jeudi 31 mai 2012

Cognac

A la fin de mon adolescence, au moment où je vins habiter à Lyon, j'avais pris l'habitude de boire certains soirs une gorgée de Cognac. Il est bien possible que, parfois, j'en aie voler une bouteille dans le magasin de mes parents. Je ne m'en souviens pas, pas plus que d'un quelconque remords si je l'ai fait.  C'était l'époque où je pensais devenir écrivain et où Yvon parlait déjà de suicide.

J'avais découvert quelque chose qui me fascinait: alors que le goût de ce breuvage ne me plaisait pas (et continue à ne pas me plaire), son absorption provoquait chez moi une sorte de hoquet un peu semblable à celui que l'on ressent quand on est sur le point de vomir, qui me faisait grimacer pendant quelques secondes, le temps que l'alcool ait fini de descendre. La réaction de mon corps était toujours la même et je l'attendais avec impatience en me préparant à ce haut-le-cœur qui ne manquait jamais d'arriver.

On pourrait penser qu'il s'agissait d'un début d'addiction à l'alcool, pourtant il n'en était rien. Juste de la curiosité, un besoin de comprendre, d'analyser ce qui se passait en moi. Une façon aussi de me prouver à moi-même que j'étais encore en vie, que mon corps en tous cas n'obéissait pas à un cerveau endeuillé qui se croyait blasé de tout et que sa libido déjà bien écoutée avait fait descendre dans les bas-fonds de la désespérance.

On aura compris que, si je n'aimais pas les autres, je m'aimais encore moins moi-même. On aura sans doute aussi compris que, face à ce souvenir, je n'arrive pas à écrire quelque chose de logique et de sensé.

mercredi 30 mai 2012

Des mots démodés (3)

"Livre" semble bien faire partie du lot. Non pas le livre (mais pour combien de temps encore ?) mais la livre, ces cinq cents grammes que l'on n'appelait pas autrement autrefois. En faisant des courses chez un boucher dans le Jura, j'ai entendu cette conversation sidérante:
- Une cliente devant moi: "Mettez-m'en une livre."
- Le jeune apprenti du magasin (une vingtaine d'années tout de même): "Ça fait combien de grammes, ça ?"
Ceci dit le plus sérieusement du monde.

Le féminin serait-il maudit ? Car dans la semaine, j'ai parlé à mes élèves d'une lieue, celle qui, avec ses six compagnes, ont fait la réputation de certaines bottes de conte. Un élève m'a interrompu pour me dire que je me trompais et que l'on disait "un" lieu. S'en est suivi bien sûr un petit cours sur les homophones où j'en ai profité pour leur apprendre ce que c'était qu'un enseigne,.... avant de m'apercevoir qu'ils ne savaient pas davantage ce qu'était une enseigne. Je me suis senti tout "chose"!

mardi 29 mai 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (108)

 Frédérik Mey, J'aimerais bien être mon chien.

Ecoeurement

Passage sans doute éclair ce soir. Pas envie d'écrire. Je suis écœuré par la réunion de tout à l'heure, au collège. Ce que je craignais est bien en train d'arriver, malgré toutes les dénégations entendues en face à face: notre méthode innovante d'enseigner est en train de vivre ses derniers mois.

 Bien sûr, on ne nous l'a pas annoncé comme ça, tout de go. On nous a d'abord demandé de répondre à un questionnaire en forme de bilan de ce projet vieux de presque dix ans. La lecture en a été faite ainsi que le compte rendu, tronqué, détourné, où seuls ont été mis en avant les points négatifs ou à améliorer. Résultat, alors que 66% des réponses demandaient à poursuivre la méthode, réduction de moitié des horaires consacrés à ce projet l'an prochain. Et ensuite ? Faut-il que je joue les Cassandre ?

 Ainsi, des heures de réflexion, de mise en place du dispositif, de travail acharné pour préparer les cours nouvelle façon sont balayées par une décision unilatérale et orientée. Exit ces idées d'intellos, de pédagos, comme nous surnomme notre directeur général. Haro sur tout ce qui dépasse, sur tout ce qui ne rentre pas dans une norme étriquée et qui n'a, en fait, jamais fait ses preuves.

 J'ai pensé à Gilles ce soir, lui qui avait tant donné pour conceptualiser cette démarche pédagogique et que l'on a dernièrement gentiment prié d'aller se faire voir ailleurs. Le cadavre n'est pas encore froid que l'on danse déjà dessus! Mais ce qui me choque le plus, c'est le nombre de mes collègues qui n'ont pas dit un mot de protestation, qui se comportent comme des moutons bêlant prêts à faire tout ce qu'on leur impose. J'ai bien essayé, ainsi que quelques autres, d'argumenter, de défendre ce qui avait été mis en place, mais j'ai vite compris, aux réponses que l'on me faisait, que tout était déjà plié: on décide maintenant à notre place. Est-ce la meilleure façon de motiver le corps enseignant? J'en doute.

 Je le redis encore une fois: je ne serai pas mécontent de quitter bientôt cet univers où je ne reconnais plus rien de ce que j'ai vécu avec bonheur et enthousiasme pendant de nombreuses années, où je ne me sens plus chez moi.

lundi 28 mai 2012

Le Jura: mieux que des mots, des photos

Première visite: la fruitière, bien sûr!
Les premiers pas de Frédéric avec son nouvel appareil photos. Près de lui, son mentor!
Promenade sylvestre, par pas loin de 30° au soleil.
Aperçu de la faune locale.
et de la flore, des bois et des jardins.
L'habitat évolutif.
Et, pour finir, une belle surprise avec ce Calvaire aux allures bien bretonnantes!











Est-il besoin de rajouter que ces deux jours furent bons, excellents même ?

vendredi 25 mai 2012

Logique

Il avait vu un petit poisson. "Tiens, dit-il, un petit poisson!". Forcément, il s'était arrêté au bord de la rivière pour le regarder. Comme son ombre ne portait pas sur l'eau, le petit poisson ne l'avait pas vu et continuait à tourner de ci de là, à la recherche de quoi au fait ? Il ne savait pas lui donner un nom, il n'y connaissait rien en poissons. Tout juste aurait-il pu dire que c'était un poisson d'eau douce, puisqu'il était au bord d'une rivière.

Alors il décida que c'était un bébé truite : après tout, personne ne viendrait vérifier lorsqu'il aurait raconté sa rencontre, si quelqu'un, jamais, venait vérifier. D'ailleurs, pourquoi pas une truite ? C'était plausible après tout. Des truites, il y en avait dans les rivières. Et puis, quelle importance ? Ce qui l'avait arrêté, ce n'était pas le poisson lui-même, encore moins sa catégorie, mais le brusque frémissement de l'eau et, après, les reflets sur le dos ondulant.

