lundi 7 avril 2008

A demain.


A demain. Je ne m'étais jamais rendu compte comme ce soir de la dose d'optimiste qu'il faut avoir en soi pour prononcer ces deux mots simples: à demain.

On se quitte au travail, chacun reprend son identité familiale, son rôle ailleurs, où l'on n'a plus rien à faire, soi, chacun se défait d'une charge, parfois d'un fardeau, pour en endosser un autre, plus intime, pluriel, autre en tout cas. Quelques secondes plus tard, on aura tourné les talons, l'autre aura disparu derrière le bâtiment, au coin de la rue, avalé par la ville, on se rappellera qu'on a oublié de lui parler de ceci ou de cela. Si c'est urgent, il y a encore le téléphone. Sinon, ça pourra attendre demain.

Et l'on se mettra à penser à autre chose, à quelqu'un d'autre, en avant cette fois, à celui, à ceux que l'on va retrouver, à celui que l'on va chercher encore une fois, on ne sait jamais. Mais, avant de se détourner, on tisse le lien, on établit le pont, on gomme l'absence, comme superstitieusement, comme si le fait de ne pas dire "à demain" risquait d'abolir ce lendemain, d'engendrer la disparition de l'un ou de l'autre, la mort inattendue, d'ouvrir le gouffre.

On dit "Comment allez-vous?" machinalement, sans y penser, ça n'a aucun sens. On dit "à demain" uniquement à quelques-uns et ces mots ne sont jamais teintés de tristesse. Bien sûr, ils servent aussi à se dédouaner, à se rassurer: tout ce que, ce jour-là, on n'a pas fait, on n'a pas dit à ceux auxquels on tient, on pourra toujours le leur dire, il suffit de renvoyer "à demain". Des demain, il y en a tellement, croit-on, et l'on passe ainsi sa vie à dire "à demain" au lieu de crier "je t'aime". C'est devant la tombe que l'on osera dire "je t'aime".

La chanson pleure "Tu ne m'as pas laissé le temps". C'est nous qui ne prenons jamais le temps. Nous avons tout le temps, forfait illimité. Et puis un jour, l'autre n'est plus là. Et l'on se retrouve comme un con à se dire "à demain" à soi-même, ou à ses peluches, ou à son chat, ou à son ordinateur. Et les "demain" parfois sont trop remplis d'hier, peut-être, je ne sais pas: le bouclier qui protège du regard de la Méduse empêche de bien se voir soi-même.

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