samedi 31 janvier 2009

Citation

Une phrase de l'abbé Pierre, que j'aime (la phrase et l'abbé):

Il va falloir savoir aimer, consentir à apprendre à aimer. Combien cela est autre exigence que l'instinct! C'est exigence de liberté. Et de cette liberté la plus extrême, la liberté volontaire pour se livrer, pour se lier.

Un ami (3)

Amédé est parti. Hier à 11h30 du soir, pendant que je revenais du théâtre. Michel m'a appelé ce matin pour me l'apprendre. Il venait lui aussi de savoir la nouvelle.

Paroles stupides, de circonstances, pour consoler l'autre, lui dire que c'est mieux ainsi, pour la souffrance, pour lui, pour nous. S'entendre prononcer des mots, entendre des sons sortir de sa bouche et n'y prendre aucune part, ne pas y adhérer profondément, comme si l'on récitait un rôle qui ne nous convient pas. Pourtant que dire d'autre? On ne peut se taire au téléphone.

A la fin de l'entretien, comme une grande fatigue corporelle, une lassitude des muscles, des épaules surtout qui ne supportent plus le poids des bras. Et peu à peu, au cours des heures, un mal être envahissant, sans douleur pourtant, sans chagrin. C'est autre chose, la tristesse. Le chagrin, la peine, c'est actif: on lutte contre, on s'y enferre, on joue avec, selon son caractère. La tristesse, c'est comme tomber dans un puits sans bouger, sans sentir le mouvement, avoir la pesanteur soudain plus lourde. Une sorte d'anesthésie.

En même temps qu'elle montait, un écœurement de plus en plus insupportable, comme une intoxication alimentaire, à avoir besoin de vomir. Et au lieu de vomir, pleurer, enfin, quelques larmes, au moment de préparer le repas, dans la cuisine, bien sûr, là où il me paraît encore le plus vivant. Quelques larmes qui ont débondé le bouchon, pendant la sieste ensuite où je n'ai pas dormi. Le corps a besoin de ses réactions, il faut le laisser faire. J'ai trop souvent cru en être le maître.

Mon travail scolaire puis un ménage acharné m'a remis d'aplomb. Mais je n'ai pas fini d'épeler le silence.

Au théâtre hier soir.

Au théâtre hier soir avec Kikou.

Ceci exige maintenant la mise en place de toute une intendance, car Kikou n'est plus apte à se déplacer seule. George, son mari, me l'a "livrée" devant les Célestins, une demi-heure à l'avance. Nous avons demandé où se trouvait l'ascenseur. Dans ce vieil édifice, il faut d'abord descendre au sous-sol pour changer d'ascenseur et remonter au niveau des corbeilles. Du sourire et de l'humour de la part des ouvreurs et ouvreuses: c'est bien. Kikou ayant réclamé le tapis rouge, un jeune homme lui a répondu qu'on venait justement de le déposer au pressing, mais que l'on ferait tout pour le réinstaller pour sa prochaine visite. Y aura-t-il une prochaine visite?

Kikou avait, comme d'habitude, fait un effort d'élégance. Ça m'émeut beaucoup de voir cette petite bonne femme qui m'arrive à peine sous le bras ne pas se laisser aller, lutter contre sa maladie qu'elle soupçonne pourtant être irrémédiable. Elle était habillée d'une sorte de chasuble en lainage brun qu'elle portait sous une veste ouverte pour masquer sa silhouette de profil, qu'elle trouve trop empâtée.

Le spectacle: Vers toi, terre promise, tragédie dentaire de Jean-Claude Grumberg. Histoire d'un couple juif athée à Paris, ayant perdu une fille en camp de concentration et l'autre en la confiant à une institution religieuse de bonnes sœurs qui, l'ayant convertie, ne la rendra jamais. L'homme, dentiste, se forge un personnage de vieil aigri bougon. Elle, plus pleurnicharde mais en même temps plus réaliste, mûrit peu à peu le projet de migrer en Israël, ce qu'ils finiront par faire. Une pièce tournant autour du sujet de la dépossession (la fille, le cabinet, le pays), émouvante mais à l'humour corrosif, aux réparties lapidaires qui font mouche, et servie par d'excellents comédiens, en particulier elle, madame Spodek, interprétée par Christine Murillo. Cette tristesse qui se moque d'elle-même me convient parfaitement en ce moment. Une des répliques qui m'a le plus fait rire:
- Devine qui est-ce qui est mort?
- Ces temps-ci ou durant les dernières années?

La pièce étant assez courte, j'ai proposé à Kikou d'aller ensuite boire quelque chose dans un bar proche du théâtre, de prendre du temps rien qu'à nous, sans hâte, sans stress, comme on le fait rarement, plutôt que de rentrer immédiatement. Tous les deux, nous avons eu la même impression: être redevenus des étudiants qui échangent sur la culture et refont le monde le temps d'une bière pour moi, d'un thé pour elle.

Puis taxi jusqu'à la Croix-Rousse. Je suis resté quelques minutes avec elle et son mari et, peu avant minuit, j'ai redescendu la montée de la Grande-Côte et pris un vélov à l'opéra pour rentrer dans mon troisième arrondissement. Je ne savais pas encore que, pendant que je pédalais, avec toujours la même sensation de liberté, Amédé s'en allait.

vendredi 30 janvier 2009

Les Dialogues de Calyste (3)

(Ben oui, pourquoi yaurai'k Platon et les carmélites?)

- Monsieur, le texte, je le traduis en français?
- Ah non, ça suffit le français, traduis en Ossète du sud.
- En quoi?
- En Ossète du sud.
- Mais j'peux pas, j'connais pas.
- Eh bien tant pis, tu auras une mauvaise note...

Sourires

Souvent, lorsque j'ai le soleil dans les yeux, je plisse le front et les ferme un peu, comme tout le monde.

Cette simple transformation doit me donner un autre air, un visage avenant car, en face de moi, les gens me sourient. J'ai découvert ça dernièrement. Moi qui, d'ordinaire ai une allure un peu froide, un air à ne pas se faire taper sur les fesses (hélas, parfois), j'en ai été très surpris au début. En retour, j'adresse à ces passants un beau et franc sourire, un vrai celui-ci.

On m'a dit qu'un sourire me métamorphosait, que de professeur strict et sérieux, je redevenais un peu enfant, taquin et rieur. Je veux bien le croire, ne pouvant en juger moi-même. En tout cas, il est drôlement agréable de se voir dans la rue adresser un sourire par quelqu'un que l'on ne connaît pas, un sourire gratuit, sans arrière-pensée, sans calcul d'une sorte ou d'un autre.

Je ne vais pas pour autant m'accrocher un éternel sourire à la face: on ne va pas tomber dans la niaiserie. Mais cultiver ma découverte, sûrement. C'est peut-être aussi ça, ne plus avoir peur des autres.

jeudi 29 janvier 2009

Femmes de rêve.

Cette nuit, j'ai rêvé. Et au matin, je me souvenais de presque tout mon rêve. Il y a bien longtemps que cela n'était pas arrivé!

Il y était question de mon professeur de lettres, de celui que, si je n'avais pas peur du ridicule, j'appellerais mon maître, de celui qui m'a ouvert à la culture. Je l'ai eu trois ans entre la sixième et la terminale. Il m'a profondément marqué: si je suis prof., c'est grâce à lui, ou à cause de lui.

Dans mon rêve, je passais sous le portique extérieur, tel qu'il existait effectivement au lycée Claude Fauriel à cette époque et regardais par l'entrebâillement de la porte pour essayer de voir si cet homme était là. Qu'avais-je à lui dire, à lui demander, quelle était la raison de ma présence? Je n'en sais rien. Il y était mais en nombreuse compagnie. Des femmes, exclusivement des femmes.

Je tentais tant bien que mal de me trouver une petite place mais, sans le vouloir, ces femmes m'en empêchaient. Ce n'était plus une salle de classe mais un inextricable fouillis de chaises et de tables où s'accumulait de la nourriture que mangeaient peu à peu ces voraces. Lorsque je réussis à m'asseoir enfin, je tournais le dos à mon professeur. Le souvenir du rêve s'arrête là.

Pourquoi cette nuit? J'ai revu cet homme dernièrement sur une photo de classe publiée par Copains d'avant. Sa canne près de lui, sa façon de poser les jambes sur le sol, cette habitude de plaquer les bras le long du corps appuyés sur la chaise, comme s'il se tenait prêt à fuir. Est-ce cette photo qui a provoqué mon rêve? Probablement. Mais pourquoi toutes ces femmes (et pas des jeunes filles) alors que mon établissement était exclusivement réservé aux garçons et que même au niveau du corps enseignant, le nombre de femmes était assez limité?

Je ne me suis pas réveillé en sursaut ni stressé par ce rêve qui n'était donc pas agressif. Mais j'ai du mal à en comprendre la teneur.

Un ami (2)

Nouvelle série de téléphones hier soir. Michel puis Claude. Amédé est en train de mourir. Les médecins ne lui donnent que 24 à 48 heures à vivre. Étrange expression que "donner à vivre", l'inverse de "donner la vie", comme si les médecins étaient des divinités omnipotentes répartissant le temps imparti à chacun en fonction de calculs compliqués ou de leur bon vouloir.

Je ne ressens rien. Tout cela reste pour moi totalement abstrait, comme si je n'étais pas concerné. Je sais que ça viendra. Après. Demain, dans quelques jours, en pleine nuit. Michel est effondré et pleure au bout du fil. Claude réagit davantage comme moi. Il voit ce qu'il y a à faire, maintenant, tout de suite. La douleur, pour lui, ce sera pour plus tard.

Pour moi, je ne suis pas gêné de mon manque de réaction. J'ai l'habitude, je suis un secondaire. Pourtant, je n'aime pas ma situation en ce moment. J'ai l'impression d'évoluer dans un entre-deux, entre le temps de la vie et le temps de la mort. Lorsque je pense à Amédé, je ne sais pas s'il faut que je mette mes souvenirs au passé ou au présent. "Amédé est" ou "Amédé était". Puisqu'il y a de fortes chances que je ne le revois pas vivant, l'histoire pour moi s'est déjà arrêtée donc, et je devrais employer le passé. Mais puisque je ne le verrai sans doute pas mort, puisqu'il n'est pas mort, je ne peux, affectivement, qu'employer le présent. Un présent figé, prisonnier dans de la glace.

Hier soir, je cherchais à susciter une émotion en moi, j'aurais voulu éprouver quelque chose qui me rassure quant à ma compréhension de la situation réelle. Rien. Ce qui m'est revenu, et qui m'a enfoncé encore davantage dans la réalité vivante d'Amédé, ce sont les grandes marmites de moules marinières qu'il me préparait à chacun de ses voyages à Lyon. Il savait que j'aime ce plat et que je ne m'en prépare jamais. Quand nous faisions les courses, je lui disais toujours: "Choisis et moi, je paie." Avec rien, il savait confectionner des plats dont je me régalais toujours: maquereaux en gelée, filets de sardines marinées, ou bien, pour changer du poisson, gâteau de foies de volailles ou, mieux, de lapins. Tout était prêt en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Un vrai cuisinier. Un grand. La seule chose dont il n'a jamais pu se souvenir, c'est que je n'aime pas la tapenade.

Il m'apportait aussi des confitures, faites maison. Il était un de mes principaux pourvoyeurs, avec Kikou, malade elle aussi, et Émile qui, avec son diabète n'en fait plus guère. Évoquer Amédé en cuisine me fait du bien. Lorsqu'il avait fini de préparer le repas, la pièce était un véritable chantier. Il fallait nettoyer les nombreux ustensiles, ranger, essuyer, jeter. Lui ne s'en préoccupait pas. Un seigneur. Mais j'aurais bien laver dix vaisselles pour un seul de ses plats. A la fin du repas, il se mettait à bâiller et si, à plusieurs, la conversation se prolongeait, peu à peu il s'endormait sur la chaise. Une petite sieste, dix minutes un quart d'heure, et le revoilà d'attaque. Toujours actif, toujours partant, toujours plein d'idées.

Je ne suis pas sur place en ce moment. Je ne peux rien faire. Je garderai de lui l'image du vivant. Je disais le contraire il y a quelques jours. Je ne suis pas sûr de ne pas encore changer d'avis.

mercredi 28 janvier 2009

Les Dialogues de Calyste (2)

(Ben oui, pourquoi yaurai'k Platon?)

