mercredi 31 mars 2010

Cette France qu'on oublie d'aimer

Un petit livre d'Andreï Makine, vite lu, sans doute vite oublié parce que, au final, assez insignifiant. Petit essai d'un Français d'adoption sur ce pays qu'il aime tant. Mais, comme on le sait par le proverbe, "qui aime bien châtie bien", à la fois hymne d'amour et pamphlet indigné. Je ne partage pas tous les points de vue de ce monsieur dont je n'avais, jusqu'ici, lu que son ouvrage qui lui valut le prix Goncourt en 1995: Le Testament français.

Une page pourtant qui m'a beaucoup amusé:

Plus tard, j'ai eu l'occasion d'explorer quelques autres attitudes, plus sérieuses, de la mentalité hexagonale(...). La posture d'intellectuel français, par exemple, une vrais spécialité du terroir. Introuvable chez les Anglo-Saxons, très différente de ce que nous connaissions dans les pays de l'Est. Quelques tics comportementaux qui surprennent tous les étrangers: être (ou se dire) de gauche, l'"intellectuel de droite" étant, en France, une abjecte contradiction dans les termes; avoir tort avec Sartre plutôt qu'avoir raison avec Aron; à l'âge de vingt ans se réclamer de Mao, à trente de Marx, à quarante se gausser des deux; désigner, pour chaque décennie, une nouvelle victime de l'ordre social (les prolétaires, puis la jeunesse étudiante, enfin, les immigrés); persifler l'Académie avant de la rejoindre (la meilleur pique contre la vénérable institution reste, à mon avis, ce mot de Fabre-Luce: " L'immortel garde, en quelque sorte, son prestige sexuel"); au moment d'un conflit armé, distribuer entre ses pairs les pays à défendre, à l'un la Croatie, à l'autre la Bosnie; exalter la tolérance avec l'intonation intolérante d'un commissaire politique. Mais surtout, et ce trait résume le reste, avoir une opinion définitive et indiscutable sur n'importe quel sujet, être expert de l'univers entier. Lourd cahier des charges... (A. Makine, Cette France qu'on oublie d'aimer, Flammarion)

A-t-il totalement tort?

Momentini

Un barbu en burka, est-ce possible? C'est en tout cas ce que j'ai vu tout à l'heure sur Gambetta: de loin, une silhouette de dos, enveloppée, tête comprise, d'une longue robe marron descendant quasi jusqu'aux pieds. Lorsque la silhouette s'est retournée, j'ai découvert un visage couvert de poils, une barbe fournie. La surprise a failli me faire pouffer. Même les hommes, alors, maintenant?

" Le niveau intellectuel visé dans ce collège et dans cette classe est élevé, particulièrement en français!" a dit la maman déléguée, hier soir au conseil de mes sixièmes, en m'adressant un charmant sourire. Même si l'on ne sait pas exactement à quelle aune tout cela est mesuré, compliments autant que critiques, c'est toujours bon à prendre, et rare à entendre. Moi, ça m'a fait plaisir.

Un bon cours d'une heure trente ce matin avec ma collègue d'anglais. Le thème: les fables en tant qu'éléments du patrimoine culturel européen présent et passé. A la sortie, elle m'a dit être très contente de ce que nous avions fait. C'était également mon sentiment. En questionnant les élèves un peu plus tard, j'ai eu la confirmation que, pour eux aussi, cette approche et cette façon de faire avait été intéressante. Il y a des jours où tout est en harmonie. Fin des couplets d'autosatisfaction.

Un petit détour jusqu'à la Fnac Bellecour cette après-midi, plus pour prendre l'air et le peu de soleil présent que par réelle envie de livres. Je suis tout de même revenu avec un sac rempli. Au retour, je marchais au même pas qu'un couple de jeunes étudiants italiens. Bonheur d'entendre cette langue que j'aime tant en vo. Plaisir de constater que je comprends encore pas mal.

Le CNP de la rue de la Barre semble encore ouvert. J'ai tout de même dû changer de trottoir et m'en approcher pour en être sûr. Sur la devanture, rien qui prouve une activité quelconque. Dans le hall cependant, quelques affichettes annonçant les films en projection. Découverte aussi d'une bien belle initiative des employés pour défendre leur cinéma: ils demandent que qui le désire colle sur un panneau à cet effet un post-it (fourni) où il racontera un souvenir lié à ces salles: découverte d'un film, d'un réalisateur, séances particulières, etc. Le panneau était presque rempli. Je n'avais hélas pas le temps de lire ce que tous ces gens avaient écrit.

Hier, c'était les 86 ans de ma mère. Je savais que j'allais trouver la chambre remplie de fleurs. Ce qui fut le cas. Pour ma part,je n'ai rien apporté. Je lui ai donné un avoir moral. Elle était d'accord avec moi pour différer le présent d'un bouquet. Je veille de toute façon à ce qu'elle ne soit jamais privée de fleurs.

Mes plantes, encore dans la montée d'escalier, sortent de leur hibernation et montrent presque toutes quelques petites pousses de vert tendre. Seule celle que j'avais surnommée "la Belle de Serbie", une plante grasse offerte au Parc de la Tête d'Or par une inconnue, semble ne pas avoir apprécié la rigueur de ce long hiver.

Certains, la plupart des écrivains, disent écrire parce qu'ils ont quelque chose à dire. Moi non. Ce sont les autres qui me disent, ou mes mots aussi, toujours. Sans doute parce que je ne suis pas écrivain. Océania (Voyage dans les mots), dans son billet daté d'hier, cite Pontalis citant lui-même Pascal Quignard: "J'écris parce que j'ai besoin de dire quelque chose que j'ignore.". Comme ça, peut-être alors, oui.

J'ai un retard monstrueux dans la lecture des blogs où j'aime me rendre régulièrement. Comment faisais-je, avant, pour tout mener de front?

mardi 30 mars 2010

La lecture et moi

Mon rapport à la lecture, me questionnait Lancelot il y a quelques jours. Étrange que je ne me sois jamais posé la question, comme je ne me suis jamais posé celle de mon rapport à ma respiration journalière ou à mes heures de sommeil.

Rapport est un mot qui me plaît: en vieil hédoniste (pour le moins) que je suis, il m'évoque immédiatement le contact d'un corps offert dans le secret d'une alcôve ou dans la pénombre accueillante d'un bois de pins l'été, contact d'une peau sur une peau, mélange des salives sur les lèvres écrasées, moment où les yeux chavirent sous le regard de l'autre. Il y a du sexuel dans mon rapport à la lecture. Certains livres, certaines phrases caressent mieux que des mains avides, et le plaisir se répétera sans s'émousser à chaque retrouvaille.

J'en ai pour exemple le sonnet de Rimbaud: Le Dormeur du val. J'ai dû le découvrir au lycée, je ne sais en quelle classe mais très tôt, j'en suis sûr. J'aimais sa forme, classique avec ce qu'il faut de liberté pour ne pas ennuyer. J'aimais ses mots, ses images, le contraste entre la beauté de la nature dans sa plénitude et l'horreur de la mort d'un être jeune, pour rien, pour si peu. J'aimais les sons, ce "dort" si rassurant qui ressemble en fait à la "mort", ce "luit" qui claque, rejeté en début de vers, "les parfums ne font plus frissonner sa narine", "il a deux trous rouges au côté droit", comme une rigueur mathématique. Depuis longtemps, je l'étudie avec mes élèves. Il constitue pour moi un excellent moyen d'aborder avec eux les principes de base de la versification. J'aurais dû m'en lasser, depuis le temps. Or chaque année, je le redécouvre, toujours aussi frais, toujours aussi lumineux, même cri de vie contre la guerre idiote et injuste. Pour moi, le plus beau texte antimilitariste que l'on ait jamais écrit. Et parce que je l'aime, les élèves l'aiment, chaque fois.

L'objet livre lui aussi est pour moi sensuel. J'ai, avec lui également, un rapport érotique. D'ailleurs n'est-ce pas lui qui a partagé le plus grand nombre de mes nuits? Toucher, sentir, caresser, choisir l'élu d'un soir, le répudier ou au contraire ralentir la lecture pour échapper à la fin inéluctable, pour ne pas s'en séparer tout de suite. Je n'ai volontairement jamais terminé Le Quattuor d'Alexandrie pour que ce texte continue à vivre en moi, pour garder ma liberté, pour changer à ma guise. Parce que ce livre n'était plus à son auteur mais à moi.

L'auteur a voulu dire que.... Phrase horrible, terrifiante de certains manuels scolaires sensés éveiller le désir de lire et le bonheur qui s'en suit chez nos petits collégiens. Je m'en moque, de ce que l'auteur a voulu dire. Je sais ce que moi, j'ai entendu, et tant pis si ce n'est pas tout à fait la même chose. Pendant très longtemps, j'ai volontairement adopté devant mes élèves une lecture monocorde des textes que je leur faisais découvrir: le moins de ton possible, aucune variation, aucune vibration, aucune musique. Ensuite, malgré les consignes ministérielles, je ne me suis plus senti tenu de lire à voix haute. Je laisse les élèves découvrir seuls, les aidant pour le sens de certains mots mais jamais pour celui de leurs associations.

Ensuite, mais seulement ensuite, je peux reprendre oralement. Une fable de La Fontaine, avec les sixièmes par exemple, qui croient mettre un ton (non, pas LE ton: il peut en être accepté plusieurs) en adoptant le rythme de la table de multiplication, qui n'osent pas offrir un loup sanguinaire et violent face à l'agneau qui se raccroche à ses arguments, qui n'osent pas crier, qui n'osent pas sangloter, qui n'osent pas jouer la bêtise du corbeau et l'ironie du renard, qui sont trop formatés déjà pour sortir du scolaire et atteindre au théâtre. Parfois c'est dans ces moments que les "mauvais" élèves surprennent car eux n'ont pas toujours abdiqué toute leur liberté et s'essaient volontiers à marcher sur ces sentiers nouvellement offerts que sont les cris, les larmes et les gestes exagérément amples.

Dès enfant, j'ai su que mon amour de la lecture et du livre serait un amour définitif. Solitaire par tempérament et par nécessité, j'ai trouvé en eux des trésors: je découvrais, parfois à ma façon, en me créant des images qui, par la suite, se révélèrent fausses, je parcourais le monde, j'appréhendais les sentiments, même ceux dont je ne comprenais pas les méandres, j'engrangeais du plaisir immédiat, des connaissances pour plus tard et des images qui feraient le levain de mon imaginaire. Enfant de mineur et de paysan, lorsque j'ai découvert le livre, je me suis senti riche.

Je ne sais plus que faire des livres, je ne sais plus où les mettre. Chez moi, il y en a partout, ceux que j'ai lu, ceux que j'ai feuilletés, ceux que j'ai entamés puis abandonnés, ceux que je n'ai même pas ouverts, ceux que je redécouvre en ayant totalement oublié que je les avais achetés un jour. J'évite de trop souvent les manipuler car certains font immédiatement ressurgir du passé des souvenirs poignants, tristes ou gais qu'importe et je veux encore croire que j'essaie de fuir la nostalgie. D'autres, au contraire, ne m'évoquent rien. Je les ai lus, c'est sûr, mais j'ai oublié jusqu'à la première bribe de leur histoire. C'est un peu triste, comme de repenser à des amants qui, un moment, croisèrent votre vie, eurent un semblant d'importance, et disparurent ensuite comme s'ils ne vous avaient jamais caressé.

J'achète encore beaucoup. je ne peux passer trop de temps sans le contact des livres dans les librairies. Je sais que je n'aurai jamais le temps de tout lire. Qu'importe! L'acte de prendre possession d'un livre n'est-il pas aussi un plaisir à part entière? Pour moi, les moments passés entre les rayons, des heures parfois, à choisir ceux que l'on emportera, ces moments me comblent, c'est-à-dire que je suis plein d'eux, comme lorsque je suis immergé dans une histoire qui me captive.

