dimanche 30 novembre 2014

Désoukage

Ah ! je me sens un peu plus léger. J'ai entrepris un nouveau grand tri chez moi. Après la mort de ma mère, une des pièces de mon appartement s'est transformée en véritable souk. Certains objets ont déjà trouvé une place, beaucoup attendent encore de savoir quel sera leur sort.

Alors, je trie pour faire de la place. Et j'ai commencé par les papiers : classeurs, tiroirs ont été minutieusement fouillés pour les alléger un peu. Résultat : un amoncellement de sacs que je ferai disparaître progressivement. Pas question d'encombrer trop les poubelles de l'immeuble en une seule fois. Mes voisins sont gentils mais tout de même...

Dans les sacs ? Quelques documents de Pierre échappés à la razzia d'il y a neuf ans et dont je ne vois pas pourquoi je les avais gardés. Des papiers de ma mère aussi, qui ne serviront plus guère. Mais, bien plus nombreux, les miennes paperasses et là, je n'ai pas beaucoup d'hésitation. Rien que mes anciennes fiches de paye représentent à elles seules plusieurs kilos. De veilles photos jaunies aussi, uniquement celles qui représentent des sites visités autrefois. J'ai gardé les autres, celles où nous apparaissons, des amis et moi. C'est d'ailleurs assez drôle de se revoir avec une trentaine d'années de moins.

Restent les livres, dont je ne sais plus que faire. Il y a les intouchables, bien sûr, dont mes héritiers feront ce qu'ils voudront (côté neveu, je crains le pire !), mais dont je ne veux pas me séparer moi-même. Et puis encore des vêtements, ceux que je ne mets plus depuis des lustres. Je me rends finalement compte, à chaque fois que je jette ou que je donne, que, à part deux ou trois choses précises, je ne suis pas si attaché que ça aux objets. Je n'ai que très rarement regretté quelque chose que je n'avais plus.

vendredi 28 novembre 2014

Jean-Marc

Jean-Marc était mythomane mais ça, nous ne le savions pas quand nous l'avons rencontré. Un garçon mince et pas très grand qui ne m'attirait pas mais qui pouvait plaire. Il avait toujours le sourire et était d'une immense gentillesse et d'une générosité rare. Lorsque nous nous étions installés dans notre appartement, il nous avait offert de la vaisselle et quelques meubles, dont une table de cuisine. Nous étions souvent invités à dîner chez lui et ses repas étaient excellents.

Bien sûr, parfois, il évoquait à demi-mots des origines prestigieuses auxquelles nous avions du mal à croire, différents métiers qu'il aurait exercés et dont il se serait lassé, des amants à particule et châteaux en Sologne ou ailleurs. Mais, ces détails mis à part, rien ne nous permettait de remettre en cause ce qu'il disait. Et puis son amabilité faisait tout passer.

Un jour, il nous informa qu'il avait dans l'idée de reprendre une librairie dont la propriétaire partait en retraite. Idée qui m'enchantait : acheter des livres chez un ami ! Un plaisir composé, comme écrivait un sociologue dont le nom m'échappe aujourd'hui. Cela devait se faire incessamment. Ensuite, plus de nouvelles pendant de longues semaines. Pas de réponse au téléphone, personne au domicile, plus de nom sur la boîte à lettres. Où Jean-Marc était-il passé ?

Un jour, je me décidai à entrer dans la librairie qui se trouvait à deux pas de chez moi. Une dame âgée sortit de l'arrière-boutique pour me servir. Surpris, j'hésitai un instant puis lui demandai des nouvelles de Jean-Marc. Je vis très vite qu'elle ne le portait pas dans son cœur. Une espèce d'entourloupe financière qu'il avait essayé de lui faire avaler lors de la possible vente.

Depuis, nous ne l'avons jamais revu. Le souriant jeune homme s'était définitivement évaporé. Peut-être coule-t-il des jours heureux en Sologne.... ou ailleurs.

jeudi 27 novembre 2014

Youpi

Noël arrive ! Et ses réjouissances, et ses festivités, et ses agapes. Le temps des fêtes, quoi !


Avec ça, t'as plus rien.

2 euros 50 ! Qu'est-ce qu'on a aujourd'hui pour 2 euros 50. Peut-être deux cafés dans des bars qui ont oublié d'augmenter. Un tiers de paquet de cigarettes. Même pas deux tickets de métro à Lyon.