- Quand tu enlèves tes lunettes, tu n'as plus la même tête.

- Comment elle est, ma tête sans lunettes?

- Lubrique.

Les Dialogues de Calyste (1)

(Ben oui, pourquoi yaurai'k Platon?)

- Tes mains sont juste à la taille de mes fesses.

- Non, ce sont tes fesses qui sont à la taille de mes mains.

- Alors disons qu'elles étaient faites pour se rencontrer.

Ça fume?

La boulangère me fera bien crédit. Elle me connaît, depuis le temps. J'arrive du parc, je suis suant, gluant, j'ai froid. Pas envie de remonter me doucher, me changer et surtout redescendre après.

Le pain en main, je ressors sans doute un peu vite de la boulangerie, me croyant toujours au sport, et heurte le bras tendu d'un jeune géant accompagné de deux amies. Bien que la rencontre soit plus marquante pour moi, c'est moi qui m'excuse. Après tout, j'ai déboulé de la boutique sans trop regarder.

Mais le géant se retourne et me fixe en étendant les bras en croix. Ses deux amies se penchent vers le sol et semblent rechercher quelque chose. Le géant fait de même. Intrigué, je m'arrête. Une des femmes me parle. Avec le bruit de la rue, je n'entends pas. Aucun des trois n'a l'air trop agressif. Je m'approche.

La femme: - Vous avez quelque chose sur vous?
Je ne comprends pas. Que me disent-ils exactement?
L'homme: - Je ne voudrais pas que tu brûles, plus tard!
Je suis passé dans une autre dimension? La sénilité s'est abattue soudain sur moi?
Moi: - Mais qu'est-ce que vous cherchez?
L'homme: - La cigarette que j'avais à la main! Avec la matière de tes habits de sport, si elle est sur toi, tu risques de brûler, et ce ne sera pas de ma faute! (le tout avec un grand sourire).

Un des filles finit par retrouver le mégot écrasé au sol mais encore fumant. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je me transformerai en bonze.
J'ai bien aimé la façon gentille et amicale de me tutoyer de l'homme. Le "tu" bien employé enlève toujours quelques années.

lundi 26 janvier 2009

Un ami (1)

Je viens d'avoir Michel au téléphone. Michel, c'est l'ancien ami d'Amédé, aujourd'hui à Paris. Il avait joint Claude, l'ancien ami, lui aussi, d'Avignon aujourd'hui dans la Drôme. Compliqué? Non, je trouve même magnifique, cette valse des téléphones entre anciens amis, tous proches, tous aimés un jour par Amédé, tous autour de lui, de près, de loin, aujourd'hui.

Amédé est sans doute en train de mourir. Pour l'instant, il est à Aix mais demain il sera remonté à Avignon. Claude, qui l'a vu, a dit sa faiblesse, son visage marbré sous le masque à oxygène, sa maigreur et bien sûr quelques délires dus à la morphine. Des images qui sont encore bien présentes en moi. On ne lui infligera sans doute pas une prochaine série de chimiothérapie, ou alors en placebo. A quoi bon le faire souffrir davantage?

Je l'ai dit, c'est mon plus vieil ami. Je l'ai rencontré durant l'hiver, fin 70 ou début 71. Je n'avais pas vingt ans, à peine dix-huit. J'étais mineur, bien sûr, à l'époque. Je me dirigeais vers la gare, après avoir passé la journée à Lyon, pour rentrer à Saint-Étienne quand j'ai croisé cette grande silhouette dans le sombre des quais du Rhône. Il a longuement hésité à m'aborder puis s'y est enfin résolu quand il m'a vu m'éloigner, pressé par le temps: je ne voulais pas manquer le dernier train.

Ensuite, ce dont je me souviens de la soirée, c'est une douzaine d'huîtres dégustées au restaurant, pour me faire plaisir, l'accent chantant du Diois et les grands éclats de rire. Il m'a plu tout de suite: il n'avait pas cet air constipé que se croyait obligé de prendre à l'époque (à l'époque?)tout homo lyonnais qui se respectait. Se faire accepter dans un petit hôtel près de la gare fut plus délicat. Le patron nous regarda franchement de travers quand nous demandâmes une chambre avec un grand lit et s'énerva carrément quand je demandai d'être réveillé à quatre heures pour rentrer par le premier train. Il finit par se calmer et nous prêter un réveil.

Le lendemain (non, vous n'aurez pas droit à la nuit), Amédé, en me quittant me donna son adresse et son téléphone à Avignon et m'assura qu'il aurait du plaisir à me revoir. Je crois très franchement que c'était vrai, et bien partagé. C'était le début d'une amitié qui dure encore aujourd'hui, avec des temps plus calmes, mais jamais en jachère, toujours vivante. Trente huit ans que nous nous connaissons. Pourtant nous avons bien failli, ce soir-là, passer l'un à côté de l'autre sans oser nous parler. J'étais timide, lui aussi. Combien de rencontres avortées bêtement dans une vie? Celle-ci ne le fut pas. J'en raconterai la suite. Un autre soir.

Pique-nique

Un dimanche. Haute-Savoie. Des amis avec nous. Venus de Lyon. Brigitte et François.

Un pique-nique. Un pique-nique de luxe: saumon et foie gras, et Roquefort arrosé de Monbazillac. Dans un pré en pente, très en pente, où même les poules doivent être ferrées, avait dit Pierre. En face, le Mont Blanc, sans son écharpe de brume. Splendeur de la lumière d'Août. Autrefois.

Je défile ces images comme de vieilles diapositives sans fondu enchaîné, avec le noir entre elles, où l'image précédente reste imprégnée dans la rétine.

En repartant d'Onion, léger malaise dans la voiture avec les virages. Puis Saint Jean d'Aulps peut-être, ou bien Sixte et Samoëns, je ne me souviens pas.

C'est tout ce qui reste, des diapos qui passent dans ma tête: noir, soleil, noir, soleil, noir, soleil....SOLEIL.

Une journée particulière.

Journée mouvementée au collège aujourd'hui. Sur l'échelle des niveaux d'alerte, nous étions sur l'orange bien sombre, virant au rouge. Conjonction de deux phénomènes: maladie des surveillants (plus un qui fait la tête) et maladie de quelques profs. Résultat: une seule surveillante pour plusieurs salles d'étude, la cantine, la queue du self et la cour, et des élèves inoccupés, pas malades eux, à ne plus savoir qu'en faire.

Eh bien, chapeau, car, lorsque je suis parti après le repas, il n'y avait eu aucun incident majeur! Même le directeur avait retroussé les manches et donnait de sa personne. Quant à Gilles et Stéphane, les voir surveiller le self à midi, ça avait un petit côté insolite. Les profs disponibles ont pris parfois les classes restées sur le carreau et, lorsque celui qui devait remplacer une absence prévue était lui-même malade, un remplaçant remplaçait le remplaçant. Le système D dans toute sa splendeur qui a évité l'explosion. Et demain? Eh bien, il sera temps demain matin de voir ce qu'il en est, d'autant que je ne sais rien du déroulement de l'après-midi d'aujourd'hui.

dimanche 25 janvier 2009

Un trésor.

La chambre était petite. Elle était encombrée de meubles massifs: deux grands lits rendus plus imposants encore par leurs bois cirés, une table (mais je ne la retrouve guère dans mes souvenirs) et deux larges armoires dont une en palissandre.

Celle-ci semblait avoir une aura particulière. A la façon dont j'entendais prononcer le mot "palissandre" chaque fois que l'on évoquait cette armoire, je savais qu'il ne s'agissait pas de n'importe quel meuble, que ce n'était pas qu'un simple assemblage de planches destiné à ranger les pauvres effets des pauvres gens. C'était l'armoire en "palissandre", un meuble de riches, exilé dans cette chambre, un meuble replié derrière ses reflets chauds et discrets, un meuble qui cautérisait son exil.

Pour moi, la sonorité évoquait quelque chose d'exotique, d'oriental, un bois d'arbre rare, encore imprégné des senteurs de ces forêts où le soleil ne perce qu'à peine. Inconsciemment, car j'étais encore petit, je lui attribuais une atmosphère d'aventures et d'amour. Plus tard, beaucoup plus tard, le mot "Samarcande" provoquera chez moi les mêmes associations d'idées. D'ailleurs les deux sont proches par leurs sonorités.

Cette armoire me semblait d'autant plus mystérieuse que je n'avais pas l'autorisation d'y toucher, encore moins celle de l'ouvrir. Ma grand-mère était à bien des égards une femme du XIX° siècle (née l'année de la mort de Victor Hugo!) et pour elle, les enfants n'avaient rien à faire dans une chambre quand il faisait jour, sauf en cas de maladie avec fièvre. Quant au soir et à la nuit, je les passais auprès d'elle, dans le même lit, à tenter de nous réchauffer avec une brique enveloppée de papier journal.

L'autre armoire, la plébéienne, contenait des couvertures, des draps - ces draps en coton épais et rêche que l'on faisait broder aux initiales du couple et dont on laissait jaunir les pliures sur les étagères, faute de les utiliser, de les "déchâsser" comme on disait alors-, des piles de mouchoirs à carreaux grands comme des serviettes de table, et du linge de toilette fatigué. Sur la dernière étagère du bas, devait sans doute dormir la paire de souliers des grandes occasions, celle que l'on chaussait quand vraiment on ne pouvait garder ses galoches.

Sur le rebord de la fenêtre, à l'intérieur, on posait le broc à lait. L'hiver, quand le matin arrivait et que le fourneau de la cuisine, l'autre unique pièce, était depuis bien longtemps éteint, on le retrouvait recouvert d'une couche de glace semblable à l'épaisseur de paraffine dont on protège les confitures.

L'armoire en palissandre était face au lit où l'on ne dormait pas. Cette autre extrémité de la chambre était un peu comme un monde étranger, presque hostile, nous épiant dans notre quotidien et attendant son heure. Un jour pourtant, je m'aventurai dans cette zone inexplorée. Où était ma grand-mère? Comment avais-je pu transgresser l'interdit, moi l'enfant sage à qui tout le monde accordait sa confiance? Je ne sais pas, mais je me souviens avoir ouvert l'armoire, en n'empruntant d'autre sésame que la clé toujours présente dans la serrure.

Mon cœur battait-il à tout rompre lorsque, pour la première fois, j'écartai le battant de bois, lorsque, pour la première fois, mes narines se remplirent de l'odeur de ce tabernacle, odeur du bois, de l'air enfermé trop longtemps et du contenu des rayons? Je ne m'en souviens pas. Plus probablement, pas. J'ai toujours été ainsi fait: lorsque quelque chose est interdit, j'analyse cet interdit, j'essaie d'en comprendre le pourquoi. Si la raison m'en paraît valable, je le respecte et le fais respecter. Mais si ce pourquoi n'entre pas dans ma morale à moi, si je ne peux admettre cette restriction de ma liberté que je juge fondée sur rien de valable, alors je passe outre l'interdiction, et rien ne peut me faire changer d'avis, définitivement.

Sans doute est-ce déjà suite à cet itinéraire de raisonnement que, sans émotion particulière, j'ouvris un beau jour l'armoire en palissandre. J'ai oublié depuis ce qu'elle contenait exactement. Vraisemblablement je fus assez déçu de ce que j'y découvris. Ainsi le mystère se dégonfla très vite et la palissandre rejoignit à jamais d'autres bois plus domestiques, pin, poirier, chêne ou merisier.

Pourtant je n'oublierai jamais ce que contenait un de ses rayons, probablement un du bas car je ne devais pas avoir plus de cinq ou six ans et ma taille ne me permettait pas d'atteindre les plus hautes étagères. Je découvris ce jour-là un trésor qui, je le sus plus tard, quand je fus démasqué, avait appartenu à ma mère. Un trésor avec lequel, dès que ma grand-mère s'absentait, je passais de grands moments de bonheur, seul dans la chambre, à me contempler dans la glace de l'armoire plébéienne.