Mes goûts ont évolué mais il serait trop long d'en parler ici. Disons simplement que, parti du roman balzacien (découvert tout de suite après l'abandon, sur les conseils de mon professeur de français, des livres de la Bibliothèque Verte) et des romantiques, arrêté longtemps au roman policier et à tout ce qui avait début, milieu et fin, j'en suis aujourd'hui, sauf exception, à préférer au roman les essais, biographies ou récits de voyages par exemple, sans savoir si cette évolution est due à mon âge qui avance ou à la médiocrité de ce que nous proposent en général les éditeurs de fiction, particulièrement française.

Un livre pour moi, c'est quelque chose d'indispensable à ma vie, à mon équilibre. J'ai revu assez récemment un film qui, bien qu'il ait lui aussi énormément vieilli, a pour moi toujours une grande résonance: Fahrenheit 451, d'après le roman de science-fiction de Ray Bradbury. Je crois sincèrement que je serais capable, à l'instar de ces hommes qui, à la fin du film, se regroupent en résistance dans les bois, d'apprendre moi aussi par cœur un roman, une pièce de théâtre ou un recueil de poésie. Je sais même l'œuvre que je choisirais: je suis presque sûr que ce serait Phèdre de Jean Racine, ou bien Des Souris et des Hommes de John Steinbeck.

En relisant ce billet, je me rends compte que j'ai constamment employé des mots comme plaisir, caresse, rencontre, passion, sentiments, contact, sensuel, érotique, possession, désir, bonheur, amants. Comme pour les vieux films où l'on lit cette phrase à la fin, je tiens à préciser que toute ressemblance avec ce que j'aime, avec la sensualité qui fait que je suis moi.... n'est pas le fruit du hasard. Pour moi, lire, c'est aimer. Et j'aime aimer.

PS: je précise que, pour ne pas me laisser influencer, je n'ai pas encore lu le billet de Lancelot, ni aucun autre blogueur ayant traité le sujet. On voudra bien m'excuser si je suis hors-sujet.
PS2: je sais que "retrouvailles" et "bribes" s'emploient généralement au pluriel. Mais on ne peut former de pluriel sans être auparavant singulier!

lundi 29 mars 2010

L'Affaire de Road Hill House

Un beau pavé de plus de 500 pages qui tient parfois plus de la thèse que du reportage historique, comme le présente la quatrième de couverture.

L'ambition de son auteur, Kate Summerscale est, outre de raconter un crime affreux dans son contexte historique, de nous présenter la naissance du métier de détective en Angleterre au XIX° siècle, de nous brosser les forces et les faiblesses de cette société victorienne si secrète et repliée autour du noyau ancestrale de la famille, de nous dépeindre la montée du pouvoir de la presse et de nous mettre en parallèle à cette réalité l'émergence de la littérature policière à travers en particulier Dickens, Conan Doyle et Wilkie Collins.

Vaste programme! Ce livre, intéressant à maints égards, est parfois trop didactique. La volonté quasi maniaque de l'auteur de ne nous épargner aucun des domaines explorés par ses soins devient parfois lassante. Un exemple de cette lourdeur: le long post-scriptum consacré aux photographies d'époque illustrant l'ouvrage. Très bien, bravo, mais on aurait pu s'en passer.

Par contrecoup, la narration de l'affaire est trop souvent et trop longtemps retardée. De quoi s'agit-il? En 1860, un bébé disparaît de son berceau et est retrouvé égorgé dans la fosse d'aisance de la propriété. La famille est une famille bourgeoise de la campagne anglaise dont tous les membres sont potentiellement des coupables satisfaisants. Un détective de Scotland Yard, envoyé spécialement de Londres, pour éclaircir cette énigme, le célèbre Jack Whicher, tentera de prouver la culpabilité de l'une des filles du maître des lieux mais aura du mal à faire admettre que l'on puisse investiguer à l'intérieur même d'une famille cossue et respectable.

Certains passages sont pourtant passionnants, en particulier ceux consacrés à la naissance d'un nouveau genre littéraire, le roman policier:

Cuff (le détective du roman de W. Wilkie Collins, Pierre de lune) est en quête de secrets inconscients autant que de faits délibérément celés. Il sert de repoussoir aux moments forts du roman, il est une machine à réfléchir chargée d'interpréter les palpitations et frémissements des autres personnages. En s'identifiant à lui, les lecteurs se trouvaient en mesure de se protéger des frissons qu'ils recherchaient - l'émotion sans frein de l'histoire, l'excitation physique, le saisissement du danger. La fièvre émotive était transmuée en cette "fièvre détective" qui brûlait chez les personnages et les lecteurs du roman, à savoir une compulsion à résoudre l'énigme. En cela le roman policier domptera le roman à sensations, encageant le désordre émotionnel dans une structure élégante autant que convenue. Il y avait de la déraison, mais elle était maîtrisée par la méthode. C'est le sergent détective Cuff qui faisait de La Pierre de lune un type nouveau de roman.
Kate Summerscale, L'Affaire de Road Hill House (Ch. Bourgois). Trad de Éric Chédaille

dimanche 28 mars 2010

Escapade

Quitter les sommets et la neige accumulée cette nuit pour traverser la brume, ne pas même apercevoir les demoiselles coiffées, et retrouver la pluie dans la vallée. A peine une éclaircie en arrivant à Lyon.

Saint-François Longchamp nous a offert tour à tour à peu près tous les ciels possibles et imaginables, avec une certaine avarice pour le don du soleil. La journée d'hier, en particulier, s'est passée presque exclusivement sous la grisaille. Pendant que J-C. et F. osaient affronter les pistes, je n'ai rien fait. Inactivité forcée mais bienvenue. A Lyon, j'aurais trouvé ceci ou cela à laver, à ranger, à préparer. Là-haut, rien. A peine quelques dictées, vite corrigées, et une interrogation de latin le temps que passe un nuage. Puis le canapé, une couverture sur moi, d'un vert à l'acidité que l'on n'oublie pas (et le coussin qui soutenait ma tête était rouge vif! Ô harmonie, quand tu nous tiens!), et le livre épais que je tente de finir depuis longtemps. Très vite, Morphée s'est invité à mes côtés et m'a pris doucement dans ses bras, le matin comme l'après-midi. Bras agréables et doux quand on est bien au chaud derrière la baie vitrée, que l'on n'a rien qui presse et que l'on sait que, dès le retour des deux compagnons, on aura droit à un bon kir et à une fondue savoyarde.

Le soir, c'était la tempête. Nous plaisantions en imaginant ne pas pouvoir rentrer à Lyon et passer ainsi une semaine de vacances coupés de tout, en autarcie, mais nous n'étions pas très loin de la réalité. La neige, dès la fin d'après-midi, n'a cessé de tomber, accompagnée plus tard d'un vent violent qui l'accumulait jusque sur notre balcon. Dans la nuit, j'ai longuement entendu les chasse-neige œuvrer, des heures durant, et ce matin, au réveil, il neigeait encore. Mais vers neuf heures, miracle! Le soleil faisait de timides percées. Les deux sportifs (!) de la maison repassaient leur tenue de cosmonautes et leurs yeux d'insectes et à tout à l'heure.

Pour moi, deux jours à ne rien faire, même avec la meilleure volonté du monde, c'est de l'ordre de l'irréel. Alors, prendre une douche bien chaude, chausser des bottes de caoutchouc que je n'avais pas utilisées depuis des années (comme on est bien dedans!), enfiler la parka et hop, dehors pour une longue marche dans la station. Deux heures, du bas en haut, avec arrêts photos, bien sûr et contemplation du paysage. A voir les petits points qui dévalaient le versant opposé, je me suis mis un instant à les envier: comme elle devait être belle, la vue, depuis ces hauteurs. Mais la plupart d'entre eux se contentaient de glisser, descente puis remontée, puis nouvelle descente et nouvelle remontée, jusqu'à saturation. Et là, je ne les enviais plus. Je sais pourquoi je n'aime pas le ski de descente.

Déjà, la température remontant avec l'avancée de la matinée, la neige fondait rapidement. De grosses plaques tombaient des toits après une sorte de sifflement un peu rauque et les stalactites égouttaient leur consistance. Le presque-soleil avait fait sortir les gens. Saint-François est une station familiale, pas snob et les fashion-victimes y sont assez rares. Bon exercice physique pour moi que cette promenade qui, comme chaque fois, m'avait remis la tête à l'endroit.

En rentrant, j'ai levé le nez vers l'étage de l'appartement où nous logions: les deux autres étaient-ils rentrés avant moi? Un des deux au moins, oui, car, derrière la vitre dépolie de la salle de bains, je voyais très bien, depuis le bas, le dos de Frédéric en train, sans doute, de se savonner. Il faudra faire part de cette découverte au propriétaire et lui conseiller de mettre un rideau à la fenêtre, à moins que, narcisse convaincu, il ne tienne à faire profiter le village entier de son anatomie!

Les récits de voyage ou de vacances sont un peu comme les séances de projections de diapos où l'on est invité ( je doute d'ailleurs que cela se pratique encore): on manifeste un certain intérêt, à défaut d'un intérêt certain, au début, on pose même quelques questions et puis, très vite, la répétitivité des clichés, ou simplement le fait de n'avoir pas été soi-même présent, fait que l'esprit s'échappe et que l'on se surprend à penser à autre chose, à ne plus écouter certaines explications, à rêver d'arriver bien vite au bout de ce qui se transforme peu à peu en calvaire.

Sans doute certains, présents au début de ce billet, ont-ils déjà lâché, lassés et à juste titre de ce qu'ils ont lu et surtout de ce qu'il reste à lire. Alors, concluons puisque l'on ne peut tout dire: j'ai été ravi de mes deux jours d'escapade, même si je n'ai rien fait d'extraordinaire, même s'il n'a pas fait très beau et je crois que mes deux acolytes sont à peu près dans la même disposition d'esprit. Il n'est que d'être bien entouré!

jeudi 25 mars 2010

Ailleurs

Je ne sais pourquoi, j'ai déjà l'impression d'être à la fin de la semaine. Il me semble depuis ce matin que nous sommes vendredi, alors qu'il me reste bien un jour à travailler. L'explication est peut-être à chercher du côté des deux jours que je vais passer à la montagne et que j'attends, c'est vrai, avec une certaine impatience. La perspective de quitter Lyon, même très momentanément, me séduit totalement. J'aime cette ville, énormément, passionnément, mais j'ai besoin parfois aussi d'aller respirer d'autres airs, de contempler d'autres horizons.

Autrefois, avec Pierre, nous prenions la direction des Alpes, des rivages du lac Léman chaque fois que les vacances arrivaient. Nous nous installions dans la maison de campagne qui, peu à peu, au fil des années, était devenue un deuxième chez nous. J'ai tant aimé ces séjours, même lorsque nous n'avions pas encore entrepris des travaux pour rendre l'habitation plus confortable. Cette période est révolue. Je l'ai dit, la maison a été vendue par la famille de Pierre et les nouveaux propriétaires ont, paraît-il, tout abattu, ne gardant debout que les murs extérieurs et le toit. Ainsi, aux dires des voisins, mes plantations ont disparu sous les plâtres et les gravas.

C'était il y a quatre ans, presque jour pour jour, une petite année après la mort de Pierre qui s'était toujours battu pour préserver ce patrimoine familial, seul véritable ciment entre les uns et les autres. Le 1er avril 2006, il avait fallu tout vider, jeter, partager, emporter. J'avais eu mal ce jour-là, autant que lorsque j'avais massacré ma maison d'enfance à coups de masse parce que les Houillères propriétaires avaient décidé de la raser. Il faisait beau, ce premier avril, et les jonquilles étaient toutes fleuries le long du talus où je les avais plantées. La sœur de Pierre m'avait proposé de les arracher pour les replanter sur mon balcon, à Lyon. Je n'ai pas voulu: je risquais de les abîmer en les déterrant et puis elles faisaient partie de cet autre univers et devaient y rester.

