dimanche 20 avril 2008

Le livre vivant.


Longtemps j'ai eu un respect bête et glacé pour les livres: pas question de les annoter, de souligner certains passages, de corner quelques pages qui m'avaient marqué et que je voulais marquer à mon tour pour les retrouver plus facilement, les relire et ressentir le même plaisir, la même émotion.

Et puis, un jour, je l'ai fait. Et je le fais encore. En lisant les commentaires d'un des derniers billets d'Océania, je me rends compte que je suis loin d'être un cas particulier bien sûr, mais surtout que cela rend le livre vivant, qu'il y a communion, que laisser sa trace, c'est joindre son âme de lecteur à celle de l'auteur, pour paraphraser le texte de Eric Holder, extrait de L'Homme de chevet, qu'elle nous propose.

Le livre vivant m'a rappelé un très ancien souvenir. Je venais d'arriver à Lyon. A St Etienne, l'année précédente, j'avais fait la connaissance d'un brésilien, lecteur de portugais à l'université de cette ville, et il était convenu que, dès mon installation entre Saône et Rhône, je reprendrais contact avec lui (qui habitait également Lyon) pour prolonger notre amitié.

Lorsque je frappai à l'adresse qu'il m'avait indiquée, c'est une femme de son pays qui ouvrit la porte. A ma demande, elle parut hésiter, puis m'annonça la nouvelle: mon ami était mort pendant l'été, d'un cancer foudroyant. Il avait à peine eu le temps de rejoindre sa mère en Amérique du Sud. C'est un peu assommé par cette annonce inattendue que je redescendis l'escalier en colimaçon et que je me retrouvai dans la rue.

Chaque fois que la charge est trop lourde à supporter, j'entre dans une librairie et m'achète des livres, sans compter. C'est ce que je fis ce jour-là également. Mais, étant étudiant et peu fortuné, je choisis la librairie Gibert des quais du Rhône et les bacs extérieurs proposant des livres d'occasion. L'âme n'y étant pas, j'en choisis un presque au hasard, je ne sais plus s'il y était question de Sainte-Beuve ou de Bernanos, un auteur en tout cas qui n'était pas dans mes priorités.

Alors que je feuilletais ce livre en traversant le Rhône, le vent sur le pont fit s'envoler un morceau de papier qui s'en était échappé. Comme je le ramassais, je vis qu'il s'agissait d'une carte postale. J'aime lire ces messages d'inconnus à d'autres inconnus, nos frères, et c'est avec curiosité que je retournai la carte.

Le message était écrite par mon ami mort à sa mère au Brésil.

Livre vivant, oui, pour transmettre comme un dernier adieu.

De retour chez moi, je rangeai le livre et son trésor dans ma bibliothèque, précieusement. Je ne l'ai jamais retrouvé.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Beau souvenir, et qui ne s'est pas envolé.