Comme d'habitude, il rapprocha ce hasard de ce qu'il connaissait mieux. Il pensa à La Fontaine, à Hemingway, à un roman dont il avait oublié le titre mais qui l'avait passionné, et puis, finalement, à Jonas, tout en se disant que, là, vraiment, il fallait avoir de l'imagination. Il ne poussa pas jusqu'à Jules Verne parce qu'au moment où il allait y penser, le poisson disparut sous une pierre. Il attendit un peu mais, le poisson ne réapparaissant pas, il se dit qu'il avait mieux à faire que de regarder les poissons, surtout ceux, comme celui-ci, qui n'en faisait qu'à leur tête. Alors il se redressa et se dit "Arrête", ce qui est bien le moins que l'on puisse se dire pour un poisson.

Et il reprit son chemin à travers la campagne, sûr au moins que, dans les champs, il ne verrait plus de truites, ni de brochets, encore moins de baleines. Et puis, ce qui paissait là-bas, au milieu de l'herbe grasse, il n'avait aucun doute sur ce que c'était : un rhinocéros !

Momentini

- Retrouvé Patrick et Francine après un bon mois d'absence: mousse de poisson pour Frédéric, lapin à la moutarde pour moi. Un régal. Après, une heure pour rentrer chez moi: quartier de Perrache bloqué par la circulation.. Lyon devient invivable de ce point de vue-là!

- C'est presque décidé: je quitte ma dentiste! Il y en a certainement des aussi bien plus près de chez moi et elle, elle commence à me gonfler avec ses retards incessants et ses remarques du style: "C'est vraiment dommage que vous ayez recommencé de fumer...".

- Nouvelle organisation des deux magasins chez Decitre, à Bellecour: littérature générale dans le premier, polars dans le second. Je n'ai rien acheté: c'est dire si j'étais énervé!

- Demain, Jura, jusqu'à dimanche ou lundi. La petite chambre tout en haut, sous les toits, chez Colette. pas très confortable  (pas Colette, la chambre!), mais je l'aime bien (et Colette aussi!).

Sans paroles

jeudi 24 mai 2012

La Bénédiction inattendue

Pourquoi est-ce que j'aime tant cette femme ? Elle a dix ans de moins que moi, elle est japonaise, je ne l'ai jamais vue, tout ce que je sais d'elle, c'est à travers ce qu'elle écrit, masquée derrière sa fiction. Et pourtant, jamais elle ne m'a vraiment déçu.

Et cette fois encore, je regretterai de refermer son livre dont il ne me reste que quelques pages à lire, ceux du dernier récit de ce recueil qui en comporte sept. Je ne saurais dire lequel j'ai préféré: Yoko Ogawa m'a emmené une fois de plus avec elle dans ses lignes au style simple et fluide où elle explore sa nécessité d'écrire et les chemins que prend la création pour éclore. Un grand classicisme orné souvent de glissades imprévues, d'images d'une beauté à couper le souffle, d'une ambiguïté à chasser le sommeil. Ah! que je l'aime, celle-là!
( Yoko Ogawa, La Bénédiction inattendue. Ed.Actes sud Babel.  Trad. de Rose-Marie Makino-Fayolle.)

Impro, deuxième séance

C'était cet après-midi. Un peu d'appréhension de ma part: auront-ils vraiment pris ce jeu au sérieux? Eh bien, oui, ils ont travaillé, les petits, enfin presque tous, mais même ceux qui n'ont guère d'imagination ont fait preuve de bonne volonté. Ils ont tenu compte des conseils prodigués à la séance précédente: ne pas tourner le dos au public, situer les lieux, les objets virtuels sur la scène, travailler les mouvements, améliorer l'expressivité du visage, imaginer l'avant et l'après de la scène pour mieux s'imprégner de l'atmosphère à rendre, décomposer les gestes, ne pas aller trop vite, rester concentré sur le sentiment à rendre.

Résultat: pas mal, plutôt bien même pour des élèves de cet âge-là. Beaucoup ont réussi à vaincre leur timidité, leur pudeur, ces réticences à se montrer "corporellement" à un stade de leur évolution qui ne s'y prête guère. Quelques-uns se sont littéralement "lâchés", au point, pour la colère, d'en avoir le visage rubicond! Certains avaient apporté quelques ustensiles, surtout utiles à occuper leurs mains dont ils ne savaient que faire  la première fois. La meilleure idée: pour le sentiment de peur, une souris mécanique qui s'est promenée un moment sur scène, et dont l'arrêt du mécanisme a correspondu ( chance heureuse ?) avec le coup de grâce donné par le personnage tétanisé. Deux ou trois voulaient même recommencer pour améliorer leur performance. Il a fallu que je les mette dehors! C'était bien la première fois qu'à la fin d'un cours, ils n'entendaient pas la sonnerie!

mercredi 23 mai 2012

Gageure

Frédéric, ce soir, m'a susurré au creux de l'oreille: "Mon amour adoré". C'est tellement peu notre façon habituelle de nous parler que je lui ai dit vouloir immortaliser ce moment en l'écrivant dans ce blog. Il a fait le pari que je n'en étais pas capable. La preuve! Bonne lecture, amore....

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (107)

 Grieg, Peer Gynt (Chanson de Solveig)

Pour le plaisir

Écrire pour le plaisir, sans rien avoir à dire, juste pour le plaisir. Écouter le cliquetis que font les doigts sur le clavier, comme autrefois l'on aimait tremper sa plume dans l'encrier et entendre le grincement du métal sur le papier qui se noircit, plus intime que celui de l'ardoise, plus pérenne aussi. Sentir sous la pulpe de chacun le contact à la fois dur et chaud des lettres qui ne demandent qu'à apparaître, qui ne s'inquiètent pas du sens et que parfois souligne le rouge du gendarme. Remplir une ligne puis l'autre, vite, comme si l'on avait à franchir un obstacle, tenter de rattraper le cerveau vagabond avant qu'il ne s'endorme. Ne penser à rien d'autre qu'à l'hédonisme immédiat que distille à la fois le contact et le non-sens, et le noir sur le blanc, négatif d'un cliché que l'on oubliera tout à l'heure. Pas de message, pas de plainte, juste ce petit plaisir d'avant coucher, inutile et stérile comme une somme que l'on ne lira pas, futile comme le bruit des gouttes frappant sur le carreau. Pas d'autre trace car demain asséché. Un mot qui fait écho, un autre lui répond, en majeur, en mineur, sans souci que d'harmonie des deux. Des mots qui sont musiques et qui ne disent rien, sauf au bout de mes doigts.

mardi 22 mai 2012

Pages marquantes (39)


Moesta et errabunda

Dis-moi ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l'immonde cité
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe?

La mer la vaste mer, console nos labeurs!
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!

Emporte-moi wagon! enlève-moi, frégate!
Loin! loin! ici la boue est faite de nos pleurs!
— Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe
Dise: Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate?

Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté pure le coeur se noie!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé!

Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
— Mais le vert paradis des amours enfantines,

L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l'animer encor d'une voix argentine,
L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?

