jeudi 31 mars 2011

Hic et nunc

Hier, visite annuelle du Musée de la Civilisation gallo-romaine avec les sixièmes. Une des dernières sans doute de ma carrière. Et je crois que je ne le regrette pas. Outre l'usure personnelle (cela doit faire plus de vingt ans que j'arpente cette magnifique cathédrale de béton), je ne rencontre plus que rarement l'enthousiasme des élèves pour ce genre de découverte. Non qu'ils soient blasés, mais il leur manque tellement de données historiques et culturelles pour comprendre ce qu'ils ont devant les yeux que cela en devient parfois déprimant. Par exemple, hier, une des élèves a demandé, devant la maquette de Lugdunum, exposée non loin de l'entrée du musée, où se trouvait l'aéroport Saint-Exupéry, et, à bien y regarder, elle ne plaisantait pas.

Ce manque de repères chronologiques m'inquiète beaucoup chez les nouvelles générations. Comment peuvent-ils vivre sans avoir la plus petite idée de ce qui les a précédés et qui explique ce qu'ils sont et comment ils vivent? Je suis sans doute en train de devenir un vieux croûton mais je ne peux, personnellement, vivre uniquement dans le présent. L'absence de curiosité chez une grand majorité d'entre eux me sidère également. Certains pourtant, et heureusement, m'ont posé des questions qui prouvaient qu'ils comprenaient et avaient le désir d'en savoir plus. Mais qu'ils deviennent rares!

Alors, j'ai fait ce qui m'aurait paru impensable il y a seulement quelques années: j'ai écourté le circuit prévu en leur faisant emprunter le même chemin qu'à l'allée. Mention rapide, en passant devant, d'une pile de l'aqueduc du Gier et abandon de la visite des ruines des thermes, des tombeaux de Choulans et de la petite fontaine près des restes de l'ancienne église de Saint-Just décorée par un réemploi de stèle sacrificielle avec tête de taureau.

Le Musée lui-même m'a déçu. Je connaissais l'ancien conservateur (proche relation de l'une de mes amies). Il vient de s'en aller et la femme qui le remplace veut sans doute marquer son passage par des changements, pas toujours heureux, dans la présentation. Le trésor de Vaise, par exemple, paraît maintenant bien anodin dans la petite vitrine qui lui est consacrée. Et que sont devenus les vestiges de bronze de la statue féminine qui ornait le sanctuaire fédéral des trois Gaules, dédié au culte de Rome et d'Auguste, et dont les colonnes soutiennent aujourd'hui la croisée du transept de la Basilique Saint-Martin d'Ainay?

Allez, on va dire que je vieillis....

mercredi 30 mars 2011

Soufre

A huit ans, j'ai réintégré la cellule familiale. Mes parents habitaient une ferme, comme souvent dans ce pays minier cernée par les vestiges d'anciens puits abandonnés. Le terrain n'y était pas très stable et, pour s'en rendre compte, il suffisait d'observer notre assiette quand ma mère avait servi la soupe: presque vide d'un côté, débordante de l'autre. Les prés aussi gardaient les cicatrices de cette vieille activité souterraine: des crevasses s'y étaient formées au fil des années, que nous appelions "fandars" et que les adultes nous interdisaient d'approcher, craignant sans doute un éboulement. Mais quel terrain de jeu idéal pour des enfants de notre âge!

Pour se rendre chez le coiffeur qui s'occupait de nos têtes, (un espagnol sans aucune formation à qui nous demandions une coupe bien rase pour éviter qu'il ne massacre notre chevelure par de trop intempestifs coups de ciseaux. C'était un crève-cœur pour moi de voir s'accumuler sur le sol en carrelage toutes mes bouclettes serrées que les filles m'enviaient), il fallait faire plusieurs kilomètres à pieds à travers ces paysages de ruines industrielles.

Je me souviens très bien de l'endroit du chemin qui m'impressionnait le plus et, à la fois, me fascinait à chaque passage: un fossé d'où se dégageait régulièrement une espèce de fumerolle, un peu semblable à celle que l'on observe sur les vieux volcans comme le Vésuve, simplement en moins abondante. Lorsque nous nous approchions de cette fumée blanchâtre, ce que nous ne manquions jamais de faire, nous étions enveloppés d'une forte odeur de soufre qui nous prenait à la gorge. Les bords de cette petite crevasse en était recouvert sur une épaisse couche boursouflée. Un jaune intense que j'observais avec horreur et délectation.

J'imaginais qu'il s'agissait là d'une entrée de l'Enfer et que Satan attendait plus bas sa proie imprudente. Je n'avais pourtant pas encore appris l'existence de ces portes des Enfers dont l'Antiquité gréco-latine a parsemé ses paysages tourmentés et le lac Averne n'évoquait encore rien pour moi, mais point besoin de la mythologie méditerranéenne: la formation judéo-chrétienne que nous inculquait ma mère suffisait grandement à nous terroriser.

Et pourtant cet endroit m'attirait à chaque fois. Je crois que c'est devant cette crevasse que j'ai ressenti pour la première fois de ma vie ce sentiment mélangé d'attirance et de répulsion qu'il m'arrive encore de connaître aujourd'hui devant un verre de cognac ou l'odeur de pourriture automnale des feuilles de peupliers. Goûter et frémir à la première gorgée, sentir et ne pas savoir ce qui l'emporte, du plaisir ou du dégoût. Je n'ai jamais avancé d'un pas dans la connaissance de ce mystère.

mardi 29 mars 2011

C'est à vous, Messieurs! (16): Louis Seigner

J'ai un peu honte de le mettre ici, au milieu de seconds rôles, si aimables soient-ils, mais ce soir, j'avais envie de parler de lui. Louis Seigner m'a aussi marqué dans quelques-unes de ses prestations. Ce monsieur un peu rondouillard que l'on n'imagine même pas jeune est né en 1903 à Arcisse, un hameau de Saint-Chef, en Isère, ville chère à Frédéric dard et connue pour son abbaye. Son père devenant gérant d'une succursale d'épicerie à Lyon, le jeune homme fréquente le théâtre des Célestins et l'Eldorado, théâtre à l'italienne devenu ensuite music-hall puis cinéma et que j'ai vu démolir il y a quelques années pour être remplacé par un immeuble sans grâce. Il s'inscrit aux cours gratuits du conservatoire puis monte à Paris en payant son voyage par son travail dans une fabrique de bière. Il y passera 32 ans à la Comédie Française. Il apparaît dans 200 rôles au théâtre et dans 150 films (Carné, Renoir, Clouzot, Clément, Becker, Losey, Antonionni,...), sans compter ses personnages à la télévision. Bien sûr, on a encore en tête Monsieur Jourdain du Bourgeois Gentilhomme, mais moi, je n'oublie pas ce vieux banquier italien, Spinello Tomoleï, des Rois Maudits de Claude Barma, tout en onctuosité et en roublardise. Louis Seigner, père de Françoise et grand-père de Mathilde et d'Emmanuelle, est mort, comme Julien Carette, dans l'incendie, en 1991, de son appartement provoqué, semble-t-il, par une pipe mal éteinte.
La vidéo est extraite des Sept Péchés capitaux, film à sketches de 1952.


Electrique

Maintenant, je n'ai plus un ouvrier chez moi, j'en ai deux! Outre Jean-Claude, j'ai fait appel à un de ses amis pour des travaux d'électricité: retirer une ligne sous le plafond de mon salon, ligne qui avait été condamnée il y a sans doute très longtemps, puisque les fils cachés étaient encore gainés de coton, menu réparation sur le cumulus et modernisation de mon tableau électrique. Un monsieur bavard mais sympathique en qui je peux avoir toute confiance au point de l'abandonner lâchement avec Jean-Claude pour partir faire des courses dans un magasin de bricolage (il leur manque toujours quelque chose, à ces artisans). Il a travaillé tout l'après-midi et reviendra dans la semaine. Il a laissé son matériel chez moi. Je ne vous dis pas à quoi ressemble mon appartement!....

Dernière Nuit à Twisted River

Voir apparaître un nouveau roman de John Irving à la vitrine d'un libraire, c'est toujours pour moi un grand moment. Depuis le choc reçu à la lecture du Monde selon Garp, je n'en ai manqué que bien peu: deux en fait, dont l'un (un recueil de nouvelles) que je viens d'acheter en livre de poche.

Celui-ci, Dernière Nuit à Twisted River, j'avais vu l'auteur le présenter à La Grande Librairie lors d'une émission enregistrée aux États-Unis et il m'avait encore une fois accroché. En fait, j'ai été déçu par bien peu de ses livres mais j'étais resté sur l'impression d'ennui ressenti avec le précédent, Je reviendrai.

Cette fois-ci, je n'ai pas décroché pendant les presque six cents de ce pavé. Tout y est de l'univers d'Irving pour qui en est familier: l'avortement, l'ours, le chien, la part essentielle et contestée de la femme, l'accident pendant la fellation, la lutte gréco-romaine, le tatouage. Résumé à ces quelques éléments, cela peut paraître grotesque. Pourtant, c'est un livre captivant. Sur trois générations, l'auteur nous fait suivre la vie (et la mort pour deux d'entre eux) de trois hommes, d'abord dans une petite ville de bûcherons, puis dans la cuisine de restaurants canadiens, enfin dans le bureau d'un écrivain à succès.