Je revois la camionnette qui nous avait été prêtée se remplir peu à peu, d'abord d'objets, de meubles en ordre, bien rangés pour économiser l'espace, puis en vrac parce qu'il y en avait trop, parce que montaient en moi, au fur et à mesure que l'après-midi avançait et que la lumière peu à peu baissait sur ce versant de la montagne où elle disparaissait assez tôt, une peine immense et une rage que j'avais du mal à contrôler, rage contre la vie, contre la situation qui m'obligeait à ces gestes et contre ceux qui m'entouraient aussi, parce qu'ils étaient responsables, parce que, surtout, ils étaient là.

A midi, nous avions rapidement déjeuné de charcuterie et bu du vin apporté par le beau-frère. Les assiettes et les verres que je connaissais depuis des années servaient pour la dernière fois, tout comme la cafetière et les tasses pour le café. Est-il pire de savoir ou de ne pas savoir que c'est la dernière fois? Je n'en sais rien. Le pire, c'est sans doute de l'admettre.

Heureusement, les au-revoir, qui s'avérèrent être des adieux, avec les voisins furent brefs et pleins de retenue. Je n'aime pas les mouchoirs agités sur les quais de gare. Et puis la camionnette démarra. C'était la dernière fois. Je crois que je me suis retourné pour voir encore une fois les volets clos de la porte d'entrée, ces volets peints en vert et percés d'un cœur dans la moitié supérieure pour laisser entrer un peu de lumière, ces volets qui se refermaient à la fin de chaque séjour sur mes souliers de jardin et le coucou arrêté à l'heure de notre départ. Ou bien peut-être ne l'ai-je pas fait. Je ne sais plus. Je crois que, de ces lieux, je n'ai toujours pas fini mon deuil.

mercredi 24 mars 2010

Souvenirs, souvenirs...

Part de sincérité, part de vérité, part de recréation, part d'invention pure dans l'évocation de nos souvenirs? Bien malin qui peut dénouer cet écheveau. Quelqu'un, je crois que c'est K., me disait en commentaire il y a quelques jours sa surprise devant la précision de mes souvenirs d'enfance alors qu'elle, elle les avait laissé fuir.

Peut-être, mais je suis bien certain aussi d'avoir oublié une quantité de détails, voire des pans entiers du passé. A comparer avec mes frère et sœur les souvenirs que nous avons en commun, des situations que nous sommes certains d'avoir vécues ensemble, je me suis rendu compte clairement de la différence dans ce qui est retenu par l'un ou par l'autre. Si la trame de l'histoire est la même, et encore pas toujours, les détails divergent très souvent, parfois radicalement, et chacun n'a retenu que ce qui l'avait le plus marqué, lui, ou ce dont il a pu faire un matériau pour se construire sans trop de souffrance. Ainsi me rappellent-ils quelquefois des souvenirs que j'ai totalement occultés, comme si je ne les avais jamais vécus, et inversement en ce qui les concerne.

Faire la différence aussi entre le souvenir directement mémorisé et celui que l'on a entendu raconter par un autre membre de la famille, parents ou grands-parents, histoire reprise à chaque réunion de famille, polie, arrondie, mise en bonne lumière et parvenue en fin de compte au degré suprême de l'épopée. Comment aborder ces souvenirs? Pour moi, je considère qu'ils ne m'appartiennent plus, qu'ils font partie d'une saga familiale non écrite mais fidèlement retranscrite oralement et, lorsque je les évoque, ne les considérant plus comme miens, j'y mettrais volontiers des guillemets.

Mais prenons un vrai souvenir, vrai de vrai, que l'on est sûr d'avoir vécu (et non pas rêvé, autre cas de figure), dont les autres confirment l'existence des faits et leur chronologie, sur lequel tout le monde est d'accord: cela s'est bien passé comme ça, à telle époque, à tel endroit, avec telle et telle personnes qui ont dit telle et telle choses. Un souvenir sans zone d'ombre, en pleine lumière. Est-on sûr, malgré tout, que le passage à l'écriture le rendra de façon intacte, sans changement?

Lorsque l'on écrit, on choisit. C'est aussi ce que j'apprends à faire à mes élèves pour une description: on ne peut tout dire, tout évoquer. On risquerait de lasser, encore davantage dans le souvenir personnel que dans la description. Alors, on sélectionne ce qui devrait intéresser, on laisse tomber des détails d'une trop grande banalité, dont l'explication n'apporterait pas grand chose et alourdirait le propos. Et déjà, ainsi, on mutile et pire: on interprète.

Mais raconter quelque chose qui nous touche, n'est-ce pas forcément interpréter? On discourt encore aujourd'hui sur le genre littéraire de l'autobiographie: Rousseau a-t-il été sincère dans ses Confessions? Tout le monde sait bien que non, que ce soit par volonté de plaire, de séduire, par oubli ou par silence volontaire. Alors qu'importe? D'autre part, le style choisi pour l'évocation du souvenir est lui, également, intrinsèquement, une interprétation: petites phrases courtes, pétant comme des cymbales, ou grandes périodes à volonté larmoyante ou oratoire, absence de verbes ou pléthore d'adjectifs, registre familier ou plutôt hermétique, chaque voie empruntée nous renvoie à une autre vérité, un autre aspect d'une même réalité.

Alors je crois que tout cela n'est pas d'une grande importance. Pour moi, l'essentiel n'est pas d'être vrai. Je considère cet objectif comme impossible à atteindre. L'essentiel, ce sont les textes, et au-delà même, les mots qui, une fois tracés, une fois tapés, échappent totalement à celui qui les a pensés, pour prendre une existence propre, mener leur vie de mots, de textes, frappant à des portes, s'installant dans des cœurs ou ne faisant que passer, transmis de l'un à l'autre sans que personne n'en soit plus réellement propriétaire. Un peu comme la saga familiale orale: la saga de ceux qui aiment le mot écrit.

mardi 23 mars 2010

Conseil de classe

Les conseils de classe de fin de deuxième trimestre ont commencé ce soir. J'oublie chaque fois combien il est nerveusement fatigant d'animer cette réunion quand on est professeur principal. J'en reviens toujours exténué et c'est encore le cas ce soir. Pourtant, comme pratiquement chaque fois, tout s'est bien passé.

Mais il y a beaucoup de choses à gérer en même temps. On pourrait croire que le rôle du professeur principal consiste uniquement à veiller à ce que chacun, parents, élèves délégués, collègues, s'exprime successivement et à consigner les avis sur un cahier à cet effet. Ce serait trop simple.

D'abord, beaucoup ont une singulière propension à parler en même temps que les autres. Pour se faire entendre, le premier va rapidement hausser sa voix, ce qui amènera invariablement le second à faire de même. Pendant ce temps, deux commères de collègues ne pourront attendre pour reprendre une conversation précédemment interrompue sur telle recette de cuisine ou telle adresse de club de détente, se fichant royalement de ce qui se passe autour d'elles. La plupart du temps, quand on essaie de les ramener au sujet de la réunion, c'est à dire au bilan du travail de chaque élève, elles le prennent très mal et vous traitent de dirigiste. Mais ce sont les mêmes qui se plaindront, en fin de conseil, que l'on ait dépassé l'heure prévue d'extinction des feux ou qui seront parties avant l'examen du cas du dernier élève parce que "les enfants attendent à la maison". Inutile de préciser, je crois, ce que je pense de ces donzelles!

Ensuite, il y a le prof qui a décidé que seul son avis importait et que, décidément, sa matière était assez importante pour qu'il se permette de dicter ses conclusions à tous les autres. Il s'agit en général d'un professeur d'une matière dite fondamentale, et très souvent d'un enseignant de Mathématiques. A l'inverse, il y a le petit enseignant de bout de banc, celui qui s'excuserait presque d'être là mais qui, tout de même, est ulcéré que l'on ne pense pas à lui donner la parole. Dans ce rôle-là, on trouve principalement les professeurs d'Arts Plastiques ou de Musique. Un peu surprenants aussi, ces gens-là, mêlant allègrement la fausse humilité et la véritable arrogance parfois.

Si la préparation de ce conseil a bien été faite, les élèves savent, après concertation avec le professeur principal, ce qui, dans les remarques de leurs camarades, entre dans le cadre d'un conseil de classe et ce qui n'y entre pas. On ne risque guère donc de débordements ou d'incongruités de ce côté-là. En revanche, côté parents, on n'est jamais à l'abri de grosses surprises: compte rendu des questionnaires qui s'étire à n'en plus finir, parent délégué qui confond son avis avec celui des autres ou le rend prépondérant du seul fait de sa présence, parent qui est là pour défendre son enfant bec te ongles et se moque totalement de la tâche qui lui a incombé du fait de son élection...

On en entend de toutes les couleurs, si l'on peut dire: il faudrait changer la texture du papier hygiénique dans les toilettes des filles, la veille le riz n'était pas assez cuit à la cantine, ne pourrait-on obtenir un arrêt de bus plus proche de la porte du collège (il faut, en effet, faire au moins deux cents mètres pour parvenir devant le portail!)? Lorsque l'on demande combien de parents telle ou telle remarque concerne, on a alors la surprise d'apprendre que c'est une seule famille qui trouve qu'il y a trop de légumes et pas assez de frites! Et on est parfois resté dix minutes à en discuter.

Mais que viennent faire ces digressions dans un conseil de classe? A force de perdre du temps à des futilités, il faut ensuite accélérer dangereusement quand on aborde le cas par cas, chaque élève de la classe après l'autre. Bien heureux encore si un collègue en grande forme ne raconte pas pour chacun une anecdote "unique" qui lui est arrivée avec cet individu à son cours, ou si un parent "freudisant" ne remonte pas à la première tétée mal digérée de son fils pour expliquer ses difficultés en géographie!

Eh bien oui, moi je suis directif, je coupe la parole quand elle s'égare, je renvoie problème de cuisson du riz et dissertation sur la douceur du papier toilettes à d'autres instances qui sont faites pour ça, je propose, après lecture (dans l'après-midi) de tous les bulletins une récompense (encouragements, félicitations) ou une sanction (colles, avertissements, conseil de discipline) et si l'on veut contester cette proposition, il vaut mieux avoir des arguments solides. Il m'est arrivé de mettre un de mes collègues particulièrement pénible devant un flagrant délit de contradiction entre ce qu'il était en train de dire et ce qu'il avait écrit deux jours plus tôt sur le bulletin (car il existe des gens, parmi les profs, eh oui, qui changent d'avis comme de chemise et s'alignent sans vergogne sur le dernier qui a parlé ou sur celui qui a parlé le plus fort, quitte à dire en deux minutes tout et son contraire).

Et grâce à ça, grâce à mon dirigisme, chez moi, on finit à l'heure.

lundi 22 mars 2010

En hommage au printemps

En passant un peu partout dans les blogs-amis, je me suis rendu compte ce soir que beaucoup parlaient du printemps et de sa venue tant espérée cette année. C'était avant-hier et moi, je ne l'ai pas célébré.

Voici de quoi réparer cet outrage: un autre poème du vieil Hugo (enfin, si l'on veut: il avait 51 ans en 1853, année où il écrivit ce texte des Contemplations). Je ne connaissais pas ces vers mais qu'ils me sont frais à entendre et comme j'aime y retrouver la verdeur de cet homme qui tant aima les femmes!

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis: Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?

Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!

Comme l'eau caressait doucement le rivage!
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans les yeux, et riant au travers.

Jeux de photos

Une petite visite, une fin d'après-midi de la semaine dernière, au Musée des Moulages, tout proche de chez moi et où, de plus en plus, comme dans un grand magasin célèbre, il se passe toujours quelque chose.

Cette fois-ci, l'Université Lumière Lyon 2, propriétaire des locaux et des œuvres de plâtre, proposait, dans le domaine de la photographie, une Carte blanche à Frédéric Delangle, exposition de ses photos dans le cadre d'un cycle "Préférence Photographie".