Charles Baudelaire

Donne-moi à boire

Des mots. Peu. Ou alors toujours les mêmes: "Tu as bien dormi ?", " As-tu fait un tour au parc avec Jacqueline?" "Qu'est-ce que tu as mangé à midi?". Parfois, elle ne comprend pas. On répète et puis on abandonne. Parfois, elle répond. elle essaie, et puis une autre idée passe, qui était bloquée depuis quand dans son cerveau, et qui vient éclore à ce moment, où elle n'a rien à faire. "Oui, oui.' On essaie de suivre la nouvelle direction mais la parole s'embrouille, un mot pour un autre, un borborygme pour un mot. Alors, elle revient à ceux qu'elle connaît, qui ne la trahissent pas. "Donne-moi à boire.". Et la main essaie de tenir le verre à moitié rempli par précaution. J'attends qu'elle demande la serviette. Encore quelques mots sauvés. Pour combien de temps? Son regard se perd dans la télévision où l'on pose des questions stupides qu'elle n'entend pas.  Des éclairs aussi, par intermittence, certains jours. Un souvenir d'il y a longtemps, un nom d'amie d'enfance, une photo sur le mur au-dessous du buis béni. "Ton père, tu y penses parfois?"

D'autres fois, la tyrannie, les ordres crépitants, pas de merci, l'impératif craché entre les chicots de sa bouche, la méchanceté pure, car elle s'est encore faire mal. La haine de son état lui fait haïr les autres. Elle reprend vie alors, son corps tremble, elle essaie de s'enfuir du fauteuil qui l'emprisonne, ses yeux sont des couteaux, elle oublie qu'elle n'est plus qu'un misérable corps que l'on parvient parfois à faire marcher du fauteuil à la porte et de la porte au lit. Elle souffle, elle étouffe et puis elle renonce. "Donne-moi à boire."

dimanche 20 mai 2012

Des mots démodés (2)

Il m'a fallu fournir de gros efforts, il y a quelques années, pour que le mot "lampadaire" me vienne naturellement à la bouche lorsque je voulais parler des éclairages publics. Un mot simple pourtant, et banal, mais que je devais chercher avant de le prononcer. Pourquoi cette difficulté? Parce qu'élevé par une grand-mère née en 1885, j'ai toujours entendu dans mon enfance celui qu'elle employait, elle, et qui avait très longtemps correspondu à sa réalité. Un mot que je ne prononce plus, parce que personne ne le comprendrait, mais que je trouve tellement plus beau: "bec de gaz"!

Drame en trois actes

Les derniers Grizzlys

Je parlais de grands espaces il y a quelque temps et, sur ce point, j'ai été servi avec le dernier livre que je viens de refermer: Les derniers Grizzlys, de Rick Bass. Récit de trois expéditions dans les montagnes de San Juan au Colorado, ce bouquin est passionnant.... presque jusqu'au bout. On y voit des spécialistes chercher éperdument les traces de ces ours à part qui auraient officiellement disparu de ses contrées  mais dont la rumeur prétend qu'il en reste encore. Aventures donc, où la découverte de la moindre crotte des plantigrades prend des allures d'aboutissement d'une improbable chasse au trésor. Mais quête initiatique aussi, pour le journaliste qui y participe et qui en vient bien vite à faire un pont entre la disparition des ours et celles des humains qui les ont anéantis. Plaisir donc à côtoyer les sommets arides ou couverts de sapins, à traverser les torrents glacés, à dormir en bivouac au bord des précipices, à espérer sans cesse l'apparition de l'un de ces géants et à ne pas toujours être déçu. Mais, à mon avis personnel, le récit de  la troisième expédition est de trop et ne fait que répéter ce que l'on a compris depuis longtemps. Maintenant, je retourne au Japon avec un petit recueil de récits, de Yoko Ogawa bien sûr...
( Rick Bass, Les derniers Grizzlys, Ed. Gallmeister. Trad. de Gérard Meudal.)

samedi 19 mai 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (106)

Mozart, Les Noces de Figaro. Dietrich Fischer Dieskau

Momentini

-Les chats noirs, ça existe! Pas besoin d'aller chercher bien loin: vous en avez un devant vous. Il suffit que je décide de quitter Lyon quelques jours pour qu'invariablement le temps se détraque, il suffit que je sorte faire deux ou trois courses sans parapluie pour me faire arroser par la pluie, quand ce ne sont pas des grêlons pas prévus au programme. Voir une exposition? C'est le jour de fermeture. Chercher un magasin que j'aimais: il a disparu. C'est quoi, ça ?

- Des gens meurent tous les jours, mais ça arrive parfois par cascade. Ainsi, cette semaine Donna Summer et Dietrich Fischer-Dieskau. On a beaucoup parlé de la première, je n'ai rien entendu sur le second. Heureusement, P.P est là! Pas le même style de musique, c'est sûr, mais je les appréciais tous les deux, l'une pour m'avoir fait danser tant et plus il y a quelques années, l'autre pour, entre autres, l'avoir entendu à Salsbourg, au festival, aux côtés de Kiri Te Kanawa , de  Mirella Freni et de  Hermann Prey dans Les Noces de Figaro de Mozart mis en scène par Jean-Pierre Ponnelle. Je ne risque pas d'oublier: j'étais assis à côté de Patrice Chéreau!

- Après-midi appliqué: remise en ordre de mon site de photos Flick'r, que je négligeais depuis quelque temps. Il est maintenant presque à jour. Ne manque plus que le mois de mai de cette année. Transfert également de plus d'un an de clichés sur un disque dur externe pour alléger celui-ci, devenu beaucoup trop poussif à mon goût. Mais quel temps ça demande!

- J'ai de plus en plus envie de reprendre la course à pieds. Je ne connais rien qui m'équilibre davantage. En espérant que le dos tiendra bon. Tiens, encore un rendez-vous médical à prendre, chez le podologue pour de nouvelles semelles. Fait pas bon vieillir, ma brave dame!

- Deborah, vous connaissez? Moi non plus, ce qui ne l'a pas empêchée de m'envoyer un SMS m'invitant sur son site. Devinez ce que j'ai fait!

- Resté aujourd'hui sur la sérénité d'hier. J'aime ces courtes escapades culturelles ou/et gastronomiques. Bientôt, je l'espère, elles seront plus fréquentes. Quelques trimestres encore et le compte y sera!

Brou la belle

Une journée un peu hors de tout que ce vendredi. Mal commencée avec un départ de Lyon sous la pluie, direction Bourg-en-Bresse pour visiter le Monastère royal de Brou, à l'entrée de la ville. Un petit tour dans le centre auparavant, où nous rencontrons Louis, un ami bressan, qui nous offre d'abord l'apéritif puis nous invite à déjeuner à la brasserie du Théâtre. Je crois n'avoir jamais mangé de rognons aussi bons, cuits juste ce qu'il faut, c'est-à-dire encore rosés, et fondants sur la langue.

Puis Jean-Claude, qui en a eu l'idée, nous conduit jusqu'à Brou. Frédéric et moi ne connaissons pas. D'après le dépliant touristique, la visite est censée durer une heure trente. Nous y resterons trois heures, tant c'est beau et intéressant, d'autant que, cerise sur le gâteau, le Musée propose en ce moment une exposition sur Gustave Doré, dont la famille a séjourné à Bourg.