Eh bien moi, pour ce prix-là, j'ai eu une grammaire allemande Harrap's et un volumineux dictionnaire également Harrap's allemand/français - français-allemand. Pas neufs, bien sûr mais en très bon état. Eh oui, j'ai la chance d'avoir un magasin Emmaüs tout près de chez moi. J'ai été tenté de regarder si l'anglais ou l'espagnol se vendaient plus cher mais je ne l'ai pas fait, par respect pour l'allemand.

Comme vous le voyez, les choses deviennent sérieuses !

mercredi 26 novembre 2014

Deutschkurs

Et les cours d'allemand ? me direz-vous, ou peut-être ne me direz-vous pas. Ça avance, ça avance, lentement mais sûrement. Au début, le "Lehrer" allait beaucoup trop vite à notre goût et, allemand lui-même, semblait incapable d'expliquer clairement les particularismes de sa langue. Et il semblait ne pas comprendre que nous ne comprenions pas.

Résultat : une petite réunion pour quelques-uns d'entre nous après les cours, sur le trottoir. De l'avis général, il fallait faire quelque chose. L'un des plaignants envoya donc un mail au-dit "Lehrer" pour lui expliquer nos doléances. Fort heureusement car, pour ma part, je saturais et regrettais presque de m'être inscrit.

Depuis deux cours, tout va mieux. il prend plus de temps pour expliquer, écrit davantage au tableau, a fait des efforts en explications grammaticales et, cerise sur le gâteau, sourit plus volontiers. De mon côté, j'ai plus de temps pour potasser un peu plus dans le détail. Et ça commence à rentrer. Certes pas encore au point de lire Goethe dans le texte mais ça n'a jamais vraiment été mon but.

Beaucoup de gens à qui je parle de ces cours me demandent, surpris : "Pourquoi l'allemand ?". A cela deux réponses possibles. La courte, sans commentaires, quand je vois qu'il serait inutile d'essayer de convaincre ceux qui pensent que c'est une langue très laide parce que trop gutturale : "Pourquoi pas ?". La deuxième, réservé à ceux, plus ouverts, qui sont à même de l'entendre : "Pour le plaisir". Et là, en général, une conversation intéressante s'engage.

J'ai toujours eu envie d'étudier cette langue, depuis mon enfance (et ce ne sont pas mes parents, enfants pendant la dernière guerre, qui m'ont poussé en ce sens, loin de là !). Depuis exactement le jour où j'ai découvert chez eux un très vieux livre d'allemand que je possède encore et dont je n'ai jamais su d'où il pouvait bien sortir. Comme je détestais l'anglais (pourquoi employer l'imparfait ?) et que c'était ma seule langue vivante (je faisais à côté de ça du latin et du grec), je me suis rabattu sur l'allemand dont les mots à rallonge me fascinaient.

Adulte, j'ai appris l'italien, également pour mon plaisir et parce que je voyageais souvent en pays transalpin (pourquoi encore une fois l'imparfait ?). Mais, dans un petit coin de ma tête, je gardais mon idée fixe, confortée même par le côté "intellectuel" de l'allemand et le fait que j'étais, avec le latin-grec, parfaitement familiarisé avec le système des déclinaisons.

Alors, la retraite était le bon moment pour me lancer et, par boutade, je répondrais à ceux qui ne voient pas l'intérêt d'étudier une telle langue ce que j'ai un jour répondu à un petit prétentieux qui me posait la même question à propos des langues anciennes : "Parce que ça ne sert à rien (ce que je ne crois pas une seconde), et que faire quelque chose qui ne sert à rien, c'est un luxe que peu de gens peuvent se payer."

mardi 25 novembre 2014

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (138)


C'est à vous

A vous, si cela vous dit, de mettre sous cette photo un titre, une phrase ou un petit texte qu'elle vous aurait inspiré. (Vous pouvez l'agrandir en cliquant dessus.)

Chacun son tour.

Je m'essaie en ce moment à un curieux exercice pour moi : lire deux livres à la fois. En principe, je déteste ça. C'est un peu comme lorsque je travaillais dans deux établissements scolaires très différents l'un de l'autre : je n'arrivais à me sentir chez moi ni dans l'un ni dans l'autre.