Le prospectus de l'Université présente ainsi ce cycle: Montrer la photographie sous toutes ses formes, parler de la photographie en variant les approches et les points de vue, explorer ses territoires (historique, créatif, thématique), tel est le but que se donne le Service Culturel de Lyon 2 qui souhaite ainsi marquer sa préférence pour une image réputée inclassable.

Je ne connais pas Frédéric Delangle. Il est présenté comme un photographe indépendant qui n'appartient à aucune école, âgé aujourd'hui de 44 ans et prêt, selon la plaquette de présentation, à aller s'installer à Pondichéry, en Inde.

Je n'ai, personnellement, pas apprécié de la même manière l'ensemble des travaux exposés. Sa série intitulée Primates m'a peu intéressé, de même que toutes ses photos ayant pour thème la nature de nuit (Nyctalope). En revanche, j'ai apprécié de retrouver chez lui une obsession semble-t-il commune avec l'une des miennes: le cliché urbain, la ligne géométrique et la répétition.

Mais ce qui m'a particulièrement retenu, ce sont deux expériences qu'il a menées: la première, qui hélas, apparaît peu dans le Musée (suite à un problème technique au moment de l'accrochage, m'a-t-on dit) s'intitule Coït et montre des corps saisis au moment où ils font l'amour. Les jeux sur la lumière et le temps de pose permettent un rendu assez exceptionnel d'abstraction. Loin de tout voyeurisme, ces deux tableaux proposent plutôt une réflexion sur le mouvement et l'instant.

L'autre expérience, elle très présente puisque constituant la majeur partie des photos exposées, consistait à envoyer un cliché par jour à trois autres artistes (un photographe, un musicien et un autre dont j'ai oublié la spécialité) qui devaient "rebondir" sur le thème, la forme ou tout autre point choisi et envoyer à leur tour leur production. Il semble que seul le deuxième photographe ait réellement et longuement joué le jeu. Ainsi voit-on côte à côte les clichés de l'un et de l'autre, accrochés à un "fil" et déterminant un parcours de visite. Si certaines Correspondances photographiques (c'est le titre de la série) sont d'une relative banalité (ou peut-être, comme parfois mes élèves, n'en ai-je pas vu la complexité), d'autres au contraire font que l'on s'arrête plus longuement et que l'on sourit même parfois devant ce qui semble être un "jeu de photos", comme il y a des jeux de mots.

La prochaine expo est prévue pour mi avril. J'ai laissé mon adresse mail pour que l'on me prévienne, comme déjà une fois sans résultat. Le mal n'est pas bien grand: quelques centaines de mètres à parcourir en sortant de chez moi et j'y suis.

dimanche 21 mars 2010

Des mots et des foulées

Je me rends compte, jour après jour, qu'écrire, c'est un peu comme courir. Je n'ai pas encore lu le livre d'Haruki Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, mais je compte bien le faire un jour.

J'ai commencé l'un et l'autre, ce blog et la course à pied, dans un état d'urgence absolue. C'était ça ou je disparaissais. Je n'ai pris aucune précaution, ni pour l'un ni pour l'autre. Des kilomètres de course sans entraînement, pour le plaisir puis pour la douleur, pour assommer la souffrance psychique, pour la dévier de son cours, tenter de dormir. Des centaines de billets, parfois trois ou quatre par soir, pour vider l'abcès, pour confier, pour recevoir, pour clarifier aussi, chez moi, pour tenter de rationaliser l'impensable, l'inacceptable.

Après cette période folle, le temps est venu de reconstruire. Cela n'aurait pas été possible sans la phase antérieure. La course est devenue plus méthodique, l'entraînement plus raisonné, l'effort plus progressif. Je voulais arriver à quelque chose, sans certitude d'y parvenir. J'ai été comblé par cette journée de 2008 où j'ai passé la ligne d'arrivée du premier semi marathon de ma vie. Je dis encore aujourd'hui que c'est sans doute une des plus grandes joies de ma vie. Maintenant, le dos m'empêche de retrouver ces sensations extraordinaires que l'on éprouve quand, les premières minutes de souffrance passées, on sent son corps qui roule parfaitement, comme une machine intelligente, comme le prodige qu'il doit être.

Pour l'écriture aussi, je me suis calmé. Il arrive que certains soirs, de plus en plus nombreux, ce soit le soin de mes photos qui m'occupe d'abord. Comme ce soir, par exemple. J'ai de la difficulté à me mettre à écrire, maintenant que ce n'est plus une nécessité aussi vitale pour moi. Je me dis: allez, juste un petit mot, comme on se dit: une petite demi-heure de course et basta. Et ça ne se passe pas comme ça. Je suis un boulimique des mots autant que de la foulée. Le plaisir monte, invariablement, au fur et à mesure que le bout charnu de deux doigts de mes mains pianote sur les touches noires de mon clavier.

A la fin du billet, comme à la fin de l'effort physique de la course, je suis en accord avec moi. Non pas épuisé, mais détendu, purifié, débarrassé. Le fardeau est tombé, le plaisir est resté. Mes nuits sont devenues meilleures. Je me suis éloigné de l'œil du cyclone et j'aime encore la vie. Comme un fou. La maison a l'air de tenir.

samedi 20 mars 2010

De la famille, du téléphone, du bon vin et de quelques autres

Aujourd'hui, il paraît que c'est le printemps. Temps gris mais doux. J'aurais pu dire "temps doux mais gris". Impression d'une ville déserte. Je ne déteste pas. Les gens sont comme sereins. Ma mère aussi.

Hier, c'était la réunion organisée par Orange pour tranquilliser les habitants du quartier sur l'implantation d'antennes téléphoniques sur un toit de Félix-Faure. Je n'y suis pas allé. Je n'aurais de tout façon pas été tranquillisé.

Hier, c'était aussi la Saint-Joseph, un de mes saints patrons. J'ai récupéré ce prénom de mon oncle, le frère de ma mère, qui était mon parrain. Je n'ai rien à dire sur lui, car il n'y a rien à dire. La Saint-Joseph, c'est aussi, à ce qu'on dit, le jour où les oiseaux se marient. Ils ont dû avoir du mal avec le vent du sud. Et puis un bon vin, de la vallée du Rhône, que j'ai connu bon marché et qui aujourd'hui atteint d'autres prix.

Demain, c'est la Sainte Clémence. Un prénom que j'aime bien. J'ai eu des élèves qui le portaient. Toujours des jeunes filles douces. Étrange comme les prénoms sont liés à certains types d'êtres, ou bien l'inverse, je ne sais pas. Pour moi, c'est aussi le prénom de la première femme de mon grand-oncle paternel, le frère de ma grand-mère, un homme que j'ai un peu connu dans ma petite enfance. Quelqu'un qui semblait froid et orgueilleux derrière ses bacchantes imposantes. J'ai appris par la suite qu'il avait possédé un moment un cheval de course. Un étranger pour moi. Sa première femme a fini par se suicider. On ne m'a jamais dit pourquoi. Le sait-on? Je n'ai connu d'elle que la petite photo en noir et blanc, dans son ovale, sur un présentoir de pierre qui encombrait, avec d'autres, le dessus du caveau familial: un visage fin et mélancolique, de beaux yeux sombres. C'est à cause de ce portrait, qui s'est peu à peu fissuré et qui a fini par être enlevé, que j'aime ce prénom de Clémence.

vendredi 19 mars 2010

Petit plaisir anodin

Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chalmbre un peu chaque matin;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;
Elle entrait et disait: "Bonjour, mon petit père!",
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors je reprenais, la tête un peu moins lasse
Mon œuvre interrompue et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais pourquoi, venaient mes plus doux vers...
Et dire qu'elle est morte! Hélas! Que Dieu m'assiste!
Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste;
J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

Victor Hugo, Les Contemplations

Juste comme ça, pour le plaisir. Le printemps est à la poésie, semble-t-il.
Et dire que certains trouvent ses vers pompeux! Il a aussi su écrire des choses aussi simples que celle-ci, avec un cœur brisé de père.

jeudi 18 mars 2010

Nano, exo, humano, allo bobo

Pluton est déclassée en planète naine, on découvre selon Google une exoplanète. Passionnant, déboussolant, perturbant, excitant? Quand s'intéressera-t-on autant à notre bonne vieille Terre, si fatiguée aujourd'hui, et à l'humanité qui l'habite, ces milliards d'hommes tout aussi usés et fatigués que celle qui les porte? Ça, ça me parle, et le reste n'est que littérature (même scientifique)!

Mars au musée

Visite annuelle au Musée de la Civilisation gallo-romaine de Fourvière avec les sixièmes. Si je devais compter le nombre de mes visites en ces lieux depuis leur création!!! La dernière (pour l'instant), c'était hier matin.

Heureux, il était le professeur. D'abord parce que globalement, ces élèves sont sympathiques et intéressés par ce que leur dit le vieux barbon qui pourrait être leur grand-père (ça me fait drôle, tout de même!). Mais surtout hier par le temps qu'il faisait. Premier vrai jour de printemps. Ensoleillé et frisquet le matin au départ. Immanquablement, je pense à nos voyages à Rome ou à Athènes en février, lorsque, après le petit déjeuner à l'hôtel, nous partions pour une journée de visites. Je levais le nez et, malgré la cigarette que je fumais encore à l'époque, je reniflais l'air, ce picotement de l'hiver qui s'en va, cette fraîcheur du renouveau qui vient, je regardais le soleil apparaître sur les façades blanches de l'Hellade ou ocres de la latinité, et j'étais heureux comme au premier matin des mondes. Chaud au retour à midi, à enlever les épaisseurs du matin, parce qu'aussi réchauffés par la marche.

Thermes (ce qu'il en reste), aqueduc, odéon, théâtre: le décor est en place. Je leur demande de fermer les yeux et de partir dans le temps, remonter vingt siècles et voir devant soi la splendeur de la capitale des Gaules, ce que devait être cette ville fière sur son éperon rocheux dominant toutes les plaines alentour et n'ayant, en vis à vis que l'opulence et la beauté du Mont-Blanc. Expliquer les rues, les boutiques, les égouts, les citernes, les remparts, puis, à l'intérieur du musée, les mosaïques, les fresques, les trésors, les objets de la vie quotidienne et ceux du culte des dieux ou de celui des morts, les vestiges de cet amphithéâtre où, chaque année, se réunissaient les représentants de chaque peuple gaulois, deux par peuple dont le nom était gravé sur les sièges de pierre.

Je ne me lasse jamais de transmettre ce savoir. Depuis peu, on a également la possibilité de prendre des photos, à usage personnel bien sûr. Les enfants, sans doute encouragés par mon exemple (double motif de bonheur), ne s'en sont pas privés et, s'il fallait parfois les rappeler à l'ordre, je pense cependant que cette possibilité nouvelle les a, au final, rendus plus attentifs et plus curieux qu'auparavant. Les Tables Claudiennes (discours de l'empereur Claude, gravé sur deux plaques de bronze dont, hélas, il manque la partie supérieure, pour commémorer le Droit de Cité accordé aux lyonnais) et la mosaïque de la course de chars (dans le cirque, jamais retrouvé, de Lyon) les ont particulièrement attirés.

Je leur ai aussi montré la beauté, selon moi, de cette cathédrale de béton et de son pan incliné enroulé sur lui-même, sa façon si particulière de faire corps avec la colline et le théâtre, de disparaître sous la verdure des pentes. Je ne sais pas ce qu'ils retiendront réellement, ce qu'il oublieront, ce qu'ils déformeront, mais n'est-ce pas cela, le travail d'un enseignant, cette folie douce de croire en l'éducabilité, cet espoir enraciné que les paroles semées germent un jour pour porter les plus beaux fruits? Et même s'il y a de la perte, qu'importe, si le grain ne meurt...

mercredi 17 mars 2010

L'atlas

Je devais avoir dix ans. Ou plutôt non, quelques mois de plus car on me l'avait déjà acheté. Il figurait dans la liste des fournitures indispensables à l'entrée en sixième. Pour mes parents, cette liste représentait un considérable poids financier mais ne pouvait être remise en doute. Pourtant, jamais pendant mes études, pas une seule fois, on ne me le fit ouvrir. Si je n'avais pas été passionné de moi-même par ces pages, il n'aurait jamais servi à rien. Il est encore dans ma bibliothèque, les premières pages tachées des traces de l'ancien ruban adhésif qui retenait la couverture transparente.