Le monastère a été édifié au début du XVI° siècle sur le site d'une nécropole gallo-romaine puis burgonde, à la demande de Marguerite d'Autriche, la fille de l'empereur Maximilien de Habsbourg, pour perpétrer l'amour qu'elle portait à son mari défunt, Philibert le Beau, duc de Savoie. Elle devait l'aimer, Marguerite,  son Philibert, pour avoir réussi un tel chef-d'œuvre! On reste bouche bée devant la splendeur de ce site aux dimensions royales, puisque l'ensemble comporte, fait unique en France, outre l'église elle-même, trois cloîtres, deux salles capitulaires et pas moins de 4000m2 de communs pour douze moines seulement.

L'église, chef-d'œuvre du gothique flamboyant flamand,  surprend par ses contrastes pourtant pleins d'harmonie: si le chœur est décoré à profusions de dentelles de pierre ciselées comme des joyaux, la nef, qui en est séparée par un jubé orné d'une végétation luxuriante, est d'une sobriété rare pour du gothique. Le choeur contient trois tombeaux: celui de Marguerite de Bourbon, en enfeu dans le mur sud, celui de Philibert le Beau, veillé par dix gracieuses sibylles et celui de Marguerite d'Autriche, surmonté d'un baldaquin monumental.

Le premier cloître, conçu comme un lieu de transition entre le monde extérieur et les bâtiments des moines, accueillait les hôtes de passage. Le second, dit grand chœur et destiné aux moines, s'ordonne sur une disposition semblable, de galeries hautes et basses, à celle du premier. Le troisième est le plus surprenant car de style bressan que, personnellement, je n'avais encore jamais vu. Pavé de galets, il était réservé aux communs et desservait le réfectoire, la cuisine, le chauffoir, les fours, la procure, une chambre pour les domestiques et une prison. Le dortoir et les cellules se situaient à l'étage du bâtiment principal et abritent aujourd'hui le musée.

L'exposition Gustave Doré montrent des œuvres très intéressantes de cet artiste que je connaissais, bien sûr, par les illustrations de la Bible, ou de La Divine Comédie, et dont j'ai appris aujourd'hui qu'il avait été également caricaturiste, peintre et sculpteur aux différentes périodes de sa vie.

Trois heures de bonheur pur sans lassitude, sans ennui, qui se sont terminées à la terrasse du petit café d'en face devant un verre somme toute bien mérité!

jeudi 17 mai 2012

Jeux d'enfants

Paris, Ile de la Cité

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (105)

Claude François, Le Jouet extraordinaire

Le jouet

L'enfant avait eu un nouveau jouet. Comme ça, pour rien. Ce n'était ni sa fête, ni son anniversaire, ni la période de Noël. Pour rien. Ou plutôt parce qu'il avait fait un beau caprice, comme il savait si bien les faire, quand son ancien avait refusé de continuer à jouer. Un si beau caprice, si fort, si bruyant, si proche de l'hystérie que sa mère, excédée, avait fini par lui offrir celui-ci, en espérant que l'ancien serait vite oublié.

D'abord, il le trouva à son goût. Un jouet de petit garçon, tout neuf et pas compliqué à faire fonctionner. Bon, il lui semblait moins beau que le précédent mais puisque l'autre ne voulait plus rien savoir. Il l'observa d'abord, un long temps où, parallèlement, pour masquer son analyse, il lui prodigua toutes les caresses du monde, afin de mieux le séduire. Le jouet avait l'air d'aimer ça et, lorsqu'il le mit en route, tout se passa le mieux du monde. Pas de bruits désagréables, une bonne tenue. Avance par ici et il avançait par ici, recule par là et il reculait par là. Mets-toi sur le dos et il se mettait sur le dos. Un amour de petit jouet qui lui fit presque oublier l'autre. Il était déjà beaucoup moins compliqué et semblait heureux, pleinement, que le petit garçon passe autant de temps à jouer avec lui.

 Bien sûr, le petit garçon se réservait le droit de l'abandonner parfois, dans un coin de la chambre, pour rejoindre celui qu'il avait utilisé si longtemps auparavant. Le jouet attendait et, lorsque le petit garçon revenait, les jeux reprenaient avec autant d'entrain, si ce n'est plus, car l'autre, malgré quelques velléités de vouloir participer, se bloquait toujours rapidement, ce qui provoquait la rage du petit garçon et sa tendresse accrue pour celui qui lui obéissait.

 Et puis, un jour, alors que rien ne le laissait prévoir, le jouet blessa le petit garçon qui, inconscient du danger, ne l'avait pas ménagé. Le jouet se serait-il rebellé? L'enfant ne pouvait y croire, tant il était sur d'en être le maître incontesté. Cela le vexa à tel point qu'il envoya, d'un coup de pied rageur, voler le jouet à l'autre bout de la pièce. Il ne regarda pas pendant deux jours, occupé à d'autres jeux qui le détournèrent de sa colère. Un matin, il se souvint de lui et revint le prendre au pied du lit, là où il l'avait laissé. Dès qu'il appuya sur le bouton, le jouet reprit hardiment son rôle de jouet.

 Mais le petit garçon en avait gardé une sourde rancœur et, à partir de ce jour-là, il multiplia brimades et froideurs, oublis et silences. Pourtant, chaque fois, au bout de quelques heures, il revenait auprès du jouet qu'il câlinait un peu et tout recommençait. Tout se passait dans la tête du petit garçon, car, croyait-il, un jouet, ça n'a pas de cœur. Il trouva bientôt bien plus drôle ce nouveau jeu fait de rejets et de retours que celui qui consistait bêtement à se plier aux indications de la notice. Alors, cela dura, dura, et le petit jouet se retrouvait immanquablement catapulté contre un meuble ou un mur avant de retrouver sa dose de câlineries.

 Et puis, un matin, le jouet se détraqua. Il commença par fonctionner difficilement, par émettre de drôles de craquements, par partir à gauche alors qu'on lui ordonnait de filer à droite, par se mettre sur le ventre alors qu'on lui imposait de se mettre sur le dos. Mais quoi, se disait le petit garçon, un jouet, ça ne peut pas se révolter. Un jouet, ça n'a pas de cœur, ça n'a pas d'âme, ça n'a pas de volonté. Il continua à le malmener tant et si bien qu'un jour, le jouet, comme le précédent, s'arrêta de jouer. Bah, ce n'est pas grave, pensa le petit garçon, j'en aurai bien un autre. Il suffit d'un caprice pour cela.

A ce point du récit, il faudrait une morale, mais n'est pas La Fontaine qui veut...

mercredi 16 mai 2012

Bon anniversaire, Caroline

Marie-Louise Jeanne Nicolle Mourer, vous connaissez? Mais si! Il s'agit de Martine Carol, née le 16 mai 1920. Morte le 6 février 1967 à Monte-Carlo, pas très loin de Cannes, ville du festival qui ouvre ses portes aujourd'hui et où l'on semble l'avoir totalement oubliée. Sic transit gloria mundi....

