trop chers sans doute pour mes parents). A l'époque, je les empruntais à la bibliothèque. Aujourd'hui, je les récupère: plus personne n'en veut.
Eh bien, tu as manqué quelque chose, Cornus. Si tu en croises un un jour, regarde, et tu verras! Moi, ils me font toujours rêver.
Je me souviens de cette collection. Et c'est sûrement grâce à elle que j'ai passé une bonne partie de mon année de sixième à la bibliothèque. Merci d'avoir fait resurgir ces souvenirs.
Toi aussi, Gonzo!
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