Ce souvenir doit donc remonter à l'été qui a précédé mon entrée en sixième. J'avais déjà le livre, j'avais encore l'ami qui, lui, n'entrant pas au lycée, disparut ensuite de ma vie, par la force des choses. Cet ami, c'était Lakdar, un algérien de mon âge, le seul enfant avec qui (à l'exception d'Yvon) j'étais bien. Son père devait être mineur comme le mien, et dans ce village de mineurs, on ne savait même pas ce que voulait dire le mot racisme. Nous étions heureux de nous retrouver. Calmes tous les deux, nous nous installions dans un des prés de ma grand-mère, celui du haut, au-dessus de la route, car la vue portait plus loin et nous faisions des projets.

Un de ces rêves fut de transformer la ferme que nous habitions, ma famille et moi, en orphelinat pour enfants pauvres. Je suppose que l'idée venait de moi, peut-être après la lecture d'un roman de Dickens dans la Bibliothèque Verte. Il va sans dire qu'à cet âge-là, nous remettions nous-mêmes fortement en cause l'identité de nos parents respectifs et que les voir disparaître (morts?) pour que notre projet puisse se réaliser ne nous créait aucun état d'âme.

Mais le grand projet qui tint longtemps cet été-là, et peut-être un peu après, nous le faisions à partir des cartes de cet atlas, des cartes de géographie physique surtout, celles où apparaissent en bleu les mers et les rivières, en ocre plus ou moins foncé les montagnes et leurs sommets, en vert les plaines, celles où l'on peut lire des noms qui font rêver. Moi, toute la carte de France me faisait rêver. J'aimais sa forme, j'aimais la dessiner, je trouvais que c'était facile, j'aimais la colorier. Aucune autre ne me semblait pouvoir l'égaler en élégance, sauf peut-être celle de la Grande-Bretagne, mais les noms que l'on y voyait inscrits étaient si compliqués!

Compulser ce livre nouveau pour moi était un immense plaisir, doublé du fait que j'y retrouvais en "vrai" (le papier m'a toujours semblé plus réel que la réalité tangible) les noms des endroits que j'avais déjà pu visiter grâce à une école primaire à la direction intelligente qui animait un "sou des écoles" dynamique et astucieux. Lakdar partageait avec moi cette passion des cartes et nous avions aussi tous deux en commun un besoin certain d'évasion qui me serait, à moi, donné l'an suivant sur les bancs du lycée. Besoin de se réaliser dans un autre univers que celui de nos parents, dans un univers rêvé, en toc mais nous ne le savions pas.

Le grand projet, nous l'aurions appelé le "Giro" si nous avions été un peu plus grands et un peu plus au fait de la réalité sportive. Nous voulions faire tous les deux le tour d'Italie en vélo. Inutile de dire que nous n'avions de vélo ni l'un ni l'autre, mais, à dix ans, on ne s'arrête pas à ce genre de détails. C'était décidé: une fois que nous maîtriserions suffisamment les informations nécessaires, nous partirions en Italie.

Nous avions commencé par rêver simplement, en lisant les noms de villes, connues ou inconnues, où nous passerions, Turin, Florence, Rome, Naples, Venise, Milan... Rien que de les dire, ces noms, suffisait à notre bonheur, comme si nous savourions déjà le plaisir d'y être. Mais comme nous avions tous deux en commun également un certain sens de la réalité, nous étions ensuite passés à l'étape suivante: la préparation raisonnée de l'entreprise.

La première tache concrète consista à calculer les distances à parcourir et à les découper en autant d'étapes nécessaires, étapes que nous raccourcissions dans les Alpes et rallongions dans les plaines. Les Alpes nous tracassaient bien un peu: comment allions-nous les franchir? Heureusement, je ne connaissais pas encore à cette époque Hannibal et ses éléphants, car j'aurais été capable d'intégrer les pachydermes dans nos moyens de locomotion (je crois que c'est à peu près le temps où je lus Le Tour du monde en 80 jours.) Mais on le sait, il n'y a rien de mieux qu'un rêve pour aplanir les difficultés (et pas seulement dans l'enfance!), et si les difficultés, ce sont des montagnes, eh bien on les aplanit de même.

Je crois que nous avions prévu un mois pour effectuer notre tour. Nous devions emporter dans des sacs à dos l'essentiel de ce qui serait nécessaire à notre survie. Il nous fallait cependant un peu attendre pour monter en selle car nous ne possédions, pas plus l'un que l'autre, un seul centime d'économie à placer dans l'entreprise. Mais cela ne nous attristait pas puisque, ainsi, nous avions tout le temps de perfectionner notre itinéraire. L'essentiel, mais nous le savions pas, c'était le rêve que nous faisions. Il ne se réalisa jamais, faut-il le préciser.

Je perdis ensuite Lakdar de vue. J'avais beaucoup de travail scolaire, je découvrais d'autres mondes, d'autres horizons, grâce au latin, grâce à la littérature, et le petit algérien n'en faisait plus partie. Je suis presque gêné de le dire aussi abruptement aujourd'hui mais c'est pourtant ainsi que cela dut se passer. Pourtant, pourtant, je ne crois pas que ce rêve fut inutile: l'amour des voyages, je l'ai gardé, l'amour de l'Italie n'a fait que croître à chacun de mes séjours, je n'ai pas pratiqué le vélo mais j'en ai avalé, des kilomètres, en voiture seul avec Pierre ou en car, charriant avec moi une soixantaine de têtes à former.

Et surtout, surtout, encore aujourd'hui, je ne peux apercevoir au milieu des autres livres le dos vert de cet atlas sans éprouver le besoin immédiat de l'ouvrir quelques minutes, de regarder la carte sur laquelle le hasard m'a fait tomber, de rêver comme autrefois sur les noms des fleuves, des régions, des villes lointaines, sans inévitablement revenir à la page de l'Italie physique et me retrouver assis dans le pré de ma grand-mère, au-dessus de la route qui menait au village, le bras de mon copain Lakdar appuyé contre le mien, serrés l'un contre l'autre pour mieux voir, nos épaules se touchant presque, absents du monde autour, parce que dans nos cheveux c'était le vent d'Ombrie qui soufflait de la mer.

mardi 16 mars 2010

La Vérité

Ne pas écrire hier soir. Rester dans la seconde zone. celle du bien-être, proche du sommeil, celle où l'on sait que l'on s'endormira sans difficulté. Ne pas réveiller la machine. Je parviens peu à peu à me coucher (un peu) plus tôt et à "faire" mes nuits. Le bien-être, hier, venait du film, sur Arte. Inaugurant un cycle H-G Clouzot, la chaîne franco-allemande diffusait La Vérité, avec Brigitte Bardot et Sami Frey. Rien que ces trois noms, Bardot, Clouzot, Frey, avaient de quoi m'attirer.

Clouzot, c'est entre autres le souvenir ambigu des Diaboliques avec sa femme Vera et Simone Signoret, duo d'anges noirs. Bardot, c'est le mythe, l'explosion de la sensualité dans Et Dieu créa la femme, où nous avons tous les yeux de Trintignant. Samy Frey, c'est la beauté d'un visage irradiant la lumière et les ténèbres à la fois, visage que je pus, plus tard, dans sa maturité, examiner de près dans une petite salle du TNP à Villeurbanne. Alors qu'il jouait Pour un oui, pour un non, de Nathalie Sarraute avec Jean-François Balmer, il vint s'asseoir devant moi, à nous toucher les genoux, pour réciter son texte. Je n'avais pas osé bouger un cil, ce jour-là, par respect pour cette sorte de transe qui l'habitait.

Hier, le couple vedette, était, années soixante, d'une beauté à couper le souffle, dans tous les retours en arrière (oui, je sais, on peut aussi dire flash back!) relatant la relation passionnée et malheureuse de ces deux êtres au départ si dissemblables. La tragédie se nouait peu à peu, à chaque souvenir, à chaque témoignage, aussi sûrement que dans l'orchestra d'un théâtre antique.

Et puis il y avait tous les autres, ceux que l'on peut nommer aisément, ceux, parmi les grands, que l'on retrouve toujours avec plaisir et un peu de nostalgie: Paul Meurisse, Charles Vanel, Marie-José Nat, Louis Seigner (immortel banquier florentin des Rois maudits). Et les autres encore? Ceux dont l'apparition fait sursauter de plaisir, que l'on connaît, que l'on reconnaît (Mais si, tu sais bien, il jouait dans ....), dont le nom est au bord des lèvres mais à qui l'on ne parvient jamais à en attribuer un: les seconds rôles, les faire-valoir fugaces mais efficaces, tous ceux-là qui faisaient admirablement leur métier sans jamais rêver d'être des stars.


Des noms dont j'ai retrouvé deux dans le générique: Jacky Sardou (oui, la mère de ...), une concierge trop sûre d'elle-même, et André Oumansky, play-boy tenancier d'une boîte de nuit mais grand cœur respectueux de l'autre. Ceux-là, la mémoire les sauve encore. mais qui joue le personnage du greffier, du secrétaire qui, à la demande du juge, énonce les faits, d'une voix acide et pressée, avec un profil de charognard? Pour lui, plus rien. Je l'ai déjà vu, c'est tout, autrefois.

lundi 15 mars 2010

Mot à mots.

Pas de mot ce soir. Pas de mot long. Je viens d'éteindre la télévision. Quelque chose m'y avait attiré, quelqu'un, quelques-uns. Une voix, un visage, Sami Frey. Moi aussi, je l'aime. Je le dis à celle qui se reconnaîtra et qui me fait tant plaisir quand elle me parle, même si elle est fatiguée des mots. Ne le sois pas, amie: les mots sont nos amis. Ceux que l'on dit, ceux que l'on lit, n'en sont que l'écorce. Leur âme palpite en dessous dans ceux que l'on tait. Je t'embrasse.
Un inculte aussi, comme tu dis l'être.

dimanche 14 mars 2010

Momentini

- Ai voté ce matin. Pas la foule des grands jours au bureau mais, dans la rue, comme chaque fois, une certaine animation, là où, un dimanche ordinaire, on pourrait chanter à tue-tête sans déranger personne.

- Mon bureau de vote était tenu par mon ancien voisin. J'ai osé engagé la conversation de façon plus personnelle avec lui. Il m'a dit avoir déménagé le 28 décembre. Je ne m'en suis rendu compte que la semaine dernière. Autrefois, j'étais curieux de mes voisins... mais il est vrai aussi que l'hiver fut froid et que chacun se retirait derrière les volets fermés. Je n'ai pas osé lui poser de question sur sa mère, ou celle que je suppose être sa mère.

- Je n'étais pas allé au cimetière, sur la tombe de Pierre, depuis trois semaines. Sans trop de mauvaise conscience, c'est vrai. La mauvaise conscience, le mal être, je l'ai eu ce matin, sous le ciel gris: rien n'avait changé. L'herbe n'a pas poussé, comme s'il n'y avait pas besoin de moi pour entretenir. J'espère que le pied de lavande n'a pas gelé: il ne présente en ce moment que de courts moignons secs et vides.

- Surpris par l'importance donné par les médias à la mort de Jean Ferrat. Je ne m'y attendais pas. Y aurait-il en France, plus que je ne croyais, une culture muette et résistante? Certains témoignages font sourire cependant, ou feraient sourire s'ils n'étaient pas grotesques.

- Sur le marché Saint-Louis, ce matin, pas de militants, pas de tracs, pas de mots d'ordre. Repos. Je n'ai jamais aimé que l'on me traque. Sinon, comme un loup, je mords. y compris ceux des partis pour lesquels je vote. Je n'ai jamais su faire deux choses à la fois.