Attention: il ne s'agit nullement d'une saga. Je n'aurais pas pu le lire si c'était ça. Le monde selon Irving est un monde à la fois à part et totalement ancré dans la réalité contemporaine (au moins pour la fin de ce roman). Et, ici, pour la première fois, j'ai pu, en même temps que je lisais, percevoir la construction du roman (qu'il évoque, d'ailleurs, sous couvert de fiction, dans un des derniers chapitres) et comprendre le mécanisme de ses nombreux pièges. Ce qui m'aurait fait fuir chez un autre, pour qui j'aurais parlé de ficelles, m'a procuré chez lui un grand plaisir intellectuel à la découverte d'une intelligence littéraire rare. Mais que ce que je viens d'écrire ne vous rebute pas: Dernière Nuit à Twisted River n'est pas un roman cérébral. La chair et le corps y ont, comme d'habitude, une part primordiale.

lundi 28 mars 2011

Lyon d'hier

Un poème sur Lyon découvert grâce à une collègue. vous connaissiez? (Traduction à la suite)

SCÈVE, JE ME TROUVAY COMME LE FILZ D'ANCHISE

Sceve, je me trouvay comme le filz d'Anchise
Entrant dans l'Elysee et sortant des enfers,
Quand apres tant de monts de neige tous couverts
Je vey ce beau Lyon, Lyon que tant je prise.
Son etroicte longueur que la Sone divise,
Nourrit mil artisans, et peuples tous divers.
Et n'en desplaise à Londre', à Venise, et Anvers,
Car Lyon n'est pas moindre en faict de marchandise.
Je m'estonnay d'y voir passer tant de courriers,
D'y voir tant de banquiers, d'imprimeurs,d'armuriers,
Plus dru que lon ne void les fleurs par les prairies.
Mais je m'estonnay plus de la force des ponts,
Dessus lesquels on passe, allant delà les monts,
Tant de belles maisons, et tant de metairies.

Joachim du Bellay, Les Regrets, 137


Scève, je me trouvai comme le fils d'Anchise
Entrant dans l'Élysée et sortant des enfers,
Quand après tant de monts de neige tous couverts
Je vis ce beau Lyon, Lyon que tant je prise.

Son étroite longueur, que la Saône divise,
Nourrit mille artisans et peuples tous divers :
Et n'en déplaise à Londre, à Venise et Anvers,
Car Lyon n'est pas moindre en fait de marchandise.

Je m'étonnai d'y avoir passer tant de courriers,
D'y voir tant de banquiers, d'imprimeurs, d'armuriers,
Plus dru que l'on ne voit les fleurs par les prairies.

Mais je m'étonnai plus de la force des ponts
Dessus lesquels on passe, allant delà les monts,
Tant de belles maisons et tant de métairies.

Clichés

(Écrit la semaine dernière)
Le soleil irradie la colline , à l'ouest. Les vitrages scintillent au milieu des arbres renaissants. En bas, les rues sont encore plongées dans l'ombre. La circulation s'intensifie. Le même vieux clochard, au même feu rouge, tend la même main abîmée, l'autre bras replié sur la poitrine, en remerciement si on lui donne quelque chose. Il sourit tous les matins, passant outre son sort de rejeté. Ce matin, je suis en avance. Les troisièmes passeront une heure à traduire un texte de Macrobe. Une heure à moi pour entamer la journée. Écrire, lire, en surveillant du coin de l'œil ce qui se passe dans la salle.

Demain, il paraît qu'il va pleuvoir. Les bourgeons des marronniers dans le parc se boursouflent et cèdent un à un sous la poussée des feuilles encore bien pâles. Les primaires commencent à arriver pour 8h30, seuls pour les grands, accompagnés d'un parent pour les tout petits trottinant à côté de l'adulte pressé de rejoindre son travail. Tableau habituel dès que le beau temps revient. L'horizon est encore masqué par la brume. Les Alpes sont invisibles. Si le Mont Blanc se montre dans la matinée, c'est qu'il pleuvra bien demain.

Dans la salle à côté, un collègue de mathématiques parle de fractions. Sa classe est calme aussi. Bénéfice de travailler le matin, avec des enfants encore reposés. Entre deux modes: plus de grands sacs portés sur le bras replié, les filles "théières" sont en voie de disparition. Plus de vêtements de marque (la crise?). Quelques-uns, les filles, font un effort d'élégance et s'amusent à tester leur charme. Ils n'ont plus la beauté de l'enfance et pas encore l'ambiguïté des jeunes adultes. Eux aussi sont en bourgeons.

J'ai toujours aimé l'air concentré qu'ils prennent lorsqu'ils travaillent sérieusement, comme si Macrobe, en ce moment, constituait le principal pôle d'intérêt de leur vie. Il s'agit d'une histoire de corbeau (un mainate plus exactement) acheté par l'empereur Auguste. J'aurais apprécié, à leur âge, de pouvoir traduire des textes "légers" comme celui-ci, plutôt que les éternels faits de guerre et autres discours rhétoriques que les romains prisaient tant.

dimanche 27 mars 2011

Momentini

- Pas grand monde ce matin au bureau de vote. Aperçu un ancien voisin d'un immeuble proche avec qui je n'ai jamais échangé que deux ou trois mots de courtoisie. En fait, nous nous disions bonjour par la fenêtre de la cour. Ce vieil homme ne manque jamais de me saluer chaque fois que nous nous rencontrons. Je m'étonne toujours que les isoloirs soient très souvent situés dans des écoles, lieu qui n'est plus pour moi, et depuis longtemps, un symbole de civisme.
- Le menuisier amoureux de la poésie recopie toujours des poèmes de différents auteurs sur son petit tableau noir devant sa porte. Je suis passé devant chez lui, ce matin en allant au marché. Je ne lis plus ce qu'il écrit.
- Repas d'anniversaire de ma mère chez mon frère aujourd'hui. Ambiance un peu triste: il a appris que sa fille a décidé de se marier dans la région de Biarritz où elle vit actuellement. Ce qui revient à dire que sa grand-mère ne pourra assister à ce mariage, ni lui peut-être (cela dépendra de son état de santé), ni moi vu la date choisie pendant le troisième trimestre. Pour moi, je dois bien dire que cela m'est totalement égal. C'est principalement pour ma mère que ça me choque.
- Portes ouvertes hier au collège. Des parents charmants et curieux de notre démarche pédagogique. Espérons que cela durera ainsi s'ils inscrivent leurs enfants chez nous.
- Ce matin, sur France Inter, entendu un morceau d'émission avec Françoise Fabian. Ai eu le temps d'apprécier deux extraits de Ma Nuit chez Maud, film que j'évoquais il y a peu ici. La magie opère toujours.
- Deuxième année consécutive que je ne mets pas les pieds aux Quais du polar à Lyon, et cela ne me manque même pas. Autre page de tourner sans doute.
- Il pleut sur Lyon depuis cet après-midi et les magnolias du boulevard des États-Unis n'ont déjà presque plus de fleurs. Le vent les a éparpillées sur la chaussée. Pas même eu le temps d'en prendre une photo.

Tourner des pages

Cet après-midi, j'ai appris par mon frère la mort il y a un mois d'une de mes anciennes amies, disparue de ma vie depuis une dizaine d'années, au moment de la maladie de Pierre. Elle n'a pas su ou pas voulu comprendre le désarroi où je me trouvais alors. Au lieu de forcer mon silence dû au mal être, elle m'a dit le "respecter", alors que j'aurais aimé l'entendre, elle surtout dont j'étais si proche. Je ne le lui ai pas pardonné. Je l'ai aperçue une fois pendant ces années, chez le dermatologue. Je n'ai rien fait pour qu'elle me voie. Je crois que c'est la première personne que j'ai volontairement rayée de ma vie. Aujourd'hui, la nouvelle de son décès me touche mais ne m'affecte pas. Chose curieuse: il y a un mois, justement, je me suis débarrassé d'un beau lampadaire qu'elle m'avait donné. J'apprends peu à peu à tourner des pages.

samedi 26 mars 2011

Salles obscures

Mes rapports au cinéma sont assez ambigus. En fait, je n'y vais pas souvent: même pas une fois par an. Par flemme, essentiellement. A une époque, j'étais abonné à un ciné-club italien, où l'on projetait de vieux films sous-titrés et, toujours, dans la sélection, un film récent. Ça aussi, c'est fini. Devant la télévision, j'ai du mal à me concentrer longtemps sur ce que je vois. Je crois que le cinéma, pour moi, est resté indissociablement lié aux ouvreuses à qui l'on donnait une petite pièce (et qui ne savaient pas combien cela me coûtait, vu l'état de mes finances), au rideau que l'on tirait quand le film allait commencer, au documentaire avant la projection, au grand panneau avec le mineur de Jean Lumière, aux publicités peintes et aux caramels mous vendus à l'entracte. Aujourd'hui, l'émerveillement n'est plus que rarement là et je ne vois dans le septième art qu'une grosse machine commerciale.

