Un texte, en revanche que je n'ai jamais oublié depuis le premier jour où je l'ai rencontré, je pense au lycée, et que je propose quasiment chaque année à mes élèves, bien que son auteur ne compte pas parmi mes poètes préférés: Le Dormeur du Val, d'Arthur Rimbaud.
J'aime le faire découvrir aux élèves de cinquième parce que, outre sa beauté intrinsèque, il permet de leur faire passer de nombreuses notions de versification et de les ouvrir à la recherche de sens.
Ainsi peut-on aborder avec eux la réalité d'une forme typiquement française, me semble-t-il: le sonnet, avec ses deux quatrains et ses deux tercets successifs, ses rimes mais aussi et surtout ses alexandrins au rythme changeant (pas toujours la césure à l'hémistiche), avec rejets et contre-rejet.
Ainsi les plus subtiles parmi les élèves perçoivent-ils ce poème comme une mini-nouvelle, commençant par l'éblouissement du décor naturel en été et se terminant par la chute dans l'horreur: la mort d'un homme jeune, d'un enfant. Chute annoncée, on s'en rend compte à la deuxième lecture seulement, par des mots échos : dort (mort), pleut (pleure), par des notations qui tout à coup changent de tonalité: bouche ouverte, pâle dans son lit vert, comme sourirait un enfant malade, par cet encerclement du texte avec le mot "trou": vert et unique au début ("Cela me fait penser au Paradis", m'a dit ce matin un élève), et rouge pluriel à la fin, synonyme de néant.
Il est toujours étonnant de voir réagir des pré adolescents rétifs et bourrus à ce genre de texte: ils retrouvent pour un court instant leur fraîcheur et leur sincérité d'enfants. Pour un instant seulement, car l'un d'entre eux, à la fin du cours, m'a demandé: "Mais, Monsieur, tout ça, ça sert à quoi?".
Peut-être à vivre avec et à le retrouver, tendre et chaud, au creux de soi, quelques quarante années plus tard. Moi, ce matin, je les enviais de vivre le moment de la découverte.
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font plus frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
vendredi 11 avril 2008
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1 commentaire:
Ce qui sert à rien sert à tout. Question pertinente et à la fois obsolète. J'aurai aimé voir ton visage, à cet instant précis.
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