Une collection de chapeaux! Oh, peut-être pas autant que mon souvenir enfantin n'en décompte, une petite collection sans doute, cinq ou six tout au plus. Mais tous colorés, tout rigolos, des petits, des grands, des avec des plumes, d'autres avec des voilettes, certains un peu usagés, d'autres comme neufs. Les chapeaux de ma mère! Ma grand-mère, femme élancée au physique sec comme un coup de trique, femme à principes et à certitudes, qui n'aurait pas déparé dans une assemblée de protestants rigoristes, serait morte plutôt que d'avoir seulement l'idée d'en essayer un.

Un à un, je les essayai, moi, ces chapeaux, m'extasiant sur leur beauté, riant de les voir s'effondrer tout à coup sur mes oreilles, cherchant le devant et le derrière, scrutant attentivement tel ou tel décor d'oiseaux ou de fleurs aux couleurs chatoyantes, me déguisant, jouant des rôles, tous les rôles puisque j'étais toujours seul, m'imaginant des trains, des voyages, des aventures, des paysages, des amours déjà peut-être. De tout cela, je ne sais plus rien. Je reconstitue à partir de deux minces indices: le mot "palissandre" et la vision de tous ces chapeaux débordant du rayon une fois l'armoire ouverte...

Mon souvenir est là, si proche, si lointain, habillé de récent avec des vêtements qu'il ne portait pas alors. Mais qu'importe, c'est bien lui et c'est ainsi qu'aujourd'hui il se présente à moi.

Une journée avec ma mère.

Ma sœur a pris quelques jours de vacances. Paris. C'est donc moi qui me suis occupé de ma mère toute cette fin de semaine, avec repas chez moi aujourd'hui.

Quand je suis allé la chercher, elle était avec les autres au salon, en bas comme elle dit, elle, sans que je sache pourquoi. Elle avait cet air un peu égaré que je lui vois souvent le matin (quand je la vois le matin). Ne pas brusquer, aller lentement. Elle est très vulnérable dans ces moments-là. Elle se laissera mettre son manteau et ses souliers, une écharpe même, sans rechigner. La journée commence bien.

Pour le repas, j'ai eu du nez. Je sais qu'elle raffole des crevettes. Je lui en ai servi en entrée avec un avocat bien mûr à point, exactement ce que je voulais et que j'ai trouvé un peu plus tôt au marché. Elle aime aussi l'avocat, mais ne touchera pas aux champignons émincés que j'avais rajoutés avec un petit filet de jus de citron.

Sa joie fut même palpable quand elle découvrit la choucroute, dont elle se laissa servir une bonne assiette, qu'elle ne finit certes pas mais entama très sérieusement. Elle n'eut pas droit au Riesling qui l'accompagnait, à cause de ses médicaments. D'ailleurs, quand je lui proposai de tremper les lèvres dans mon verre, elle refusa. Bien sûr, quand je lui demandai si c'était bon, elle répondit comme à son habitude: "Ça peut aller!". Cette réponse me peine chaque fois, non en tant que telle mais parce qu'elle me rappelle mon enfance, quand je rapportais de bonnes notes de l'école et qu'elle disait la même phrase, sans jamais un compliment. Par la suite, quand je me suis rendu compte que je suivais inconsciemment le même chemin dans mon métier de prof,j'ai dû, moi, faire un effort considérable pour glisser parfois un "Bien" sur une copie. Voir le sourire alors de certains élèves m'en récompense largement aujourd'hui.

Un peu de fromage, et le dessert arriva: un chou chantilly. What else? S'il n'y a pas sa pâtisserie favorite, ce n'est pas vraiment dimanche. Puis le café: elle est comme moi, elle l'aime fort et bouillant. J'ai sans doute hérité de son gosier qui supporte les hautes températures.

Puis je l'ai installé en long sur le canapé du salon, avec des coussins sous la tête et la table basse collée à elle pour éviter la chute. Installé sur un fauteuil en face d'elle, j'ai lu un instant puis me suis assoupi un peu. Quand je me suis réveillé, elle dormait encore. Une heure sans bouger, fait rarissime! A son réveil, elle s'est légèrement redressée sur les coudes et a regardé autour d'elle, ne reconnaissant pas son cadre habituel. Puis elle m'a vu et m'a, sans parler, adressé un petit geste de la même. Décidément; nous étions dans un jour faste.

Il faisait un temps magnifique aujourd'hui à Lyon: un ciel superbement bleu, pas de vent, des températures quasi printanières. Alors, j'ai profité de sa bonne humeur après la sieste pour programmer une promenade dans les rues. Je sais qu'elle aime ça par dessus tout et que ce ne sont que ses angoisses (accident, retard au retour, pluie, peur de manquer une visite...) qui parfois la font renoncer. J'ai poussé le chariot pendant deux heures (et ce soir, je m'en souviens encore, dans les bras et dans le dos), je lui ai montré ce qu'elle ne connaît pas et qui peut arrêter un instant son attention: le tram, le bâtiment des impôts, l'Auditorium (qu'elle a remarqué toute seule de part sa forme étrange), l'immeuble encore inhabité du cours Lafayette où s'est produite, il y a quelques mois, la terrible explosion de gaz.

Jusque là, je connaissais bien cet itinéraire pour le pratiquer souvent en vélo. Je savais donc les trottoirs à éviter, où se trouvaient les bateaux et je n'ai pas eu de grosses surprises avec le chariot. Mais c'est bien dans ce genre de circonstances, quand on est directement concerné, qu'on se rend vraiment compte que rien, ou presque, n'est fait, dans les rues, pour faciliter le déplacement des personnes handicapées. Sans parler de ces imbéciles qui pensent que la ville a aménagé ces endroits pour que eux justement puissent s'y garer!

Ensuite, descente du cours Lafayette, à gauche avenue de Saxe. On passe devant l'immeuble où j'ai vécu dix-sept ans avec Pierre. Elle reconnaît le quartier, évoque quelques souvenirs, dont une messe de la veillée de Noël à l'Immaculée Conception. Je veux lui montrer les aménagements des bas-ports du Rhône à la hauteur de la Préfecture. Elle ne veut pas rester, même en haut, sur le quai: je crois l'entendre dire qu'elle a peur de la foule, je suis sûr qu'elle me dit avoir peur de tomber du quai sur le bas-port. Et puis, il y a l'eau, en bas, le Rhône. Je n'insiste pas.

Rentrés à la maison. Ma sœur appelle. Pendant que, comme à son habitude, ma mère entame la liste de ses jérémiades habituelles, et en rassurant ma sœur, je prépare des pommes au four. Recette hyper simple et rapide donnée par J. Mais ça marche moins bien que prévu: il fallait des golden, je n'avais que des gala, et leur peau est un peu trop épaisse.

Il est temps bientôt de regagner la clinique. Après son repas du soir, et alors que je lui souhaite une bonne nuit, heureux d'avoir passé une bonne journée, rien que tous les deux ce qui est rare, d'avoir géré son stress, de n'avoir pas eu à m'énerver, d'être resté constamment calme, une de ses dernières phrases du jour sera: "Tu es content de t'en aller".

Il y a des jours où l'on est d'excellents traducteurs. J'ai compris: "Merci".

samedi 24 janvier 2009

Un coup de Who et ça repart!

Je patauge: impossible de trouver l'angle d'attaque pour un devoir de latin destiné aux quatrièmes et portant à la fois sur la correspondance et les rapports hommes/femmes à Rome.

J. m'appelle: "Viens manger avec nous!". Sitôt dit, sitôt fait. Repas tout calme (et bon) suivi d'un moment de détente devant la télé. Au programme, deux épisodes d'une série anglaise: Docteur Who, épisodes intitulés La Bibliothèque. Je me laisse vite prendre par l'histoire fantastique de ces Seigneurs du Temps qui voyagent à travers les siècles. C'est à la fois captivant et drôle. Et, cerise sur le gâteau, j'y retrouve une actrice que j'aime beaucoup: Alex Kingston, que j'ai découverte il y a quelques années dans le personnage d'Elizabeth Corday, le médecin le plus sexy d'Urgences (après George Clooney, bien sûr).

Retour sous la pluie et dans la grisaille pour me remettre au labeur. Et là, tout se dénoue: la semaine de sixième est prête en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et le fameux contrôle récalcitrant accepte enfin de se laisser apprivoiser et coucher sur le papier. Il aura fallu l'amadouer, celui-là. Mais il est là, ça y est, et il me plaît en plus. Du coup, je suis parti chez ma mère avec l'esprit libre, l'âme (presque) légère.

Un petit peu de repos et de détente n'a jamais fait de mal à personne, surtout si ce farniente permet ensuite d'être plus performant. Voilà une vérité dont je suis de plus en plus convaincu. Alors, merci who?

Mille (et un)

En écrivant le petit billet de ce matin, je ne me suis rendu compte de rien.

J'avais par hasard découvert il y a une quinzaine de jours que je m'approchais à grands pas de mon millième petit texte dans ce blog. Eh bien, c'est fait, c'est Mon pote Auguste. Dommage? Non, ainsi je m'évite le casse-tête de trouver un sujet original qui commémore ce millier mais sans en avoir l'air, qui flatte mon ego tout en prônant la plus grande modestie.

Je me souviens que l'on m'avait dit qu'il fallait tenir le rythme, que je risquais de m'essouffler. Parfois oui, j'ai senti cet essoufflement, mais bien rarement. Je suis en plus très content que ce billet symbolique contienne deux de mes passions dans la vie: l'antiquité latine et mon métier d'enseignant.

Alors, repartis pour un nouveau mille?
PS: merci bien sûr à tous ceux qui ont eu la patience de me lire jusqu'ici (fausse modestie?).

Mon pote Auguste

Pour rester dans la latinité, beau plaisir hier pendant mon cours de troisième.

Alors que nous étudiions un texte de Suétone (Vie des douze Césars)présentant le personnage de l'empereur Auguste, j'illustrais ces propos par quelques commentaires autour du texte lui-même et de quelques reproductions (pièces de monnaie, statues en soldat et en sacerdos), un de mes élèves tout à coup s'esclaffa.

Ne comprenant pas ce qu'il y avait de drôle dans mes propos où, pour une fois, je n'avais glissé aucun jeu de mots ni sous-entendu humoristique, je demandai au jeune homme de bien vouloir m'expliquer cet accès de bonne humeur.

" C'est parce que, monsieur, on dirait que vous le connaissez, comme si vous étiez un de ses amis!"

Bien qu'ayant répondu, en fronçant (faussement) le sourcil que je n'étais pas tout à fait né à cette époque malgré mes cheveux et ma barbe enneigés, j'avoue que la réaction spontanée de cet élève m'a fait bigrement plaisir.

vendredi 23 janvier 2009

Une lettre venue de loin.

Voilà maintenant plusieurs jours, et ce soir presque deux heures, que je travaille sur un projet en latin. Il s'agissait pour moi de trouver un texte intéressant sur les rapports hommes/femmes dans l'antiquité romaine et ce à travers une correspondance. Mission quasiment impossible. Bien sûr, il existe les lettres de Cicéron à sa femme Térentia, mais elles ne sont pas passionnantes et leur contenu est le plus souvent bien sec.

Je me suis rapidement dirigé vers le plus célèbre épistolier latin, à savoir Pline le Jeune dont tout le monde connaît les deux lettres à Tacite décrivant en détails l'éruption du Vésuve, éruption si bien évoquée que les scientifiques ont très longtemps utilisé le terme de "plinienne" pour cette catégorie d'éruptions.
J'ai trouvé ce que je cherchais, ou presque, et je ne résiste pas à la tentation de vous faire partager mon plaisir face à ce texte.

Certains vont sans doute fuir au bout de la deuxième ligne. Bien sûr, la traduction est un peu ampoulée, mais si l'on fait l'effort de transcrire en langage plus moderne les sentiments décrits dans cette lettre, on se rendra compte d'une part que Pline aimait sa femme que son état de santé retenait loin de Rome, d'autre part qu'il exprime de façon magnifiquement subtile et délicate ces sentiments et ses angoisses devant l'absence de l'aimée. Qui aujourd'hui, alors qu'on se débarrasse des vœux en envoyant des SMS en rafales, alors que la communication passe par des moyens de plus en plus impersonnels, qui est encore capable d'écrire ainsi? D'écrire tout court?

Voici donc la lettre IV du livre VI des Lettres de Pline le Jeune.

