samedi 5 avril 2008

Routes de traverse.


Qu'il est difficile de refermer un livre tel que Traversée des Ombres, de Jean-Bertrand Pontalis!

Je ne l'ai pas lu, je l'ai dévoré, reprenant parfois des passages difficiles, ou d'autres que je venais de lire machinalement, mon esprit s'étant envolé à la suite d'une phrase, d'une idée précédente, parce que, je l'ai dit, avec lui, je me trouve en pays familier où j'aime vagabonder. Au fur et à mesure de mon avancée, je cornais davantage de pages, pour les identifier, les retrouver plus facilement. J'aurai pu, à la fin, les marquer toutes.

Ce livre, composé de textes déjà publiés puis remaniés et de textes inédits, est une pure merveille. Ce que j'aime chez cet homme, pourtant psychanalyste, c'est qu'il n'y a pas de barrière entre l'intellectuel, le professionnel et l'humain. Ainsi n'hésite-t-il pas, au coeur d'un chapitre ardu, à évoquer "le visage d'une mère, sous la lampe, occupée à sa couture, tandis qu'on jouait non loin d'elle aux dominos". Dans cette traversée des ombres, on sent que c'est la vie qui domine à chaque page. Si l'âme existe, il y en a assurément une magnifique chez Pontalis, même si lui-même préférerait la nommer autrement.

Alors, silence et place à ses mots à lui:
J'écris ces lignes sans me soucier de cohérence. Mais je les écris. Je soumets, que je le veuille ou non, les pensées qui me viennent à l'ordre du langage articulé, je respecte la syntaxe, je veille à la ponctuation, à l'orthographe. Souvent le langage, comme l'autoroute encombrée, n'est qu'une prison, n'est que contrainte. Il aliène ma liberté en excluant tout ce qui n'est pas lui, il exige les pleins pouvoirs. Mais parfois, grâce à lui, nous empruntons des routes de traverse, riches de sensations nouvelles ou oubliées, leur donnant même une intensité accrue. Il parvient à faire entendre l'inouï, à rendre visible l'invisible.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Intéressant de citer J.-B. Pontalis, mais j'ai buté sur votre phrase : "Ce que j'aime chez cet homme, pourtant psychanalyste, c'est qu'il n'y a pas de barrière entre l'intellectuel, le professionnel et l'humain."

"Ce que j'aime chez cet homme, pourtant pyschanalyste..." : J.-B. Pontalis aurait donc réussi, malgré cette tare affligeante, à vous retenir dans sa lecture, sinon à vous poussser dans son cabinet ?

Un psychanalyste exercerait-il une fonction qui lui enlèverait, par définition, toute humanité ?

On rejoint là l'image dominante (propagée par le lourd pavé démagogique "Le livre noir de la psychanalyse", auquel Jacques-Alain Miller avait brillamment réglé son compte) qui met les psychanalystes dans le même sac que les charlatans et autres diseurs de bonne aventure.

Heureusement qu'ici, par la grâce d'un de ses livres, l'auteur, "pourtant psychanalyste", a su faire céder chez vous les barrières - ou ce que les spécialistes nomment "censure" - qui vous auraient empêché de l'apprécier comme il le mérite, littérairement s'entend !