Momentini

- Il parait qu'en Belgique, on installe, dans certaines écoles, des codes-barres sur les cartables des élèves pour davantage surveiller leurs mouvements. Les plus futés trouveront bien la parade. En attendant, je ne serai pas malheureux de quitter la grande boutique!

- Le nouveau gouvernement a été nommé. Un vrai Mécano! Un chef-d'œuvre de diplomatie, de respect des courants, des partis proches, de  parité mathématique. Et même de couleur de peau. Mais cela est-il synonyme de compétence ? L'avenir le dira.


- Brevet blanc ce matin au collège. Toujours étonné que cela leur fasse encore de l'effet, à ces grands ados pour qui l'école, semble-t-il, ne représente plus grand chose. Sujet de grammaire et de réécriture facile, peut-être trop, à mon goût. Il est vraiment temps que je m'en aille: le dinosaure a sans doute la carapace trop dure...

- Arte se lance apparemment dans une rétrospective Almodovar, festival de Cannes oblige. Un peu facile et convenu, le choix. Mais pourquoi pas. Hier, c'était Volver, qui, à sa sortie, m'avait moyennement emballé. J'attendais avec impatience Carmen Maura et elle n'arrive que bien tard dans le film. Quant à Pénélope Cruz, elle ne fait pas oublié la Sophia Loren d'Une Journée particulière. Je n'ai pas voulu le revoir. Ce soir, Tout sur ma mère, mais je n'ai pas envie d'Almodovar en ce moment.

- Un bouquet de pivoines au salon. Ai-je déjà dit combien j'aime ces fleurs? Alors, je le redis.

- Sondage d'opinion au collège. On demande leur avis aux profs sur le projet d'innovation mis en place il y a presque dix ans. Alors que tout le monde sait que le directeur général est contre et veut le supprimer. On se fout de notre gueule! Une autre bonne rien de ne rien regretter en partant.

mardi 15 mai 2012

Pages marquantes (38)

Parfois l’enfant éprouvait un désir très insistant d’écrire certaines phrases. Et elle le faisait avec une grande application.
En voici quelques-unes, entre beaucoup d’autres :
- Partageons ceci, voulez-vous ?
- Écoutez-moi bien. Asseyez-vous, ne bougez pas, je vous en supplie .
- Si j’avais seulement un peu de neige des hautes montagnes la journée passerait plus vite.
- Écume, écume autour de moi, ne finiras-tu pas par devenir quelque chose de dur ?
- Pour faire une ronde il faut au moins être trois.
- C’étaient deux ombres sans tête qui s’en allaient sur la route poussiéreuse.
- La nuit, le jour, le jour, la nuit, les nuages et les poissons volants.
- J’ai cru entendre un bruit, mais c’était le bruit de la mer .
Ou bien elle écrivait une lettre où elle donnait des nouvelles de sa petite ville et d’elle-même. Cela ne s’adressait à personne et elle n’embrassait personne en la terminant et sur l’enveloppe il n’y avait pas de nom.
Et la lettre finie, elle la jetait à la mer -non pour s’en débarrasser, mais parce que cela devait être ainsi -et peut-être à la façon des navigateurs en perdition qui livrent aux flots leur dernier message dans une bouteille désespérée.
Le temps ne passait pas sur la ville flottante : l’enfant avait toujours douze ans. Et c’est en vain qu’elle bombait son petit torse devant l’armoire à glace de sa chambre. Un jour, lasse de ressembler avec ses nattes et son front très dégagé à la photographie qu’elle gardait dans son album, elle s’irrita contre elle-même et son portrait, et répandit violemment ses cheveux sur ses épaules espérant que son âge en serait bouleversé. Peut. être même la mer, tout autour, en subirait-elle quelque changement et verrait-elle en sortir de grandes chèvres à la barbe écumante qui s’approcheraient pour voir.
Mais l’Océan demeurait vide et elle ne recevait d’autres visites que celles des étoiles filantes.
(Jules Supervielle, L'Enfant de la haute mer)

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (104)

Pergolèse, Stabat mater.

J'avais oublié combien je l'aime.

lundi 14 mai 2012

La vie de château

Ça s'appelait Le Château, à cause de la mythologie populaire qui disait qu'autrefois une de ces bâtisses moyen-âgeuses s'y dressait pour surveiller la vallée qui n'était pas encore fermée par les crassiers que l'exploitation minière y a laissés depuis. Au XI° siècle, le chef-lieu s'était déplacé et le château aurait disparu, on se sait quand. Certains prétendaient qu'il y avait encore quelques souterrains dont personne ne connaissait plus l'accès, à l'endroit même et sous le bois du Baron, un peu plus haut sur la colline, au milieu des fayards et des châtaigniers.

Le Château! Un nom qui surprenait tous les étrangers lorsqu'ils le découvraient pour la première fois: quelques maisons pauvres autour d'un semblant d'aire en terre battue. En face, des jardins potagers où les plus orgueilleux édifiaient des puits décoratifs faits de vieux pneus peints en rouge et blanc. La terre y était noire de la houille résiduelle et ne produisait que de maigres salades et d'anémiques carottes. Dans l'un d'eux, une mare dont il était interdit d'approcher et où chacun puisait l'eau commune pour ses arrosages.

Une dizaine de ménages y étaient installés, depuis la nuit des temps ou presque. Familles de mineurs dans ce hameau oublié que l'absence de corons dispensait de la symétrie. Souvent, dans la même maison, deux ou trois générations, à chaque étage, grands-mères (les grands-pères étaient morts depuis longtemps, victime de la silicose ou du grisou), parents qui se retrouvaient le soir, après la journée de travail, quand les gueules noires rentraient du gisement, rapportant avec eux, dans les plis de leurs rides, les poussières tenaces qui leurs valaient leur nom, enfants, nombreux et gais, que la vie n'avait pas encore flétris.

Ma grand-mère habitait là, au premier étage de l'une de ces maisons, un deux pièces minuscule, cuisine et chambre,  dont l'évier, lorsque l'eau fut installée,  se cacha dans un grand placard. Sur le même palier, un couple de vieillards, mangeurs de salades et admirateurs du bain quotidien du bébé que j'étais, lorsque je devais escalader, nu, la table où l'aïeule installait une grande bassine qu'elle avait fait chauffer sur le fourneau à charbon. Au-dessus, des greniers où je n'eus jamais ni la permission ni le courage d'aller. Au rez-de-chaussée, deux appartements tout aussi exigus, l'un changeant souvent de locataires, l'autre occupé par la "Gausse" et son mari, deux bons vivants qui remplissaient l'espace, elle de ses rires et de sa bonne humeur, lui de ses querelles d'ivrogne. Tout en bas, des caves, où l'on entreposait le charbon donné par les Houillères et qu'il fallait remonter seau à seau pour les besoins quotidiens.