Mais j'ai toujours aimé les acteurs, qu'ils soient américains, russes, italiens, anglais ou français. Je ne m'intéresse pas à leur vie privée, à ce qu'ils jouent, aux personnages qu'ils incarnent, et je retiens facilement leur nom et leur visage, sans le faire exprès, un peu comme je retiens les chiffres, jusqu'au tatouage dans l'oreille de mon chien autrefois.

Je ne suis pas spécialement attaché à tel ou tel réalisateur, même si certains me plaisent plus que d'autres. Je n'ai pas ce snobisme-là. Il m'arrive souvent de verser quelques larmes sur des scènes que j'aime et qui me touchent. La Plume cite dans son billet un film de Kalatosov, Quand passent les Cigognes. Un film que je n'ai pas revu depuis des années et qui m'avait profondément marqué. Il y avait aussi La Ballade du soldat de Tcoukraï. J'aime également Bergman et les films noirs américains d'avant-guerre. En somme, des goûts assez éclectiques que je ne peux énumérer par risque d'être trop long.

Je regrette de ne plus me rendre aussi souvent dans les salles que lorsque j'avais entre dix-sept et vingt ans et que je me faisais une boulimie de séances. Tiens, je me souviens encore du choc en découvrant Ma Nuit chez Maud d'Eric Rohmer dans un cinéma paroissial. Ce qu'ils étaient beaux, Trintignant et Fabian, dans ce film-là et la façon théâtrale qu'ils avaient de dire leur rôle m'enchantait à l'époque.

Je pourrais continuer ainsi longtemps mais demain, on change d'heure. Alors dodo. Amis du cinéma (et les autres), bonsoir.

Moment

Mon amour dort dans mes bras, sur le canapé, la tête sur ma cuisse. La main posée sur sa joue, je ne bouge pas de peur de le réveiller. Son souffle régulier fait frissonner les poils de mon poignet. Il relève mon pull-over et colle sa bouche sur mon ventre. Infinie tendresse. Je suis bien.

jeudi 24 mars 2011

Morosité

Le printemps me fatigue cette année. Un des premiers symptômes de la vieillerie? Je suis à la fois fatigué, stressé et extrêmement agressif. Cet après-midi, par exemple, j'ai eu une violente prise de bec avec une de mes collègues. Tout aurait pu se passer calmement si elle avait réagi différemment. Nous nous sommes mis en colère tous les deux, et ce devant les élèves, ce que j'ai du mal à me pardonner et à lui pardonner.

Lorsque je suis ainsi, j'ai du mal à supporter la moindre remarque, voir la plus bénigne pique d'humour et je ne m'aime pas. Je sais qu'intérieurement, je suis quelqu'un de très violent. On m'a tellement appris dans mon enfance à refouler ce tempérament que je suis chaque fois surpris quand le naturel reprend le dessus, d'autant qu'il le fait toujours à des moments inattendus, pour des raisons totalement futiles et de façon très explosives.

J'avais trouvé un très bon remède à cette hargne sous-jacente et toujours prête à faire surface: la course à pieds. Je n'ai pas enfiné le short depuis bientôt deux ans. Maintenant que je n'ai plus mal au dos, je devrais m'y remettre mais la reprise de la cigarette n'est pas vraiment favorable à ce genre de sport (auquel d'ailleurs?). Le beau temps revenu, je crois que je vais faire un effort. Il faudra repartir à zéro: on perd tout en deux ans.

Paradoxalement, je me sens aussi d'une apathie inhabituelle. Envie de pas grand chose. Le travail m'ennuie, je n'ai, en ce moment, ni le plaisir de lire, ni celui d'écrire. Ce matin, pendant une pause au collège, j'ai sorti mon appareil photos de son étui et fait quelques clichés. Vite lassé de cela aussi (toujours pas de photos de ma nouvelle voiture). Alors quoi? Le mieux est sans doute de dormir davantage en attendant que ça passe!

mercredi 23 mars 2011

Qui dira "De bon aloi" maintenant?

Elizabeth Taylor

Moi, je l'aimais bien aussi dans Les Quatre Filles du Docteur March, bien que, dans ce film, je lui préfère June Allyson. (Video introuvable)


En fin de vidéo, une date surprenante!

mardi 22 mars 2011

La Nuit du Chasseur

Je suis bien d'accord avec Charlus: La Nuit du Chasseur est un chef-d'oeuvre. Seul film de Charles Laughton, mais quel film! Les scènes fortes ne quittent plus l'esprit même si on ne les a vues qu'une fois: les mains de Robert Mitchum, Hate et Love; les cheveux de Shelley Winter, morte dans la voiture, au fond de l'étang; la crise de John, à la fin, quand on arrête l'assassin et qu'il repense à l'arrestation de son père; Liliane Gish et son fusil, veillant dans son rocking-chair sur la sécurité de tous ses enfants recueillis; l'homme en noir et son cheval blanc, dont le profil se dessine la nuit sur le clair de lune...

La vidéo présente une scène d'anthologie du film: la descente de la rivière.

lundi 21 mars 2011

La Nouvelle

Ça y est, je l'ai, et toute neuve. Ma première! Pas le temps ce soir, mais la photo, c'est pour bientôt.

dimanche 20 mars 2011

C'est à vous, Messieurs! (15): Daniel Emilfork

Daniel Emilfork (1924-2006)
"Ce que les gens ne savent pas, c'est que je suis une copie des juifs d'Ethiopie, une copie. Si vous mettez un juif éthiopien et moi, nous sommes deux copies. Nous avons exactement le même profil, la même forme. Je suis très fier parce que nous sommes descendants de la Reine de Saba et de Salomon. Ça m'arrange bien."
(Interviewé, je n'ai pu savoir par qui)

Lui, franchement, il me faisait peur. Son physique mais aussi et surtout sa voix. il disait, avec un brin d'humour, qu'il avait l'accent "moldo-valaque". Je ne sais plus dans quoi je l'ai vu. Le Casanova de Fellini, c'est sûr, en 1974, mais sans doute bien avant puisque, en 1974, il ne me faisait plus peur depuis longtemps. Peut-être lors d'une rediffusion de Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy. De lui, je garde le souvenir de la scène du Casanova où il apparaît en étrange homme-libellule aux côtés de Donald Sutherland.
La vidéo est extraite de La Cité des enfants perdus de Jean-Pierre jeunet et Marc Caro.

La femme du Canal

D'abord, je me suis trompé: le printemps, ce n'était pas aujourd'hui, c'est demain. Ensuite, comme pour me faire mentir, il a fait une journée splendide et les magnolias plantés au bord des rues se sont mis tout à coup à fleurir. Là où, hier, il n'y avait rien, les arbres se sont couvert de taches roses.

Tous les dimanches, aux Puces du Canal, il y a une femme qui tient un stand de brocante. Elle y vend ces vieux panneaux autrefois accrochés aux murs des classes de primaire sur lesquelles les élèves apprenaient leur "leçon de choses". Des panneaux impeccables de propreté que l'on croirait neufs. Et elle au milieu, avec sa dégaine de détruite, toujours la cigarette à la bouche, dans un pantalon kaki informe qui a connu des jours meilleurs. Elle m'avait violemment pris à partie il y a quelques mois parce que je faisais une photo de son stand. Ce matin, en la regardant, j'ai pensé que la crasse, ou la nicotine, était incrustée en elle, non pas là à cause de manipulations de ce qu'elle vend et partant au premier lavage, mais comme faisant partie d'elle-même. Quel âge a-t-elle? Une bonne quarantaine d'années sans doute. Mais il est difficile de le dire. Elle a toujours ce visage crispé, hargneux, tiré et sale. J'ai essayé d'imaginé sa vie, comme je le fais devant des visages d'inconnus dans le métro ou arrêté aux feux en entendant le vert. Je n'ai rien vu, rien ressenti, comme si elle n'existait que le dimanche matin, aux Puces du Canal, devant ses images pédagogiques.

Un plaisir partagé

Il Giardino Dei Finzi Contini (Le Jardin des Finzi Ciontini, film de Vittorio de Sica, d'après un roman de Giorgio Bassano)


samedi 19 mars 2011

Dates

Aujourd'hui, c'est la Saint Joseph. La première fois que j'ai arrêté de fumer, il y a bien longtemps, c'était aussi la Saint-Joseph. "Le jour où les oiseaux se marient!" m'avait dit une amie. Je ne le savais pas. Ce que je sais, c'est que j'avais repris peu de temps après.

Demain, c'est le printemps. J'ai du mal à croire que l'hiver est fini. Non seulement à cause du temps qu'il fait à Lyon, journée alternant pluie et rares rayons de soleil, mais surtout parce que, comme chaque année, je ne l'ai pas vu pas passer. Je n'aime pas cette saison, sauf lorsqu'elle est prodigue en neige comme l'an dernier, et pourtant, elle a quelque chose de rassurant. Peut-être son côté définitif, indiscutable.

