mercredi 30 avril 2008

Lyours ou Oursyon?


C'est parti. Tel Olivier Autissier et sa série de vaches parisiennes, voici aujourd'hui le début d'une longue liste de lions et d'ours lâchés un peu partout dans la Capitale des Gaules. Munacius Plancus doit y perdre son latin.

Dans le cadre de la biennale des lions, la ville a décidé d'exposer 69 oeuvres, 30 lions et 39 ours, d'artistes actuels, dont beaucoup de gens du Québec, puisque cette biennale est organisée en collaboration avec eux. Après le temps de l'exposition viendra celui de la vente (aux enchères?) de ces animaux.

Pour ne pas avoir à chercher inutilement, car certains ne sont visibles qu'à l'intérieur de bâtiments comme hôtels ou gares SNCF, sans doute pour protéger les oeuvres des dégradations, je me suis procuré le plan de leurs implantations à la mairie de mon arrondissement, et j'ai commencé le safari-photos, bien sûr par les "fauves" (oui, je sais, les ours ne sont pas des fauves!) les plus proches de chez moi.

Voici donc la première livraison, datant essentiellement de cet après-midi.

A tout seigneur, tout honneur: le lion des grandes serres du Parc de la Tête d'Or. Ce n'est pas le plus beau. D'ailleurs, vous voyez comme il cache sa tête derrière le tronc de l'arbre tropical? (LION 1)

Ensuite, celui-ci, cueilli à la mairie du troisième, où je me suis procuré le plan. Il est un peu flou. (LION 2)

Ca a l'air de lui faire une belle jambe!


Et lui, beaucoup plus select, dans le hall d'un grand hôtel de la rue de Bonnel (non, je ne dirai pas le nom: trop facile de mettre un lion chez soi pour attirer le client!). (OURS 1)


Mon préféré de la journée, parce qu'il me rappelle les collages d'images que nous faisions quand nous étions enfants. Grandes Halles. (OURS 2)



Toujours aux halles, ce spécimen qui associe Québec et Lyon dans l'amour de la bonne bouffe (LION 3). Quelques détails de cette grande folle. En voici:






Voilà, "c'est tout pour aujourd'hui", comme disait la speakerine togolaise à la fin des émissions télé, en76. D'ailleurs, n'est-il pas temps de passer à table?
La suite bientôt.
P-S: je m'aperçois , en me relisant, qu'à Lyon, tout est grand: les serres, l'hôtel, les halles, la folle. Pardon, amis parisiens, de cette outrecuidance!

Le point.

Face à mon mal être (et mal au dos persistant), j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes, en l'occurrence de demander différents avis sur les "thérapies" que je pourrais suivre.

Il est en effet évident maintenant que je ne peux y parvenir tout seul et que tout ce qui a à peu près marché les années précédentes comme rafistolages ne marche plus. J'ai déjà pensé à différentes pistes, comme l'homéopathie, l'acupuncture, la sophrologie ou la psychanalyse.

Mon kiné, qui m'a le premier alerté sur l'origine de mes douleurs dorsales m'a donné deux adresses de personnes connues de lui, l'une d'un psychanalyste, l'autre d'une sophrologue. Selon lui, je devrais consulter le psy., un homme sérieux et honnête, afin de cerner l'origine du problème.

En fait, je crois que c'est la proposition qui a ma préférence, dans la mesure où, en ce moment, j'éprouve un besoin immense de parler, de me libérer par la parole. Peut-être est-ce la tenue de ce blogue qui a engagé ce processus, qui a libéré le flot. Mais j'ai aussi besoin d'une personne physique, présente et bien réelle pour me répondre et me conseiller.

mardi 29 avril 2008

Mode mineur.


J'ai l'impression, pour l'instant, de ne rien dire dans ces billets, ou de dire n'importe quoi. Pourtant le rendez-vous avec ces pages, même s'il m'exaspère au début, finit au fil des minutes par m'être indispensable.

Comme l'a écrit Hervé Guibert, dans le texte extrait de Le Mausolée des amants, que nous propose ce soir Océania (Voyage dans les mots):

Il est heureux que j'aie la possibilité d'une évacuation quotidienne, par le journal, d'une écriture même mineure, même déviée ou recouverte (...).

Merci, Océania, et pardon pour le mode mineur.

J'ai deux amours.

La symétrie.







et l'assymétrie.






Dire.

Il y a tant de choses à dire et que je ne peux pas dire. Il faudrait expliquer, revenir en arrière, faire un historique, examiner les faits, présupposer les intentions, il faudrait analyser les signes, comme les vieux augures et leurs auspices, plutôt leurs haruspices car cela tient davantage des entrailles que du vol des oiseaux. Il faudrait soupeser les gestes, les regards, décortiquer les phrases, faire parler les silences.

Et tout cela, je crois qu'il me faudra le faire. Les coups de téléphone familiaux se font féconds. Nous n'avons jamais autant parlé, nous ne nous sommes jamais autant confiés. Ce soir, j'ai passé une heure avec ma soeur au bout du fil. Tout est à plat maintenant, pour tous, même si visiblement c'est moi et moi seulement qui me faisais des montagnes.

J'espère seulement ne pas en arriver à la dureté.Ce billet n'est pas très clair, mais moi, je me comprends.

lundi 28 avril 2008

Le pauvre n'a plus la cote.

L'AFP annonce que le maire de droite d'Assise, en Ombrie, patrie de Saint-François et selon moi l'un des plus beaux paysages du monde avec Delphes (autre lieu chargé de sacré), a interdit la mendicité dans sa bourgade à moins de 500 mètres des églises ou bâtiments publics. Je découvre cette info sur Yahoo quelques secondes seulement après avoir parlé de cape de bure.

Assise est un des berceaux de la spiritualité. Il faut être descendu jusqu'au couvent de San Damiano à travers la plantations d'oliviers pour comprendre dans son corps ce que je veux dire.

Cette décision aurait été prise pour préserver le caractère sacré de la cité. Admettons. Alors il faudrait aussi chasser tous les marchands du temple qui encombrent les rues de la ville moyenâgeuse, tous les vendeurs de bondieuseries chères et au mauvais goût assuré, qui fait peur même, toute cette panoplie de pacotilles et de conneries dorées que des centaines de touristes achètent chaque jour, croyant ainsi emporter avec eux un peu de l'aura sacrée que certains d'entre eux ont sans doute perçue dans ces lieux chargés d'histoire. Il faudrait aussi fermer les parkings payants, les restaurants et tout ce qui, de près ou de loin, ne s'inclut pas dans le sacré.

Assise est aussi une cité vivante, avec de vrais habitants qui, chaque jour, mangent, boivent, pissent, défèquent et font l'amour, baisent même pour certains. Et c'est tant mieux. Laissons-les faire, laissons-les vivre et acceptons de croiser dans la rue centrale ou sur l'esplanade de la Basilique quelques-uns de ces pauvres, réels ou fictifs, qui sont ici particulièrement chez eux. Si Saint François vivait aujourd'hui, je sais sans aucun doute comment il se comporterait, et pas sûr qu'il le fasse de façon "sacrée", comme dit l'autre édile.

Déluge.



Elle fut sans doute rude aujourd'hui pour un certain nombre d'entre eux. La pluie qui tombait à flots du ciel les a-t-elle consolés de la fin des vacances, ou a-t-elle alourdi la cape de bure qu'aucun ne porte depuis bien longtemps? Les hirondelles ne sont plus nulle part, ni dans le ciel, ni sur les bicyclettes.

Rentrée des classes.


Reprise des classes aujourd'hui. Réveil en alarme sur six heures. Ça fait drôle après quinze jours de vacances. Les rues désertes, circulation presque nulle. Pourquoi?

La première personne que je rencontre au collège, c'est Christian, mon collègue d'allemand qui me dit que je fais partie des gens qu'il a plaisir à retrouver. C'est un sentiment bien réciproque. Les élèves sont calmes. Seule ombre au tableau: une des chaudières est tombée en panne et tout le réseau d'eau chaude ne passe plus que par une seule colonne. La température de la salle où je devais donner mon premier cours avoisinait les cinquante degrés.