Si j'ai voulu tenter l'expérience, c'est parce que j'avais sous la main deux auteurs, l'un très connu, l'autre absolument ignoré, qui ont écrit des recueils de textes très courts. Pas question ici de roman, de s'imprégner d'une atmosphère, de s'identifier à tel ou tel personnage, de goûter à un style particulier. Ce sont plutôt des réflexions, des portraits rapidement brossés à plus de cinquante ans d'écart.

Je ne sais pas ce qu'il en résultera mais je tiens le coup pour l'instant. Disons en attendant que la littérature a considérablement évolué en un demi-siècle et que celui que je préfère actuellement n'est pas forcément celui qu'on pense.

dimanche 23 novembre 2014

Paul

Ce matin, j'ai rencontré Paul. Paul, c'était un professeur de philosophie. Il est à la retraite depuis plusieurs années. Nous n'avons jamais été réellement amis, mais nous nous apprécions mutuellement. Paul est un être lunaire, un peu retiré sur lui-même et pourtant convivial. Il a un peu grossi, du visage surtout. Paul n'est pas alcoolique, Paul n'est pas malade. Alors, les ans seuls en sont la cause.

Avec lui, jamais de conversation banale. Tout l'intéresse. il est capable de parler de tout avec une simplicité souriante. Paul est intelligent, jamais il n'impose son avis. Il est maintenant bénévole dans trois associations différentes. Il aime aussi marcher et faire découvrir Lyon à ceux qui ne connaissent pas la ville. Lui la connaît sur le bout des doigts.

Cet après-midi, c'est l'anniversaire de sa fille. Avant, il faisait son petit tour de vélo. Nous avons bavardé près d'une heure. Il faisait beau aujourd'hui à Lyon.

samedi 22 novembre 2014

Promenade urbaine











La Cravate

Ce roman était tentant à double titre : d'abord par son auteur, de mère chinoise et de père autrichien (à moins que ce soit l'inverse), ce qui n'est pas banal. Ensuite par son  thème : un hikikomori rencontre un salaryman et tous deux font un bout de chemin ensemble.

Un salaryman est tout simplement un salarier. Celui-ci a perdu son emploi et le cache à sa femme. Il part tous les matins à la même heure, comme s'il se rendait à son travail, et passe la journée sur un banc de parc public. Un hikikomori est un adolescent qui reste cloîtré dans  sa chambre pendant de longs mois parce qu'il se sent accablé par la société. Celui-ci, un jour, sort de chez ses parents et rencontre le salaryman. Ils s'apprivoisent et se racontent mutuellement leur vie.

Intéressant donc. Mais j'ai beaucoup été gêné par le style de l'auteur, tantôt extrêmement classique, tantôt haché, rendant certaines phrases presque incompréhensibles. Pas de coup de cœur donc mais on ne peut en avoir chaque fois !
( Milena Michiko Flasar, La Cravate. Ed. de l'Olivier. Trad. de Olivier Mannono.)

vendredi 21 novembre 2014

Fiction (23)



Malgré tous mes efforts, je ne pus retrouver le sommeil. Les confidences de Dorée m’avaient  troublé plus que je ne le pensais. Me revint en mémoire le jour où un ami  très proche eut son premier enfant. J’étais, si cela se peut, encore plus bouleversé que lui. Une fois que se terminèrent les embrassades et alors que la soirée battait son plein, je le pris à part et je lui posai enfin la question qui ne cessait de me hanter depuis l’annonce de la naissance : « Qu’est-ce que ça fait d’être père ? » Il me regarda bizarrement puis m’attrapa par le coude et me sourit : « Regarde ! » me répondit-il simplement en retournant vers le salon. Il n’avait pas compris l’importance pour moi de sa réponse. Je lui en voulus sur le moment mais que pouvait-il répondre d’autre, ou alors une banalité que j’aurais tout aussi mal acceptée ? 

Je n’ai, moi non plus, jamais eu d’enfants. Longtemps, je n’en ai pas désiré et pensé à autre chose. Ma vie était gorgée de plaisirs  et je la brûlais joyeusement, passant d’une relation à une autre comme le permettait alors la libération des mœurs après le printemps de 68. Que de visages effeuillés, que de peaux caressées, que de draps blancs froissés ! Je passais de l’un à l’autre, heureux de ma liberté et des découvertes qu’elle m’apportait.