C'est dans la barrière à claire-voie de l'escalier qui montait au premier qu'un jour, je me coinçai la tête entre deux barreaux et que je restai prisonnier le temps que l'on s'aperçoive de ma disparition et que l'on vienne me délivrer. La libération ne fut pas aisée- j'avais (j'ai toujours) une grosse tête- et la semonce plutôt verte. Je ne me souviens pas d'autre bêtise commise par l'enfant sage que j'étais. Nous bénéficions pourtant, nous les gosses, d'une liberté de mouvements totale à condition que les horaires soient respectés. Que pouvait-il nous arriver de mal, dans ce recoin sans voitures où chacun avait l'oeil sur la progéniture de tous les autres?

Le soir, lorsqu'il faisait plus frais et que les tâches quotidiennes s'étaient taries, chacun sortait sur le pas de sa porte, apportant avec lui une chaise paillée, et la soirée commençait. Nous n'écoutions pas les conversations des grands, trop heureux de nous retrouver tous à jouer dans la cour. De quoi parlaient-ils, ces hommes cassés par le travail, ces femmes qui tentaient de sauver un semblant de dignité avec le maigre salaire que leur rapportaient leurs maris et dont, parfois, ils avaient déjà écorné l'indigence par quelques verres au café du village, ces vieilles qui avaient enfin droit à un repos tranquille? Je ne sais pas,  mais eux aussi, comme nous, riaient souvent et s'apostrophaient avec les surnoms plaisants qu'ils se donnaient depuis toujours.

Nous, les enfants, nous nous réunissions par clans, selon les âges. Les minauderies des garçons plus formés face aux filles qui se voulaient coquettes par un ruban dans les cheveux nous faisaient rire et provoquaient d'abord nos sarcasmes et nos moqueries, plaisanteries dont ils n'avaient que faire, trop occupés à leurs jeux innocemment sensuels. Nous regagnions bientôt un coin de la cour, le nôtre, celui des petits, contre le mur du jardin, et nous improvisions nos gaietés, selon l'humeur et le temps. Les filles traçaient des marelles sur le sol caillouteux et sautillaient inlassablement sur un pied, sacrifiant à un rituel mystérieux auquel nous ne comprenions rien. Nous, les  garçons, nous préférions les billes, que chacun apportait dans un sac de toile et qui, bien souvent, se fendaient en deux lors de nos compétitions, laissant voir, en leur sein, la terre dont elles étaient faites.

Mais bien souvent, garçons et filles se retrouvaient, pour des jeux en commun. Le loup, l'épervier, la clé de Saint-Georges nous prenaient le reste de la soirée et c'est toujours avec regret que nous entendions l'un des adultes sonner l'heure du coucher. Nous avions beau faire semblant de ne pas comprendre et continuer un instant à nous amuser, arrivait toujours le temps où les billes étaient remisées, la marelle effacée et les chaises rentrées. Mais nous savions que nous  retrouverions le lendemain, au même endroit, les mêmes, avec les mêmes jeux et les mêmes espoirs.

Un jour, ma grand-mère ne fut plus là. Il me fallut rejoindre les frères et sœurs qui m'étaient nés au fil des saisons, sans que j'y prenne garde, sans que leurs cris ne dérangent mes rêves de petit garçon qui se blottissait chaque nuit dans les bras de cette  femme soyeuse aux pieds déformés par la vie. Je quittai la vieille maison pour une plus vieille ferme encore, en dehors du village, en dehors des jeux et des soirs d'été. Elle était finie pour moi, la vie de château.

dimanche 13 mai 2012

Soirée sympa

Tout à l'heure, Le Trésor de la Sierra Madre, de John Huston, sur le canapé, et maintenant, au lit, Les derniers Grizzlys, roman de Rick Bass. Grands espaces....

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (103)

Hector Berlioz, Régine Crespin

samedi 12 mai 2012

Le spectacle continue

Pont de Perrache, Lyon 2°/7°

Une nouvelle

Il venait d'acheter un gâteau pour manger entre amis, le lendemain. Il avait trouvé ce qu'il voulait, un bon Saint-Honoré comme sa grand-mère en apportait autrefois quand elle venait rendre visite à la famille, en hommage à son grand-père défunt qui portait ce prénom un peu désuet aujourd'hui. Il le tenait bien droit, d'une seule main pourtant parce que l'autre était occupée avec la cigarette qu'il avait allumée en sortant de la pâtisserie. Le temps s'était rafraîchi mais on pouvait encore circuler en chemise. Les petits frissons de temps en temps, il aimait ça. Une façon comme une autre de se sentir encore vivant, par la communion au monde.

Le soir, il avait un autre repas. Il savait qu'il allait bien manger et bien boire, comme à chaque fois chez celui qui l'invitait. Il avait  failli ne pas la voir, tant elle était tassée à la bouche de métro, assise sur la dernière marche, avec sa volonté d'occuper un poste stratégique et cette autre volonté de passer inaperçue, de ne faire qu'un avec le béton qui l'entourait. Une femme de petite soixantaine, une mère de famille oubliée, proprement mise, dont le vent naissant soulevait les mèches de cheveux qu'elle essayait vainement de remettre en place. Devant elle, un petit gobelet de plastique blanc, qu'elle maintenait d'un doigt pour éviter qu'il ne s'envole.

Pas le type de mendiante habituelle, pas de celles qui ressemblent à des mendiantes. Elle n'avait pas dit un mot lorsqu'il était passé, pas de bonjour, rien à demander. Elle était nouvelle, pas encore habituée au trottoir, mal à l'aise dans son rôle improvisé. On donnait si l'on voulait. Il ne donna pas. Son pas avait été trop rapide et il n'avait pas eu le courage de faire marche arrière pour faire résonner deux pièces dans le piètre réceptacle. Mais, en rentrant chez lui, il n'avait soudain plus envie de manger.

Labyrinthe

Confluence, Lyon 2°

Des portes

Des portes, par dizaines, par centaines, ouvertes, à l'infini, comme dans un rêve récurant. Quelques-unes fermées, plus loin, qu'on se dit qu'on aura tout le temps d'ouvrir. Alors, on avance. c'est grisant, le mouvement. on ne prend pas le temps de regarder sur le côté. Le paysage ne compte pas. Qu'importe! L'important, c'est la porte suivante. On entre, on sort, très vite. A peine le temps de sentir sur soi quelque brise que l'on trouverait sans doute bien agréable si l'on prenait la peine de s'arrêter un instant pour en remplir ses sens. Tout est clair, beau, lumineux. On est sûr que ce sera ainsi jusqu'au bout. aucune raison que ça s'arrête. On la mérite, cette joie. Il n'est qu'à nous, ce bien-être. Comment pourrait-il en être autrement?
 
 Et puis, un jour, peut-être parce que la lumière a baissé, on a l'idée de se retourner et l'on s'aperçoit qu'elle se sont refermées une à une, toutes ces portes ouvertes autrefois. Bah! Il en reste tellement devant soi. On reprend sa route, en s'étonnant que le couloir devienne plus étroit, mais l'on passe, même s'il faut pour cela se contorsionner. La progression se ralentit. Qu'importe, on est encore sur la lancée, sur la vitesse acquise.