Je retrouve également Stéphane, un peu plus tard, avec qui les clins d'oeil complices se font encore plus fréquents maintenant, blogues obligent. Une journée bien remplie en cours et se terminant ce soir par deux heures de formation avec une psychologue de l'école de Palo Alto.

A midi, lasagnes. J'en demande, et mange, une part énorme: il faut que je reprenne quelques kilos, c'est sûr. Enfin, des nouvelles de l'atelier écriture: après une période de relative stagnation, où j'ai eu l'impression de ne plus avancer, je crois que les ardeurs se sont réveillées, et la rédaction de la nouvelle policière, à la manière de Conan Doyle, semble progresser. Bien sûr, certains écrits se traînent encore un peu, mais d'autres prennent déjà bonne figure.

Enfin, hasard du calendrier, deux de mes amis les plus proches étaient aujourd'hui hospitalisés: Emile, pour une opération de la cataracte, rendue un peu plus délicate qu'à l'ordinaire par son diabète, et Kikou qui devait subir une anesthésie complète en vue d'examens gastriques.

J'ai appris également la mort des deux parents de l'autre Christian, prof. de math et ancien coureur à pied, que j'estime beaucoup. L'un des deux était malade, je ne sais pas lequel (Christian est très discret), et l'autre l'a suivi à dix jours. Christian n'était pas là aujourd'hui. Je vais rédiger un petit mot à son intention.

Mon sentiment sur la journée: content sans doute d'avoir repris le travail, de retrouver des marques anciennes et bien ancrées en moi, et en même temps une distanciation certaine et de plus en plus présente.

dimanche 27 avril 2008

Repos dominical !


Promenade de l'après-midi, avec mère et soeur, bien entendu: la basilique de Fourvière et le Parc des Hauteurs.


Je connaissais mais ni ma mère ni ma soeur n'avaient jamais visité le parc. Rencontré seulement trois personnes de mes connaissances. Etonnant: je m'attendais à plus. Le parcours fut agréable, car, à l'abri du vent, le soleil était assez chaud cet après-midi, et j'aime toujours regarder Lyon de haut, d'abord côté face, avec toute la ville et la plaine de l'est, puis côté pile, avec les collines et le val de Saône. Face à nous, la colline de la Croix-Rousse avec mention spéciale pour le dôme de Saint-Bruno des Chartreux.

Non ora, non qui.

Encore un livre de Erri De Luca: Pas ici, pas maintenant (Non ora, non qui, en italien). Je préférais la traduction de la première édition: Une fois, un jour, si l'on accepte de laisser de côté l'idée de conte, ce que cet écrit n'est absolument pas. Je dis écrit et non pas roman,bien que ce soit effectivement le premier roman de De Luca.

Le narrateur, s'adressant à chaque page à sa mère, y évoque sa jeunesse à Naples, d'abord dans la première maison: une ruelle populaire, la pauvreté, mais les bonnes notes à l'école, l'imagination qui s'envole. Puis évocation de la seconde demeure, plus luxueuse, plus spacieuse, où l'on reçoit, mais où la curiosité s'efface, où l'élan du rêve se brise, où le bégaiement apparaît.

Évocation aussi de cet ailleurs, où le garçon semble constamment être, différents des autres, n'en voulant pas, sauf d'un ami cher avec qui il aimait nager dans la baie, et qui mourut noyé un jour, seul, ou d'une fillette qu'il rencontre le matin, près d'une grille, en partant à l'école. Évocation en fin de son épouse et des sept ans de vie commune, avant la maladie et la mort.

Pas de folklore napolitain, bien sûr. La grande ville n'apparaît que dans ses ruelles, ses collines, et la Tyrrhénienne, mais ces lieux uniquement comme localisations des souvenirs et des émotions. Ce roman est nostalgique, mais d'une nostalgie fière, car l'on sent que cet homme, à travers l'évocation des lieux et des êtres, tente, souvent avec succès, de décrypter ce qui, dans son enfance, a forgé ce qu'il est devenu, l'a endurci ou rempli de tendresse.

Hommage à l'homme à travers les mots adressée à la mère.

A la maison, tu me reprochais de faire du bruit. Dehors, dans la ruelle, le vacarme enveloppait les gens; la vie, à l'extérieur, c'était se faire entendre, donner un coup plus fort, lancer un appel plus haut. Les enfants pleuraient à pleine gorge. Leurs cris n'étaient chargés ni de colères, ni de caprices, ni de reproches, mais seulement du mal qu'ils éprouvaient(...). J'avais beau être petit, je comprenais à coup sûr que mon sort d'enfant était différent de celui des autres dans la ruelle. Je ne recevais pas de corrections de mes parents(...). Mieux valait les coups(...). Pas les mots: contre eux on ne pouvait pleurer, on ne pouvait répondre et moi, quand tu intervenais, je ne parvenais pas à en prononcer un seul, entre l'apnée et le bégaiement. On apprend bien tard à se défendre des mots(...). Ce n'étaient pas tes mots de réconfort que je repoussais, mais ceux du reproche, donnés à la place des coups et qui permettaient de marquer, par ce changement de ton, toute la différence.
Entre mère et fils le progrès n'existe pas, la civilisation n'évolue pas: les mots seront toujours réduits et ne seront que des mots, rares, préservés. Ils ne remplacent rien, ni les coups, ni les caresses.

(Trad. de Danièle Valin,Gallimard)

Combien le m3 ?



C'est-y pas beau, ça? Le monde est formidable, je vous dis! (Placardé sur la vitre d'un café.)

samedi 26 avril 2008

Une journée calme.

Aujourd'hui, j'ai passé le déjeuner et l'après-midi chez J. Nous sommes allés chercher du muguet dans les bois, mais la récolte a été maigre. J. étant fatigué (il n'a pas l'air dans son assiette lui non plus), nous sommes rentrés tranquillement chez lui. Avons fait ensemble des mots croisés avec son fils, puis joué au Uno. Une journée calme, en somme.

Deux récits japonais.

Bien que les ayant lus de manière très fragmentée et surtout la plupart du temps peu concentrée, les deux récits de Nosaka Akiyuki que j'ai terminés il y a déjà quelques jours sont très intéressants.

A cent lieues de l'univers de Yoko Ogawa, plus intimiste et parfois à la limite du "malsain"( ce n'est pas un jugement moral), La Tombe des Lucioles raconte l'histoire d'un frère et de sa petite soeur pendant la deuxième guerre mondiale au Japon, privés de tout et surtout de nourriture, qui finiront par mourir de faim l'un et l'autre, de manière sordide. Tout est dit avec un réalisme poignant et en même temps une grande poésie (voir le titre).

Le deuxième récit, Les Algues d'Amérique,est presque humoristique: il relate l'accueil par une famille japonaise d'un couple d'américains moyens dont le mari a fait partie des forces d'occupation du Japon après guerre. Choc des civilisations donc, mais, si l'on sourit parfois, l'impression qui domine est assez grinçante.

La nuit venue, les grenouilles-taureaux coassaient dans le réservoir d'eau tout proche, et de part et d'autre du flot vigoureux qui s'en écoulait, parmi l'herbe drue, c'étaient des scintillements de lucioles, juchées chacune au bout d'une feuille, il suffisait de tendre la main pour faire monter les petites lumières le long des doigts, "Regarde! Essaie de la prendre!", il en fit tomber une sur la paume de Setsuko, mais elle ferma si fort son poing qu'elle l'écrasa, une odeur âcre qui vous picotait les narines lui restait au creux de la main, au milieu des ténèbres lisses du mois de juin, à Nashinomiya certes, mais au pied de la montagne, où les bombardements on s'en souciait peu, comme du malheur des autres.
La Tombe des Lucioles (Trad. de Patrick De Vos, Picquier poche)).