Cette année, j'ai envie de renouveler mes plantes sur les balcons. Est-ce à cause des travaux de mon appartement, je voudrais des couleurs, beaucoup de couleurs le matin, à retrouver au réveil. La plupart de celles que j'ai actuellement datent de très longtemps et s'étiolent peu à peu, par manque de soins attentifs de ma part. Elles ont bien mérité leur retraite tardive.

Le printemps, c'est aussi la fin de l'année scolaire qui se profile. Loin encore? Pas tant que ça, et je sais d'expérience que le troisième trimestre file toujours plus vite qu'on ne le pense. En septembre, ce sera une de mes dernières rentrées des classes. Ça me fait tout drôle d'écrire ça et je n'en ai pas encore une conscience très nette. Je vois arriver la retraite avec joie mais aussi avec une certaine crainte. Saurais-je prendre correctement le tournent? Saurais éviter l'impression d'être inutile et vieux? Saurais apprendre à gérer mes journées autrement, sans les garde-fous que sont les emplois du temps contraignants et les copies à corriger? Je ne dis pas que je les regretterai mais je ne sais pas encore par quoi ils vont être remplacés. Et les jours de flottement, ils ont quelque chose de rassurant, puisqu'on n'a qu'à se laisser porter. Après, c'est le mystère, et je n'ai pas envie de vivre ma nouvelle vie comme je vois certains collègues qui m'ont précédé le faire. Pas de clubs pour moi, ni d'associations. Pas question de se retrouver régulièrement pour un spectacle ou une partie de jeu de société. Je suis presque certain que je n'aurai pas envie de revoir la plupart d'entre eux, qu'ils sortiront définitivement de ma vie. Et les quelques-uns que j'aime travailleront encore. C'est un peu comme lorsque des amis avec qui l'on a un certain type de relation se marient: on a beau se dire que ça ne va rien changer, tout change et les sentiments peu à peu se délitent. Alors, je ne sais pas.

Momentini

- Je suis allé voir ce matin, avec Frédéric, ma nouvelle voiture à la concession où elle restera encore jusqu'à lundi. Je n'en connaissais la couloir "persamos" que par les images d'Internet qui la rendent assez mal. Elle me plaît. Abandonner l'autre me fait tout de même un petit quelque chose.
- Semaine chargée, passée à courir après le temps: visite chez le notaire dans la Loire où nous avons fini par démêler des confusions anciennes, conseils de classe avec collègues bavardes et parents exigeants, reprise en main des élèves qui, à chaque fois qu'ils sont en vacances, oublient tout ce qu'on leur a appris auparavant, voix qui doit se remettre au flux de paroles qu'elle avait, elle aussi, oublié pendant ces mêmes vacances.
- Petit îlot de sérénité dans ce monde de bruts: un bon restaurant chinois, hier soir, avec Frédéric. Aperçu ensuite, à la télévision, Mylène Demongeot. Quelle belle femme, malgré ses 76 ans! Et quel parler vrai!
- Ma sœur a pris son week-end pour changer d'air et aller se ressourcer ailleurs. Pour la première fois depuis longtemps, ma mère passe ces deux jours à la clinique. Je ne sais même pas si elle s'en rend compte.
- Le beau bouquet de tulipes acheté au marché dimanche dernier est toujours sur la table de la cuisine, intact. Je le vois parfois. Il faudra bientôt sortir les plantes sur les balcons. J'en profiterai là aussi pour faire un tri sévère.
- J'ai posé, sur mes étagères blanches, comme unique ornement, le buste de l'Aurige, copie tout en noir de la célèbre statue de conducteur de char du musée de Delphes. De là haut, il me regarde de ses yeux aux longs cils. Présence apaisante.

jeudi 17 mars 2011

Les Perses

31 octobre 1961. J'allais avoir neuf ans. Je suis resté pétrifié devant l'écran de télévision, fasciné et terrifié à la fois. Avais-je deviné que j'assistais là à quelque chose qui me dépassait: Les Perses d'Eschyle, dans l'adaptation de Jean Prat? Peut-être est-ce ce jour-là que j'ai contracté le virus de l'Antiquité.
(avec Charles Denner, François Chaumette, André Thorent, Maurice Garrel, Maria Meriko, André Oumansky...)

Début de la tragédie, le Coryphée et le chœur des Vieillards.

Italia mia

L'Italie a cent cinquante ans aujourd'hui. J'ai appris ça ce matin en écoutant la radio. Cent cinquante d'état unifié après tant d'années de petits royaumes, duchés ou républiques plus ou moins florissants. Cent cinquante ans qui n'ont pas jusqu'à présent réglé l'éternel contentieux entre le nord et le sud. Cent cinquante ans pour créer un état moderne dont la véritable capitale semble bien aujourd'hui être Milan plutôt que Rome. Un pays divers et hétéroclite, abritant aussi bien le gondolier de Venise que le berger de Sardaigne, le Monsignore du Latium que le maffieux calabrais, le souffleur de verre vénitien que le plagiste de l'Adriatique. Un pays avec ses épines aux pieds, dont la moindre n'est pas le Vatican, un pays au passé lourd à digérer et à l'avenir parfois incertain. Le pays du cinéma, des chaussures de cuir, de la mode et de la pasta. Le pays de Dante et de Pasolini, de Visconti, de Bénini et de Bellini, du Colisée et du Vésuve, des gnocchis de Bari et du saint amoureux de son Frère Soleil. Un pays où j'ai aimé, où l'on m'a aimé, où j'ai accompagné les pas de découverte de centaines d'adolescents dont ceux que je rencontre parfois aujourd'hui me disent que ces voyages restent les plus beaux souvenirs de leur vie collégienne. Un pays que j'ai fait mien. Mon pays, en moi.

mercredi 16 mars 2011

La Porte de l'Enfer

“PER ME SI VA NE LA CITTA’ DOLENTE,
PER ME SI VA NE L’ETERNO DOLORE,
PER ME SI VA TRA LA PERDUTA GENTE.
GIUSTIZIA MOSSE IL MIO ALTO FATTORE:
FECEMI LA DIVINA POTESTATE,
LA SOMMA SAPIENZA E ‘L PRIMO AMORE.
DINANZI A ME NON FUR COSE CREATE
SE NON ETERNE, E IO ETERNA DURO.
LASCIATE OGNI SPERANZA, VOI CH’ENTRATE.”
(Dante, Inferno, Canto III, vv. 1-9)

Par moi l'on va dans la cité dolente,
Par moi l'on va dans le deuil éternel,
Par moi l'on va parmi la gent perdue.

La justice inspira mon sublime ouvrier:
Je fus édifiée par la force divine,
la plus haute sagesse et le premier amour.

Il n'a été créé, avant moi, que les choses
Éternelles, et moi, éternelle je dure.
Vous qui entrez, laissez toute espérance.
(Trad. de Henri Longnon, Librairie Garnier.)

Au hasard de mes tripotailleries pendant rangement.

mardi 15 mars 2011

Ailleurs

Le besoin d'écrire ne viendrait-il pas de la propension à vivre sa vie en spectateur? Voilà ce que je notais hier soir avant d'aller, à contrecœur me coucher. Je ne sais pas très bien ce que je voulais dire, ou plutôt j'ai beaucoup de mal à l'expliquer.

J'ai été élevé, jusqu'à l'âge de huit ans, par ma grand-mère. Elle vivait au milieu d'un cercle de personnes âgées qui constituait, presque exclusivement, ma seule compagnie, si l'on excepte Yvon, mon ami d'enfance et presque frère, mais qui, lui, avait une grande famille et souvent d'autres fréquentations. Très vite, j'ai donc appris à me contenter de moi-même et, en même temps, à écouter ce qui se passait en dehors de moi. Mais l'écouter mal car souvent me revenait cette habitude de rêver qui fut ensuite amplifiée par ma boulimie de lectures.

Alors, la vie des autres petits garçons, ceux qui, pour moi, avaient une vie "normale", je me suis mis à la rêver aussi, à me la fabriquer à mon usage personnel, en m'identifiant aux héros des romans dévorés, en imaginant des épisodes glorieux ou larmoyants selon les moments. Pas de mythomanie, jamais: j'ai toujours aimé la vérité face aux autres. Mais un monde intérieur où, très vite, j'ai trouvé un refuge confortable contre la vraie vie, celle que je voyais autour de moi, difficile et trop crue.

Il me semble que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à aimer les mots, plus seulement les phrases qui me racontaient de si belles histoires, mais les mots eux-mêmes, sens et musique.

Ayant réintégré la famille après le décès de ma grand-mère, j'ai hérité d'un frère, d'une sœur et bientôt d'une autre. L'épreuve a été terrible: je devais partager, être disponible, contraindre mes rêveries, et cela d'autant plus que j'étais l'aîné de la fratrie. Les quelques jouets que je possédais, il a fallu les prêter et ils ont vite été massacrés par un frère plus casse-cou que moi. Alors, je me suis barricadé à l'intérieur. Il y a eu l'enfant responsable, qui veillait sur ses frères et sœurs, à qui l'on a demandé sans doute plus que son âge ne pouvait assumer. Et puis l'autre.