 On arrive un jour dans une pièce bizarre: la porte n'est pas tout droit, en face, pour la première fois. Il faut la chercher un peu, sur un des côtés, en tâtonnant le long des murs . Et cette lumière qui ne cesse de décliner, et ces effluves qui se font de plus en plus imperceptibles. Mais l'on passe. Les suivantes, on sait qu'il faudra un peu de courage pour les trouver. Mais on en a encore du courage, même si le pas se fait plus lourd. On ne se retourne plus, on sait que ce n'est pas la peine. Derrière, c'est clos. N'en reste que le souvenir des parfums et du soleil.

 Et puis, longtemps après, on se surprend à s'asseoir pour se reposer un instant. On se demande pourquoi on a ouvert toutes ces portes si c'est pour qu'elles se referment ensuite. On devine ce qu'il y a derrière la dernière: une obscurité profonde et le mur que l'on a toujours essayé d'éviter. Alors, on attend. Elle s'ouvrira bientôt d'elle-même, la porte ultime

vendredi 11 mai 2012

La Patience de l'araignée

Encore un! Avec un auteur prolixe comme lui, il ne faut pas s'en étonner. Lorsque je vais en librairie, il faudra que j'emporte avec moi la liste de ceux que je possède déjà, pour ne pas risquer les doublons. Parce qu'on peut oublier, tant ça se lit vite! De qui je parle ? De Camilleri, bien sûr. Je viens d'en finir un autre. le titre: La Patience de l'araignée. Toujours Montalbano, toujours Vigata, toujours Mimi, et Fazio, et Livia, et Catarella.

La seule chose qui a changé: cette fois, je l'ai vu venir le roublard, et j'avais trouvé la clé de l'énigme bien avant la dernière page.  Mais qu'importe, toujours le même plaisir à le lire, pour son humour, pour sa tendresse, pour l'émotion parfois. Et puis des chapitres qui s'intitulent: UN, DEUX, TROIS, etc., ça ne se refuse pas, ces petits plaisirs désuets. Une dernière chose qui m'a sauté aux yeux cette fois-ci: il y a du Frédéric Dard dans cet homme, la Sicile en plus !
(Andrea Camilléri, La Patience de l'araignée, Fleuve noir. Trad. de Serge Quadruppani.)

jeudi 10 mai 2012

Merci de ne pas lever le capot du piano.

Pas besoin de jouer, c'est juste pour faire joli!... A Confluence, on se veut chic mais faut pas non plus pousser!

Doute

Si je relisais un peu ce blog, je m'apercevrais sans doute du nombre de petites séries commencées et jamais poursuivies, par ennui, par manque d'inspiration, par oubli. Parmi vous, s'en trouvent sans doute, quelques-uns qui pensent parfois, en venant ici,  avoir ouvert par erreur la page des Éditions Atlas, non ? Vous savez, les Éditions Atlas, celles que l'on trouve dans les tabac-presse et qui proposent régulièrement des collections avec un premier numéro à un prix très attractif: musique, voitures anciennes, figurines de bandes dessinées, méthodes pour apprendre le crochet.... et  s'arrêtent dès que la vente n'est pas suffisante en se fichant complètement de ceux qui y avaient cru ?

Bravo à celui qui, devant le mime, osa !

Longtemps que je n'ai pas parlé du boulot. Cet après-midi, c'était improvisation. Non, pas moi, aucun de mes cours n'est réellement improvisé et je sais, sans toujours connaître les chemins que je vais emprunter, ceux que la situation va me dicter, je sais toujours  le but que je me suis fixé. Improvisation des élèves donc, en vue d'une séquence annoncée sur le théâtre. La dernière de l'année, déjà, et nous refermerons le livre pour la presque dernière fois.

Une classe de cinquième dans le théâtre de l'établissement , des préados à qui j'ai proposé diverses situations à mimer. Pas le droit de parler, rien que des gestes et des expressions du visage. Je les ai sentis ravis d'un côté et terrorisés de l'autre. C'est un âge où l'on n'aime pas se mettre en scène seul. En bande, c'est tellement plus facile. Alors, inventer une attitude corporelle, des déplacements, des grimaces pour rendre la joie, l'orgueil, la peur, la tristesse, se mettre dans la peau de celui qui est en retard, de celui qui a perdu quelque chose, au départ, ça ne les a pas emballés.

Au moment de passer, certains ont poursuivi dans la même veine pré-adolescente: "Non, non, Monsieur, pas moi le premier!" "Mais je n'y arrive pas, je ne sais pas quoi faire!" ' Trois minutes, mais c'est très long!". Quelques-uns n'ont pas réussi à garder une concentration suffisante pour entrer dans leur "rôle" et se sont vite mis à pouffer de rire en voyant leurs camarades les regarder évoluer. Ce sont en général les fiers-à-bras des cours de récréation, ceux qui se sont forgés un personnage de dominant et en sont prisonniers, ceux qui ne sont pas capables de supporter qu'on les mette en "danger".

Beaucoup cependant ont peu à peu pris ça au sérieux et ont fait leur possible pour rendre quelque chose qui, même si ce n'était pas inoubliable, avait au moins le mérite d'avoir été travaillé. J'ai vu une très belle colère, une excellente timide. Incontestablement, les filles sont meilleures dans ce jeu que les garçons! Peu ont pensé à utiliser les objets (bancs, chaises,...), qui se trouvaient par hasard sur scène aujourd'hui, pour appuyer leur pantomime mais ceux qui l'ont fait l'ont fait excellemment. Ils ont pour consigne de travailler leur intervention chez eux, en choisissant des ustensiles s'ils en ressentent le besoin, et rendez-vous dans quinze jours pour le résultat final. Je suis certain qu'il y en a qui s'en sortiront très bien.
(Pardon pour le mauvais jeu de mots dans le titre de ce billet! Je n'ai pas pu résister...)


mercredi 9 mai 2012

Indiscrétion

Nocturne

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (102)

Elle a même joué la comédie (musicale).

Au fil des rues (3)

J'ai connu le Musée des Moulages lors de mon arrivée à Lyon en 1971. Bien que la notice explicative mentionne l'année 1962 pour le déménagement de la collection dans les sous-sols de l'Université, il me semble, moi, l'avoir connue au contraire sous les combles de ce qui deviendra un peu plus tard (74) Lyon 3. J'y avais des cours d'archéologie sur le site de Delphes, en commun avec les étudiants des Beaux-Arts. Je me souviens de ces heures, le soir, passées à voyager en esprit dans les ruines que fouillait lui-même mon professeur de l'époque. Ambiance étrange de grenier où les œuvres nous dominaient, nous qui, assis à nos pupitres, griffonnions des pages et des pages pour ne pas perdre une miette de l'enseignement du maître. Je les imaginais reprendre vie une fois les locaux désertés, à la seule lumière de la lune, éphèbes peaufinant leurs déhanchés, Europe poursuivant sa course sur son taureau, jeune garçon essayant toujours en vain de s'extraire une épine du pied, œuvres de la statuaire grecque que je n'avais pas encore découvertes in situ.