Soleil

Hier, j'ai coupé le chauffage et, cette nuit, laissé les volets ouverts. C'est un grand soleil qui m'a accueilli dans la cuisine ce matin, au petit déjeuner. Comme je l'aime, ce soleil.

vendredi 25 avril 2008

Addendum.

En relisant mon précédent billet, je me suis rendu compte que j'avais oublié une précision: à aucun moment, il n'est dans mes intentions de me laisser aller, de ne pas réagir. J'ai bien l'intention de faire tout ce qu'il faut pour être mieux, même si c'est au prix de petits rectificatifs dans ma vie et dans celles de quelques-uns qui m'entourent.

J. et ses deux enfants sont passés chez moi après leur virée en rollers du vendredi soir. Ils ont commencé la chasse aux lions et aux ours disséminés un peu partout dans la ville. J'ai bien l'intention de faire de même dans les jours qui viennent. Je les ai déposés chez eux en voiture (pas les lions ni les ours, J. et ses enfants). Moment d'apaisement et de tendresse que j'apprécie.

Déversoir.

Il faut que je le dise d'emblée: ce billet va être très personnel et sans doute assommant pour beaucoup de gens. Ne le lisez pas. Je crois que j'ai besoin de l'écrire pour me parler à moi-même surtout.

En fait, mon moteur ne tourne pas très rond pour l'instant. Il a fallu que beaucoup de gens tirent la sonnette d'alarme autour de moi pour que je finisse par l'accepter. La première, c'est Kikou qui était très surprise par ma force de résilience et très inquiétée par ma suractivité. Pour elle, je faisais trop de choses, j'assumais tout, j'encaissais tout et ne pensais pas suffisamment à moi.
Bien sûr, lorsqu'elle m'a exposé son point de vue, je lui ai ri au nez, assez fier d'ailleurs que l'on me trouve trop actif.

Ensuite sont venues de la part d'amis des remarques sur mon amaigrissement un peu trop important selon eux. Là aussi, sourire de ma part: je fais du sport, il est donc normal que je retrouve la ligne. D'ailleurs, là aussi j'étais très fier d'être sans doute le seul homme à maigrir en arrêtant de fumer. Ensuite, le kiné, que j'ai consulté pour mes maux de dos: c'est quelqu'un que je connais depuis plus de trente ans. Au bout de quelques séances, il m'a prévenu que ces douleurs n'étaient pas d'origine mécanique, mais plutôt psychologique: j'entamais selon lui une dépression nerveuse. Là encore, j'ai souri finement: si j'étais dépressif, je le saurais tout de même.

Et puis l'idée a fait son chemin dans ma tête. Je me suis observé, j'ai arrêté de jouer à l'autruche. Et qu'est-ce que j'ai vu? Des enthousiasmes excessifs, qui retombaient bien vite, des sautes d'humeur qui ont valu à certains de mes collègues des engueulades très violentes, des moments d'extrêmes abattements, où les larmes sont sans cesse au bord des yeux, où je ne pouvais plus les retenir, l'exaspération croissance que j'éprouvais à chaque visite à ma mère, le fait que rien (à part la lecture et la course) ne me faisait réellement plaisir. Même si chacune des observations précédentes peut avoir une cause réelle et justifiée, il n'en demeure pas moins que souvent la réaction est disproportionnée et que ces réactions sont devenues de plus en plus fréquentes.

Alors, voilà: je crois bien que j'ai voulu sauter trop vite quelques étapes. La mort de Pierre il y a trois ans, celle de mon père il y a un an, le cancer de mon frère, la maladie de ma mère, la solitude, l'éclatement du monde intime qui fut le mien, le désintéressement de certains amis auxquels je tenais, la solitude grandissante, je me suis cru assez solide pour tout assumer. Jusqu'à ce que mon corps se rebiffe, dise stop. Il a tiré la sonnette d'alarme.

J'ai admis à mon retour d'Allemagne que je n'allais pas bien. J'ai craqué hier soir au téléphone et en ai parlé à ma soeur. Elle a bien vite compris et s'en doutait d'ailleurs un peu déjà. Alors, aujourd'hui, me sentant un peu mieux (tour du lac de Miribel en courant sans doute, ou lavage de toutes les vitres de l'appartement pour laisser entrer le soleil qui a l'air de se décider à arriver), j'ai décidé de parler à ma mère, et je l'ai fait.

Je lui ai dit mon mal-être actuel, que j'encaissais beaucoup de négatif depuis pas mal d'années, que la mort de Pierre, dont je ne lui parle jamais, m'a marqué, profondément, que ma vie s'est trouvée totalement bouleversée, que j'avais un métier extraordinaire, mais terriblement fatigant nerveusement, que je venais de perdre seize kilos en à peine un an, que je n'avais presque jamais faim, et que tout cela n'était pas un signe de splendide épanouissement, qu'il fallait que j'adopte un autre rythme. Je lui ai dit aussi que ma soeur, toute solide qu'elle soit, était elle aussi fatiguée nerveusement.

Elle a commencé comme d'habitude par vouloir me culpabiliser: "ton père voulait que nous ne nous disputions pas, moi aussi je maigris, vous voulez m'abandonner, vous avez comploté ça avec ta soeur". Mais je n'ai pas marché et l'ai renvoyé dans ses propres filets. Cette discussion n'était en rien une dispute, à quatre-vingt ans, il est sans doute normal de maigrir mais je n'ai pas quatre-vingt ans, nous n'avons jamais pensé l'abandonner, nous l'aimons mais elle est trop égoïste. Le fait de ne voir aucun de nous pendant une journée n'était tout de même pas un effort surhumain que je lui demandais, et il valait peut-être mieux se voir moins souvent mais avec plaisir, plutôt de d'être sans cesse en train de hausser le ton.

Elle a fini par comprendre que nous ne songions à aucun moment à l'abandonner et s'est mise à parler d'elle, en toute vérité, me disant que si elle n'aimait pas que nous voyagions, ne pas savoir où nous nous trouvions, c'est à la suite de la mort par accident de ma petite soeur, en 71. Je lui ai dit que je la comprenais mais que nous ne pouvions pas vivre sous une cloche de protection, qu'elle nous avait transmis beaucoup de son monde d'angoisses constantes, mais que les siennes, elles devait les garder pour elle.

Elle m'a également dit que voir approcher la fin n'était pas facile. Je veux bien l'admettre. Enfin, je lui ai proposé que nous en reparlions tous les trois avec ma soeur dimanche, et l'ai quittée après l'avoir prise et serrée très fort dans mes bras, comme je ne l'ai jamais fait de ma vie. Je suis sûr qu'elle ne va pas dormir de la nuit, mais il fallait que j'ai le courage de parler aujourd'hui.

J'ai ensuite téléphoné à ma soeur pour lui expliquer tout ça. S'en est suivie une longue conversation sur le même sujet et sur mon frère devant qui elle ne peut parler de son cancer par peur de s'effondrer. Je lui ai dit que moi j'en parlais de façon saine et que je lui transmettais tout ce qu'il me disait. Comme elle avait peur qu'il ne prenne ça pour de l'indifférence, je lui ai proposé d'aborder le sujet avec lui.

Ce que j'ai fait dans un deuxième coup de fil, avec mon frère cette fois-ci, que je devais joindre pour lui apprendre l'existence d'un site sur le cancer, Guérir.fr, dont je reparlerai sans doute, et lui dire le projet que j'avais mis en place sur la semaine pour les visites à ma mère. J'ai tenu à lui dire également ma difficulté actuelle. Lui aussi s'en était aperçu: sportif (vélo) lui-même, à aucun moment il n'a cru ce que je disais: que ma maigreur venait de mes entraînements à la course. Là aussi, il y a eu un échange prolongé et profond.