Pline à sa chère Calpurnia.
Jamais je ne me suis tant plaint de mes affaires que lorsqu'elles ne m'ont permis de vous accompagner quand votre santé vous obligea de partir pour la Campanie, ni du moins de vous suivre peu de jours après que vous fûtes partie. C'était principalement dans ce temps que j'eusse désiré le plus d'être avec vous, pour juger par mes yeux si vos forces revenaient, si ce corps délicat se rétablissait, et comment votre tempérament s'accommodait soit de la solitude, soit des douceurs et de l'abondance de ce séjour. Quand vous seriez dans la meilleure santé, je ne soutiendrais qu'avec chagrin votre absence; car c'est un état fort triste et fort inquiet que de passer quelquefois des heures sans savoir des nouvelles de ce qu'on aime le mieux. Mais, absente et malade, vous m'alarmez de plus d'une manière. Il n'est rien que je n'appréhende et que je n'imagine; et selon la coutume de ceux que la crainte a saisis, tout ce qui me fait le plus trembler est ce que j'ai le plus de penchant à croire. C'est pourquoi je vous conjure, avec la dernière instance, de prévenir mon inquiétude par une et même par deux lettres chaque jour. Je me rassurerai du moins tant que je lirai; mais je retomberai dans mes premières alarmes dès que j'aurai lu. Adieu.

jeudi 22 janvier 2009

Vu d'en haut.

Vue d'une fenêtre du collège, cet après-midi: toute la chaîne des grandes Alpes. De quoi peut-on se plaindre, avec un tel spectacle devant soi, même si, selon les anciens, un horizon si proche annonce la pluie?

Merlin l'Enchanteur.

Ce matin, une compagnie de théâtre, La Charabote, que nous connaissons maintenant depuis quelques années, est venue donner une représentation au collège.

Le spectacle:Merlin l'Enchanteur, était destiné aux cinquièmes, dont le programme comporte la période du Moyen Age et donc le Matière de Bretagne et le Roman Courtois. Pour ma part, je leur fais lire chaque année Yvain ou le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes. Certaines de mes collègues trouvent ce texte trop difficile pour cet âge. Or, depuis le temps que je le fais lire et étudier, j'ai plutôt de bons résultats: ça les intéresse souvent beaucoup. J'ai déjà parlé de mes réticences devant une bonne partie de la production en littérature enfantine. Je préfère de beaucoup privilégier des textes originaux, quitte à devoir donner plus d'explications.

Merlin est librement, très librement, adapté des romans de Chrétien de Troyes et des autres sources de cette légende. On rit souvent devant les pitreries des deux uniques comédiens qui se partage tous les rôles, surtout devant le comédien qui aurait sans doute réussi une carrière de clown.

Au-delà de la performance physique que représente le fait d'endosser de nombreux rôles (avec, pour accessoire, un unique porte-manteaux servant à déposer ou à prendre les différents accessoires symboliques des personnages et à se cacher derrière pour se changer), il faut surtout applaudir le sérieux de cette entreprise. On peut rire aux éclats mais jamais la vérité littéraire, la tradition légendaire ne sont trahies au profit de l'effet immédiat.

D'ailleurs, dans l'entretien que les comédiens ont ensuite avec les élèves, ce sont les premiers qui posent les questions et les enfants qui répondent et l'on sent immédiatement que la troupe a travaillé non seulement la mise en scène, la gestuelle et le texte mais aussi la connaissance du contexte historique et littéraire. Moi, j'aime beaucoup et chaque année, les élèves aussi. Deux heures très agréables et instructives.

Boucheries.

Pendant que mes cinquièmes travaillent en silence à leur contrôle sur le Roman Courtois, j'entends mon voisin professeur d'histoire faire son cours dans la salle à côté. Cette partie du bâtiment est ainsi disposée que nos deux salles de classe sont exactement parallèles et que nos bureaux ne sont séparés que par une mince porte de communication.

Ainsi, je n'ai aucune peine à suivre ce qu'il dit, d'autant qu'il est parfois obligé d'élever encore la voix à cause d'un léger brouhaha dans son public. J'aime beaucoup l'entendre, d'une part parce que, jeune prof., il a l'air passionné par son métier, et surtout parce que l'Histoire est une matière que j'ai toujours beaucoup appréciée.

Ce matin , la leçon porte sur la période de la Révolution Française (doit-on mettre des majuscules ou pas? Question que je me pose). Je l'ai entendu évoquer la Vendée et les massacres qui y ont été perpétrés par les révolutionnaires, 300 000 personnes exécutées, à ce qu'il m'a semblé entendre! Il a expliqué aussi le drapeau de ces Vendéens, le symbole de sa couleur blanche, leur fidélité au roi avant de passer à d'autres aspects de cette Révolution.

Bien sûr, c'est une période de l'histoire qui m'a toujours intéressé mais, aujourd'hui, en l'écoutant dérouler sa présentation, je me suis aussi souvenu de mes lectures de jeune adolescent, quand j'ai abandonné, poussé par un professeur, les Club des Cinq ou les Six Compagnons et autres Michel pour des rivages plus abrupts mais plus enchanteurs. De ces livres faciles pour enfant, je suis passé sans transition à Balzac qui est resté pour moi pendant des années une véritable passion. C'est à l'adolescence que j'ai lu Les Chouans, un livre qui m'avait fortement impressionné à ce moment-là. Je n'ai pas de souvenirs bien précis de l'intrigue. en revanche, je me rappelle parfaitement une certaine atmosphère, un climat que je m'étais créé à la lecture, de nuit, de peur et de chemins creux où résonnait le cri sinistre de la chouette. Je me souviens aussi avoir découvert à cette occasion la furie dont sont capables les hommes quand ils se livrent à la boucherie sur leurs semblables.

Mon amour pour Balzac s'est estompé, ma passion pour l'Histoire reste en attente de temps pour m'y consacrer. Seule la boucherie humaine n'a rien perdu de sa force et de son horreur. Il n'est qu'à voir aujourd'hui les ruines de la Palestine pour comprendre.

mercredi 21 janvier 2009

La chancelière.

Un de mes grands plaisirs, et des plus idiots, est de feuilleter les catalogues publicitaires que les grandes surfaces déversent régulièrement dans les boîtes à lettres, particulièrement le lundi, avec l'aide, rémunérée certes, de la Poste.

Je jette d'abord ce qui n'a aucune chance de m'intéresser, par exemple automobiles, pizzas, publicités uniquement sur des produits alimentaires ou envoi sur papier glacé de projets immobiliers ou de placements rentables par l'intermédiaire d'une assurance vie. Arrivés dans mon appartement, les prospectus choisis trouvent immédiatement leur place dans les toilettes: c'est en effet là qu'ils seront feuilletés. Ils peuvent y rester longtemps, sans que je m'en préoccupe. Peu importe, le but n'étant pas de profiter d'éventuelles bonnes affaires, mais de "rêver" sur ces feuilles.

Un jour, j'en ouvre un. Quand j'étais adolescent, ce qui me fascinait, bien sûr, c'étaient les photos d'hommes présentant les collections de slips et sous-vêtements divers. Je les trouvais tous très beaux et très excitants, même si, et c'était toujours le cas, l'image était très pudique. Même les hommes en caleçons longs (surtout?) me troublaient. Aujourd'hui, Dieu merci, j'ai grandi. Je ne dis pas que je n'y jette pas un œil, mais le détour est beaucoup plus rapide et le regard rarement accroché par une silhouette intéressante.

Non, je m'intéresse aux équipements sportifs (un peu pour la même raison, c'est vrai), à l'équipement informatique ou électronique, aux meubles, à presque tout. Le but n'est pas d'acheter mais de rêver dix secondes, comme je l'ai dit. Ou plutôt de laisser mon imagination vagabonder dans les intérieurs reconstitués où le couple idéal passe une vie de rêve sur canapé sans tâches, dans un univers où chaque objet a sa place, unique, même dans un semblant de désordre, et sa couleur, en rapport avec l'effet général recherché. Mon Dieu, comme l'on doit vite se lasser de ces atmosphères pré-digérées. J'imagine, jusqu'à m'en faire peur, leurs soirées, leurs dimanches, leurs rencontres, et je me dis toujours que j'ai bien de la chance d'échapper à cela.

Et tout à l'heure, j'ai eu une joie supplémentaire et nouvelle. En effet, côté vocabulaire, les mots que je ne comprends pas sont nombreux concernant les dernières technologies baptisées de borborygmes anglais. Mais j'ai découvert aujourd'hui un mot français que je ne connaissais pas, en tout cas dans ce sens précis. Savez-vous ce que c'est qu'une chancelière quand il n'est pas question de la dirigeante du territoire transrhénan qui borde nos frontières? Bien sûr, les nouvelles mamans ont plus de chance de trouver puisque l'objet en question concerne les bébés, mais, renseignement pris sur le dictionnaire, il peut aussi, un peu différent, faire le bonheur de personnes plus âgées frileuses. Le Larousse donne la définition suivante: "Sac fourré pour mettre les pieds et les tenir au chaud", en précisant qu'il s'agit d'un sens vieilli. Mais le terme semble avoir été repris pour désigner ces sortes de fourreaux douillets, adaptables aux poussettes, dans lesquels on glisse les tout petits lors de parcours extérieurs.

Voilà qui me contente, puisque j'ai la double joie d'apprendre un nouveau mot et de constater qu'un emploi vieilli de ce mot a retrouvé une seconde jeunesse.

mardi 20 janvier 2009

Deuxième soir.

Dans cinq minutes, il est onze heures. Et je serai couché. Deuxième jour. Un peu comme quand on s'arrête de fumer.

Puces.

Dimanche matin, dans la grisaille, j'ai voulu bouger, changer les habitudes. Je suis retourné dans un endroit où je n'avais plus mis les pieds depuis plusieurs dizaines d'années: les Puces de la Feyssine, qui d'ailleurs ne sont plus à la Feyssine mais de l'autre côté du Rhône et en ont profité pour changer de nom: on doit dire maintenant les Puces du Canal.

J'avais déjà longé maintes fois ces entrepôts de béton lorsqu'en courant j'empruntais la piste cyclable qui aboutit au parc de Miribel. Je n'y étais jamais entré. Dimanche matin, ce fut chose faite. Quartier sinistre quand on l'aborde par l'arrière comme je l'ai expérimenté, probablement destiné à la démolition un jour ou l'autre.

Dehors, quelques exposants bravaient la pluie et proposaient à la vente quantité d'objets hétéroclites et tout aussi inutiles dont on se demande qui peut bien les acheter. Seule une large bergère défoncée attira mon regard, moins pour sa beauté que pour le pathétique de sa fin crachinée.

Beaucoup de monde à l'abri des entrepôts, beaucoup de box aussi, pour la plupart ouverts. Là aussi, une multitude d'objets divers, de meubles, de livres, de tableaux, de cartes postales, de jeux, de revues, de magazines, de voitures miniature et de soldats de plomb, en plus ou moins bon état, d'un intérêt plus ou moins grand, plus ou moins bien mis en valeur.

J'ai remarqué plusieurs peintures d'un même peintre, dont j'ai, bien sûr, depuis oublié le nom, mais qui toutes représentaient des scènes de bord de mer dans une station balnéaire du XIX° siècle. J'ai même jugé que les prix en étaient abordables. D'ailleurs, crise oblige, les vendeurs proposaient quasiment tous des réductions avant même que l'acheteur éventuel l'ait demandé. Ma seule hésitation fut cependant pour un petit guide ancien, à 1 Euro, de Rome antique et chrétienne. Je l'ai feuilleté un long moment avant de le reposer finalement: que pourrais-je bien en tirer que je ne connaisse déjà (ceci dit sans forfanterie aucune)?

Je suis reparti les mains vides et de la boue sous les souliers.

Ami.

Amédé est très malade. Le cancer l'a repris et ne semble pas vouloir le lâcher cette fois. La chimio le détruit plus qu'elle ne le préserve. Il a déjà perdu une vingtaine de kilos. C'est Michel, son ami retrouvé de Paris, qui m'a prévenu car, au téléphone, Amédé s'entend trop bien à donner le change. Pour l'instant, il est dans une maison de convalescence, en attendant une nouvelle chimio à la fin du mois à Avignon.

