jeudi 10 avril 2008

Dazibao.


J'ai ce soir une fringale d'écrire. Des tas de sujets me passent par la tête. Il n'est pas tard, j'ai le temps, c'est ma soeur qui s'occupe de ma mère.

Je pense à mes élèves de sixième à qui, bien souvent, il suffit de dire une fois une chose pour qu'elle soit comprise. Ainsi de la prononciation du latin: abordée avant-hier, presque maîtrisée par tous aujourd'hui. Je crois que c'est un cru exceptionnel.

Je pense au livre de Jacqueline de Romilly, Le Trésor des savoirs oubliés (quel titre!), que je tente de lire et que je vais peut-être abandonner pour la deuxième fois à plusieurs années d'écart, parce que cette femme m'ennuie, que j'ai l'impression de l'entendre enfoncer des portes ouvertes à grand renfort de phrases creuses et que j'ai déjà mis le nez, et les yeux, dans ce qui me semble au contraire un petit trésor d'intelligence et de culture: Noyau d'olive, de Erri De Luca.

Je pense à Ingrid Bétancourt dont la photo, rouge et noire, orne la couverture de l'hebdomadaire La Vie qui m'envoie un exemplaire pour tenter de me convaincre de me réabonner. Mais je n'ai jamais eu, pris, le temps de le lire autrefois, bien que je le considère d'une très grande qualité et ouverture d'esprit.

Je pense à la nuit prochaine, avec la douleur revenue. Queue de la comète, ciel de traîne? Ou bien prélude à d'interminables attentes dans des cabinets médicaux? Il faut absolument que je me décontracte, et la tête et le corps.

Je pense à J., qui est venu à midi, comme hier et avant-hier, qui m'a apporté un pot de miel, J. qui a pris une place si importante dans ma vie.

Je pense à un mail que l'un d'entre vous m'a adressé, il n'y a pas longtemps, et qui est sans doute le message d'amour fraternel le plus beau que j'aie jamais reçu. Je m'appuie dessus en ce moment. Il me réchauffe comme un mur de pierres resté longtemps exposé au soleil.

Je pense à cette femme qui a tué sa fille handicapée et que le tribunal n'a pas condamnée. Les jurés l'ont renvoyée innocente, alors qu'une partie de sa famille espérait une peine avec sursis. Le sursis, pour cette malheureuse, c'est ce qui lui reste à vivre. J'aurais été fier de faire partie de ce jury.

Je pense à cette collègue qui m'a vu laid dans ma colère. J'espère au moins qu'elle lui sera, à elle, bénéfique.

Et puis je pense à Pierre, dont la photo est sur mon bureau. Je ne la regarde pas chaque jour, il me suffit de la savoir là. Il est assis dans le parc de la maison de convalescence, à l'ombre, en petite chemisette à manches courtes, une bouteille d'eau minérale sur la table, la montre que je lui ai offerte au bras, souriant de son sourire énigmatique, à la fois fraternel, ouvert à l'autre et réservé, intimidé par cet autre, même si cet autre, c'était moi. Cette photo a été prise environ un an avant sa mort. Je sais encore le grand soleil de cet après-midi de fin de printemps, je sais encore les massifs moussus de fleurs, les taches de soleil dans l'herbe, je sais encore la cicatrice de brûlure sur la main qui disparaît sous le plateau de la table, je sais encore tout cela et j'ai moins mal quand j'en parle.

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