Quand j’atteignis l’âge que mon père avait quand il mourut (il avait vingt-quatre ans, moi sept mois), je ressentis un  étrange malaise : je découvris qu’il était mort jeune, plus jeune que ne pouvaient me le faire deviner les photos de l’époque, du noir et blanc un peu suranné où l’on prenait la pause et où l’on tâchait d’avoir l’air sérieux dans ses habits du dimanche. Ainsi n’avait-il vécu que cela ! J’avais l’impression de démarrer ma vie, lui l’avait finie au même âge. Mais il avait eu un fils, moi. Et moi, je n’avais rien.

A quarante ans, je ressentis le même malaise, moins profondément cependant. Mon grand-père avait disparu à cet âge-là. Et j’étais toujours seul. Et toujours aussi infantile. Mon frère, moins âgé que moi,  avait déjà un garçon et une fille. Ma sœur, elle, prenait le même chemin que moi mais au moins avait-elle essayé de fonder une famille. Elle n’avait pas eu de chance, c’est tout. Alors, je me consolais en prétextant qu’avec mon métier d’enseignant, j’en avais des tas, d’enfants, même s’ils changeaient tous les ans. 

Mais la paternité resta pour moi un mystère. Que ressentait-on en voyant naître ce petit bout de chair issu de sa semence ? Quelles joies apportaient ce bébé gigotant et pleurant, ou bien souriant et tendant les bras vers sa mère ? Comment pouvait-on se sentir assez adulte pour bien faire son métier de père ? J’en étais tellement éloigné que le fait que l’on me tende un bébé pour que je le tienne un instant me mettait toujours mal à l’aise. Impression d’être impur et peur de le briser. 

Aujourd’hui, il était trop tard. L’arbre de vie s’arrêterait avec moi, le rameau stérile qui avait donné des fleurs mais jamais de fruits. C’est à tout cela que je pensais cette nuit-là, dans le noir de ma chambre où, peu à peu, les premières lueurs de l’aube s’infiltrèrent entre les interstices du volet.

jeudi 20 novembre 2014

Promenade automnale









mercredi 19 novembre 2014

Les Poissons ne ferment pas les yeux.

Après Pontalis, De Luca. Je nage dans la félicité, ce qui tombe bien vu le titre  de l'ouvrage. Encore un livre à consommer lentement, à suçoter un peu comme un bonbon, et que j'ai croqué à pleines dents. De Luca nous raconte une enfance (son enfance) près de Naples avec sa mère, et ses premiers émois face à une fillette rencontrée sur la plage.

Livre plus facile d'accès, plus aisé que d'autres mais tout aussi jubilatoire par sa façon de dire ou d'évoquer, l'originalité fréquente de sa pensée. Et j'en ai un autre qui m'attend mais je vais résister quelque temps. Enfin, j'espère.
( Erri de Luca, Les Poissons ne ferment pas les yeux. Ed. Gallimard. Trad. de Danièle Valin.)

lundi 17 novembre 2014

Marée basse, marée haute.

Jean-Bertrand Pontalis est mort en 2013. France-Inter a consacré une série démissions/interviews à cet écrivain-psychanaliste que j'aime particulièrement. Je n'ai malheureusement pas pu les suivre puisqu'elles passaient à l'heure des visites à ma mère. Mais j'étais toujours heureux de trouver, en librairie, un de ses petits livres d'essais que je dévore en une soirée.

Je pensais qu'avec sa mort, la source en était tarie. Aussi quelle surprise de découvrir, l'autre jour, ce dernier (?) opuscule ! Inracontable, comme les autres, formé de petits textes d'une ou deux pages, des sortes de Momentini de grande classe.
(Jean-Bertrand Pontalis, Marée basse, marée haute. Ed. Gallimard.)

dimanche 16 novembre 2014

C'est à vous

A vous, si cela vous dit, de mettre sous cette photo un titre, une phrase ou un petit texte qu'elle vous aurait inspiré. (Vous pouvez l'agrandir en cliquant dessus.)

Momentini

- Le moment du réveil est toujours suivi d'une impression de froid. Et si le froid profond de la mort n'était que le signe d'un grand réveil ?

- Lorsque je pense à ma mère, par bouffées, comme des accès de fièvre qui vous surprennent à l'instant où l'on ne s'y attend pas, ce ne sont pas les mauvais moments qui reviennent. C'est son sourire édenté, à la clinique, quand elle quémandait un baiser.