Un jour, j'ai découvert la "grande" littérature, au début de mes études secondaires. Balzac eut mes préférences, je ne sais toujours pas pourquoi, et il côtoyait dans mon imaginaire un autre auteur que j'ai toujours aimé (que je continue à aimer), parce qu'il me faisait m'échapper: Jules Verne. J'ai commencé à écrire et à raconter chaque soir à mon frère, avec qui je partageais le même lit, un feuilleton à épisodes innombrables, inventés au fur et à mesure et oubliés ou presque le lendemain matin.

L'habitude était prise. Comme certains ont deux maisons, moi, j'avais deux univers: le réel où je jouais mon rôle, et l'imaginaire qui m'emmenait sans cesse au gré de ses lames de fond. Même encore aujourd'hui, au moins une fois dans la journée, je ferme les écoutilles. J'en ai un besoin viscéral, vital, et là, pas question de venir me déranger: je mords.

Ces moments de rêverie inattendus m'ont souvent fait passé pour quelqu'un d'un peu niais, d'un peu fêlé, gentil mais peu intéressant à fréquenter puisqu'il ne partageait pas les enthousiasmes des adolescents de cet âge. Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis et c'est, plus tard, la rencontre avec Pierre et son influence qui m'ont rendu plus sociable.

L'envie d'écrire, au début de ma vie d'adulte, m'a peu à peu quitté. Je ne parvenais au mieux qu'à imiter ceux qui avaient été mes initiateurs dans l'amour de la littérature. Mais moi, le vrai, je n'apparaissais nulle part, ni dans le style, ni dans la vérité des émotions.

C'est en ouvrant ce blog que j'ai recontracté le virus. Il m'a d'abord permis de me rééquilibrer, défouloir de mes angoisses, sorte de psychanalyse à bon marché et impunie. Je ne me suis jamais posé la question de savoir qui lisait mes billets. Il fallait que je les écrive, c'est tout. Aujourd'hui, je suis plus serein.

En prenant du recul, je me suis rendu compte que l'écriture m'était devenue indispensable. Écrire un peu, beaucoup, chaque jour, j'aurais du mal à m'en passer. Or, si cela m'a équilibré, cela n'a en rien fait disparaître mon habitude du "dédoublement": acteur de la vie, plutôt joyeux et apprécié par mes amis aujourd'hui, et en même temps toujours ailleurs, à regarder ce qui se passe, à ne pas vraiment me sentir totalement concerné. Seul l'alcool, parfois, lors de soirées plus arrosées, parvient paradoxalement à me remettre les pieds sur terre.

Tout ce que je viens d'écrire n'est pas très clair, j'en suis conscient. C'est simplement que cela ne l'est pas non plus pour moi.

lundi 14 mars 2011

Réponse

Demain, sans doute.

Question

Le besoin d'écrire ne viendrait-il pas de la propension à vivre sa vie en spectateur?

dimanche 13 mars 2011

Hommage de l'une à l'autre

Isabelle Aubret, C'est beau la vie.
(Paroles: Claude Delecluse, Michelle Senlis, musique: Jean Ferrat)

Bilan

Fin des vacances. Demain, direction collège. J'avais prévu de faire des quantités de choses. Je n'en ai pas réalisé le quart.
Tout de même, tout de même, me souffle une petite voix d'autosatisfaction:
- départ de quantité de meubles, de livres, de bibelots qui encombraient mes pièces.
- vidage en cours de mes deux greniers: tout est trié, il ne reste plus qu'à embarquer ce qui doit l'être.
- un garage trouvé, à cinq minutes à peine de chez moi, alors que je désespérais de venir à bout de cette quête.
- mon bureau terminé, même si des tas de livres attendent encore dans le hall de trouver une place quelque part. Là, il va falloir sans doute que j'élague encore! Comme le dit Jean-Claude: "Ah! ces intellectuels!"
- nouvelle voiture arrivée à la concession. J'irai la chercher dans une huitaine de jours. Pas le temps avant.
- prise de rendez-vous chez le notaire de famille, pour régler des détails qui traînent depuis trop longtemps.
- changement de téléphone portable. Ça aussi, c'était prévu (et pas fait) depuis longtemps.
- satisfaction de voir que mes demandes incessantes à la régie concernant la remise en état de l'éclairage de la cour de l'immeuble ont enfin été entendues: les électriciens sont venus cette semaine.

Voilà qui m'a déjà bien occupé! Quant à ce qui reste à faire, je préfère ne pas en dresser la liste!

Flickr

Comme tout le monde peut s'en rendre compte en regardant la colonne à droite de cette page, j'ai un compte chez Flickr, compte sur lequel j'ai déjà posté quelques 8340 photographies depuis deux ou trois ans. Je peux aussi savoir quelles photos sont journellement regardées par ceux qui passent par là.

Outre le fait qu'elles intéressent des inconnus, qui, la plupart du temps, n'y font pas de commentaires et restent anonymes, je suis heureux, en voyant les photos visitées affichées, d'y retrouver d'anciens clichés que, la plupart du temps, j'avais totalement oubliés. Plaisir de me rappeler certains moments, certains voyages ou instants fugitifs, certaines surprises lorsque je n'avais eu que le temps de sortir mon appareil et d'appuyer sur le bouton. Plaisir aussi parfois esthétique, en m'avouant que quelques-unes sont assez réussies et que je suis content de les avoir prises.

Même si, pour l'instant, je suis moins accro au mitraillage que par le passé, il n'en reste pas moins que j'aime cet art de la photographie et que je pourrais difficilement m'en passer, non pour immortaliser un événement important, une cérémonie familiale (je ne photographie pratiquement jamais les membres de ma famille: cela ne m'intéresse pas et je rate ces clichés) mais pour le plaisir de l'image, pour avoir réussi à capter ce qui fait la beauté d'un instant, d'un détail ou d'un angle de vue. Même plaisir que celui de lire ou d'écrire une belle phrase.

Assèchement

Entendu ce matin sur France Inter Antoine De Caune lisant des textes de Laurent Chalumeau, dont certains de son roman de 2010, Bonus. Surpris par ce qui y était dit. Je ne connais pas cet auteur mais il semble que, d'après lui, il est préférable d'employer constamment le verbe "dire" comme verbe introducteur des dialogues plutôt que des verbes plus expressifs et variés. De même, pas de descriptions sous prétexte qu'elles ne servent à rien et que personne ne les lit. Ainsi, tout ce qui pourrait éloigner de ce que disent les personnages serait à proscrire pour le plus grand bonheur du lecteur.

Bien évidemment, je ne partage pas du tout cette opinion. Je m'évertue à longueur de cours à ce que mes élèves enrichissent intelligemment leur vocabulaire, en particulier pour annoncer un dialogue, ce qui constitue pour eux la partie la plus ardue de l'écriture. D'autre part, moi, je lis les descriptions, en particulier dans les romans modernes. Que l'on passe sur certaines longueurs ce ces descriptions chez Balzac, Hugo ou Zola, je veux bien le comprendre. Mais que l'on en vienne volontairement à assécher un texte, là, je ne comprends pas.Pour moi, la description, outre son utilité évidente, fait partie intégrante du plaisir de la lecture. Je pense même que c'est là que l'on reconnait de véritables écrivains par opposition à des tacherons de la plume ou du clavier.

J'irai sans doute, un jour ou l'autre, faire un tour du côté de ce monsieur pour vérifier si le résultat obtenu est à la hauteur de ses espérances.

Racine: les trois oui.

ANDROMAQUE (1667):
Oreste
Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle;
Et déjà son courroux semble s'être adouci,
Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici.

(Acte I, scène 1, 1-4)

IPHIGÉNIE (1674):
Agamemnon
Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille
Arcas
C'est vous-même, Seigneur! quel important besoin
Vous a fait devancer l'aurore de si loin?

(Acte I, scène 1, 1-4)

ATHALIE (1691):
Abner
Oui, je viens dans son temple adorer l'Éternel.
Je viens, selon l'usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.

(Acte I, scène 1, 1-4)

(Au gré de mes tripotailleries pendant rangements)

Épigramme

Pour un jeune esclave, Artémidore a vendu son champ.
Pour un champ, Calliodore a vendu son esclave.
D'après toi, Auctus, lequel a fait la bonne affaire?
L'un baise et l'autre...bêche!

Martial, Épigramme 21, livre IX (Anthologie. Rome et l'Amour. Arlea.Trad. de Chantal Labre)

(Au gré de mes tripotailleries pendant rangements)

vendredi 11 mars 2011

A chaud

Trois heures de spectacle et un entracte. Comme je ne suis pas à une contradiction près, après avoir écrit le billet précédent, j'ai eu envie de "m'habiller" pour sortir ce soir. Pantalon à revers, chemise noire, nœud papillon de même couleur, blazer, bottines et parka de cuir. Juste oublié qu'à la générale, les gens ne font pas trop d'efforts de toilette....