Lorsque nous avons visité Silvacane, il y a quelques mois, je ne savais pas que je passais tout près de l'endroit où il est en train de finir sa vie. Il faisait beau. J'avais présents à l'esprit les mots, les photos d'Oceania. Nous étions bien tous les deux, dans le soleil.

Je sais que je le reverrai, je descendrai une dernière fois, même au milieu d'une semaine de travail, même prévenu à la dernière minute, même la nuit. Je le lui dois, je ne peux pas agir autrement. Lorsque ma petite sœur est morte, il a fait tout le chemin dans la journée pour me rejoindre, simplement pour être avec moi. Je ne le laisserai pas mourir comme ça.

Je ne suis pas triste. Suis-je blindé maintenant? Ou bien est-ce une autre façon de prier?

C'est mon plus vieil ami.

lundi 19 janvier 2009

Promesse.

Dans cinq minutes, il est onze heures. Et je serai couché. Je l'ai promis. A qui? A moi d'abord. Bonne nuit.

Autre chose.

Je viens de faire l'acquisition, chez Rue du Commerce, d'un disque dur externe destiné à entreposer mes photos pour en délester l'autre. En allant le récupérer ce soir au point relais, j'ai, sans le vouloir, suivi le même itinéraire, absolument, que celui que j'emprunte le dimanche matin pour aller au marché. Question d'habitude. Le bureau de tabacs dépositaire est d'ailleurs au bout de la place du marché Saint-Louis. Mais justement, ce soir, ce n'était pas comme d'habitude. La nuit tombait et j'ai vu le quartier sous ce visage-là, et en semaine en plus, aspect que je ne connaissais pas vraiment. Et ça change tout.

D'abord l'obscurité de ces petites rues: je n'avais jamais remarqué à quel point elles sont mal éclairées par l'éclairage public. On y voit clair mais à peine, et certains renfoncements d'allées feraient presque penser à ces coupe-gorges décrits dans Les Mystères de Paris! D'ailleurs une partie de la faune qu'on y croise, que j'y ai en tout cas croisé, moi, ce soir accentuait encore la ressemblance avec l'ambiance décrite par Eugène Sue. J'ai, à un moment, doublé un couple assez âgé, dont l'homme semblait bien imbibé, et la femme peut-être aussi, et je n'ai pas réussi à reconnaître la langue qu'ils parlaient ni même la famille à laquelle cette langue pourrait se rattacher. Sue et Zola se donnant la main donc.

Ensuite, l'aspect même de la place et des alentours: l'espace central est entièrement occupé par un parking, organisé pour certains emplacements, anarchique pour d'autres, alors que le dimanche, ce sont les étals et la foule qui se presse, foule ne rappelant en rien ma rencontre de ce soir puisque, si la nuit, c'est popu, le marché, c'est plutôt bobo et petits bourgeois. Autour, j'ai vu ouvertes des boutiques que je ne connais d'habitude que fermées. Des ateliers plutôt que des boutiques: des garages, des carrossiers, des menuisiers, d'autres dont l'épaisseur de poussière sur les vitres m'empêchait de reconnaître la destination. Un atelier de théâtre aussi, où de nombreux enfants semblaient bien s'amuser.

Expérience faite, le tabac remplace agréablement l'ancien relais, la boutique de fleurs en face de la caserne, où, pour mon précédent achat, j'avais été reçu comme un chien dans un jeu de quilles. En voilà qui sont sûrs de ne jamais m'avoir comme client!

En face de la caserne, il y a aussi, de l'autre côté de la voûte si belle qui débute la rue Saint-Michel, dans l'amorce de la courbe qu'y fait cette rue, un petit hôtel à l'ancienne, à la devanture discrète et peu éclairée, dans lequel on doit pouvoir se glisser sans risquer d'être aperçu. Il suffit d'entrer sous le porche qui dessert l'hôtel mais aussi le reste de l'immeuble d'habitation, les chambres ne devant occuper qu'un étage ou deux, il suffit en hiver de relever un peu son col pour se fondre dans une atmosphère qui rappelle Simenon, tant le décor est réaliste. Et j'ai rêvé devant cette entrée, rêvé à un soldat du feu, beau comme la flamme dans son uniforme, un soldat qui se glisserait derrière moi jusqu'à l'étage et que j'entraînerais dans notre chambre habituelle, avec avidité, avec passion, en tremblant si fort que mes mains s'impatienteraient à ne pouvoir le dégrafer et avec qui, une fois allongés sur le vieux lit, nous réinventerions le plaisir à chaque fois, en nous extasiant de le créer toujours différent et de le reconnaître toujours semblable. Et lorsque, ivres, nos corps seraient fatigués, nous regarderions ensemble, à travers le voile tiré de la fenêtre, clignoter faiblement le néon de la rue: hôtel, hôtel, hôtel....

Courant d'air (frais?)

Un acte nouveau aujourd'hui: j'ai retourné à l'expéditeur une lettre arrivée en fin de semaine et adressée à Pierre. D'habitude, lorsqu'il en arrive, je les fais suivre à sa sœur dont j'espère qu'elle les a reçues mais sans certitude absolue, puisque je n'ai plus de nouvelles d'elle, pourtant autrefois si proche, depuis bientôt trois ans.

C'est pour cela que j'ai pris cette décision cet après-midi. J'ai renvoyé la lettre d'où elle venait, au notaire de leur famille, notaire qui sait depuis bien longtemps que Pierre est mort, mais qui a sans doute toujours eu la flemme de changer son carnet d'adresses.

Sur l'enveloppe blanche, j'ai écrit en rouge: Retour à l'expéditeur. N'habite plus à l'adresse indiquée. Décédé. Et je l'ai jetée dans la boîte en passant, avec d'autres.

Une porte qui se referme? Celle-là, j'ai tout de même eu un peu l'impression de l'entendre claquer!

Rhabillez-vous.

Un jour, très tôt, votre mère, ou quiconque en tient le rôle, vous met sur le dos des vêtements qu'elle pense être les plus appropriés à ce que vous êtes. Souhaitons que son choix soit le plus judicieux car ces vêtements-là, vous ne les enlèverez plus jamais. Votre vie durant, ils vous colleront à la peau comme ces tuniques antiques que préparaient magiciennes ou centaures.

Vous pouvez en adopter d'autres par dessus, qui vous auront paru plus seyants, plus vrais ou simplement plus à la mode, mais les nouveaux tissus passeront, terniront, s'useront et peu à peu réapparaîtront à travers la trame les couleurs, les motifs, les formes des anciens. Essayez souvent de renouveler l'expérience. Rien n'y fait: les habits de rechange ne vous iront qu'un temps, alors que les tout premiers au pire seront froissés mais ressurgiront toutes les fois comme neufs.

Et si, désespérés de ne parvenir à les cacher ou, s'ils sont momentanément cachés, de ne jamais pouvoir oublier leur présence sous la mince pelure des autres, vous tentez de les arracher, comme les tuniques antiques ils ne font tellement qu'un avec votre peau, avec vous-même, que, tel Midas écorché vif, vous n'airez plus de vous qu'une vision sanguinolente de corps martyrisé. Et vous mourrez.

Auparavant, dans le meilleur des cas, vous aurez entendu votre mère, ou quiconque en tient le rôle, reconnaître à regret que, finalement, elle n'avait pas fait pour vous le meilleur choix.

dimanche 18 janvier 2009

Tentative de rapprochement.

Après l'avoir boycotté pendant des mois, je reprends peu à peu le chemin de mon écran de télévision. Il y a quelques jours, un premier essai: une demi-heure à fouiller sur toutes les chaînes que me propose la Free pour dégoter quelque chose d'intéressant. Résultat: rien. Une dernière tentative sur la télévision italienne, au moins pour le plaisir de la langue, mais l'imbécillité absolue des programmes transalpins m'a très vite fait fuir.

Depuis, j'y suis revenu mais avec un DVD. Quand le ciel est gris, je tente les soleils artificiels. Non, pas les drogues mais pourquoi pas une fiction qui me déridera? A quatre pattes sur mon tapis, j'ai feuilleté les boîtiers de tous les films achetés depuis longtemps et jamais visionnés: trop triste, trop long, ne m'intéresse plus, pas envie de ça ce soir. Finalement, le choix se restreint à la vitesse grand V. Devant l'heure qui coule, je prends Saint Jacques...La Mecque, de Coline Serreau. Les raisons de mon choix? Absurdes! D'abord il y a Muriel Robin, et elle est, comme moi, stéphanoise. Ensuite, j'ai cette année une élève qui porte quasiment le même nom que la réalisatrice. Enfin, Saint Jacques, Compostelle: ça me tente. On peut trouver mieux comme motivations pour regarder un film. Mais ça a marché.

Autant le dire tout de suite: ça ne rivalise pas avec les grands chefs-d'œuvre du septième art. Mais je suis sûr que, dès le départ, ça n'en avait pas la prétention. Pourtant, à moi, ça m'a plu. Quelques beaux paysages par ci par là (si, si), des moments franchement drôles bien que souvent caricaturaux. Et puis quelques instants d'émotion, même si gênés par des séquences oniriques pour la plupart ridicules et inutiles. Emotion quand par exemple on voit la prof laïcarde et un peu virago interprétée par Muriel Robin se prendre d'affection pour un jeune beur plutôt simpliste et analphabète et lui apprendre à lire, avec la passion de son métier toujours présente en elle, même sur les chemins du centre de la France.

Dernière joie ressentie: celle de retrouver le gentil et beau Nicolas Cazalé, pas revu depuis longtemps.

Cinq sens: Sentir

Je ne sais pas par où commencer. Je vais choisir l'entrée la plus abrupte: la mort a-t-elle une odeur? C'est l'idée, ou plutôt la question qui m'est venue hier, au cimetière, devant la tombe de Pierre.

Le redoux des températures avait permis le dégel du sol et la terre de la tombe était toute piquetée de petits creux et de bosses frêles, de petits monticules qui tenaient encore debout mais que l'on sentait fragiles depuis que la glace ne les prenait plus, que l'on pouvait démolir d'un coup de semelle. Une terre de dentelles noires, belle, vivante, ressuscitée. L'odeur des prémices du printemps n'était pas encore là, trop tôt, mais on pouvait repenser à elle pour bientôt. C'est en regardant cette terre qui gardait l'empreinte des frimas derniers que je me suis posé la question. Kikou me dit souvent que je suis imprévisible dans les idées un peu folles qui me passent à un moment par la tête. Pourtant toutes ont toujours un rapport avec la situation où elles éclosent, même si c'est seulement pour moi et même si je ne le connais pas immédiatement.

Quand je parle de l'odeur de la mort, je ne veux pas évoquer les miasmes de putréfaction qui vous assaillent parfois en été, au bord d'un chemin dans le fossé duquel achève de pourrir la charogne d'une proie délaissée. Ce n'est pas l'odeur de la mort, c'est celle de la chair finissante, décomposée, tout près de la momification. Encore quelques heures, quelques jours, quelques rayons de soleil et c'en sera fini du souvenir de ce petit mammifère. Il n'en restera plus que le carton pâte poussiéreux d'une carcasse aplatie.

L'odeur de la mort, si elle existe, n'est pas non plus celle de la chambre confinée où depuis longtemps l'on l'ouvre plus ni les fenêtres ni les rideaux par peur de la lumière, pour protéger le souffrant, pour se protéger aussi de la vision trop nette du profil nouveau de l'être aimé, de son profil d'éternité. Le masque de cire qui s'est imprimé sur sa face n'est plus tourné que vers l'ombre et même le bois des meubles lourds semble retenir ses lueurs pour ne pas l'épouvanter.

Pas davantage les relents des couloirs d'hôpitaux où la petite borne à savon pour les mains ne peut lutter contre ce qui sort des chambres, odeurs fécales, urines ammoniaquées ou doucâtrement sucrées, vague souvenir des poireaux d'une soupe de collectivité ou présence écrasante des désinfectants des corps et des sols. Parfois une infirmière qui passe et laisse derrière une trace de savon frais qui vous rassure: l'extérieur existe encore au-delà de ce couloir surchauffé, au-delà de cette perspective surexposée. L'odeur d'un hôpital est comme celle d'une église ou d'un réfectoire scolaire: on ne peut la confondre.