- Plus de 6000 inconnus sont passés hier sur mon site de photos. Du jamais vu. Presque 2000 aujourd'hui. Je me demande souvent qui sont ces gens que je ne connais pas et qui s'intéressent à ce que je fais.

- Je pense souvent aussi aux autres malades de la clinique, Yvette en particulier qui aimait tant ma mère, la douce Yvette en proie parfois à une profonde mélancolie. Je me demande ce qu'elles deviennent. Je n'ai pas le courage de retourner là-bas. Elles me manquent parfois, ces femmes que j'ai côtoyées sept ans durant.

- Devant le supermarché près de chez moi, il y a un mendiant, toujours le même, que j'ai vu jusque là coucher sous l'abri d'un balcon de l'immeuble voisin. A chacun de mes passages, il me salue d'un signe de tête en me disant bonjour, sans rien réclamer. Je lui rends fidèlement son salut. Alors, il me sourit. Un sourire dans la rue. Presque un anachronisme.

La dernière Frontière

Gallmeister, quelle maison d'édition intelligente ! Toujours mes histoires de cow-boys et d'indiens, toujours ces restes d'enfance dont je ne me suis jamais défait (dont je n'ai jamais essayé de me défaire).

La dernière Frontière est la longue traque d'une petite bande de cheyennes qui, après avoir été parqués dans une réserve inhospitalière, décident un jour de regagner leur territoire ancestral des Black Hills. Plusieurs bataillons de soldats et des civils même les poursuivent jusqu'au massacre final de la plupart d'entre eux. Quelques-uns seulement parviendront à s'enfoncer dans leurs vallées sacrées pour y disparaître.

Mais, si les civils sont des abrutis, quelques militaires doutent du bien fondé de leur traque. Splendide réflexion sur la bêtise humaine, sur les racines d'un peuple et sur le mal que peut engendrer la plus sotte rumeur.
(Howard Fast est aussi l'auteur du roman Spartacus que portera à l'écran Stanley Kubrick.)
( Howard Fast, La dernière Frontière. Ed. Gallmeister. Trad. de Catherine de Palaminy.)

samedi 15 novembre 2014

Veto photos



Un de mes rituels photographiques est de prendre les gens de dos (je devrais dire "était" car il y a longtemps que je ne l'ai pas fait). Pourquoi ceux-ci plutôt que ceux-là ? A cause d'un vêtement, d'une allure, de leur solitude ou de leur complicité. De la lumière aussi.

Pourquoi de dos ? Par respect d'abord. Je ne me vois pas me planter devant leur nez en leur demandant : "Je peux vous tirer le portrait ? Parce que les dos m'inspirent souvent plus que les faces. Et puis, bien sûr, par prudence. Au collège, chaque début d'année, on faisait signer une autorisation aux parents pour pouvoir, si le cas se présentait, photographier leur progéniture sans risquer de problème avec le "droit à l'image".

Je viens d'apprendre que, dans je ne sais plus quel pays proche de chez nous, la liberté de photographier des gens dans la rue risquait d'être supprimée par la loi. Cela même si ces personnes ne constituent que le décor du cliché et non son objet principal. Je trouve totalement débile cette mesure et espère bien que la France n'en arrivera pas là. Qu'est-ce que c'est que ce monde que l'on nous construit où tout est interdit ?

Quelle perte ce serait, d'abord pour la photographie et ensuite pour la sociologie ou l'histoire ! Les photos sont des documents très importants pour comprendre une époque, pour s'approcher au plus près de la vie des gens. Et je ne parle même pas de la valeur artistique de certains de ces clichés.

Imaginons que cette loi ait toujours été appliquée. En cette année de commémoration de la guerre de 14, pas un visage de poilu, pas une vue sur les tranchées, pas de traces de leur vie entre les combats. Et le fameux Baiser de l'Hôtel de ville (même si, paraît-il, il n'a pas été aussi pris sur le vif que cela) ? Rien, plus rien. Allez, Messieurs les censeurs, un peu de jugeote !

jeudi 13 novembre 2014

Hommage de circonstance


Elle a survécu à nombre de ses "enfants" !

Renaissance



Qu'il fait bon être mieux ! La fatigue s'en va progressivement, les douleurs néphrétiques ne sont pas revenues, la mycose au pied se résorbe progressivement et la joue gauche a considérablement dégonflé. Ma dentiste en a profité pour soigner une récidive de carie à la dent voisine de celle qui fut la cause de mes malheurs.