Arrivés très tôt, ce qui nous a permis d'avoir de très bonnes places, au deuxième balcon (le premier étant réservé aux VIP!) de face. Mais comment l'architecte a-t-il pu concevoir, pour remplacer l'ancienne salle à l'italienne, une structure aussi laide, sorte de bunker noir, et des fauteuils aussi inconfortables?

Le spectacle lui-même. Intéressant malgré une mise en route un peu laborieuse. Parti pris du moderne assez réussi, malgré, quelquefois, une distorsion entre la mise en scène contemporaine et les paroles du livret de Da Ponte (comment rendre crédible la question de savoir si les deux galants, habillés en loulous moulés dans des pantalons de cuir noir, sont Turcs ou Valaques?). Je me demande d'ailleurs si le surtitrage d'un texte aussi souvent indigent s'imposait.

Une plage près de Naples dont on aperçoit au loin les lumières, transformée pour quelques scènes en appartement des deux coquettes. Des chanteurs en maillots de bain ou en tenue de jeans, cela pourrait surprendre, et pourtant, c'était assez crédible avec le jeu des artistes. Des voix égales, sans que l'une s'impose au détriment des autres (mais pour Frédéric et moi, une préférence pour celle de Despina, la servante, jouée par Elena Galitskaya), des interprètes jeunes ayant le physique des rôles ( à la dernière représentation de Cosi fan tutte à laquelle j'avais assisté il y a de nombreuses années, la pauvre Fiordiligi devait "largement" peser son quintal!), un chef d'orchestre lui aussi jeune et dynamique (et pas désagréable à regarder dans son T-shirt clair).

Mais je n'ai pas changé d'avis sur la musique de Mozart, trop prévisible pour moi maintenant, trop souvent écoutée sans doute. Quelques beaux airs cependant, dont celui de Fiordiligi au premier acte: "Come scoglio immoto resta", que je ne résiste pas à joindre à ce billet, interprété par la divine Teresa Berganza que je trouve bien injustement oubliée aujourd'hui, elle, voix mozartienne par excellence.

Une bonne soirée donc, dont voici la distribution:
Don Alfonso: Lionel Lhote
Ferrando: Daniel Behle
Guglielmo: Vito Priante
Fiordiligi: Maria Bengtsson
Dorabelle: Tove Dahlberg
Despina: Elena Galitskaya
Direction musicale: Stefano Montanari
Mise en scène: Adrian Noble.

jeudi 10 mars 2011

Un soir à l'opéra

Ce soir, opéra: la générale de Cosi fan tutte. Même si Mozart n'est plus ma tasse de thé depuis longtemps, je m'en fais tout de même une joie. Pour le spectacle sur scène, bien sûr, mais aussi pour celui dans la salle. Un de mes grands plaisirs, c'est, depuis un balcon, d'observer le parterre, les gens qui s'installent, leurs minauderies pour certains, leur sérieux extrême pour d'autres, comme s'ils venaient d'entrer dans un temple où le moindre sourire est à proscrire absolument. Il y a les snobs aussi, les pires, qui, la plupart du temps, n'ont pas la moindre culture musicale mais sont là parce qu'il faut y être. Enfin, j'espère aussi y croiser quelques vrais mélomanes.

Il y a des années de cela, lorsque j'étais abonné à la saison musicale, devenue maintenant hors de prix (et l'on dit que l'opéra se démocratise!), je prenais un soin attentif de ma tenue. trop sans doute, au point de m'en encombrer l'esprit plusieurs heures avant et de sans cesse vérifier que tout était impeccable pendant. Aujourd'hui, privilège de l'âge, je me pose moins de questions. Au diable les futilités! Une tenue simple et décontractée me suffit, et je me moque totalement du regard des autres. Je vais écouter de la musique et me faire plaisir, c'est tout.

Et puis, il y a toujours cet instant magique, celui que je préfère entre tous: les minutes avant le début de la représentation, lorsque les musiciens de l'orchestre accordent leurs instruments.

mercredi 9 mars 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (7)

Et celui-ci, qu'est-ce que vous en pensez? Attention! C'est un de mes amis.
Sebastien Fournier.Oh Solitude. Purcell

Tout fout le camp, même la politesse.

Je peux être bougon, irascible, pénible, imbuvable, montrer une humeur massacrante sans raison valable (et là, surtout, il ne faut pas me demander pourquoi!), tatillon, maniacomaniaque, acide, tout ce que vous voulez. Mais je ne suis jamais impoli. Reste sans doute d'une éducation judéo chrétienne qui interdisait par exemple de demander à aller aux toilettes sitôt arrivés chez ceux qui invitaient la famille. J'assume ce restant de préhistoire et en suis même assez satisfait.

Mais la politesse est apparemment quelque chose qui se perd, surtout au téléphone. Je ne parle pas de ces employés, probablement payés à coup de fronde, qui vous dérangent au moment du repas ou de la sieste pour vous proposer un placement mirifique ou vous annoncer que vous êtes le super gagnant de leur jeu du mois. Je tâche chaque fois de les éconduire avec le plus d'urbanité possible, même si je suis gavé de ces appels répétitifs. J'en ai tout de même envoyé promener une, l'autre jour, à qui j'avais répondu par la négative et souhaité une bonne journée, et qui a rappelé illico presto pour me reprocher, offusquée, d'avoir raccroché avant qu'elle ait fini de délivrer son message stérile.

J'en veux plutôt à tous ceux que vous contactez (régies, artisans,commerciaux...) qui doivent vous rappeler dans les minutes qui suivent et dont vous attendez le coup de fil plusieurs jours, quand il vient. Le menuisier qui m'a installé de nouvelles portes-fenêtres doit me recontacter depuis lundi dernier pour finir un petit travail annexe. Rien! Je veux bien croire qu'il a du travail, mais dans ce cas, pourquoi promettre ce que l'on ne peut tenir, et surtout est-il si difficile de téléphoner pour s'excuser et reporter? Même chose pour ma régie à qui, en tant que seul humain encore à peu près valide de l'immeuble, j'avais demandé un certain nombre de renseignements concernant des travaux faits ou à faire dans la copropriété, qui devait effectuer des recherches et m'en communiquer les résultats. Rien de ce côté-là non plus.

Ça m'exaspère, ce genre de comportement et, si je dois rappeler moi-même, j'ai du mal à ne pas employer mon arme favorite: non pas la colère, que j'ai du mal à maîtriser lorsqu'elle sort, mais une forme raffinée d'ironie cinglante.

mardi 8 mars 2011

Erreur

Je me suis trompé. Le Lion de Kessel est un livre superbe. Sans doute faut-il attendre d'avoir atteint un certain âge pour le lire. Ce qui le rend beau, c'est un style souvent d'une poésie rare (voir la description des bêtes à l'abreuvoir, au premier chapitre), une grande justesse et une extrême simplicité dans l'analyse des sentiments des trois personnages principaux (hormis le narrateur).

Et ce qui en fait pour moi la valeur risque bien au contraire d'en alourdir gravement la lecture pour des élèves de cinquième. Je tente l'expérience, me doutant qu'elle ne sera guère concluante. Pourquoi classe-t-on ce roman dans la catégorie "jeunesse"? Comment sensibiliser de si jeunes lecteurs à la complexité des rapports humains qui régissent la vie de la famille de Bullit, de sa femme Sybil et de leur fille Patricia? Pour moi, ce n'est pas King,le lion, et son destin tragique qui constituent le centre du récit, mais bien plutôt ce décorticage des sentiments: amours et haines réciproques, peurs et jeux pervers. Naturellement, ça, c'est plus difficile à faire passer que l'histoire de la gentille fifille qui a adopté un gentil bébé lion, l'a élevé et s'en est fait un gentil ami, jusqu'au jour où le méchant masaï.....

Villas tristes

Des rangées de petites villas d'avant guerre, celles au bord de la route, séparées d'elle par un trop mince trottoir; celles du piémont, au terrain en pente rejoignant les jardins plats des premières. Puis la voie ferrée et les villas plus huppées qui s'étagent sur la colline. Tout un quartier sur ce plan. Plus loin, les grands palaces d'autrefois font des trouées dans leurs parcs jadis savamment entretenus. L'un d'entre eux tombe en ruines.

Aix-les-Bains est une ville triste, que je n'aime pas, que je n'ai jamais aimée. Émile a élu domicile ici, dans une de ces petites maisons le long de l'avenue, un feu tricolore à hauteur de fenêtre de cuisine. Le jardin, derrière, est encore un pré stupide et sans grâce, c'est-à-dire sans arbres. Les deux villas voisines sont tout aussi laides. La terrasse de l'un d'elles foisonne de décorations hétéroclites et démodées: un petit nain de jardin poussiéreux aux couleurs fanées par la pluie; dans une cage d'osier suspendue, une tourterelle en plâtre qui achève de noircir de pollution; des épis de maïs séchés, desséchés; un autre oiseau de plâtre, posé à même le sol et des serpillières mises à sécher à la rambarde, un tapis de salle de bains qui a connu des jours meilleurs. De la laideur ordinaire dont on ne se préoccupe même plus.