Je crois que devant la tombe de Pierre, mon esprit m'a menti. Il a trouvé cette question pour me détourner d'une autre pensée, plus rude, plus profonde: Pierre ne peut plus sentir ce que je sens moi, en ce moment, cette douceur de l'air qui me fait encore croire au printemps.

J'ai toujours eu un bon nez. Il faut dire que, comme mes oreilles, il tient bien sa place sur mon visage. Un nez français, presque gaulois, un nez où les lunettes ne risquent pas de trop glisser, un nez quoi, un vrai. J. dit même que parfois il nous gêne pour nous câliner, mais J. exagère toujours. Ce nez détecte et reconnaît assez bien les messages que lui envoie l'extérieur. Un soir de nouvel an chez des amis, j'ai testé avec d'autres le jeu que leur fille venait de recevoir dans ses souliers pour Noël: il s'agissait, à partir de petits godets tous semblables de reconnaître les senteurs qu'ils renfermaient. Sur un total de 25, 23 odeurs reconnues. Seules m'ont échappé celle appelée pompeusement "brise marine" et, là je m'en veux, celle si caractéristique du thym que j'ai confondue en répondant trop vite avec celle de la lavande.

Ainsi les personnes que je côtoie ne sont-elles pas seulement des silhouettes et des couleurs, elles sont aussi et parfois avant tout des odeurs. Odeurs souvent agréables voire excitantes, déclenchant en moi des réflexes pavloviens (non, je n'en dirai pas plus. Une simple odeur de lessive, reconnaissable entre mille!), parfois hélas désagréables et repoussantes, car le nez ne fait pas le tri. Pour moi, les atomes crochus passent par le nez aussi, et quand ils sont accrochés, lui peut alors permettre bien des fantaisies. Mais je m'égare!

Je disais tout à l'heure que certaines odeurs sont uniques, comme celles des églises par exemple. Il m'est arrivé aussi, en entrant quelque part, où que ce soit et sans raison précise, de tout à coup, à cause de l'odeur ou plutôt de l'atmosphère, de la qualité, de l'épaisseur, de l'"assaisonnement" de l'air, être pris d'une sorte de vertige, d'éblouissement passager comme lors d'une chute brusque de tension. A quoi cela tient-il puisque rien, dans l'aspect ni dans l'odeur ne permet de prévoir cet éblouissement?

Sentir, c'est aussi appréhender d'une certaine manière, pressentir. Hier, je n'ai pas écrit de billet. J'ai eu deux courriels, de deux femmes. Étrange comme les femmes sentent mieux, souvent, que les hommes! Je les remercie et les embrasse.

vendredi 16 janvier 2009

Des lignes et des images.

14h15: je viens de quitter J. Métro D. Du monde dans la rame mais pas trop. Un papy maghrébin en face de moi, dont le portable sonne. Réaction idiote de ma part: "Tiens, il a un portable!". Bellecour, changement de ligne. La rame du A arrive immédiatement. J'ai de la chance. Là, l'espace est plus occupé. A Hôtel de Ville, je change encore. Ligne C. Mais où faut-il s'arrêter? L'arrêt le plus près de l'hôpital? Le plan au-dessus de la porte me donne une réponse immédiate: c'est Hénon.

Une sorte de building de verre et de béton écrase l'escalier de sortie. Où suis-je exactement? Dans quel sens? Une vieille habitante du quartier (on les reconnaît tout de suite) me renseigne. J'arrive dans un chantier de béton, dans le dos de l'hôpital. En traversant, je retrouve le vieux bâtiment, complètement cerné par de nouvelles constructions. On le reconnait à peine. La dernière fois que j'y suis allé, c'était pour la naissance de Marie. Elle est aujourd'hui en troisième.

Je suis à l'heure, en avance de cinq minutes, même. Il est 14h55.

17h05. Je sors et longe le métro aérien pour rejoindre la Clinique Protestante. J'en ressors à 18h05. Métro C encore. Beaucoup plus de monde qu'en début d'après-midi. Un beau brun s'assoit à côté de moi et se plonge dans la lecture d'un ouvrage médical. Hôtel de Ville, Bellecour, le même parcours, à l'envers, avec la fourmilière en chauffe. Métro D: on nous annonce que la ligne est momentanément arrêtée pour vingt minutes, suite à un incident. Quand on sait ce que deviennent vingt minutes en fin de compte! Je finis à pied. Chez moi à 18h40. Un message de J. Le bienvenu.

Vous avez trouvé la lecture de ce billet inintéressante? C'est exactement ce que je pense de mon après-midi.

jeudi 15 janvier 2009

Charger le baudet.

Hier, l'émission de France Inter, Le Téléphone sonne, était consacrée à la réforme du permis de conduire. Pas vraiment concerné, je n'écoutais que d'une oreille quand, en toute fin d'émission, l'intervention de la dernière auditrice m'a fait bondir. L'idée de cette charmante dame était que, puisque l'on utilise la route, les rues, dès que l'on sait marcher, c'est à dire, pour la majorité des gens, très jeunes, pourquoi ne confierait-on pas la formation dans le domaine de la conduite automobile ou autre à .... mais oui, vous avez deviné: à L'Education nationale! Mais bien sûr, comme disait la commerçante à celui qui avait vu les marmottes plier les tablettes de chocolat!

Allons-y gaîment! Nous avons déjà la sexualité, les conduites à risque, l'écologie, et que sais-je encore à faire passer à nos ouailles en plus naturellement de nos matières. Et je ne parle même pas de la somme de paperasses qui s'alourdit d'année en année, à croire que les administrations ont du génie pour pondre de l'inutile. Bien sûr, la matière la plus apte à faire passer tout ce fatras de connaissances serait le français. Nous sommes censés, nous les littéraires, être réceptifs, ouverts sur le monde, communicatifs et avoir le temps dans nos cours (puisque tout le monde sait bien que nos élèves manient la langue française et la culture attenante avec une dextérité proche du génie!).

Mais, bon dieu, nous avons aussi un programme, nous avons des connaissances de FRANCAIS à faire passer à nos élèves. Lorsque je me suis engagé dans ce métier, ce n'était pas pour parler à des enfants des méfaits du tabac, du danger de certains jeux avec foulard et encore moins de l'art de réussir un créneau (le seul que je tolère est celui de mon programme de littérature médiévale en cinquième). Je voulais leur faire connaître la littérature, la beauté des mots, l'urgence de l'art, la vibration, l'émotion, la rêverie. je voulais les faire s'envoler dans les nuages, pas leur maintenir les deux pieds dans la merde.

Je ne conteste pas que ces formations soient nécessaires aux jeunes, je dis simplement que ce n'est pas l'affaire de l'éducation nationale telle qu'elle existe actuellement. Pourquoi, au lieu d'imposer ça à des hommes et des femmes qui, comme moi, bien que pleins de bonne volonté pour la plupart, n'ont à la base aucune connaissance ni formation dans ces domaines et dont ce n'est pas le métier, pourquoi ne pas créer une structure de formation particulière où les enfants se rendraient à certaines heures, le samedi matin par exemple, sur des périodes obligatoires au cours desquelles des spécialistes leur apporteraient rudiments nécessaires puis solides connaissances? Si, pour l'état, ces apprentissages sont importants, alors qu'il propose une alternative sérieuse et pensée plutôt que d'invariablement charger le même baudet, que, bien sûr, plus tard, quand on se rendra compte que ça ne marche pas, on accusera de tous les mots. Relisez donc Les Animaux malades de la peste.

E la nave va.

Depuis hier, la barbe est taillée, la chevelure affinée. Je ressemble donc moins au capitaine Haddock, comme le prétendait en riant Christian, mon collègue d'allemand. Nicolas avait l'air triste aujourd'hui, Evelyne a reçu des nouvelles rassurantes de sa mère, Isabelle a dû mettre sa voiture au garage (je l'ai emmenée ce soir pour qu'elle la récupère), Adam m'a parlé de la Palestine, Marie-Ange de ses démêlés avec deux garçons de ma cinquième, je n'ai pas vu Hélène, les catéchistes nous ont encore offert une brioche des rois et du café, j'ai tiré la fève et ma reine fut Delphine, ce qui m'a ravi, Jean-Marie vieillit, Bérangère a bien mené sa réunion de profs principaux, Ludivine m'a conseillé un livre que j'ai déjà lu, Pascale m'a parlé mais je n'ai pas écouté, Mireille a fait sortir un élève de ses gonds, j'ai encore oublié de payer le libraire, Stéphane a toujours son sourire coquin. E la nave va!

Lecture.

Ils travaillent, tous, sur leur contrôle de lecture. On entendrait voler les mouches s'il y en avait d'éveillées. Dehors, la température s'est un peu radoucie mais eux conservent le matin cet engourdissement qui vous prend quand, dans la chaleur de la pièce, on repense aux frissons du dehors. Ils sont attentifs à ce qu'ils font. Certains sont penchés pour écrire, d'autres regardent en l'air, cherchant la réponse dans la peinture écaillée du plafond, leur stylo fiché en bouche comme un souvenir de la tétine qu'ils ont abandonnée voilà peu.

La plupart de ceux qui ont fini lisent, des ouvrages que je ne connais pas, remplis de fantastique, de gros volumes annonçant en quatrième de couverture les tomes à venir, aux titres évocateurs. Ceux-là ont les lèvres pincées, le front plissé par la concentration. Ils ne bougent guère, juste pour tourner les pages, parfois pour se gratter le nez ou changer de position sur la chaise.

Il y a peu, ils savaient à peine lire, aujourd'hui ils dévorent. Miracle de l'évolution. Que serions-nous si nous continuions à progresser à cette vitesse notre vie durant? Je leur envie ces instants. Je les leur envie parce que je les ai connus, moi aussi, à leur âge: les mêmes, moi aussi concentré, hors du monde, dans l'univers des mots qui ne m'a plus quitté. Comme je le faisais moi-même, comme il m'arrive encore de le faire, j'en vois sentir leur livre, le caresser, le feuilleter sans d'autres buts que le plaisir du toucher. Un petit temps, "un' attimo", ce beau mot italien, de tendresse avant de replonger, vite, au milieu des elfes et des licornes.

L'un d'entre eux sourit et me regarde comme si je savais pourquoi. Non, je ne suis pas avec toi dans ton voyage, je ne chevauche pas dans les sombres forêts où d'étranges forces guettent, je suis vissé à mon bureau, face à toi, face à tous, mon imagination ne court plus aussi vite et je n'ai pour rêver que la contemplation de votre plaisir. Mais c'est un nectar, petit, que cette contemplation-là!

( J'ai écrit ce texte ce matin, en classe de sixième. En le tapant ce soir, je me demande pourquoi ils me touchent tant, pourquoi eux plus que les autres.)

mercredi 14 janvier 2009

Épicurien?

Lancelot, ici, me traitait fort gentiment d'"Épicurien de l'assiette", ajoutant, encore plus gentiment, "entre autres".

Eh bien, preux chevalier, ce soir, je me suis contenté de peu. Et l'expression "se contenter" est tout à fait juste: j'étais très content.
Après deux tours de parc en courant et quelques courbatures supplémentaires (je suis vraiment rouillé en ce moment!), je n'ai pas eu envie de me lancer dans la confection d'un repas complet. D'autre part, je n'avais pas très faim. Alors, je me suis fait plaisir, un plaisir tout simple et banal mais un grand plaisir.

Je me suis ouvert une boîte de sardines. Une boîte toute bête, sans garniture exceptionnelle, sans assaisonnement particulier, une boîte jaune or achetée à Casino, avec, imprimé en blanc bordé de noir, le nom d'un empereur romain. Sous le couvercle, deux grosses sardines baignant dans l'huile d'olive, que j'ai dégustées sur des tranches de pain de campagne frais, à même la boîte, sans prendre une assiette, comme un ouvrier portugais en pose derrière la cabane métallique, en faisant attention à ne pas y tremper mes moustaches.

Après, une part de tarte aux pommes maison (saupoudrée d'un peu de cannelle) et voilà mon repas de ce soir (Bon, d'accord, tout à l'heure, plus tard, je vais certainement me jeter sur le chocolat noir!). Est-ce être épicurien, mon preux ami? A bien y réfléchir, je pense que oui, tout de même, puisque mon plaisir a été intense, puisque je me suis fait plaisir. Peu importe la valeur de ce qui le procure, n'est-ce pas? Alors, à vos plaisirs, à vous!