- Des jonquilles et des tulipes doubles. Tout en jaune. Le jaune et le bleu sont les couleurs du printemps. Cela me rappelle une conversation avec la mère de Pierre. Il y a combien de printemps? Après vient le rouge. Pour ma mère, des œillets du Var, mais ils ne sentent pas encore.

- Dans la rue, aperçu, derrière une fenêtre étroite, posé sur le rebord, un compotier rempli de pommes jaunes en pyramide, sous un court rideau laissant passer la lumière. Comme un tableau de la vie courante. Un peu de sérénité.

samedi 13 mars 2010

Une vie et des chansons

Ferrat, c'est mon enfance, et c'est toute ma vie, jusqu'à aujourd'hui et bien encore après. Je ne voulais rien dire mais les souvenirs se pressent.

Les dimanches matins sur notre premier électrophone,les années soixante, Ma Môme, Deux Enfants au soleil, déjà avec Isabelle Aubret. Le travail ne m'était plus dur, je chantais, sa voix chaude me guidait, me réchauffait. Plus tard en traversant les banlieues lyonnaises, Ma Môme toujours, la marraine en Lorraine et la Sainte Vierge des églises. J'empoignais mon cartable, j'aurais vaincu des armées. La Montagne bien sûr, de cette Ardèche proche de mes racines, toute proche, voisine, cousine, la même aridité et les mêmes châtaignes, les mêmes genets d'or au printemps.

Combien puis-je encore en chanter aujourd'hui? Toutes par grandes bribes, quelques-unes en entier. Elles m'ont accompagné, en littérature et en politique, Nuit et brouillard récitée par mes élèves devant le camp alsacien du Struthof, Potemkine, qui me transperçait, Maria et la guerre d'Espagne, Pauvres petits Cons que je chantais à tue-tête, et les folles d'amour, Aimer à perdre la raison, Nous dormirons ensemble, C'est beau la vie (que je voudrais à ma mort)... Je me rends compte que j'épèle une à une ses chansons, c'est ridicule. Mais je les entends aussi à mon oreille et la chaleur revient. Alors je le redis: silence. Écoutez la chanson si douce....

Message

J'irais encore en Italie à Rome à Ravenne ou ailleurs je me reposerais au bord des jets d'eau qui s'amusent sous les pins grésillant de cigales je boirais du vin frais blanc des coteaux albins ou rouges de Sicile le soir je rêverais sur la Piazza Grande écoutant le glaçon fondre dans ma Strega et les rires aigus de filles de Milan je chanterais doucement pour accompagner les vagues le ciel à Erice serait noir et lumineux d'étoiles la brise apporterait des odeurs de poissons et de jasmins ouverts je te regarderais qui regardes ailleurs perdu dans tes pensées toute cette terre antique autour de nous rassasiée de batailles et enfin apaisée te dirait mon amour dans les monts de Toscane les vallées de l'Ombrie aux plages imbéciles de l'Adriatique ou dans l'argent des lacs reflétant les montagnes il faudrait prendre le bateau laisser flotter les doigts le long de la coque échauffée et habiter en silence les villas palladiennes et celles que l'on devine à leurs ocres façades derrière le gigantesque ombelle je te baptiserais d'un prénom italien Enzo Renato Andrea celui que tu voudras tiré d'un film ou d'un tableau un pour le jour un pour les nuits, quand nous mélangerions nos sueurs et nos songes je t'achèterais des glaces elles te font tant envie qu'il me faudrait finir je glisserais ma langue dans l'empreinte de tes dents et tu sourirais de me voir faire parce que parfois tu trouves mon regard espiègle des quelques mots que tu sais tu te servirais mal je t'embrasserais à la saignée du poignet pour avoir essayé tu t'impatienterais parfois que je ne sache pas tout dire de ma lenteur à traduire de mes oublis nos bouderies ne dureraient pas longtemps nous avons le même amour pour l'art il nous ferait retrouver la parole Regarde ce profil dans la rue au musée d'hier ou d'aujourd'hui c'est le même le campanile soudain vibrerait de ses cloches et les pigeons fuiraient rasant nos têtes hilares sur la jetée au dernier feu arrière je te prendrais la main nous croiserions nos doigts comptant nos ressemblances et la lagune s'endormirait quand nous nous veillerions le long ruban des routes te verrait endormi et même le douanier ne te brusquerait pas tu reverrais les ruines Colisée Palatin les aqueducs traçant dans la campagne leur chemin inutile les tombeaux les églises je serais saoul de toi tu serais saoul de moi
si tu m'accompagnais.

On ne voit pas le temps passer.

Ferrat est mort. Silence. Je le crois immortel.

vendredi 12 mars 2010

Élégie

... à Ramon Sijé

(...)
Sur les âmes aériennes des roses
de l'amandier crémeux je te convie
car nous devons parler de bien des choses,
camarade, compagnon de ma vie.
Miguel Hernandez, 10 janvier 1936
(Trad. de Nicole Laurent-Catrice)

Elegia a Ramon Sijé

(...)
A las aladas almas de las rosas
del almendro de nata te requiero,
que tenemos que hablar de muchas cosas,
companero del alma, companero.
Miguel Hernandez, 10 de enero de 1936

Lu sur le bureau de la documentaliste, au collège, il y a quelques jours. C'est l'Instituto Cervantes de Lyon qui se présente ainsi.

J'aime (sans connaître l'espagnol).

Respiro

D'abord, on pense aux bagarres de gamins de La guerre des boutons, puis à celles des lavandières de Gervaise, puis au Facteur dans son île de soleil, apportant son courrier à Neruda, puis à un roman d'Elsa Morante, L'Ile d'Arturo, lu autrefois. Et puis on ne pense plus à rien: on regarde, on est dans le film, on en sent le soleil. J'avais hésité à acheter le DVD, renoncé d'abord puis cédé ensuite. Hier, il passait sur Arte, en version française malheureusement.

Dans l'île de Lampedusa, au sud de la Sicile, celle aujourd'hui où accostent nombre de candidats clandestins à l'immersion européenne, une jeune mère de famille étouffe au milieu des conventions et du code de vie dictés par sa belle-mère et les familles du village. Seuls ses trois enfants la suivent sur le chemin de l'évolution: Pascale et Marinella, les grands, et Filippo, le petit dernier. Son mari, bien que profondément amoureux d'elle, va finir par accepter ce qu'on lui conseille: exiler quelques mois sa femme dans un asile à Milan, où on la soignera de ses lubies. Avec l'aide de Pascale, elle s'enfuit et se cache dans une grotte de la falaise. On la croit morte.

C'est un film qui m'a enchanté, au sens propre. Emanuele Crialese est aussi à l'aise avec les scènes réalistes dans la tradition du cinéma italien de la grande époque (le retour de la pêche, les hommes réunis de leur côté pendant que les femmes restent entre elles, la misère au soleil, la joie de vivre et la solidarité, les courses en vespa) que dans des moments de poésie pure, en particulier ceux filmés dans l'eau, ces ballets aquatiques d'hommes et de femmes qui marchent, celui des retrouvailles de Grazia et de son mari Pietro autour de qui s'agglutinent tous les autres nageurs, formant ainsi une sorte de nouvel être, communautaire et tendre.

Jusqu'à la musique qui n'est pas là où on l'attendait: rien des tarentelles et des airs de mandoline, quelque chose de plus intimiste, à la fois apaisant et angoissant, en totale harmonie avec le sujet. On est dans ce film bien loin des clichés sur ces îles de la Méditerranée. C'est, je crois, un des plus beaux films d'amour que j'aie vu à ce jour.

jeudi 11 mars 2010

Allez vous rhabiller

Hier, le MAC (Musée d'Art Contemporain) de Lyon organisait une visite gratuite, à l'intention des professeurs, de l'exposition actuelle: Rétrospective Ben. Strip-tease intégral. C'est paraît-il d'ailleurs ce qu'il a fait le jour de l'inauguration, le mercredi précédent, finissant, ne rêvez pas, par s'exhiber en string . D'ailleurs, je rappelle, en rabat-joie, que ce monsieur a tout de même 75 ans: je n'ai rien contre les vieillards, étant moi-même plus près d'eux que du statut (et de la statue) d'éphèbe, mais pour exciter la libido, il doit y avoir mieux.

Eh bien, à mon humble avis, Ben Vautier peut aller se rhabiller. J'ai répondu un peu par curiosité à cette invitation, pas très chaud devant ce que je connaissais de cet "artiste", c'est-à-dire principalement de petites phrases anodines tracées en blanc d'une écriture ronde et enfantine sur les supports noirs des trousses, agendas et classeurs de mes élèves. Seule "œuvre" sortant de cet univers scolaire: la cabane installée auparavant dans l'entrée du musée (et aujourd'hui visible à l'exposition) encombrée de tout ce que Ben n'a pas pu placer dans la sienne propre. Pas emballé non plus par cet amoncellement d'objets hétéroclites de la vie quotidienne, en plastique le plus souvent, mais après tout, pourquoi pas: j'ai vu, à la Biennale cette année des compositions de ce genre qui m'ont beaucoup plu.

Rien de tout cela dans les trois étages qui sont consacrés à cette rétrospective: le premier retraçant une sorte d'historique, mis au point par un de ses amis critique, les deux autres installés par Ben lui-même. Il faut que je précise que je peux aimer l'art brut mais les œuvres de Ben ne m'évoquent rien, ne me font ni rêver ni réfléchir ni même réagir violemment. Je n'y vois qu'un prétexte, avoué par lui-même d'ailleurs parfois, avec plus ou moins de cynisme, à gagner de l'argent. Oui, deux ou trois trouvailles assez drôles, mais pas de quoi crier au génie. Je pense également que le monsieur a une assez haute opinion de lui-même, ce qui me déplaît profondément.

J'ai senti en entrant dans la première salle que je ne retrouverais pas la joie connue avec l'expo de Haring il y a quelques mois. Bien sûr, les deux hommes ne sont pas comparables, quoique le trait simple de l'écriture enfantine de Ben puisse rappeler celui du contour des personnages de Haring. Chez Haring, devant ses toiles, on devinait un être passionné, un peu fou, joyeux et angoissé à la fois. Devant les travaux de Ben, on ne sent rien sinon l'odeur d'un compte en banque. Mais peut-être suis-je dans l'erreur totale....
Photos permises, sans flash. Qu'on se le dise.

mercredi 10 mars 2010

Welcome

Il se trouve que je bénéficie gratuitement de Canal+ pour quelques jours: c'est Monsieur Free qui me récompense de ma fidélité à sa box. Alors pourquoi ne pas y aller faire un tour? Avant-hier, je me suis ainsi installé sur mon canapé pour regarder Welcome, le film de Philippe Lioret dont j'avais entendu des échos de critique au Masque et la Plume, je crois.

Je n'ai pas dormi (allez, trente secondes, pour dire la vérité vraie!) mais ce n'est pas à cause de la grande qualité de ce film. Je trouve qu'il s'agit là plutôt d'un bon téléfilm que l'on regarde un soir et que l'on oublie le lendemain. Le sujet était pourtant ambitieux et intéressant: un maître-nageur, pour reconquérir l'estime de sa femme qui l'a quitté et fait partie des bénévoles qui nourrissent chaque soir les sans-papiers en partance de Calais pour l'Angleterre, entreprend d'entraîner dans la piscine où il travaille un jeune kurde voulant rejoindre à la nage celle qu'il aime à Londres.

Je m'attendais à voir un film dur, un semi-documentaire sur les conditions de vie, dans la "jungle" ou sur les quais du port, de ces candidats à la traversée. Rien de cela, ou presque. Ce qui l'emporte dans ce film, ce sont les histoires d'amour: celle de Simon, le maître-nageur, joué par un Vincent Lindon plus "regard de cocker" que jamais et celle du jeune irakien dont l'aimée risque d'être mariée de force à un cousin par la volonté de son père. Mélo donc, qui ne touche pas. Même la mort du jeune homme n'est pas parvenue à me concerner.