Après une longue promenade au bord du lac du Bourget, seul moment où j'ai vaguement retrouvé l'Émile d'autrefois, j'ai passé mon temps à dormir, assommé de la fatigue qui me submerge depuis quelques jours et me rend absent même à mes amis. Revu Psychose en pointillés, commencé le dernier roman d'Irving, dormi dans le fauteuil, sur la chaise, dans le lit. Rêvé de rentrer à Lyon le plus vite possible, malgré le soleil. Il y a des rendez-vous qui se manquent.

dimanche 6 mars 2011

Pour mémoire

- Vendredi: lapin à la moutarde, pommes boulangères, tarte aux pommes maison (la mienne), petit rosé glacé.
- Samedi: cabri, champignons frais, mousse au chocolat, Saint-Honoré (pour honorer l'anniversaire de Frédéric et de Jean-Claude), Bordeaux à température.
- Dimanche: tajine d'agneau, semoule, verrines aux fruits, Vacqueyras (14°5) à se mettre à genoux (j'ai préféré le canapé pour une courte sieste).

Demain matin, la route pour la Savoie où m'attend la cuisine d'Émile. Des plats rustiques et goûteux pour lesquels je trouverai bien encore une petite place!

Mon grand

Ma tante s'est assise près de moi. Une vieille dame maintenant. Quatre-vingt neuf ans. A la voir ainsi, bien mise, cheveux blancs impeccablement coiffés, yeux un peu délavés, il me vient un instant une pulsion de jalousie pour ma mère, au bout de la table, si abîmée, ressassant de sa bouche édentée des souvenirs cent fois entendus, dans son fauteuil qu'elle ne quitte plus qu'au prix d'un effort immense. Elle a deux ans de moins. Elle en paraît cent.

Ma tante me prend le bras et me dit des bribes de mon enfance, de celle que je ne connais pas, avant la mort de mon père, lorsqu'elle promenait le bébé que j'étais dans un joli petit landau et qu'il lui a offert un moulin à café. "Je l'ai toujours, sur le meuble, dans ma cuisine".

Et puis ce matin où tout endormie, elle a entendu frappé à sa porte. J'avais sept ans. Ma grand-mère venait de tomber. Son premier malaise, quelques mois avant qu'elle ne meure, peu de temps avant qu'on ne me sépare d'elle. J'étais venu prévenir. Je n'en ai pas de souvenir. "C'est toi, mon grand (elle ne m'a jamais appelé autrement) qui avais fait le chemin pour qu'on lui porte secours."

Alors qu'elle allait partir, je l'ai serrée dans mes bras. Elle était toute chaude dans son manteau d'hiver. Dans la voiture, à l'arrière, un immense sourire et un petit signe de la main. Elle était si fragile, à ce moment-là.

Jonquilles

Peu après Lyon, la Dombe. Il fait froid. Les terres ont encore une fine pellicule de givre. Les étangs s'irisent sous le soleil. Des plaques d'argent au milieu des bosquets. Certains sont vides mais la vase, encore gorgée d'eau, scintille légèrement. Les routes rectilignes ont cédé la place à de plus tortueuses, bordées de fossés profonds.

Jean-Claude parle. C'est rare. Il me dit sa famille, son enfance à la campagne, dans ce coin-ci. Je ne veux surtout pas l'interrompre trop. Il cède si facilement la parole. Je verrai plus tard la ferme de son enfance, vieille masure à peine restaurée par les nouveaux propriétaires. Qu'a-t-il ressenti en passant là, entre la vieille habitation et l'étable? Ou plus loin, près d'une autre maison, où habitaient son oncle et sa tante?

Le bosquet aux jonquilles n'est pas bien grand. Le sol est recouvert des pousses de ces fleurs dont certaines commencent déjà à éclore. En marchant, le pas doit se soucier de ne pas les écraser. La lisière est un amoncellement de cailloux, rejetés des champs depuis des lustres par les paysans qui tentent d'en extraire le meilleur. Quelquefois, Jean-Claude me montre de petites pousses d'un violet pâle qu'il appelle des "cils". Il n'en connaît pas le vrai nom. Il en cueillera aussi un minuscule bouquet, pour chez lui.

Nos doigts sont gelés et mettront du temps à se réchauffer. Ils sentent bon la terre. Dans le bois, nous nous taisons. Il n'y a pas besoin de parler pour se sentir bien. Une allée d'arbres trentenaires conduit à un groupe de fermes basses. Enfant, Jean-Claude était déjà là, à venir faire des bouquets au début du printemps. Là où il n'y en avait pas autrefois, le sol en est maintenant tapissé. Beau vert de la jeunesse des plantes.

Nous décidons de rentrer par la route. L'autoroute, c'est pour les gens pressés.

PS du 8 mars: grâce à Cornus et Karagar, je connais le vrai nom des petites fleurs violettes. Ce sont des scilles. Merci à tous les deux.

samedi 5 mars 2011

Un grand écrivain....

24 mai 1911: (A Prague). Horreur de la foule. Pendant 1h 1/2 sur le bateau, suffocation au milieu d'une foule de femmes pareilles à un parc de gros cochons ronds, qui grognent, mangent, boivent, turbulent, agitent la queue et font leurs excréments. Pour aimer l'humanité, il faut la voir de loin. Pauvres gens! Question si la véritable civilisation ne dépendait pas d'une répression impitoyable des classes inférieures. Horreur de leur déchainement.
Paul Claudel, Journal (Tome 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard)

Les dames apprécieront!

vendredi 4 mars 2011

C'était juste un célibataire.

Avant de me coucher, me débarrasser d'une chose qui m'exaspère. Après le triple meurtre de Rivesaltes, entendu à la radio que l'une des victimes était un retraité prenant du repos sur un banc et les deux autres des employés municipaux et célibataires. Ben tiens, c'est déjà moins grave! Qu'est-ce que c'est que ces remarques à la con? D'autres fois, on entend: "La victime laisse une veuve et deux jeunes orphelins".

Et ça change quoi? La vie des célibataires (et des retraités) a-t-elle moins de valeur que celle des gens mariés et pères ou mères de famille? Le scandale est-il moins grand si un taré tue des hommes sans progéniture? On savait déjà que la pire faute, c'était de descendre un policier. Maintenant on peut supposer que la vie d'un célibataire a moins de valeur que celle d'un père de famille.

Vivement que l'on publie une classification exhaustive indiquant un ordre croissant ou décroissant dans l'horreur d'un meurtre. Les psychopathes pourront ainsi calculer à l'avance la peine qu'ils risquent en fonction de leur victime et juger si le jeu en vaut la chandelle ou pas. Cela en dit long sur l'état de dégénérescence de notre société et de ses valeurs morales.

Autre chose, pour compléter le paquet: je hais les artisans. J'expliquerai une autre fois pourquoi. Allez hop! au lit maintenant: demain matin, je me fais un massacre de jonquilles. C'est grave, çà, vous croyez?

Et un peu de musique, ça vous dirait? (6)

James Bowman "Ombra Mai Fu", Haendel, Xerxes.

Momentini

-Entendu hier à la radio Annie Ernaux parler de son nouveau (petit, comme d'habitude et dont le titre m'échappe) livre sur la sœur morte avant sa naissance et qu'il lui a fallu "remplacer". Peu de mots mais des vrais, pas de pathos ni d'exhibitionnisme, des émotions profondes dites d'une voix douce, rien de spectaculaire ni de revendicatif, pour aborder sa façon de vivre avec. Tout le contraire d'une Christine Angot dont la seule vue m'insupporte.

- L'autre soir, le chinois en face de chez moi passait le balais dans sa cuisine, fenêtre ouverte. Une chaudière à gaz blanche sur le mur crème. Il s'applique, donne un premier coup, revient, recommence, insouciant de qui peut le voir. Je ne sais pas pourquoi, je me suis mis à sourire.

- Le bouquet de jonquilles cueillies par Jean-Claude se fane peu à peu. Quelques rescapées dans un plus petit vase. Corolles jaunes sur le fond vert de mon bureau. Peut-être demain matin irons-nous dans les bois à la recherche d'une nouvelle brassée.

- Je n'hésite plus maintenant, quand je ne sais pas, à demander des conseils culinaires à des femmes dans les rayons de Casino. On me répond toujours, et poliment. Beaucoup rajoutent leurs propres trucs pour que ce soit meilleur. Les gens ne sont pas indifférents, c'est la simplicité de se parler qui manque. Je tente de l'acquérir.

- Reçu, enfin, la validation de trois années de travail que la caisse de retraite ne semblait pas vouloir prendre en compte. Cela divise par deux le temps qu'il me reste à œuvrer.