Glaçons.

Dans un message à un ami, je me moquais un peu rapidement des marseillais, paralysés par les premiers flocons de neige qu'ils voyaient sans doute depuis des années. Aujourd'hui, c'est Lyon, en tout ou partie qui ne répond plus à l'appel: de la pluie est tombée cette nuit sur le sol gelé, ce qui a automatiquement entraîné la formation d'une couche de verglas parfois épaisse et dangereuse à certains endroits.

Comment suis-je arrivé au travail sans me rendre compte de rien ce matin? Je n'en sais rien. Sans doute l'itinéraire que j'ai emprunté avait-il été précédemment salé. Je n'ai pas non plus eu d'ennui dans le parc du collège, malgré la forte pente. C'est seulement en descendant de voiture dans la cour que mon pied a soudain pris de l'avance sur le reste du corps.

Je suis arrivé pour trouver une classe de quatrième à moitié vide. Comme ce ne sont pas les plus travailleurs de mes élèves cette année, j'ai pensé qu'ils n'allaient pas faire l'effort de terminer le trajet à pied (pourtant certains n'habitent vraiment pas loin!) et que j'allais retrouver des effectifs normaux l'heure suivante avec mes cinquièmes. Pas davantage. Là aussi, la moitié de l'effectif manquait à l'appel.

Selon les rumeurs qui circulaient dans les couloirs, certains bus ne roulaient plus et de nombreux accrochages avaient eu lieu un peu partout: la fortune des carossiers!
J'ai cru aussi comprendre que certains de mes collègues n'avaient pas assuré leurs cours.
Étrange matinée où l'on avait vraiment l'impression de perdre son temps!

mardi 13 janvier 2009

Étapes

Un dernier petit mot pour que l'on ne croie pas que je suis triste ce soir, ou hargneux. Pas du tout. Après une journée chargée, je vais bien.

Il faut dire que mon atelier d'écriture, que j'ai dû assumer seul, la documentaliste qui travaille avec moi d'habitude étant malade, s'est tout de même très bien passé. En fait, nous avons du pain sur la planche: dans un premier temps de la séance, relire l'ensemble des textes rédigés depuis le début de l'année et en sélectionner quatre ou cinq par thème, qui seront réunis dans un petit livret que nous nous proposons de réaliser, Annie et moi. Ensuite lancer étape par étape le projet plus ambitieux de cette année: composer par groupe de deux ou trois une nouvelle policière à la manière de Conan Doyle, rajouter une aventure à celles, déjà nombreuses, du célèbre Sherlock Holmes. Les élèves sont ravis mais ils ne savent pas la somme de travail qui les attend. Moi, je le sais.

Il faut dire aussi qu'à plusieurs reprises aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de me retrouver seul à seul avec mon nouveau collègue de français, Nicolas. Le courant est tout de suite passé ou presque avec lui, dès le début de l'année. Je me méfiais pourtant assez de mes impressions: Nicolas n'étant pas un laideron, loin s'en faut, je pouvais confondre sympathie et attirance plus ... épidermique de ma part. Or, cette sympathie se confirme de jour en jour. Il s'y mêle même une forme de tendresse partagée.

Nous avons repris aujourd'hui une déjà ancienne conversation sur sa position dans la famille de son père décédé, sur une sorte de marginalisation que je comprends ô combien. Je suis toujours très touché que ce grand garçon de plus de trente ans se confie à moi et me parle comme un enfant, sans fard et sans gêne. Malheureusement, à chaque fois, nous avons été interrompus par une collègue, sympathique mais parfois envahissante et surtout qui ne se rend jamais compte lorsque qu'elle tombe comme un cheveu sur la soupe dans une situation où elle n'a rien à faire. J'ai dit à Nicolas que nous reprendrions la conversation une autre fois. Il a approuvé, en rajoutant à mi-voix: "Oui, nous avons le temps, parce que j'espère bien te connaître encore longtemps." (Si pas les mots exacts, l'idée, vraiment.) Comment voulez-vous être triste après ça?

Prématuré.

Selon le journaliste du flash de vingt heures sur France Inter, le geste du lycéen ayant hier poignardé son professeur dans la Mayenne serait un geste "prématuré"!

Diantre! Que fallait-il qu'il attendît, le bougre? Peut-être d'avoir face à lui un vieillard de soixante-dix ans encore plus incapable de se défendre face à deux couteaux, ou bien que l'acte en lui-même paraisse, vue sa fréquence, si anodin, qu'on ne prît plus la peine d'en parler sur les ondes?

Monsieur le journaliste dont je n'ai pas retenu le nom, si je vous accorde comme à tout le monde le droit au lapsus, je constate tout de même que ce genre d'erreurs est de plus en plus fréquent venant des vôtres. Vos collègues devraient pourtant savoir qu'un texte a un sens, même lu sur un téléscripteur ou sur des dépêches et que c'est justement ce sens qu'il s'agit de transmettre à l'auditoire, pas seulement la nouvelle à effet ou pas.
Alors, s'il vous plaît, avant de parler, essayez parfois de PRÉ-MÉDITER davantage.

Bulle.

Bulle d'amer. Ce matin, sous la douche. Pensé à Jean-Luc, mort du sida il y a déjà si longtemps. A sa sépulture, nous avions lu la conclusion des Mémoires d'Hadrien, "anima vagula blandula...". Hier, Oceania a proposé du Yourcenar, avec la belle mosaïque des colombes, de la villa de Tivoli. Il a fallu la nuit à la bulle pour éclore.

Et tout de suite après, pensé au très beau texte de Jean de la Croix, " Je sais qu'un grand amour m'attend", lu aux funérailles de Pierre. Pensé à Pierre, à sa fin, végétative, transformé en légume qui ne sait peut-être pas qu'il va mourir. Boule d'épouvante dans la gorge, sanglot qui étouffe et ne sort pas, gouffre sous moi, tout à coup, comme un coup de poing. Je ne m'y attendais pas. Avant que de reprendre raison, un peu plus égratigné.

Combien de bulles encore?

lundi 12 janvier 2009

Ecrire

Écrire est un acte étrange, surprenant, déroutant, qui n'a rien de naturel. J'ai envie de parler de ça, ce soir, sans savoir si j'en aurai le courage et le temps, sans savoir si je réussirai à ordonner mes idées. Tant pis. Si non, j'y reviendrai car ça me tient à cœur.

Voilà plusieurs jours que je commence un billet avec l'intention d'y exposer quelque chose de précis, de bien défini dans mon esprit. Or, très vite dans son déroulement, mon billet m'échappe et prend une tournure inattendue, comme si ce qui devait être dit avait choisi, pour sortir au grand jour, les habits d'un autre, se grimant pour ne pas être reconnu.

Pourquoi l'esprit use-t-il de tels détours pour se confier? Je pense que la pulsion seconde, non pas celle qui pousse à écrire mais celle qui pousse à écrire ce que finalement l'on écrit est plus forte que la claire vision de nos intentions. Tel soir où j'ai un peu de blues, c'est en fin de compte un billet joyeux qui va rester, comme une automédication par le clavier. Tel autre soir où la fiction me tente, je reviens très vite sur un épisode de ma vie, sur un souvenir réel.

Quel chemin cette lave à expulser prend-elle et que deviendrait-elle si elle ne trouvait pas son passage? Dans quelle mesure, pour moi, par exemple, les photos aident-elles à creuser ce chemin les soirs où la pression menace sans trouver sa sortie? Je peux de moins en moins dissocier ces deux formes d'expression, photos et mots, même si les mots me sont plus familiers. D'ailleurs, le vécu est le même avec les photos: si j'en choisis toujours une en rapport avec le texte, c'est souvent plusieurs jours plus tard, pour certaines, que j'en vois l'autre face, celle de sa correspondance, au sens baudelairien, avec les mots.

Rien de naturel dans la position physique de l'écrivant: pour la plupart d'entre nous, je suppose, nous sommes assis devant l'ordinateur, collés au bureau. Qu'y a-t-il de vivant dans cette position? La vie ne connaît que deux positions essentielles: debout, pour avancer, et coucher, pour mourir. Assis est un compromis. On se soustrait à la vie, le temps de rédiger, d'expulser son texte. On n'est pas dans la mort, on n'est plus dans la vie non plus. Écrire, c'est une parenthèse. Et si, au contraire, nous ne vivions que dans ces parenthèses?

Car où est la marge entre réalité et fiction? Le choix détruit le réel, choix de ce qui va être exposé ou pas et choix des mots pour le rendre. Avec la première phrase commence le mensonge. Changer un adjectif dans une phrase et c'est la phrase suivante qui ne sera plus la même. Vous aurez déjà gauchi votre chemin. La sincérité est un leurre, malgré ce qu'en dit Rousseau. Le portrait que l'on fait de soi est toujours trop chargé ou trop complaisant. Avant de tracer le mot, sans parfois le savoir on regarde le regard des autres et on leur fait plaisir, ou on les choque, mais c'est finalement la même chose.

Alors, arrêter d'écrire? Pourquoi? Est-ce pire que de vivre, est-ce moins vrai? Certains dénigrent la littérature virtuelle que sont les blogs et les relations tout aussi virtuelles, pour la plupart, que l'on y noue. Mais quelle différence avec le livre? Quel rapport a le lecteur de Marcel Proust ou de Jules Verne avec l'auteur aujourd'hui? Pour un enfant, j'en ai fais souvent l'expérience, un auteur est un homme forcément mort. Parce qu'il est inconcevable pour lui d'imaginer une rencontre avec un être de chair et que, sûrement, il préfère s'en créer sa propre image, plus féconde en rêveries. Le rapport à la littérature ne peut être que virtuel, ce qui nie pratiquement toute possibilité de réussir un film tiré de tel ou tel roman. Si le film est réussi, c'est que c'est autre chose, ce n'est plus le roman.

Qui est le vrai? celui qui écrit, celui qu'il présente, celui qui vit, une fois les mots rangés? Qui pourrait le dire pour lui même? Moi, je ne sais pas. Le vrai, est-ce R. qui se relève parfois du clavier pour décontracter l'épaule et replonge aussi pour achever la phrase interrompue? Est-ce ce Calystee qu'il a inventé pour le représenter au pays des soirées et qui a pris silhouette pour vous, pour certains d'entre vous? Est-ce le quinquagénaire blanchissant qui remodèle la vie de son château de sable qu'une lame de fond avait fichu par terre? Est-ce le triste, est-ce le joyeux, le gourmand, le grincheux, le charmeur, le susceptible, le rieur, l'éternel enfant, le vieux qui se voudrait sage? Je ne le sais pas.

Pierre me parlait souvent de la sincérité de l'instant. Il ne s'en servait pas pour se disculper lui-même d'une contradiction trop manifeste, il l'utilisait pour être en accord avec sa bonté naturelle. Il y a des années, l'idée même de cette sincérité de l'instant me révulsait: la sincérité, c'était la sincérité. Elle ne pouvait qu'être une et universelle. Le reste était mensonge ou complaisance.

J'avoue avoir parcouru du chemin depuis et cette idée me plaît parce que c'est elle qui est vraie. Si j'aime tel blogueur parce qu'il me ressemble, parce que je partage ses idées, ses émotions, sa sensibilité, même si je me trompe, s'il me trompe, quelle importance? L'émotion que j'aurai eue à le lire sera-t-elle moins grande? C'est mon émotion, pas la sienne. Si écrire n'est pas naturel, lire l'est encore moins. Alors quoi? Ne plus écrire, ne plus lire. Mais il faudrait ne plus vivre non plus, ne plus regarder, ne plus entendre, ne plus aimer car tout ne serait qu'illusions?

Mais peu à peu, je sens que je m'éloigne de mon sujet. Ce que je voulais dire, c'est que l'acte d'écriture procède du Mystère, un mystère sacré, d'un ordre quasi mystique, qui échappe à notre entendement. J'aime lire, j'aime par dessus tout écrire, avec mes imperfections, avec mes détours, avec mes mensonges. Et la vérité se cache peut-être dans le blanc qui enchâsse les mots...

Les autres.