Les larmes sont en train de me monter aux yeux en écrivant cela parce que je crois que j'ai vraiment un frère et une soeur formidables, que j'ai voulu toujours avec eux me comporter en aîné un peu responsable d'eux, et qu'aujourd'hui il vont l'aider, leur grand frère, à passer un cap un peu difficile. Quand on sait la religion de la non-parole dans la famille, j'ai l'impression d'avoir tout fait sauter ce soir: enfin, nous osons. Enfin, j'ai osé dire que je suis faible en ce moment, j'ai osé dire que j'avais besoin d'eux pour m'en sortir, que je ne sais pourquoi cela m'arrive maintenant alors que j'ai vécu des moments autrement difficiles.

Je vais relire ce que je viens de taper à toute vitesse, sans réfléchir, sans essayer de faire des phrases, et corriger seulement les fautes de frappe et d'orthographe: on ne se refait pas. Quel impact cela va-t-il avoir sur la tenue de ce blog? Je n'en sais rien. J'y suis profondément attaché, j'aime y écrire et y lire les autres, mais en même temps, je voudrais casser certaines habitudes où, comme ma mère, je m'enferme trop facilement (En fait, j'ai découvert que si elle m'exaspère souvent en ce moment, c'est que je m'aperçois que je lui ressemble de plus en plus et que, de cela, je ne veux pas). Je me libère par l'écriture et en même temps je gratte parfois la plaie pour la rouvrir. Peut-être y aura-t-il moins de billets. Peut-être m'y mettrai-je moins en vitrine. Je ne sais pas. Je suis simplement apaisé d'être arrivé à la fin de celui-ci.

Et je vous fais profiter de mes pivoines et du soleil qui les baignait cet après-midi.

jeudi 24 avril 2008

Les pieds.

Mon plus beau souvenir de ce séjour: les pieds de J., bien parallèles, qui dépassaient de la couette pendant que lui dormait profondément. Comme deux sages gardiens de son sommeil. Et moi qui ne dormais pas et qui les contemplais.

Europa Park.

Me revoilà. Certains doivent se demander pourquoi cette absence, la plus longue depuis l'ouverture de ce blog. D'autres, très peu nombreux, sont déjà au courant.

J'ai pris des vacances. Deux jours, mais trois nuits. Je suis parti en Allemagne, avec J. et deux de ses enfants. Dans la petite ville de Rust, près de Freiburg, au centre d'attractions Europa Park. Oui, c'est étonnant. Il a fallu attendre mes 55 ans pour mettre les pieds dans ce genre d'endroit. J. me l'avait proposé, j'ai un peu hésité car les grands-huit et les toboggans ne m'ont jamais particulièrement attiré, vertige oblige. Finalement, j'ai voulu testé: si cela ne me plaisait pas, il y avait bien d'autres attractions dans ce parc. Et puis, je passais deux jours avec J., même si une attitude très "correcte" était de mise.

Résultat: j'aime. Bien sûr, la première descente a été difficile. Nous y sommes allés dès notre arrivée, je n'ai pas eu le temps de trop réfléchir. J'avais dit oui, il fallait que je le fasse. Je l'ai fait, crispé sur les appuis et les yeux fermés dans la pente vertigineuse. Mais la sensation éprouvée m'a été plutôt agréable. A la fin du séjour, je gardais constamment les yeux ouverts, et levais les bras bien haut à chaque descente. L'appréhension se transforme alors en impression de décoller, de voler, léger, dans les airs. Je n'ai évité qu'une seule de ces attractions: le Silver Star, un peu trop rude à mon goût pour une première fois.

Ce qui est plaisant dans ce parc, c'est le nombre d'attractions différentes proposées, pour tous les âges et tous les goûts, et aussi les spectacles très variés à différentes heures de la journée: patinage sur glace, tournoi dans une arène, acrobatie, marionnettes, bulles de savon, etc.

De plus, même si les boutiques de souvenirs et autres gadgets sont bien là, elles ne s'imposent pas, on ne sent pas l'appât du gain à chaque tournant.

Enfin, le parc étant dédié à l'Europe, sa vaste superficie est subdivisée en régions correspondant aux principaux pays du vieux continent: Allemagne, bien sûr, mais aussi France, Italie, Espagne, Angleterre, Grèce, Suisse, Pays-Bas, Autriche, Scandinavie, Russie, et le dernier arrivé: le Portugal. Chaque pays offre, en plus d'attractions plus ou moins en rapport avec sa culture, des décors splendides magnifiant ses places, ses rues, ses temples, ses théâtres,...

Je vais m'arrêter car j'ai l'impression de rédiger un dépliant publicitaire. Pour résumer, j'ai passé un excellent moment à m'amuser comme un petit fou, même si le soleil n'était pas vraiment au rendez-vous. Le plus rude atterrissage ne fut pas au bas de l'un de ces manèges, mais ici, aujourd'hui, le retour à la vie lyonnaise.

lundi 21 avril 2008

7ème ciel, pardon, arrondissement.

J'aime. Pas vous?

What a wonderfull world!

Autre chose qui me laisse un goût amer dans la bouche. On n'entend parler que de panthéonisation, de citoyenneté d'honneur, d'obsèques nationales. On donne dans le grand. On se veut grand, pathétique, vibrant. Si l'on ne peut parler devant la dépouille, on parle au sortir de l'avion, mais il faut qu'on parle, qu'on étourdisse. On veut faire oublier quelque chose? On nous prend pour qui?


Moi, dans les rues de mon quartier, je vois de plus en plus de mendiants, des vieillards, des femmes, de jeunes enfants même, devant les moyennes surfaces et les boulangers. Je vois déambuler des gens qui visiblement n'ont pas changé de vêtements depuis longtemps, dont la dernière douche n'est pas d'hier, je vois des femmes faire la queue en attendant que s'ouvrent les locaux d'une "oeuvre de bienfaisance" (comme je déteste ce terme!).

Alors, bien sûr, pour montrer que tout va bien, que la vie est belle, que le monde est merveilleux, on peut repeindre les abris-bus en rose. Il suffit ensuite de regarder à travers la vitre. Vous verrez, le point de vue change immédiatement. What a wonderfull world!

Un goût de vomi

Je parlais hier de la mort d'un ami brésilien, terrassé par un cancer foudroyant. Ce matin, j'apprends à la radio le décès dans les mêmes circonstances de Farid Chopel.

Qui connaît Farid Chopel, ce comédien à la silhouette pleine de charme, aux allures de félin, que je découvris, en duo avec un autre artiste, dans un spectacle Les Aviateurs, au TNP de Villeurbanne, dans les années quatre-vingts, je pense?

J'ai même été surpris d'entendre parler de lui ce matin sur France-Inter. Bravo, la radio. En revanche, la suite de la brève m'a beaucoup moins convenu. Josiane Balasko, par téléphone, a voulu honoré la mémoire de Chopel, et a mentionné l'absorption de drogues, dures je suppose, qui aurait considérablement gêné la carrière du comédien.

Que nous apporte cette information? Est-ce une information? Balasko voulait-elle à tout prix se positionner d'emblée parmi les amis les plus proches de Chopel? Cède-t-elle, elle aussi, à cette tendance à la "pipeulisation" qui envahit toute presse, écrite comme parlée?

Pour moi, ces paroles ont un goût de vomi. Je préfère garder le souvenir de ce grand corps de liane, de la grâce de ses mouvements d'algues caressées par le courant, qui firent l'enchantement d'une des mes soirées villeurbannaises, il y a bien longtemps. Adieu, Chopel.

dimanche 20 avril 2008

Pour aujourd'hui.

Dimanche bien rempli: Aimé Césaire, Pierre Desproges, Germaine Tillon, Emile Euros, et toujours le même président.
Chacun choisira sa célébration.

Un parmi d'autres, semblables.


Ce soir, je me sens l'âme d'un pilleur de blogs. C'est maintenant aux Jalons du Temps que je vais emprunter. J'espère que Totem me le pardonnera. Si cela l'incommodait, qu'il me le fasse savoir: je retirerais immédiatement ce billet, tout ou partie.

