mercredi 30 mars 2011

Soufre

A huit ans, j'ai réintégré la cellule familiale. Mes parents habitaient une ferme, comme souvent dans ce pays minier cernée par les vestiges d'anciens puits abandonnés. Le terrain n'y était pas très stable et, pour s'en rendre compte, il suffisait d'observer notre assiette quand ma mère avait servi la soupe: presque vide d'un côté, débordante de l'autre. Les prés aussi gardaient les cicatrices de cette vieille activité souterraine: des crevasses s'y étaient formées au fil des années, que nous appelions "fandars" et que les adultes nous interdisaient d'approcher, craignant sans doute un éboulement. Mais quel terrain de jeu idéal pour des enfants de notre âge!

Pour se rendre chez le coiffeur qui s'occupait de nos têtes, (un espagnol sans aucune formation à qui nous demandions une coupe bien rase pour éviter qu'il ne massacre notre chevelure par de trop intempestifs coups de ciseaux. C'était un crève-cœur pour moi de voir s'accumuler sur le sol en carrelage toutes mes bouclettes serrées que les filles m'enviaient), il fallait faire plusieurs kilomètres à pieds à travers ces paysages de ruines industrielles.

Je me souviens très bien de l'endroit du chemin qui m'impressionnait le plus et, à la fois, me fascinait à chaque passage: un fossé d'où se dégageait régulièrement une espèce de fumerolle, un peu semblable à celle que l'on observe sur les vieux volcans comme le Vésuve, simplement en moins abondante. Lorsque nous nous approchions de cette fumée blanchâtre, ce que nous ne manquions jamais de faire, nous étions enveloppés d'une forte odeur de soufre qui nous prenait à la gorge. Les bords de cette petite crevasse en était recouvert sur une épaisse couche boursouflée. Un jaune intense que j'observais avec horreur et délectation.

J'imaginais qu'il s'agissait là d'une entrée de l'Enfer et que Satan attendait plus bas sa proie imprudente. Je n'avais pourtant pas encore appris l'existence de ces portes des Enfers dont l'Antiquité gréco-latine a parsemé ses paysages tourmentés et le lac Averne n'évoquait encore rien pour moi, mais point besoin de la mythologie méditerranéenne: la formation judéo-chrétienne que nous inculquait ma mère suffisait grandement à nous terroriser.

Et pourtant cet endroit m'attirait à chaque fois. Je crois que c'est devant cette crevasse que j'ai ressenti pour la première fois de ma vie ce sentiment mélangé d'attirance et de répulsion qu'il m'arrive encore de connaître aujourd'hui devant un verre de cognac ou l'odeur de pourriture automnale des feuilles de peupliers. Goûter et frémir à la première gorgée, sentir et ne pas savoir ce qui l'emporte, du plaisir ou du dégoût. Je n'ai jamais avancé d'un pas dans la connaissance de ce mystère.

7 commentaires:

karagar a dit…

Au delà du paradoxe de tes sensations mêlées, as-tu percé le mystère de l'origine de la fumerolle?

Calyste a dit…

Karagar: sans doute une réaction chimique, mais je préfère garder l'aura du mystère. De toute façon, même si l'on me l'expliquait, je l'aurais oublié dans les secondes qui suivent...

D. Hasselmann a dit…

"Soufre et potasse", telle serait plus tard la devise de certains lycéens !

Cornus a dit…

Les terrils, je connais un tout petit peu, de les avoir fréquenté ici. J'ai donc une hypothèse par rapport aux fumerolles et au soufre. Il se peut que tu aies eu en face de toi un terril en combustion. Les anciens terrils, composés de schistes houillers contenaient encore pas mal de charbon (on ne parvenait qu'imparfaitement à en extraire la houille) et avec la pression et l'élévation de la température au coeur du terril, le charbon entre spontanément en combustion. Certains charbons sont riches en soufre et dégagent lors de la combustion, du dioxyde de soufre, lequel dégaze à l'intérieur du terril et parvient à la surface. Pour des raisons que j'ignore (humidité de l'air en surface ? présence accrue d'oxygène ?), le soufre pourrait être amené à précipiter sous forme solide. Bon, il ne faut pas prendre trop cette explication au sérieux, mais bon... Sinon, j'ai observé un terril en combustion, et il n'y avait pas de soufre, mais cela ne veut rien dire. Bien sûr, ce soufre peut provenir aussi des schistes et autres roches/minéraux du terril.

Calyste a dit…

Dominique: alors que celle de la jeune fille lyonnaise a longtemps été: soie pure et rayonne"!

Cornus: oui, c'est sans doute quelque chose comme ça, puisque, tout près, il y avait un terril qui, parfois, fumait légèrement lui aussi (mais, effectivement, ne montrait aucune trace de soufre, lui).

Lancelot a dit…

"C'était un crève-cœur pour moi de voir s'accumuler sur le sol en carrelage toutes mes bouclettes serrées que les filles m'enviaient, il fallait faire plusieurs kilomètres à pieds à travers ces paysages de ruines industrielles."

YUK YUK YUK...

Bon, j'ai juste supprimé une parenthèse, mais c'est délicieux, non ?

OK, ça va, je sors, je sors...

Calyste a dit…

Lancelot: mais c'est du détournement de texte, ça! Bon, je te l'accorde: c'est drôle, mais ne t'avise pas de recommencer! :-)