Les passants, ces êtres étranges qui vous ressemblent et ne sont pas vous. Qui sont-ils? Que font-ils dehors à cette heure-là? Vous, oui, votre présence dans les rues se justifie: vous avez à faire, profiter des soldes, prendre quelques photos, remplir le réfrigérateur, acheter des fleurs, rejoindre un ami... Mais eux? Ils sont si nombreux.

Bon! Quelques-uns ont sans doute de bons motifs pour se trouver là où ils sont. Mais les autres, les centaines, les milliers d'autres? Ils ne sont pas tous chômeurs, tout de même. Enlevons du nombre ceux qui n'ont plus d'emploi et ceux qui ont de bonnes raisons: il en reste encore trop. C'est toujours un sujet d'ébahissement pour moi, tous ces mouvements de fourmilière, incessante agitation, les bras chargés de tout et de n'importe quoi.

Je les aime, ces passants inconnus. J'aime les regarder, furtivement ou avec tendresse. Je leur invente parfois des histoires, des sentiments, une généalogie. Celui-ci est gourmand: il ne tient pas un gâteau à la main mais la façon dont il avance la lèvre inférieure comme s'il boudait dit assez ses appétits terrestres. Celle-là vit seule, oubliée, aigrie, peut-être. Ce couple de jeunes gens, amoureux, enlacés: pour combien de temps? Cet ouvrier qui siffle en rangeant son fourgon: on dirait un escargot qui met de l'ordre dans sa coquille.

Parfois la fulgurance d'un visage vous cloue sur place tant la beauté est pétrifiante. On ne peut regarder Dieu en face au risque de se brûler. Certains hommes non plus. D'autres fois, c'est un détail vestimentaire qui fait partir l'imagination. Souvent, c'est le galbe d'un fessier, le fermeté d'une cuisse, le développement d'un thorax aux pectoraux devinés qui vous (me) fait sourire comme un rayon de soleil dans une matinée brumeuse. Et la tendresse des femmes, leur belle silhouette...

Alors, je me dis qu'ils font bien d'être là, tous ces autres qui n'ont rien à y faire. Ils sont là pour mes yeux, pour mes oreilles, parfois pour mes mains. C'est le cadeau de la vie, les autres. Ils ne font que passer, on les oublie pour la plupart. Certains restent dans les pensées, sans raison autre que la résonance perçue en soi et pas toujours expliquée. Un, parfois, s'attarde pour un épisode du feuilleton de votre vie et puis il s'efface du générique comme il y était apparu: d'un seul coup. Et puis, il y a celui qui peu à peu ne sera plus un autre, celui ... Mais ceci est une autre histoire.

Afternoon on ice.


Certain marche sur les eaux (courageux, mais pas téméraire: ça n'était pas très profond!). Moi, je n'ai pas poussé la chose aussi loin: la glace du lac de la Tête d'or donnait quelques signes évidents de fatigue à certains endroits, suite à une légère remontée des températures.


Mais belle occasion de marcher cet après midi où je n'avais pas le courage de courir, et de profiter du paysage sous le soleil revenu. D'ailleurs, je n'étais pas le seul: beaucoup de photographes et même quelques jeunes lanceurs de cailloux sur la glace.
Provision de clichés dont voici quelques-uns.


dimanche 11 janvier 2009

Matin glacé.

Temps de Sibérie aujourd'hui, ce matin surtout. J'ai pensé, en sortant au marché, au conte de mon enfance La Reine des glaces. Je n'aurais pas été surpris de la voir apparaître au coin de la rue, dans sa robe de neige et ses souliers de givre.
Seule la lune, pas pressée de s'en aller, tentait de mettre une note joyeuse dans le gris de la partition.

La loi du (centuple) talion.

Il y a des mots que l'on déteste, sans savoir trop pourquoi.
Moi, en ce moment, c'est une phrase: "Œil pour œil, dent pour dent", et j'en connais parfaitement la raison.

Vive le français.



Trois mots et une formule de politesse, sur la porte d'un magasin de fleurs près de chez moi, à l'extérieur. Rien de bien original. D'autant qu'effectivement cette porte s'ouvre de la boutique vers le trottoir et qu'il faut donc bien la tirer pour pouvoir entrer.

Trois mots qui paraissent simples et qui pourtant, à mon avis, ne veulent pas dire ce qu'ils semblent dire. Je m'explique: cette affichette est apparue très récemment, un ou deux jours après le début de la vague de froid qui, sur Lyon, va bientôt, si ça continue, nous transformer en esquimaux glacés, tous tant que nous sommes. Je pense que ce que les fleuristes, deux messieurs d'une bonne cinquantaine d'années, veulent rappeler, c'est de bien veiller à refermer la porte derrière soi après être entré dans le magasin.

Or dans la région lyonnaise et stéphanoise, "fermer la porte" peut se dire "tirer la porte". Bien sûr, il faut être autochtone pour connaître cet emploi. Ainsi donc nous voilà devant un cas de polysémie singulier car, si l'on traduit, "tirer la porte" veut à ce moment-là dire "pousser la porte", ce qui, en orthodoxie absolue, est exactement le contraire.

Vive le français, comme l'écrit si bien mon excellent ami JaHoVil.

samedi 10 janvier 2009

Ciccio.

Il s'appelait Ciccio (prononcer Tchitchio).

Mon chien. Le dernier. Le mien. Le nôtre. Ramassé sur le coin d'une autoroute italienne, près de Civitavecchia, dans l'ancienne Etrurie. Il échappa aux noms de Vulca et d'Etrusco.

Ciccio, c'est le diminutif de Francesco, François, c'est aussi une façon affectueuse de traiter quelqu'un de couillon. Lui ne l'était pas. De tous les chiens que j'ai eus, que ma famille a eus, c'était lui le plus futé.

Pierre n'en voulait pas, pourtant il s'est vite attaché à ce squelette ambulant que nous avions ramené en France, faute de preneurs chez nos amis piémontais. Il lui faudrait des mois pour se débarrasser de ses mètres de ver solitaire qu'il expulsa un jour dans un caniveau lyonnais.

Au début, nous l'avons cru muet. Jamais un cri, jamais un soupir, un petit jappement. Rien. Jusqu'au matin où nous croisâmes un cheval: il n'a jamais aimé les grosses bêtes dont il pensait sans doute qu'elles nous étaient dangereuses. Même chose pour les vaches ou les chèvres.

Ai-je déjà parlé de lui? Il m'arrive de réécrire sans cesse la même histoire, fantômes réapparaissant comme les personnages, cercle répétitif, d'une horloge astronomique. Il est resté près de nous dix-sept ans. Il fallut un jour le faire euthanasier. Nous y allâmes tous les deux, avec Pierre, et nous rentrâmes seuls, comme deux cons. Le bruit des pattes aux ongles trop longs griffant le parquet nous manquait déjà.

On le trouvait beau dans la rue, ce bâtard de beauceron et de doberman: la finesse de ligne de l'un, la gentillesse et la tendresse de l'autre. Dire toutes les joies, tous les moments? Ils ne sont intéressants que pour moi. Dire l'attachement du chien aux maîtres - ce chien avait deux maîtres -, des maîtres au chien, ce serait ridicule. Je ne suis jamais tombé dans l'anthropomorphisme. Pas encore aujourd'hui.

Il a été brûlé. On m'a demandé si je voulais récupérer ses cendres. On était obligé de me le demander. Elles sont éparpillées dans un champ de l'Ain, près de Trévoux, avec celles de milliers de semblables.

Je n'en ai jamais voulu d'autre.

Refus.

France Inter a annoncé qu'en cette fin de semaine, trois femmes ont refusé la légion d'honneur. Deux parce qu'elles ne voyaient pas en quoi elles la méritaient, une troisième par fidélité à la mémoire de son père.

Cette dernière est la fille d'un mathématicien disparu en 1957 en Algérie, après avoir été emprisonné par la police française (pour ses opinions proches des communistes?). Les autorités ont prétendu, lorsque la famille a demandé des comptes, qu'il avait disparu lors d'une tentative apparemment réussie d'évasion. Absurde selon sa fille. Depuis des années, elle tente avec sa mère de soulever le voile opaque du secret bien gardé. En vain. Elles ont un jour écrit à Nicolas Sarkozy pour qu'il intervienne en leur faveur. Pas de réponse, jusqu'à dernièrement où on a proposé la légion d'honneur à la fille. Elle a pris ça pour une insulte.

Je la comprends.

Vocabulaire.

C'est décidé, je change. Email, je ne peux plus et n'ai jamais aimé, courriel fait vieille France, petit marquis du net.
Désormais je l'écrirai: Hymèle, pour les liens qu'on y tisse, mariages éphémères des idées parsemées*, pour la virginité qu'on y garde ou qu'on perd** et pour le miel attique d'abeilles légendaires butinant sur le marbre***.

* Hyménée
** Hymen
*** Hymette

vendredi 9 janvier 2009

Invitation au voyage.

Et si nous partions pour un voyage, tous les deux, nous seuls, égoïstes et amoureux. Où voudrais-tu que je t'emmène, que voudrais-tu me faire connaître? Le monde est grand, mon amour, et tout y est beauté. Dans ta main, la mienne s'en irait, confiante et attentive. Par elle, je comprendrais ce que tu me murmures, elle m'inventerait ta syntaxe, te traduirait mes extases. C'est ta peau qui m'apprendrait à voir, derrière le bois l'étang gelé, au fronton du jardin la rose épanouie et le sourire aux yeux des malheureux. Moi, je te ferais franchir l'écume des torrents, marcher sur la gentiane sans écraser sa fleur, je te dirais l'odeur des étables l'hiver et des marais l'été, l'acre du champignon et l'envoûtement de la fleur d'acacia.

Le soir nous rentrerions dans la chambre secrète, nous refermerions la porte sur nos confidences à venir, interdites au rôdeur, reposerions notre fatigue sur l'épaule de l'autre, tenu tenant debout contre le buste aimé. Manger des pommes et des oranges et boire l'eau du broc qui sent encore la pierre. Dormir dans des draps rêches qui pèsent sur nos corps et parler en rêvant, jusqu'au petit matin. Ou bien regarder les étoiles et se réciter leur nom comme on prie dans la Bible.

Parfois, nous rencontrerions des gens intéressants avec qui nous prendrions un verre ou un repas italien mais rien ne nous détournerait de nous, même pas la sombre silhouette des arènes endormies dans la touffeur du ciel toscan. Un seul mot, c'est ta bouche, une seule phrase ton visage, un seul livre notre histoire. Les autres ne comptent pas, pas tout de suite. Nous les aimons aussi mais qu'ils attendent un peu. Presqu'en nous excusant, nous fixerions nos images avec nous seuls impressionnés, blanc ou noir de la pellicule, des photos à classer que nous ne classerions pas.

Tu conduirais, et moi parfois. Nous avons, nous avions, nous aurions toujours des choses à nous dire et quand nous nous tairions, ce serait pour écouter le silence de l'autre, ou le pneu rouler sur la chaleur du mirage, ou l'air de la montagne joué par les sapins. Parfois, sans raison, nous éclaterions de rire et de voir l'autre heureux nous ferait rire encore. Nous ne nous toucherions que peu: le désir, ça s'accumule. C'est le soir que nous compterions notre trésor.

Nous nous rappellerions d'autres voyages, que nous nous redirions, dans les moindres détails, ceux de l'un , ceux de l'autre, parfois les mêmes, et nous complèterions nos rêves partagés: Tu étais maigre alors; toi, tu fumais des brunes; je me souviens de ce grand pré trop sec et des ruines dans l'eau; tu n'avais pas mangé, tu étais trop malade; je n'avais pas encore appris à parler l'italien; tu n'avais qu'à sourire et tu le savais bien...

Et je ne saurais pas, heureux, heureux, que c'est moi qui le refermerais, seul, le livre écrit à deux. Que j'y trouerais le point ultime à grands coups pour me faire mal. Ne pas entendre ce que tes doigts ne me diraient plus, ne pas voir ce que tes yeux ne me souriraient plus. Écouter encore, sans même y croire, le va et vient du balancier que je ne relancerais pas peu à peu ralentir son allant et s'arrêter enfin dans la nuit glacée, car lui saurait déjà le poids terrifiant d'un silence.