Dans son dernier écrit,il cite Aimé Césaire, le grand poète dont les obsèques se déroulent en ce moment-même aux Antilles. Je voudrais à mon tour reprendre cette citation, tant elle résume bien tout ce que je vis en ce moment, qui transparaît, trop sans doute, dans ces billets, tout ce que j'éprouve sans arriver toujours à l'exprimer clairement.

C'est quoi une vie d'homme? C'est le combat de l'ombre et de la lumière. C'est une lutte entre l'espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur... Je suis du côté de l'espérance mais d'une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté.

Aujourd'hui, malgré le temps maussade, c'est la lumière qui a gagné. Ma mère, mon frère et ma belle-soeur sont venus déjeuner chez moi. C'est la première fois que je fais à manger pour ma famille, c'est la première fois que j'élabore un vrai repas, de a à z. Avant, tout cela revenait à Pierre. Moi, je me chargeais de dresser le couvert et de faire la vaisselle.

Ils ont eu la gentillesse de trouver bon ce que je leur ai proposé (à mon goût aussi, ça n'était pas mauvais). Mais, au-delà de l'aimable caresse adressée à mon amour-propre, c'est bien autre chose qui s'est joué. Moi, le célibataire, celui qui ne sait pas faire grand-chose de ses dix doigts (sauf peut-être taper sur ce clavier, mais cela n'en nécessite que trois pour moi), j'ai conçu le repas de ma famille, je l'ai réalisé seul et je l'ai offert aux membre de cette famille dont c'est depuis toujours le privilège et l'apanage. Je crois qu'ils ont bien compris, mon frère et ma belle-soeur du moins, que ce n'était pas un banal repas, que l'importance était bien autre pour moi qu'une simple succession de plats.

De plus, je les ai vus attentifs à ma vie, au cadre où elle se déroule, à mes habitudes, à mes goûts, mes envies, mes doutes. Je crois que c'est la première fois, en tout cas que je le perçois. Nous avons échangé librement et ouvertement, sans arrière-pensées, sans retenues de langage. Ils m'ont proposé de l'aide pour rénover mon appartement, ma belle-soeur pour les idées, mon frère pour le coup de main. C'est bête à dire, mais tout à coup je me suis senti moins seul. J'ai une famille.

Bien sûr, je suis du genre à monter dans un bateau alors qu'il est en train de couler, à me découvrir une famille alors que ses membres disparaissent les uns après les autres, mais bon dieu que c'est bon, parfois, d'appartenir à quelque chose, un parmi d'autres, semblables!

Lumière encore, en rentrant tout à l'heure, après avoir ramené ma mère. A la radio, Judy Garland chante Somewhere over the rainbow.

Le livre vivant.


Longtemps j'ai eu un respect bête et glacé pour les livres: pas question de les annoter, de souligner certains passages, de corner quelques pages qui m'avaient marqué et que je voulais marquer à mon tour pour les retrouver plus facilement, les relire et ressentir le même plaisir, la même émotion.

Et puis, un jour, je l'ai fait. Et je le fais encore. En lisant les commentaires d'un des derniers billets d'Océania, je me rends compte que je suis loin d'être un cas particulier bien sûr, mais surtout que cela rend le livre vivant, qu'il y a communion, que laisser sa trace, c'est joindre son âme de lecteur à celle de l'auteur, pour paraphraser le texte de Eric Holder, extrait de L'Homme de chevet, qu'elle nous propose.

Le livre vivant m'a rappelé un très ancien souvenir. Je venais d'arriver à Lyon. A St Etienne, l'année précédente, j'avais fait la connaissance d'un brésilien, lecteur de portugais à l'université de cette ville, et il était convenu que, dès mon installation entre Saône et Rhône, je reprendrais contact avec lui (qui habitait également Lyon) pour prolonger notre amitié.

Lorsque je frappai à l'adresse qu'il m'avait indiquée, c'est une femme de son pays qui ouvrit la porte. A ma demande, elle parut hésiter, puis m'annonça la nouvelle: mon ami était mort pendant l'été, d'un cancer foudroyant. Il avait à peine eu le temps de rejoindre sa mère en Amérique du Sud. C'est un peu assommé par cette annonce inattendue que je redescendis l'escalier en colimaçon et que je me retrouvai dans la rue.

Chaque fois que la charge est trop lourde à supporter, j'entre dans une librairie et m'achète des livres, sans compter. C'est ce que je fis ce jour-là également. Mais, étant étudiant et peu fortuné, je choisis la librairie Gibert des quais du Rhône et les bacs extérieurs proposant des livres d'occasion. L'âme n'y étant pas, j'en choisis un presque au hasard, je ne sais plus s'il y était question de Sainte-Beuve ou de Bernanos, un auteur en tout cas qui n'était pas dans mes priorités.

Alors que je feuilletais ce livre en traversant le Rhône, le vent sur le pont fit s'envoler un morceau de papier qui s'en était échappé. Comme je le ramassais, je vis qu'il s'agissait d'une carte postale. J'aime lire ces messages d'inconnus à d'autres inconnus, nos frères, et c'est avec curiosité que je retournai la carte.

Le message était écrite par mon ami mort à sa mère au Brésil.

Livre vivant, oui, pour transmettre comme un dernier adieu.

De retour chez moi, je rangeai le livre et son trésor dans ma bibliothèque, précieusement. Je ne l'ai jamais retrouvé.

samedi 19 avril 2008

Le parc.


Je suis un rural qui ne peut se passer de la ville.

En analysant ce que je ressens chaque fois que je vais en Savoie, par exemple, dans la "vraie" nature, et ce que j'éprouve à Lyon en sillonnant le parc de la Tête d'Or, je crois que j'ai compris une ou deux choses sur moi.

Bien sûr, un parc urbain comme celui de la Tête d'Or permet de s'échapper quelques instants de l'architecture rigide de la ville, de ses alignements de rues et de trottoirs, de savourer un calme relatif, plus loin des démarrages bruyants ou des coups de freins intempestifs. Bien sûr, il permet de détendre son corps par le sport ou la "chasse". Mais pourquoi préférer ce semblant de nature, cet îlot encerclé, à la profondeur d'un bois, aux détours d'un long sentier de montagne ou aux vastes étendues fraîches des alpages?

En fait, lorsque je suis dans ce parc, c'est la ville, aperçue derrière les grands arbres et toujours présente, qui devient forêt. Les immeubles en sont les frondaisons, les bruits lointains la rumeur mystérieuse. Ainsi la ville, dans son immensité, se transforme pour moi en un espace impénétrable et dangereux, où chaque recoin est susceptible de cacher un péril. La nuit, l'obscurité du parc reflète de la même façon le scintillement des étoiles et les poussières d'or de l'éclarage urbain.
Etrange renversement des choses.

En revanche, lorsque je prends des photos, la sensation est tout autre. Je ne suis plus le chasseur ou le chassé, ni le Poucet trop pressé de se perdre. Je deviens celui qui réveille: la statue oubliée que personne ne regarde, parce qu'elle ne s'impose pas, parce qu'on l'a toujours vue là, parce qu'à force de saisons, elle en est devenue blanche, presque diaphane; l'eau du bassin, endormie sous ses nénuphars, seulement troublée parfois par deux canards qui barbotent, ou celle de la cascade, qui rebondit et éclate mais ne parvient pas à nous détourner de la contemplation; la chaise ou le banc, toujours vides, même si deux ou trois vieillards tendent d'y apprivoiser les derniers rayons d'un après-midi de printemps. Même le parc aux daims est pétrifié dans sa banale habitude.

Toutes ces vies différentes, le promeneur, le chasseur, l'éveilleur, la nature ne me permet de les vivre que si elle s'inserre dans la grande ville, l'une et l'autre jouant tour à tour le rôle de protectrice et d'initiatrice.

Frère-en-blog


Ca y est: il l'a fait! Stéphane a ouvert son blog. J'en suis vraiment très heureux. En plus, il écrit bien. Il y a de la concurrence dans l'air!