Une image pourtant que je retiendrai (mais une seule, ce n'est pas beaucoup pour tout un film): la première vue de l'embarcadère des camions, la nuit, sous les puissants projecteurs. Ce défilé de poids-lourds sur les bretelles d'autoroutes qui s'entrecroisent a quelque chose d'hallucinant, comme un ballet magique d'insectes nocturnes surpris par une lumière trop forte.

mardi 9 mars 2010

Soyons pédants, nous aussi

Impossible d'écouter France Inter depuis quelques temps sans y entendre au moins une fois par jour employer le mot "oxymore". Sans bien sûr que personne ne l'explique. Il semble qu'à Paris, en tout cas chez les journalistes radiophoniques, ce mot soit aussi couramment utilisé que salade verte ou programmes télé chez le vulgum pecus (pardon: en latin, cela veut dire le menu fretin!) de province. Il a, semble-t-il, pris la place d'autres mots un temps à la mode et qui ont bien vide sombré dans un oubli presque total, comme le si délicieux "obsolète" d'il y a quelques années.

Dans ces cas-là, mon sang de prof ne fait qu'un tour et je me crois immédiatement obligé d'expliquer le sens du mot inconnu (je vous ferai grâce de son étymologie!). Pour être clair, prenons-en l'exemple le plus connu, tiré de cette pièce abominablement ennuyeuse qu'a toujours été pour moi Le Cid de Corneille.
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin, avec le flux, nous fit voir trente voiles.
L'onde s'enfle dessous et, d'un commun effort,
Les Mores et la mer montent jusques au port.


L'association des termes obscure et clarté est un oxymore, c'est à dire l'alliance de deux mots de sens contradictoires. Cette figure de style qui, appliquée à un humain, signifie "fin sous une apparence de niaiserie", permet aux contraires de ne plus être totalement contradictoires et introduit une ambivalence souvent poétique. Ici, par exemple, on ne peut s'empêcher, en lisant ces vers, d'imaginer un tableau en clair-obscur, autre expression, de peinture celle-là, en oxymore.

Tout cela m'a remis en tête un livre qu'il m'avait fallu acheter quand j'étais étudiant à l'Université des Lettres de Lyon et dont on nous avait fait apprendre par cœur ou presque la plus grosse partie. Il s'agit des Figures du Discours, de Pierre Fontanier (Science de l'Homme, Flammarion, 1968). Je l'ai recherché et retrouvé immédiatement: il était tout près, devant mon nez depuis des années, et je m'étonne que mon regard l'ait pendant si longtemps aussi soigneusement évité ou néantisé. Sans doute un réflexe naturel de protection après les efforts fournis à mémoriser des centaines de noms tous aussi barbares les uns que les autres. Des exemples: savez-vous ce que c'est que le chiasme, le zeugme et la synecdoque (j'ai commencé par les plus simples!), la paronomase, l'antanaclase, l'énallage, le pléonasme (celui-là, il m'a échappé), l'hypotypose, l'éthopée, l'anacoluthe, l'abruption, la polyptote, l'enthymémisme, la prosopographie, et comme dirait Hugo (Ruy Blas), j'en passe et des meilleurs?

Rassurez-vous, moi aussi je suis dans l'ignorance: j'ai tout oublié depuis longtemps et ce n'est qu'avec l'aide de la table des matières de l'ouvrage que j'ai pu citer toutes ces figures de style dont, pour la plupart, je ne sais plus ce qu'elles recouvrent. De beaux noms tout de même, à faire découvrir à ceux qui sont en quête de prénoms originaux pour leurs enfants, quitte à leur gâcher la vie entière avec un tel boulet: Mademoiselle Antanaclase Durand, au tableau, s'il vous plait! On demande Monsieur Hypotypose Reverchon au téléphone, je répète, on demande...".

Mas pourquoi ne pas nous-mêmes lancer la mode prochaine. Allez, tiens, laquelle de ces figures choisissons-nous pour la sortir (momentanément) de la poussière qui l'environne et la faire un instant briller de tous ses feux? Lequel de ces mots sera-t-il de bon ton, dans les mois qui viennent, de placer sans en avoir l'air à tout bout de conversation, comme si l'on était né avec et que l'on ne puisse décidément s'en passer plus de dix minutes?

Je vous en propose une,dont le nom peut rebuter au premier abord, mais qui, à la connaître, se révèle fort simple: le zeugme. Définition officielle de Fontanier: Le zeugme consiste à supprimer dans une partie du discours, proposition ou complément de proposition, des mots exprimés dans une autre partie, et à rendre par conséquent la première de ces parties dépendante de la seconde, tant pour la plénitude du sens que pour la plénitude même de l'expression. Vous ne comprenez pas? Encore un petit exemple, tiré du Premier Discours philosophique de Voltaire: Que Crésus est heureux! Il a tout, et moi rien.. (c'est à dire, sans zeugme: et moi, je n'ai rien.)

Allez, au boulot, pourvoyeurs de fashion victimes du vocabulaire! A vos zeugmes, et que ça saute! Par la même occasion, je vous lance un petit défit: retrouver au moins deux autres figures du discours cachées dans les vers de Corneille cités en début de billet.

PS qui n'a rien à voir: j'ai retrouvé dans ce livre un vieux carton qui me servait de marque-page: il s'agit d'une carte de fidélité à un club privé: Le New Jazz Club, sis au 12 rue du Boeuf, 69 Lyon- St Jean (comme imprimé sur la carte) et qui, sans doute, ne doit plus exister aujourd'hui. Seule une des cases est tamponnée, à la date du 9 février 1972. J'avais dix-neuf ans. Je n'ai aucun souvenir de ce club ni de qui m'y a conduit ni du cadre ni de la musique. La même année, au mois d'Octobre, je rencontrai Pierre. Ceci explique peut-être cela.

PS, encore: j'oubliais de dire que France Inter, parfois, m'agace!

lundi 8 mars 2010

Doute

Depuis le début de cette année 2010, je peux me débarrasser de tout ce qui concerne la succession de Pierre, personne ne pouvant plus désormais revenir dessus. Alors je remplis des sacs de papiers déchirés qui finiront à la décharge: relevés de banque, remboursements de la Sécurité Sociale, calculs de la retraite, courriers divers adressés à d'aussi divers organismes. Un monde d'administration et de tracasseries.

J'ai aussi jeté tout ce que j'avais gardé du jour des obsèques, ou presque: registre des condoléances, lettres déposées à l'église ou envoyées, où l'on m'assurait de toute la sympathie et de toute la commisération du monde, en jurant sur ce qu'il y a de plus sacré que l'on garderait le contact, que la mort de Pierre n'allait rien changer. La mort de Pierre a tout changé, ma vie la première, de fond en combles et la plupart de ces braves gens n'ont plus jamais donné de nouvelles, même s'ils étaient proches de nous dans la vie antérieure. Je n'en suis même plus amer.

Souvent, au milieu des documents administratifs, je trouve une note manuscrite. Pierre avait l'habitude de tout écrire, il en était presque obsessionnel. Parfois, il s'agit de notes de lectures ou de commentaires sur de la musique, du Bach en particulier, parfois de véritables pamphlets écrits sur le mode de la colère et restés lettre morte après avoir joué leur rôle de soupape, parfois et le plus souvent, il y décrit ses souffrances pendant la maladie, souffrances aussi bien physiques que psychologiques. J'essaie de jeter sans relire mais je ne peux empêcher mes yeux de voir certains mots, écrits en majuscules, ou soulignés, ou encore plus tremblés que les autres. J'y ai vu "ennui" et souvent, très souvent, "anxiété".

La semaine dernière, le tri de ces archives ne m'avait pas perturbé. Cette semaine, il en est autrement et j'en ressors ce soir avec l'estomac noué. Ce n'est pas tant la destruction de ces papiers qui me perturbe que les questions que je ne peux m'empêcher de me poser. Je suis sûr, absolument sûr d'avoir tout fait ce qu'il était humainement possible de faire pour lui pendant les longs mois qu'a duré son agonie. Là dessus, il n'y a place pour aucune hésitation dans mon esprit. Mais je suis parfois taraudé par un doute que je ne parviens pas à éliminer, ni en y répondant par une certitude, ni en le repoussant loin de mes pensées. Je me poserai sans doute la question jusqu'à la fin de mes jours. Question stupide mais question essentielle pour moi: Ai-je vraiment compris qui était Pierre?

dimanche 7 mars 2010

Momentini

- Des anniversaires cette semaine: Frédéric au début et Jean-Claude à la fin. L'occasion d'un bon repas en compagnie d'autres amis. Les cadeaux: un cartable de cuir pour F. et des vêtements pour J-C. Cette semaine, ils partent tous au ski. J'étais invité pour le week-end prochain mais j'ai décliné l'invitation: je n'aime pas le ski. Se promener à pied ou en raquettes, oui, mais la descente!!! En plus, je suis nul. J'espère qu'ils trouveront neige et soleil (sur les pistes bien sûr, pas sur les routes!)

- Encore de la neige aujourd'hui à Lyon, et plus que quelques flocons épars. Ras le bol! Un seul point positif: j'ai là une bonne excuse pour ne pas reprendre la course à pied.

- Aux Puces, ce matin, avec Frédéric. Un froid glacial qui nous a fait privilégier les stands couverts. Beaucoup de monde pourtant, et toujours ma mégère attitrée qui a sortie de nouveaux panneaux de lecture, encore jamais vus. Où s'approvisionne-t-elle? Une autre figure emblématique croisée: le sosie d'Hercule Poirot, moustaches en crocs, chapeau melon et redingote à l'appui. Il est chaque fois avec une femme tout ce qu'il y a de plus "habituelle", elle.

- Hier soir, dans son émission, Ruquier qui s'estime sans doute drôle (avec l'aide de combien de nègres?) a fustigé un homme politique ayant fait une gaffe avec Rama Yade à propos de sa couleur de peau et s'est permis, à quelques minutes d'intervalle seulement, de se moquer ouvertement du physique d'une autre femme. Ah bon! Ce n'est pas la même chose? Ah oui, c'est vrai: Ruquier est censé faire rire et donc tout ce qu'il dit est hilarant. Moi, je ne trouve pas.

- Oublié de dire que j'ai appris quelques choses pendant ma dernière visite de Pont-St-Esprit avec Frédéric: l'origine de l'expression "rester sur le carreau". Dans les cours de justice, au Moyen-Age, la partie de la salle réservée aux juges avait son sol recouvert d'un parquet (d'où le nom de l'appareil judiciaire) et le public était, lui, relégué sur une autre partie de la salle, debout et les pieds sur du carrelage, du carreau. Si vous vous arrêtez dans cette ville, allez à tout prix visiter ce Musée d'Art sacré (ou Maison des Chevaliers), plus pour la maison elle-même que pour les collections présentées. La salle abritant la Cour de justice des Piolenc, en particulier, avec sa charpente en bateau retourné, est splendide, de même que la salle donnant sur les jardins et qui a gardé sa décoration picturale géométrique.

samedi 6 mars 2010

La carte postale

Elle n'avait plus de pain: il fallait bien qu'elle sorte. Le dernier croûton, elle l'avait avalé la veille, trempé dans du lait. Ça lui avait fait son repas du soir avec une pomme. Elle pouvait se passer de beaucoup de choses mais ni de pain ni de pommes, même si les deux n'avaient plus aujourd'hui le même goût qu'autrefois, dans sa jeunesse et même un peu plus tard, au début de sa vie d'adulte, quand elle pensait encore possible de fonder un foyer et d'avoir des enfants. Rien de tout cela n'était venu et le pain, comme la pomme, avait perdu sa saveur d'antan.

La boulangerie était en cent mètres, sur le même trottoir. Elle s'arrangeait pour y aller à des moments où il n'y avait pas trop de monde. Une fois, elle n'avait pas fait attention à l'heure et s'était retrouvée avec une foule de gens, tous des employés, les hommes en noir avec des souliers pointus et les femmes portant toutes à la main une bouteille en plastique d'eau minérale. Ils s'achetaient des barquettes d'aliments qu'on leur réchauffait au magasin, dans un four électrique d'où ne sortait aucune odeur, et mangeaient debout sur le trottoir ou sur un banc du square le plus proche où elle allait aussi s'asseoir parfois, quand ils avaient regagné leurs bureaux et que les enfants n'étaient pas encore sortis de l'école.