- Un aiguiseur de couteaux est passé dans mon immeuble cette semaine. Je croyais que ce métier n'existait plus. Lorsque j'étais enfant, il y en avait un qui venait régulièrement, une ou deux fois par an, avec sa petite roulotte tirée à bras, sa meule et ses fusils. Il me faisait un peu peur, moins pourtant que le ramasseur de peaux de lapins (à Saint-Étienne,nous disions le "pater", comme le mot latin) qui s'annonçait en criant toujours les mêmes mots sur la route. Ce dernier, je l'associais toujours au dépeçage que je voyais faire à mon père lorsqu'il en tuait un (lapin!). Je ne restais jamais là lorsque cela se produisait.

- Préparation du repas de ce soir. Ce sera lapin à la moutarde (acheté dépecé, naturellement) et pommes de terre boulangères. Une première entre la bestiole et moi. Elle a intérêt à bien se tenir! J'ai tout de même déjà réussi à la découper sans m'entailler les mains. Une première aussi!

jeudi 3 mars 2011

Douze sols le cordon d'Angleterre

Extrait d'un petit ouvrage au format original (oui, celui-ci, je ne m'en suis pas débarassé!) retrouvé sur mes rayons et intitulé Almanach des hommes sans nom (Michel Clévenot et Horst Widmann, La Lettre, L'Harmattan, 1977):
Mars 1750.
Une Mme paris, femme âgée de cinquante ans, fille d'un professeur de Paris, qui a été putain dans sa jeunesse et maquerelle ensuite, comme bien d'autres, a raffiné sur ce métier. Elle a loué une grande maison rue de Bagneux, faubourg Saint-Germain, où elle a douze filles, depuis seize jusqu'à vingt ans, dont la plupart sont jolies, pour recevoir et amuser les honnêtes gens.
Cet établissement est d'autant plus singulier qu'il y a un portier, un cuisinier, quatre femmes de chambre pour les filles (On pense à Muni, dans Belle de jour. Réflexion personnelle.), des maîtres à écrire, de danse et de musique, pour leur donner une éducation et un chirurgien attitré pour venir les visiter tous les deux jours.
On donne douze livres pour s'amuser dans la journée avec un de ces demoiselles, et vingt-quatre, par tête d'homme, pour y souper. (On donne douze sols un cordon d'Angleterre à ceux qui craignent du mal.)
Le curé de Saint-Sulpice, instruit de cette retraite de plaisir dans sa paroisse, en a porté ses plaintes à M. Berryer, lieutenant général de police, qui lui a répondu que n'y ayant point de bruit ni de tapage dans cette maison, il n'y avait point à y trouver à redire; qu'il fallait en parler à M. le comte d'Argenson, secrétaire d'État de Paris. M. le Curé de Saint-Sulpice en a parlé à M. L'archevêque qui a voulu se plaindre d'un tel scandale dans Paris. On dit que M. le comte d'Argenson lui a répondu qu'il n'était pas bien informé, que rien n'était plus rangé que cette maison, qu'il n'y avait point de bruit: "Cela se passe de façon, monseigneur, lui a-t-il dit, que vous et moi pourrions y aller."


Un cordon d'Angleterre. On savait parler en ce temps, Messieurs!

Combien la petite aiguière?

Sollers parlant de Céline à la Grande librairie, c'est vraiment trop pour moi, et pour Sollers et pour Céline! Même en période de vacances! J'ai du mal à supporter la fatuité du premier et le style de l'autre. Jamais pu m'y faire!

Depuis deux jours, aller-retour incessants jusqu'à un dépôt-vente pour me débarrasser de certains meubles et objets dont je ne voulais plus. Aucun regret, même pour une petite bibliothèque à moi offerte par ma grand-mère pour mes dix-huit ans. L'appartement commence à respirer et peu à peu, j'y respire moi-même un air différent. Pièces moins encombrées, mise en valeur de choses que j'aime; bientôt on pourra presque y organiser des concours de patins à roulettes. Je vois même le fond de mes étagères blanches, c'est dire! Au deuxième voyage, j'ai vu s'en aller des objets à moi rachetés par des inconnus à qui ils plaisaient, une petite aiguière en poterie de pacotille décorée à l'antique et achetée il y a presque aussi longtemps en Sicile. Tant mieux s'ils peuvent séduire encore. Pour moi, ils ne représentaient plus rien. Le soleil était là, et c'est ce qui comptait.

J'ai constaté aujourd'hui, alors que je n'y prêtais plus attention, que les plaques sur la boîte aux lettres et la porte d'entrée portaient encore le nom de Pierre. En les voyant réapparaître, alors qu'elles m'étaient invisibles depuis plus de cinq ans, j'ai décidé de les changer. N'y figurera plus que mon nom, ce qui correspondra à ma vie actuelle et à la réalité des faits. La non plus, pas d'hésitation.

J'ai aussi, cet après-midi, jeté de nombreux cours et de la documentation dont je n'ai plus l'utilité, en faisant tout de même attention à ne pas toujours céder à ma fièvre attiléenne . J'ai déjà fait des bourdes en agissant trop vite. Je n'ai que très peu parcouru ce que je jetais. Suffisamment pour voir la somme monstrueuse de travail que j'abattais il y a quelques années, retrouver des tocades pédagogiques ou mythologiques, à une époque où j'étais plongé dedans. Entraperçu un fragment de journal intime écrit en 75 sur un grand cahier trouvé à Uzès, aux pieds du palais ducal. Je ne l'ai pas relu avant de le déchirer. Tout ceci ne m'intéresse plus. Quant à l'enseignement, je préfère vivre les trois dernières années d'enseignement à l'instinct. D'ailleurs, qui viendra vérifier. Et puis, j'ai tout de même un peu de bouteille...

3 mars

France Gall - Ne sois pas si bête (1963)

mercredi 2 mars 2011

Un et pas d'autres

Il y a des êtres que l'on aime pour des tas de bonnes raisons: parce qu'ils sont beaux, parce qu'ils ont du charme, parce que leur conversation est intéressante, parce qu'ils sont cultivés, parce qu'ils font bien l'amour, parce que leur voix vous fait vibrer, parce que, pour leur sourire, vous vous damneriez, parce qu'ils vous emmènent au restaurant ou à l'opéra et qu'ils sont attentifs à ce que vous dîtes, pour leur parfum, la couleur de leur voiture, leurs yeux où vous vous noyez, le pli de leur épaule ou leur main sur votre ventre, la nuit, leur souffle quand ils sont étendus, endormis, auprès de vous, leur rire ou leur mélancolie soudaine.

Le mystère, c'est quand on aime un homme sans chercher pourquoi, quand l'évidence est là, sans explication, aussi imparable que le lever du soleil un matin d'été. On est bien avec lui. On n'a pas besoin d'en savoir la raison. Il est là et cela suffit. Il n'est pas là et il vous manque. Vous savez ses qualités, vous lui trouvez des défauts, il vous exaspère, vous lui en voulez parfois d'être ce qu'il est. Mais c'est lui, tel qu'il est, que vous aimez. Entier.

Dîner

Ce soir, j'ai bu du vin blanc. Je n'ai pas sommeil. Au restaurant, avec Marie-Claire, nous avons longuement bavardé, comme toutes les fois, rares, que nous nous voyons. J'ai attendu dans son cabinet qu'elle ait fini sa dernière consultation et nous sommes allés manger près de la place Lyautey. Un restaurant qui ressemble un peu à la Brasserie des Brotteaux où nous avions dîné il y a quelques mois.

Elle revient d'un voyage en Turquie, à Patmos et Ephèse, sur les pas de Saint Jean, qui l'a beaucoup marquée. Mais ce qui m'a le plus touché, c'est ce qu'elle m'a dit sur son désir d'écrire, nouveau pour elle qui s'est longtemps mutilée de ce côté-là. Après avoir été éjectée salement du centre scolaire où je travaille, elle a suivi une formation de psycho et est maintenant apaisée sur ce passé douloureux. La voir partante pour ce voyage dans les mots m'enchante.

Soirée douce avec une femme apaisante qui ne juge rien ni personne et sait écouter et prendre le recul nécessaire quand il s'impose. Nous avons trois mois d'écart, presque jumeaux, et suivons des chemins parallèles et différents à la fois. Aux beaux jours, j'irai la voir dans sa belle maison de l'Isère, où j'avais emmené Kicou peu de temps avant sa mort. C'est avec Marie-Claire que nous avons partagé les derniers moments de vie de notre amie à l'hôpital des Charpennes, lorsqu'on l'avait admise dans un service de soins palliatifs. Je l'avais appelée et nous étions ensemble allés lui rendre visite dans sa chambre en semi-pénombre. En sortant, nous avions compris tous deux qu'elle venait de nous dire adieu. Elle y est morte deux jours plus tard.

Marie-Claire avait alors écrit cet adieu pour Georges, le mari de Kicou. Elle m'avait ensuite lu de grands extraits de cette lettre et avait, elle, su trouver les mots que moi, je n'ai jamais pu tracer.

mardi 1 mars 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (5)

Le même morceau, du même grand par un autre grand!
René Jacob et la Petite Bande, Gustav Leonhardt. Messe en Si mineur de Bach, Agnus Dei.