Encore un livre de Erri De Luca: Pas ici, pas maintenant (Non ora, non qui, en italien). Je préférais la traduction de la première édition: Une fois, un jour, si l'on accepte de laisser de côté l'idée de conte, ce que cet écrit n'est absolument pas. Je dis écrit et non pas roman,bien que ce soit effectivement le premier roman de De Luca.
Le narrateur, s'adressant à chaque page à sa mère, y évoque sa jeunesse à Naples, d'abord dans la première maison: une ruelle populaire, la pauvreté, mais les bonnes notes à l'école, l'imagination qui s'envole. Puis évocation de la seconde demeure, plus luxueuse, plus spacieuse, où l'on reçoit, mais où la curiosité s'efface, où l'élan du rêve se brise, où le bégaiement apparaît.
Évocation aussi de cet ailleurs, où le garçon semble constamment être, différents des autres, n'en voulant pas, sauf d'un ami cher avec qui il aimait nager dans la baie, et qui mourut noyé un jour, seul, ou d'une fillette qu'il rencontre le matin, près d'une grille, en partant à l'école. Évocation en fin de son épouse et des sept ans de vie commune, avant la maladie et la mort.
Pas de folklore napolitain, bien sûr. La grande ville n'apparaît que dans ses ruelles, ses collines, et la Tyrrhénienne, mais ces lieux uniquement comme localisations des souvenirs et des émotions. Ce roman est nostalgique, mais d'une nostalgie fière, car l'on sent que cet homme, à travers l'évocation des lieux et des êtres, tente, souvent avec succès, de décrypter ce qui, dans son enfance, a forgé ce qu'il est devenu, l'a endurci ou rempli de tendresse.
Hommage à l'homme à travers les mots adressée à la mère.
A la maison, tu me reprochais de faire du bruit. Dehors, dans la ruelle, le vacarme enveloppait les gens; la vie, à l'extérieur, c'était se faire entendre, donner un coup plus fort, lancer un appel plus haut. Les enfants pleuraient à pleine gorge. Leurs cris n'étaient chargés ni de colères, ni de caprices, ni de reproches, mais seulement du mal qu'ils éprouvaient(...). J'avais beau être petit, je comprenais à coup sûr que mon sort d'enfant était différent de celui des autres dans la ruelle. Je ne recevais pas de corrections de mes parents(...). Mieux valait les coups(...). Pas les mots: contre eux on ne pouvait pleurer, on ne pouvait répondre et moi, quand tu intervenais, je ne parvenais pas à en prononcer un seul, entre l'apnée et le bégaiement. On apprend bien tard à se défendre des mots(...). Ce n'étaient pas tes mots de réconfort que je repoussais, mais ceux du reproche, donnés à la place des coups et qui permettaient de marquer, par ce changement de ton, toute la différence.
Entre mère et fils le progrès n'existe pas, la civilisation n'évolue pas: les mots seront toujours réduits et ne seront que des mots, rares, préservés. Ils ne remplacent rien, ni les coups, ni les caresses.
(Trad. de Danièle Valin,Gallimard)
Le narrateur, s'adressant à chaque page à sa mère, y évoque sa jeunesse à Naples, d'abord dans la première maison: une ruelle populaire, la pauvreté, mais les bonnes notes à l'école, l'imagination qui s'envole. Puis évocation de la seconde demeure, plus luxueuse, plus spacieuse, où l'on reçoit, mais où la curiosité s'efface, où l'élan du rêve se brise, où le bégaiement apparaît.
Évocation aussi de cet ailleurs, où le garçon semble constamment être, différents des autres, n'en voulant pas, sauf d'un ami cher avec qui il aimait nager dans la baie, et qui mourut noyé un jour, seul, ou d'une fillette qu'il rencontre le matin, près d'une grille, en partant à l'école. Évocation en fin de son épouse et des sept ans de vie commune, avant la maladie et la mort.
Pas de folklore napolitain, bien sûr. La grande ville n'apparaît que dans ses ruelles, ses collines, et la Tyrrhénienne, mais ces lieux uniquement comme localisations des souvenirs et des émotions. Ce roman est nostalgique, mais d'une nostalgie fière, car l'on sent que cet homme, à travers l'évocation des lieux et des êtres, tente, souvent avec succès, de décrypter ce qui, dans son enfance, a forgé ce qu'il est devenu, l'a endurci ou rempli de tendresse.
Hommage à l'homme à travers les mots adressée à la mère.
A la maison, tu me reprochais de faire du bruit. Dehors, dans la ruelle, le vacarme enveloppait les gens; la vie, à l'extérieur, c'était se faire entendre, donner un coup plus fort, lancer un appel plus haut. Les enfants pleuraient à pleine gorge. Leurs cris n'étaient chargés ni de colères, ni de caprices, ni de reproches, mais seulement du mal qu'ils éprouvaient(...). J'avais beau être petit, je comprenais à coup sûr que mon sort d'enfant était différent de celui des autres dans la ruelle. Je ne recevais pas de corrections de mes parents(...). Mieux valait les coups(...). Pas les mots: contre eux on ne pouvait pleurer, on ne pouvait répondre et moi, quand tu intervenais, je ne parvenais pas à en prononcer un seul, entre l'apnée et le bégaiement. On apprend bien tard à se défendre des mots(...). Ce n'étaient pas tes mots de réconfort que je repoussais, mais ceux du reproche, donnés à la place des coups et qui permettaient de marquer, par ce changement de ton, toute la différence.
Entre mère et fils le progrès n'existe pas, la civilisation n'évolue pas: les mots seront toujours réduits et ne seront que des mots, rares, préservés. Ils ne remplacent rien, ni les coups, ni les caresses.
(Trad. de Danièle Valin,Gallimard)
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