Ce jour-là, il n'y avait personne dans le magasin, pas même une vendeuse. Quelle heure pouvait-il bien être? A la luminosité, elle pensa au début de l'après-midi. D'ailleurs, elle entendait derrière la paroi qui séparait la boulangerie de l'arrière-boutique les bruits de quelqu'un qui balayait. Bientôt un visage apparut, un peu humide de l'effort. "J'arrive, Madame, je ne vous avais pas entendu entrer!" C'est vrai qu'elle ne faisait pas beaucoup de bruit, ni chez elle ni à l'extérieur.

Autrefois, elle avait eu un chien, elle l'avait appelé Médor. Après tout, ce n'était pas un plus vilain nom que les autres. Il était affectueux et lui tenait bien compagnie. Mais il fallait le sortir au moins trois fois par jour et, dans cette immeuble sans ascenseur, descendre ses trois étages, c'était peu à peu devenu toute une expédition, avec l'âge. Et puis, même gentil, il aboyait parfois, pourquoi: il était le seul à le savoir, et elle n'arrivait pas toujours à le calmer. Quand il était mort, elle n'en avait pas pris d'autre. Ses jambes, et la modicité de sa retraite, ne le lui permettaient plus.

C'est de cette période, après la mort de Médor qu'elle avait changé. Auparavant, elle préparait des repas complets, pour elle et pour le chien, le même, partagé. Seule, elle n'en eut plus envie, ni le courage. Elle s'arrangeait avec ce qui lui tombait sous la main. De toute façon, elle n'avait pas grand appétit, surtout le soir. Alors, bien vite, le pain et les pommes constituèrent l'habituel de ses soirées. Pour nourrir un si petit estomac, il n'y avait pas besoin d'autre chose.

Sur le trottoir, en revenant, elle évita soigneusement toutes les crottes laissées par les chiens du quartier et se gara même dans le renfoncement d'une porte d'allée pour laisser passer un vélo, une trottinette et une groupe d'élèves qui sortaient de la piscine toute proche. De loin, elle vit le facteur sortir de son allée. L'été, c'était des remplaçants, qui ne connaissaient personne et ne s'attardaient pas à échanger quelques mots avec les locataires. Même le titulaire n'était pas très causant, mais au moins, il vous reconnaissait et vous saluait brièvement devant les boîtes aux lettres.

Tous les jours, elle regardait dans la sienne, par acquis de conscience car jamais on ne lui écrivait. Qui lui aurait écrit? Les seules choses qu'elle y trouvait, c'étaient les factures d'eau et d'électricité, son loyer et des publicités toujours plus nombreuses. Mon Dieu, quand on pensait au nombre d'arbres que cela représentait, tous ces prospectus qui finissaient à la poubelle. Elle, elle les montait jusqu'à sa cuisine et les feuilletait quand elle avait un moment. Elle aimait bien, surtout au moment de Noël, les catalogues de jouets. Elle n'en avait pas eu beaucoup dans son enfance, ses parents n'étaient pas riches, et elle se rattrapait maintenant en regardant un instant ces poupées roses qui coûtaient tout de même bien cher et tous ces appareils électroniques qui la fascinaient mais dont elle aurait été bien embarrassée si elle en avait tenu un entre les mains. C'était pour les jeunes, tout ça.

Elle s'apprêtait à refermer machinalement la petite porte de métal peinte en vert lorsqu'elle vit, au fond de la boîte, bien à plat, un mince rectangle plus clair qu'elle avait failli ne pas apercevoir. Une carte postale! Était-ce possible? Qui pouvait bien lui écrire? Qui pouvait bien avoir pensé à elle? Ses doigts tremblaient lorsqu'elle l'extirpa de la boîte. Pourvu que ce ne soit pas de mauvaises nouvelles! Mais de qui? Tous ceux qu'elle connaissait et auxquels elle tenait étaient morts, depuis longtemps pour la plupart. Malgré tout, l'habitude de s'inquiéter devant ce qui n'est pas habituel... Même si elle pensait bien que, si c'étaient de mauvaises nouvelles, on n'aurait pas utilisé une carte postale pour l'avertir.

Elle ne la retourna pas tout de suite pour la lire. Prendre son temps. Si c'était un message d'amitié, il n'y en avait pas eu depuis très longtemps et il n'y en aurait peut-être plus. Alors, il fallait profiter de l'instant, faire durer l'incertitude, imaginer, rêver. L'illustration représentait un bord de mer, un petit port au soleil couchant où quelques barques échouées sur le sable mettaient des notes agréables de couleurs un peu passées. Le temps était calme, le port s'endormait, il n'y avait pas une seule silhouette sur la photographie. En haut, à gauche, une inscription dans une langue étrangère, de l'espagnol sans doute mais elle ne connaissait pas suffisamment pour être sûre.

Quand elle la retourna, elle lut d'abord le texte de la correspondance, déçue de le trouver si court. Elle aurait préféré des pattes de mouche couvrant toute la surface disponible mais un signe d'amitié, c'est un signe d'amitié, même en trois mots. "Souvenirs de ..." Suivait un mot illisible, le nom du petit port sans doute, qui commençait par un C mais dont elle ne put déchiffrer les autres lettres. Celle qui avait écrit ces trois mots s'appelait Nicole. C'était écrit en bas, en guise de signature. Nicole? Qui était cette Nicole? Elle se dit que sa mémoire lui jouait encore un de ces tours dont elle avait de plus en plus l'habitude, qu'elle ne voyait pas pour l'instant mais que cela allait lui revenir, un peu plus tard, pendant qu'elle ferait sa vaisselle ou au milieu de la nuit, en la réveillant comme s'il s'agissait d'une urgence.

Elle voulut alors vérifier que l'on avait orthographié correctement son nom. Il se terminait pas un T et tout le monde, y compris ses amis les plus proches l'écrivaient avec un S, ce à quoi elle n'avait jamais pu s'habituer. Ce n'était pourtant pas bien compliqué de mettre un T à la place d'un S! Mais ce qu'elle lut sur les lignes tracées pour y inscrire l'adresse, en dessous d'un joli timbre représentant une femme en costume folklorique, ce n'était pas son nom, ni avec un T ni avec un S. La carte postale était adressée à une certaine Simone Da Cruz. Le facteur s'était trompé, il n'avait pas mis le courrier dans la bonne boîte. Mais il n'y avait personne dans l'immeuble à porter ce nom-là, elle en était sûre. Le dernier arrivé, et c'était déjà vieux de deux ans, avait un nom polonais. Il lui suffit d'un coup d'œil sur les plaques métalliques pour s'assurer que sur aucune n'apparaissait le nom de Da Cruz.

Que faire? Dans le quartier non plus, elle ne connaissait personne de ce nom. Aller à la poste? Rendre le courrier en expliquant l'erreur? Mais était-ce bien une erreur? Elle-même s'appelait Aucat: rien à voir avec Da Cruz, même si les deux patronymes étaient courts. Le facteur n'avait pas pu se tromper! Et s'il avait voulu purement et simplement se débarrasser de cette carte adressée à un numéro où personne de ce nom n'habitait? Quand elle était petite, un des facteurs, qui arrosait toujours copieusement ses tournées, se débarrassaient des dernière lettres de sa sacoche en les déposant sur une haie, toujours la même, si les habitations des destinataires l'obligeaient à parcourir un chemin un peu trop long pour ses membres avinés. Les enfants, à la sortie de l'école, finissaient son travail pendant qu'il cuvait ses vapeurs d'alcool dans un coin de champ à l'ombre.

Alors, elle prit sa décision, sans réfléchir, sur un coup de tête. Elle se sentit bien folle de se comporter ainsi à son âge mais l'excitation causée par ce qu'elle faisait lui plaisait aussi, comme si elle était en train de commettre le dernier péché de sa vie. Elle mit la carte dans sa poche et décida que c'était à elle qu'on l'avait envoyée, qu'après tout elle pouvait bien s'appeler Da Cruz plutôt que Aucat (qui cela gênerait-il?)et que des Simones elle avait dû en connaître plusieurs dans sa vie. Alors pourquoi l'une d'entre elles ne lui aurait-elle pas écrit, des années plus tard, en retrouvant son adresse par hasard? Elle regarda tout de même autour d'elle pour vérifier que personne ne l'avait vue et se hâta de remonter ses trois étages.

Dans sa cuisine, un peu essoufflée, elle rangea le pain dans son placard et relut le petit mot envoyé de l'étranger, détailla davantage le costume de la dame sur le timbre, trouva des allures distinguées à la graphie employée et se dit que, finalement, elle avait une amie bien sympathique. Alors elle fixa le petit carton sur la porte de son réfrigérateur avec un aimant, bien au milieu, bien à la hauteur de ses yeux, de façon à toujours pouvoir la voir de sa place à table, à grignoter sa maigre assiette en profitant de la caresse des derniers rayons du soleil sur un port espagnol. Car, c'est sûr, c'était en Espagne.

vendredi 5 mars 2010

Modernités

Je veux:
- de la neige sur les pistes mais pas sur les routes
- du travail mais pas trop
- que mes enfants réussissent à l'école mais en ne fichant pas en l'air nos week-ends
- une relation suivie mais qui ne me prenne pas la tête quand je n'ai pas envie de le (la) voir
- des professeurs disponibles à tout moment et qui acceptent les critiques sans broncher
- des fruits frais, pas trop mûrs, sauf les avocats qui ne le sont jamais.
- pouvoir tâter ces fruits sans avoir quelqu'un sur le dos pour me le reprocher.
- la possibilité de joindre mes amis n'importe quand et n'importe où mais sans être gêné par leur coup de fil au moment de la sieste
- une loi anti tabac sauf quand j'ai envie de fumer
- de l'écologie et une voiture surpuissante
- un vélo et des trottoirs débarrassés des piétons pour pouvoir y rouler en toute sécurité
- des surveillants plus nombreux dans les établissements scolaires mais qui ne punissent pas mon fils parce qu'il est sorti mangé au McDo du coin plutôt qu'à la cantine sans prévenir
- des sacs plastique à disposition dans les supermarchés mais biodégradables
- des fleurs sur les parterres dans les villes dont je puisse cueillir quelques-unes pour chez moi
- des parcs publics ouverts aux enfants où je puisse bavarder avec mes amies sans avoir à les surveiller. On ne va tout de même pas faire toute une histoire pour une branche cassée!
- la possibilité en classe d'apporter un livre pour deux: un camarade s'en chargera pour mon fils qui a mal au dos
- des amendes aux propriétaires de chiens qui les laissent faire n'importe où et m'empêchent de laisser aller en liberté mon petit amour de caniche
- des enfants sages qui ne demandent pas d'autres signes d'affection que la permission d'un internet illimité et une confortable somme d'argent de poche
- la tranquillité dans mon immeuble avec possibilité pour moi de faire la fête le samedi soir sans voir régulièrement débarquer la police envoyée par des voisins vieux-jeu
- une bouteille d'eau minérale à mon travail et un gros gâteau dans l'après-midi
- pouvoir passer devant tout le monde à la caisse si je n'ai qu'un article à payer
- pouvoir me garer en double file devant le tabac si j'en ai pour une minute
- prendre les places de stationnement des handicapés qui, de toute façon, ne les occupent jamais
- m'absenter de mon travail sans retenue de salaire chaque fois que l'un de mes enfants est malade
- obtenir des aménagements d'horaire parce que je suis mère de famille
- avoir des places dans un avion même si je m'y prends à la dernière minute: j'aime me sentir libre pour décider de mes vacances
- que les gens fassent un effort pour penser à moi, tout de même

A compléter selon vos desiderata ou vos agacements.