Enfin dehors ! Et en plus, il faisait une belle journée aujourd'hui à Lyon. Douceur et lumière d'automne comme je les aime. Alors quoi ? Il fallait fêter ça ! Des photos, bien sûr (le goût m'en est revenu), et un détour par ma librairie préférée. Et là, cerise sur le gâteau : deux nouveaux De Luca et un Pontalis sortis en poche. Pas d'Ogawa mais on ne peut pas tout avoir. Heureux, le Calyste, il était, en rentrant chez lui avec son petit sac sous le bras. Et même pas fatigué !

Fiction (22)



Dans la nuit, je me réveillai avec l’impression d’avoir oublié quelque chose. Il est étonnant de constater comment le cerveau, même assoupi, continue sans relâche son travail de recherche et ne lâche jamais le morceau. J’avais parfois aussi cette sensation à l’état de veille : un manque, un trou, un circuit qui n’arrivait pas à terme. En général, je ne parvenais à rien si je m’obstinais à chercher de quoi il s’agit. Il suffisait souvent de passer à autre chose, de se lancer dans une autre activité pour que, venue du fond, surgisse la solution. 

Ce que je fis cette nuit-là. Je me relevai et gagnai silencieusement la terrasse pour y fumer une cigarette. Le ciel était sans nuages. Sans aucun doute, il ferait beau le lendemain. Je n’avais pas encore prévu ce que j’allais entreprendre. Peut-être une virée à Florence, l’incontournable, la mal-aimée de mes villes italiennes. J’avais l’intention de revoir Santa Maria Novella, cette église-musée juste en face de la gare centrale. Pourquoi ne pas le faire le lendemain ? 

En m’approchant de ma voiture pour vérifier si j’avais encore suffisamment d’essence, je me rendis compte que celle des hollandais n’était pas là. Cela ne m’avait pas marqué le soir précédent en rentrant de Pise : j’étais encore sous le coup des révélations de Dorée et m’étais garé machinalement sans rien remarquer. Tom l’avait-il utilisée ? Je ne l’avait pas vu de la journée. Peut-être était-il parti se changer les idées ailleurs. Son humeur du matin, selon Dorée, pouvait le laisser supposer. 

Je m’apprêtais à rentrer au gîte lorsque l’étincelle se produisit. Je venais de trouver ce qui me chagrinait même dans mon sommeil : normalement, j’aurais dû rencontrer Valeria le mercredi soir. Elle m’avait proposé par téléphone ce rendez-vous afin que nous puissions faire connaissance et que je lui règle enfin le reliquat du loyer. Je l’avais complètement oublié. Je m’en voulus de cette impolitesse et me préparais à lui téléphoner lorsque je me rappelais l’heure. On ne téléphone pas aux gens en pleine nuit, même pour s’excuser d’un rendez-vous manqué. D’ailleurs, elle n’avait pas appelé non plus. Mon portable ne me prévenait d’aucun coup de fil en absence, pas plus que de l’envoi d’un sms. 

Si elle était passée pendant que j’étais à Pise avec Dorée, elle aurait sans doute laissé un mot sur la porte, ou sur la table du salon, puisqu’elle avait un double des clés, et je n’en avais pas trouvé. Par acquis de conscience, je vérifiai que je ne l’avais pas manqué, comme l’absence de la voiture des hollandais : il n’y avait rien, nulle part. Sans doute aurais-je de ses nouvelles le lendemain. Dans le cas contraire, c’est moi qui l’appellerais pour fixer un autre rendez-vous. Il n’y avait pas mort d’homme après tout. Elle avait fort bien pu avoir un empêchement et avoir été dans l’impossibilité de me contacter.

A l’étage au-dessus, tout était calme. Il me vint un instant à l’idée que j’étais seul dans cette campagne toscane, qu’une catastrophe avait eu lieu et que j’étais l’unique survivant, enfermé dans une bulle sauvegardée, comme l’héroïne du Mur invisible, le roman de Marlen Haushofer dont la lecture m’avait captivé quelques années auparavant. Un Robinson perdu qui devrait survivre solitaire jusqu’à sa propre mort. Cette idée me fit sourire : cela n’existe que dans les livres ! Et j’en lisais beaucoup trop. Le genre d’idée que je ne me risquerais pas à avouer à mes amis lyonnais, une fois rentré.