Non, pour parler sérieusement, cela me touche beaucoup qu'il ait franchi le pas. Pour lui d'abord, parce qu'il en avait envie, parce que cela lui apportera les mêmes joies, je l'espère, qu'à moi, et puis cela prouve une grande confiance à mon égard.

Je le connais déjà depuis pas mal d'années. C'est un garçon très réservé, très courtois, souriant et gentil, mais lisse, ne se laissant pas approcher facilement. C'est justement ce qui m'a plu d'emblée en lui. Je l'ai aussi tout de suite reconnu comme un frère d'inclination.
Et quand, à cette époque, je l'ai vu malheureux comme les pierres à cause d'une déception amoureuse, je lui ai tendu toutes les perches possibles pour qu'il me parle, pour qu'il ne supporte pas seul son immense chagrin. Ainsi, le jour où, au lieu d'évoquer "la personne qui l'avait quitté", il a dit "il", j'ai su qu'il avait entrouvert la porte.

Depuis, notre relation a évolué. Je sais qu'il va lire ces mots, peut-être ce soir-même, mais je veux lui dire ce que je ne lui ai pas dit au téléphone, alors que je viens de raccrocher: Stéphane, au-delà de toute ambigüité, tu es quelqu'un auquel je tiens beaucoup. J'espère que ces blogs parallèles nous apprendront à mieux nous connaître encore et à développer cette amitié que je vois grandissante.
Bienvenue ici, cher frère-en-blog.

vendredi 18 avril 2008

Des gens sans importance.

J'ai retrouvé Lyon aujourd'hui. En tapant les messages précédents, je me suis aperçu que tous tournaient autour de mon nombril, que ce blog prenait en ce moment des allures de journal intime. J'ai envie ce soir de parler du dernier livre que j'ai lu, un essai d'un sociologue, Pierre Sansot, intitulé Les Gens de peu, et recommendé par Gilles, avec qui je cours régulièrement.

Après une sorte d'introduction qui me fit presque regretter d'avoir acheté cet ouvrage, tant le langage y était parfois à cent lieues du mien, l'auteur s'attache à l'univers des gens de peu, des gens ordinaires (sans que ces expressions revêtent un caractère méprisant, bien au contraire), tout au long d'une quinzaine de petits chapîtres axés chacun sur un des aspects de la vie de ces gens-là: le guérisseur, la ménagère, le bricoleur, les repas, le football, les boules, le camping, les bals, etc.

Bien sûr, la publication datant de 1991, certaines des notations seraient aujourd'hui à revoir, à affiner, à supprimer parfois. Il n'empêche que c'est un véritable plaisir de lire ces pages, certaines me rappelant de nombreux moments de mon enfance, enfouis dans ma mémoire ou même totalement oubliés, comme "le dépiotage des fleurs sucrées de l'acacia". L'analyse sociologique qui en est faite n'écrase jamais le propos, n'impose jamais un pesant jargon et laisse à chaque page transparaître l'émotion et la tendresse qu'éprouvent l'auteur pour ces gens-là.

J'ai aperçu l'autre jour en librairie un autre de ses essais: Poétique de la ville. Ce sera sans doute une de mes prochaines lectures.

Un extrait qui, bien sûr, me touche:
La parole, c'est d'abord une voix qui nous heurte avant d'être un message que nous décodons. Je me montre sensible, instinctivement, au débit, aux "infléchissements de contour intonatif", mais je serais (moi-même et peut-être des observateurs plus avisés) en peine de les rapporter à des structures stables qui, d'une manière indubitable, m'avertiraient de leur signification. Il n'est pas étonnant que la linguistique se soit davantage intéressée à une production écrite, souvent figée et de surcroît peu familière aux personnes modestes plutôt qu'à l'échange d'une parole vivante.

Ou cet autre, qui me rappelle de cuisants souvenirs:
La lessive n'était pas sans intérêt parce qu'elle libérait une agressivité (souvent contenue) et que le passage du sale au propre représente un événement, une métamorphose.(...). Les enfants, les adultes s'émerveillaient à la vue des draps dont la blancheur claquait au vent.

Ce dernier, pour le plaisir:
Une cuisine était avant tout une odeur(...). Il s'agissait, en fait, d'odeurs multiples que l'adulte conserverait plus tard dans sa mémoire affective: odeur du café que l'on moud le matin, du caramel qui roussit, de l'huile dans laquelle les frites grésillent, de la crème anglaise à laquelle on ajoute un peu (pas trop à cause des enfants) de rhum, d'un poisson qui exhale ses origines méditerranéennes ou océaniques, d'un bourguignon dont la sauce au vin prend tournure. L'enfant, attiré par l'odeur, sollicite la permisssion de terminer un fond de mousse au chocolat, de dérober un peu de crème, de racler la partie du caramel qui s'esr fixée sur le fond de la casserole.

Perugia, encore.

Il me passe en tête en ce moment un autre souvenir de Perugia. Peut-être l'ai-je déjà évoqué dans l'Abécédaire ou les Riens.

Celui d'une nuit où la fraîcheur réparait la fatigue accumulée sous la chaleur excessive du jour, où, en rentrant chez les Luciani, je longeais un vestige de l'ancien mur étrusque. A un endroit précis, que je pourrais lui aussi décrire encore aujourd'hui avec grande précision, la fraîcheur relative de la nuit se mêla au bruit léger d'une source où trempait de la menthe sauvage dont le parfum poivré fit pour ainsi dire naître un aria de violoncelle semblant émaner de la vieille muraille. Je me suis arrêté, pétrifié, transpercé plutôt par un bonheur ineffable et total: tous mes sens, ouïe, odorat, vue, toucher, étaient comblés.

Je n'ai jamais depuis éprouvé une semblable plénitude.

Séjour.

(Billet écrit hier)
Ce séjour en Savoie aura été bien particulier. Je l'abrège un peu, je pars demain matin, au lieu de déjeuner ici, comme prévu. Ainsi je pourrai voir J. à midi. J'ai envie.

J'écris en ce moment, comme les deux précédents billets, sur du papier brouillon, Emile m'ayant refusé l'accès à son ordinateur. Pourquoi? Aucune idée: je n'ai pas compris ses explications. En tout cas, cela ne tient pas à des "dégâts" que j'aurais provoqués lors d'une précédente utilisation. Je crois qu'en fait, il ne sait pas vraiment s'en servir, à part une ou deux fonctions, toujours les mêmes. Cela relève encore pour lui de la magie. Ainsi a-t-il été tout surpris lorsque je lui ai appris que l'on pouvait, de chez quelqu'un d'autre, consulter ses propres mails.

Rassuré sur le fait que je n'avais pas provoqué de catastrophe dans ses fichiers, je n'ai pas insisté, tant il semblait bloqué sur ses positions. J'ai simplement profité de son absence ce matin pour taper le premier billet. Les autres attendront mon retour à Lyon. Impression mitigée, en faisant cela, comme un gosse se cachant dans les toilettes pour fumer sa première cigarette. J'ai pourtant dépassé l'âge, et l'envie (de la cigarette).

Mardi, à peine arrivé, j'ai vu débarquer Hubert. J'avais prévenu Emile de ne pas l'informer de ma visite, lui expliquant que je tenais à J., que j'avais depuis quelques mois découvert ce que pouvait être la fidélité, que cet état me comblait. Ce n'est pas de ma part un choix délibéré, une contrainte que je m'impose: simplement, je n'ai pas envie d'autre chose que ce que J. m'apporte. L'arrivée d'Hubert m'a donc mis dans l'embarras, car, à chacun de mes séjours ici, nous nous sommes adonnés à la frénésie des sens, pour le plus grand plaisir de chacun des deux. Il s'attendait à ce que, cette fois encore, il en soit ainsi. J'ai mis en avant mon mal de dos (réel) pour m'abstenir. Bien que ne me sentant pas très solide dans ma résolution, j'ai tenu bon. Et la joie que j'en retire est infiniment plus profonde que celle d'une jouissance suivie comme son ombre par le regret et la tristesse.

Hier, nous sommes allés aux champignons dans les bois environnants. Je les ai laissé partir tous les deux, Emile et Hubert, s'enfoncer dans les sous-bois. J'aurais, en les suivant, eu encore plus de mal à résister au désir charnel si la tentation se manifestait à l'extérieur, dans le cadre de la nature. Je n'ai pas trouvé un seul champignon. J'ai fait des photos, j'ai humé, j'ai touché, j'ai vu. Je ne regrette rien. Pas une seconde je ne me dis: voilà une occasion sottement gâchée de "s'en payer une tranche". Au risque de paraître un peu "réac.", je dirais même que mon estime de moi s'en trouve accrue en ce moment. Plus de victoire trop facilement remportée, plus de reddition trop rapidement accordée. Je sais maintenant ce qui me construit et ce qui me détruit.

Hormis cette promenade dans les bois, j'aurais regardé la campagne à travers la vitre. Pas de jardinage, à cause du dos, pas de course à pied, pour la même raison, pas de sexe non plus. Juste un grand bien être de sentir peu à peu les noeuds se desserrer, les nerfs, les muscles se relâcher, le sommeil se faire sa place la nuit mais le jour aussi, avec le livre sur les genoux, dans le grand fauteuil d'Emile, pendant qu'il travaille à son bureau, tout près de moi.

Je n'ai pu m'empêcher d'acheter encore des livres, à la grande surface la plus roche que je sais, pour une fois, bien approvisionnée: un ouvrage de Boris Cyrulnik sur la résilience (tiens, tiens?) et le dernier essai de Marie de Hennezel, La Chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller..

Je rentrerai demain en paix, avec moi, avec aussi, je l'espère, mon corps, avec Emile, qui a le droit de vieillir, en paix et heureux de déjeuner encore une fois avec J.

Les merles seuls vont me manquer, et leur façon quasi provocante de s'inviter à picorer la terre qu'Emile vient fraîchement de retourner, et de marcher autour de nous comme ces petits jouets dont on a trop remonté le mécanisme. Je n'ai pas encore fini de les observer.

Avant de dormir.

En terminant la lecture mardi du Dormeur éveillé de Jean-Bertrand Pontalis, j'avais curieusement dans la tête un souvenir assez lointain, de 1981 exactement.

Je passais cette année-là l'été à Perugia, en Ombrie, inscrit, après avoir suivi des cours du soir d'italien à la Dante Alighieri à Lyon, à l'Université pour Etrangers de cette ville étudiante. Je crois qu'il s'agit, pour moi, à ce jour, de la période la plus heureuse de ma vie: j'étais en Italie, dans ma région préférée (davantage que la Toscane parce qu'à la beauté moins directement accessible), je perfectionnais ma langue et mon accent, je suivais des cours de grammaire mais aussi d'histoire de l'art et de la littérature, et je découvrais tous ces joyaux éparpillés par les dieux dans ce microcosme béni, joyaux que sont Assise, Gubbio, Todi ou Orvieto.
Je logeais un peu à l'écart du centre ville, chez des particuliers, les Luciani, polis et ouverts mais tenant visiblement à garder leurs distances avec leurs locataires, ce qui m'agréait également. C'est chez eux que j'appris la naissance de mon neveu, le 12 Août.

Le soir, après l'inévitable passeggiata sur le Corso Vanucci, où je retrouvais tantôt des amis de l'université (en particulier Dubravka, une croate avec qui j'avais noué une relation à la fois intellectuelle et tendre, tendre, pas sexuelle), tantôt un des deux amants, merveilleux, que j'eus à cette époque, je regagnais à pied la chambre que je partageais d'abord avec un allemand, chaleureux mais lourd, puis, après son départ, dont je profitais seul.

Un soir, avant de me coucher, je me mis un instant à la fenêtre, sans doute pour profiter encore un peu de la douceur de la nuit. Dans un immeuble en face, malgré l'heure avancée, peut-être deux ou trois heures du matin, une lumière brillait encore, dans une cuisine en contrebas de ma fenêtre. D'abord, cette preuve de présence humaine encore éveillée m'agaça: elle venait perturber mon sentiment d'être seul à jouir de la nuit, cette impression que j'avais alors d'être tellement supérieur aux autres, à tous ceux qui, bêtement, dormaient.

Puis j'ai vu arriver un homme, d'une cinquantaine d'années, qui s'installa à la table de la cuisine et y déplia un journal qu'il se mit à feuilleter. Cette scène intime me toucha profondément, tellement que je pourrais la décrire ce soir dans les moindres détails. Ainsi donc, cet homme aussi veillait, comme moi, et je vis en lui, tout de suite, un frère, un inconnu de la même famille que moi, de cette famille d'êtres qui, alors que l'activité humaine faiblit puis cesse pour la nuit, se ménagent un temps, un espace, un univers à eux, rien qu'à eux, pour prendre connaissance des dernières nouvelles, ou pour profiter de quelque brise rafraîchissante, ou pour se re-cueillir après l'éparpillement de la journée.

Dès lors, ce frère, je me mis à l'observer insatiablement. Il ne fit que lire son journal, sans jamais lever la tête, sans jamais se retourner, se lever pour changer le disque ou prendre à boire au réfrigérateur. Il n'y avait que lui, dans ce décor de cuisine que, sans doute, il avait oublié, quitté, en lisant son journal. Pourtant aujourd'hui, en me remémorant cette soirée, je perçois une autre vérité, qui me concerne aussi. Cet homme, cet égoïste se livrant comme moi, autre égoïste, à son plaisir solitaire, oublieux du monde qui l'entourait et en premier lieu de sa famille, de sa femme sans doute endormie, de la dernière fille encore à la maison le temps de finir ses études, cet homme qui veillait était, comme moi, un vigile, dont la mission était inscrite, de tous temps, sans doute dans ses gènes, en tout cas, dans sa prime éducation.

S'il ne dormait pas, c'était pour parfaire le jour: per-ficio, en latin, signifie faire de bout en bout, achever. Et cet achèvement, pour le vigile, doit être parfait. Sous son aspect solitaire et serein, cet homme avait sans doute, à son insu, tout le poids du monde sur les épaules, tout le poids de son monde, Atlas familier dont les filles auraient quitté le jardin avant d'avoir cueilli les pommes d'or. Et c'est à lui que revenait le devoir de remettre de l'ordre, de se battre contre le chaos, d'approcher la beauté, de tenter, vainement, d'en conserver l'éclat.

D'où peut-être ce refus du comportement le plus répandu qui consiste à se coucher quand on est fatigué, à éteindre tout de suite sans lire, à plonger dans le sommeil sans questions ni arrière-pensées, à accepter de mourir pour quelques heures avant de reprendre le fardeau là même où on l'a déposé la veille. Le vigile ne peut se comporter ainsi. S'il essaie, s'il se couche, bien décidé à dormir, il se relèvera quelques instants plus tard pour noter une idée qu'il a eue, de peur de la voir disparue le lendemain, pour sortir les oranges du réfrigérateur afin que leur jus ne soit pas trop froid le matin suivant (ou bien l'inverse si l'être aimé le préfère ainsi). Rien n'est jamais fini pour lui, rien n'est jamais parfait.

Pourtant, de l'extérieur, on ne voit qu'un être tranquillement assis devant une table de cuisine, tournant sans les froisser les pages de son journal, uniquement intéressé, semble-t-il, par les résultats sportifs ou les derniers commentaires politiques. Peut-être, après tout, peut-être le vigile est-il un être par essence apaisé, même s'il ne le sait pas lui-même.
Peut-être a-t-il été choisi pour cela.

jeudi 17 avril 2008

L'autoroute

Mardi, sur l'autoroute de Savoie, tout heureux de quitter la ville, de me sentir vraiment en vacances et non pas de vaquer dans ma tête de bords ténébreux à d'autres surexposés d'un enthousiasme excessif.

J'ai voulu, cette fois, analyser avec plus de précision ce que je ressentais dans ma voiture, dont c'était la première longue sortie. Et j'ai découvert que cela se passait toujours de la même façon.

D'abord le stress: je déteste partir,même si j'aime être parti. J'avais préparé ma valise la veille, tout fut donc vite réglé. Il n'empêche que, comme d'habitude, les premiers kilomètres furent ceux du stress: n'avais-je rien oublié? Saurai-je bien tenir cette nouvelle voiture? Arriverai-je suffisamment tôt pour profiter de la lumière un peu dans le jardin? Cet état dure en général la traversée de la plaine de l'est. Je vois défiler la banlieue laide, couverte d'immeubles-barres et de zones commerciales immondes, surchargées de panneaux publicitaires; puis, une fois dépassé Satolas, l'étendue plane des champs de colza à la nuance acide. Peu à peu cependant, je prenais conscience que j'étais réellement parti, que j'avais quitté Lyon et mon appartement, que j'étais ailleurs, même si cet ailleurs n'allait pas durer plus de deux ou trois jours.

Peu à peu aussi, la plaine se vallonne, se fend de creux et de collines boisées, le paysage se masque et se dévoile tour à tour. Et tout à coup, face à moi, les falaises de Saint Laurent du Pont: c'est là que j'entre vraiment dans l'ailleurs. Le stress a disparu. L'essentiel n'est plus derrière mais devant. Cela se produisait de la même façon chaque fois que je partais à Bons en Chablais avec Pierre. D'abord la plaine de l'Ain, où je me surprenais à être crispé sur le volant ou la pédale d'accélérateur: toujours le même désir d'aller au-delà tout en ne lâchant pas l'en-deçà. Puis le Cerdon et le plateau au-dessus de Bellegarde et de la Valserine. Et enfin, la première vision des grandes Alpes avec, parfois, le bonheur de découvrir le Mont Blanc.

Alors, mon corps n'était plus tendu. Il savait ce qui l'attendait: toucher la terre, la prendre dans ses mains, la malaxer, la laisser glisser entre ses doigts, la sentir, avoir envie de la goûter. Caresser cette terre, l'herbe, les fleurs. Ou plutôt non: c'étaient l'herbe, les fleurs, la terre qui me caressaient. Je quittais l'univers urbain où les caresses, souvent stéréotypées, n'apportaient qu'une jouissance éphémère et rapide, pour accéder à autre chose: à une caresse infinie, chaude et gratuite. A une caresse où le toucher s'allie à l'odorat, à la vue pour une jouissance complète: celle d'avoir, avec certitude, rejoint la douceur de l'enfance rêvée.

C'est encore cela que je ressentis mardi.

mardi 15 avril 2008

Humilités.

La vie, un matin de vacances, en sortant de chez le kiné.

















Et le gagnant est...

Emission spéciale sur les élections italiennes ce matin à France-Inter.

Entendu à la fin d'une conversation, alors que le journaliste en était aux remerciements, une députée des Pouilles, nouvellement élue à droite, ajouter que son parti allait organiser une grande manifestation pour obtenir la libération des otages aux mains des FARC, et particulièrement celle d'Ingrid.... Bergman.

Ça promet du spectacle, du vrai, comme au temps de la 5. Merci, monsieur Rossellini. Oh pardon! Signore Berlusconi!
On parie qu'il arrivera même à provoquer une éruption du Stromboli?

lundi 14 avril 2008

Miroir, gentil miroir.


Je n'ai jamais aimé regarder les miroirs. Je n'ai jamais aimé "me" regarder dans les miroirs.

Pendant ma première enfance, celle que ma grand-mère maternelle prit en charge, contempler son image réfléchie, même par les vitrines des magasins, relevait presque du tabou: un bon chrétien (c'est moi qui traduis) ne devait pas attacher d'importance à ce qu'il présentait à l'extérieur. Ses seules obligations étaient d'être propre et le moins hâlé possible. J'ai encore en mémoire les moments passés à me faire étriller la peau avec une pierre ponce pour faire disparaître la moindre trace laissée par le soleil.

Si l'ancêtre me surprenait malgré tout en flagrant délit d'auto-contemplation, elle insinuait vite qu'un jour, à la place de mon image, c'est Satan qui apparaîtrait. De quoi vous éloigner à tout jamais de cet objet diabolique que, pourtant, je voyais les femmes sortir de leur sac à main pour atténuer la brillance de leur nez avec un peu de poudre de riz.

Pour éviter cette apparition démoniaque, et parce que ma nature est sans doute profondément provocatrice, je pris alors l'habitude de grimacer en passant devant mon reflet. Ainsi, je cumulais deux avantages: celui, pensais-je, d'éloigner le Malin, et celui d'être parmi les rares à lui faire des grimaces, si par hasard il s'était déjà emparé de mon image. Il ne pouvait en effet me le reprocher puisque je n'étais pas averti de la métamorphose.

Cette habitude est restée, transposée dans un autre domaine: mes parents ont, dans leurs albums, une collection impressionnante de photos de moi (et aussi de ma soeur qui, visiblement, a adopté l'attitude) en train de tirer la langue, jouer les débiles, montrer un nez écrasé, un dos cassé de nain monstrueux, des oreilles étirées et des yeux révulsés.

Mais cette éducation puritaine a laissé des traces. A cet âge-là, je croyais terriblement au diable, et je me mis à ne plus pouvoir fréquenter les miroirs. Encore aujourd'hui, je demande à changer de place à table ou dans un bar si j'aperçois mon reflet sur l'un quelconque des murs de la salle. Si le changement n'est pas possible, je mange tête baissée, en limitant au minimum la durée du supplice. Évidemment, je ne révèle rien de mes véritables raisons à la personne qui m'accompagne. Je passerais sans doute pour plus atteint que je ne le suis.

Pourquoi cette réticence? Je ne sais pas. La cause n'est sans doute pas unique. A ces terreurs enfantines se sont rajoutées celles de l'adolescence, où je n'acceptais pas mon physique, puis les réticences de l'âge adulte à se reconnaître dans cet autre que l'on ne veut pas soi. De même que l'on ne reconnaît pas sa voix enregistrée, de même je ne me reconnaissais pas dans le portrait qui m'était présenté. Non que ce portrait soit abominable, je ne suis pas laid et l'on me prête parfois du charme, mais il ne correspondait pas à ce que moi, je voyais en dedans.

Je ne parle pas, bien sûr, de la "beauté intérieure", lot de consolation que l'on accorde généreusement aux moches. Je viens de le dire: sans être un Apollon sur lequel les foules se retournent (heureusement!), je ne suis pas laid et j'ai, comme disait Barbara "séduit bien des hommes, à peine vus déjà disparus" (quelques femmes aussi).

Je crois simplement que l'éducation reçue de l'oubli de soi a très bien fonctionné, que je n'ai pu m'aimer qu'à l'intérieur, sans surtout le montrer à qui que ce soit, et que d'avoir oublié de me regarder parfois m'a fait oublier l'enveloppe réelle au profit d'une autre, abstraite.

Tellement abstraite que j'ai longtemps refusé de porter des shorts ou des maillots de bains, de montrer mes jambes. Si je me dévêtais, c'était totalement, car alors entraient en jeu d'autres arguments, d'autres séductions, d'autres enjeux. Totalement nu, je ne me suis jamais senti démuni. Mais le short, jamais!

Le sport a changé tout cela. Est-ce la transformation du corps, découvrir des muscles là où l'on n'en avait jamais vu, ou les effets bénéfiques de l'activité physique sur le psychisme? Aujourd'hui, je n'ai plus ce genre de fausses pudeurs indicatrices d'un orgueil démesuré. Je peux me regarder dans le miroir de la salle de bains sans narcissisme mais sans honte. Et je crois bien que je me suis enfin rejoint.

Mais, à mon image, je préfère toujours celle du reflet des nuages, des merveilleux nuages, dans l'eau calme d'un étang ou la réfraction d'une façade dans celle de verre de l'immeuble d'à côté.