J'ai retrouvé ce Musée des années plus tard, dans les locaux de l'avenue Berthelot: il occupait une partie de l'ancienne école de santé militaire où la gestapo avait torturé nombre de résistants lyonnais. Le cadre n'avait aucun charme et les moulages semblaient plus entassés que disposés pour un public éventuel. J'y suis allé plusieurs fois, pourtant, avec mes élèves, afin d'y préparer plusieurs voyages en Grèce. On lui avait attribué le nom pompeux de Gypsothèque.

 Ensuite, le Musée a encore une fois déménagé, en reprenant son nom initial. Les collections (Antiquité et Moyen-Age) ont été installées dans une ancienne usine, rue Rachais, tout près de chez moi, ce qui me permet d'y aller assez régulièrement, particulièrement lorsque l'Université Lyon 2 y propose des expositions. L'espace de l'usine, un vieux bâtiment au toit en dents de scie, convient paradoxalement très bien à ce genre de collections. J'aime, personnellement, beaucoup ce mélange d'architecture industrielle et de sculptures classiques, angles frustres du lieu du travail d'autrefois et douceur des lignes courbes de la plastique antique. Un seul regret (et encore, cela me permet d'y errer en toute tranquillité!): qu'il ne soit pas plus connu et fréquenté par les Lyonnais.

mardi 8 mai 2012

Autoportrait

Attention: le côté "bombé" vient du verre, soyons clairs!

Scoop

Je viens d'apprendre par la télévision que J-F Copé avait participé au casting du film La Boum pour le rôle du petit ami de Sophie Marceau et qu'il n'avait pas été retenu. Mais la roue tourne et il vient de tenir un rôle de premier plan dans le remake d'un autre scénario: La Gifle!

Une petite perle, en passant...

Trouvée lors d'un contrôle de civilisation latine, dans une copie d'une élève de cinquième, comme réponse à la question "Qui sont les Mânes chez les Romains ?":  

Les Mânes sont de petits dieux qui protègent le vit des habitants de la maison.

Damned! Je ne me souvenais pas avoir dit ça! Et si ces habitants n'étaient pas sages, on leur envoyait les Morpions ?

lundi 7 mai 2012

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (101)

 Jane Rhodes, La belle Hélène (Offenbach)

Momentini

- Un lundi de travail coincé entre rien et rien! Ça a l'air de quoi, franchement ?

- Le muguet a tenu une semaine. Moins longtemps que les traces des piqures de tiques.

- Les éditions Gallmeister publient aussi des polars, toujours sur fond de grands espaces américains. Je vais tenter.

- Un lundi de travail à gauche, ça ressemble comme un gant à un lundi de travail à droite. Au boulot, ce matin, pas un mot. Mines tirées. Bringue ? Déception ?

- Deux bouquins de poche pour 19 euros, ça commence à faire cher!

- Personnalités mortes un 7 mai. Comparativement à d'autres jours, finalement assez peu. Allez, honneur aux dames. Je choisis la Mère Poulard et Jane Rhodes.

dimanche 6 mai 2012

Point de vue

En 74, première année où je pouvais participer à un vote national, j'ai pleuré de déception en apprenant l'élection de Giscard d'Estaing. En 81, j'ai pleuré de joie à celle de François Mitterrand, dans les rues, au milieu de la liesse des gens de gauche. Ce soir, je suis seul chez moi et j'y resterai, sans pleurer. J'ai vieilli ? Peut-être. Mais la France aussi a vieilli, dans son économie, dans ses richesses, dans son aura de par le monde. Et le temps de la liesse est un temps révolu.

Je suis viscéralement de gauche. Il m'est pourtant arrivé de voter à droite pour défendre les valeurs de la République et de la démocratie. Je le referai si je considère que le candidat de droite est le mieux à même de défendre les intérêts du peuple qu'il représente. Je n'ai jamais eu de carte dans aucun parti et je n'en aurai jamais.

 Je souhaite de tout mon cœur que le nouveau président parvienne à respecter la plupart des objectifs qu'il s'est fixés et qu'il tienne compte d'une opposition qui, je l'espère, jouera le seul jeu capable de nous faire progresser: celui de la participation constructive. Mais sont-ce encore les politiques qui dirigent le monde?

samedi 5 mai 2012

Chez Max ou chez Fred, peu importe...

 Serge Gainsbourg, Chez Max, coiffeur pour hommes

Calvaire

Quelle confiance, vraiment, il faut avoir, pour confier sa tête à un coiffeur! Chaque jour, des milliers de gens sans doute franchissent la porte de cette boutique sans se poser de questions. Moi, la première, c'est : de quoi va-t-il encore me parler? Et lorsque je vais chez celui à côté de chez moi, j'ai déjà la réponse: de sa moto, du cousin que Cantona qu'il connaît bien, à ses dires, et de ma copine, dont il suppose qu'elle existe et sur laquelle il voudrait bien en savoir davantage. Un calvaire qui pourtant me fut évité aujourd'hui. La meilleure parade, c'est le monosyllabisme, et, ces jours-ci, je n'ai pas besoin de me forcer.

 On a beau lui dire que ses cheveux sont lavés du matin et qu'il suffit de les mouiller, non: c'est compris dans le forfait. Après, on se trimbale une demi-journée avec l'odeur de son shampoing de merde. Ensuite, face au miroir. Sans lunettes, on s'aperçoit vaguement en face, on ne peut que s'en remettre aux mains du figaro de mes deux, toujours content de lui. Ce matin, je lui ai fait reprendre le devant, trop long à mon goût. Il en a presque été vexé. Et puis, il tend le miroir, pour que l'on s'admire de nuque. Rappel: il faudrait me redonner mes lunettes. Si c'est trop court, c'est trop tard, de toutes façons. Plus qu'à attendre que ça repousse! Je vous mets un peu de laque? NON! Je vous les laisse un peu humides: les boucles n'en seront que plus jolies. Tu parles!

Une fois par mois! C'est comme, quand j'étais gamin, pour aller à confesse: obligatoire! Vaguement baragouiner ses réponses comme lorsque je récitais l'acte de contrition dont j'avais oublié une partie des paroles. Le coiffeur, comme le curé, s'en contente.  Il a fait son boulot. A toi de te démerder avec la suite. Sauf qu'un péché, ça ne se voit pas comme un nez au milieu de la figure.

Je bave, je bave, mais aujourd'hui, c'est plutôt pas mal, ce qu'il a fait, une fois le devant recoupé.

Tango Massaï

L'inverse du précédent. J'aime bien Maxence Fermine, en particulier son roman publié en 1999 et intitulé Neige. Celui-ci, Tango Massaï, dans un tout autre univers, est un petit bijou. Il m'a rappelé à bien des égards La Mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé. Même cadre géographique, l'Afrique noire, même simplicité de l'histoire, même sens de l'épopée, même économie d'un style classique et épuré, même pureté des personnages. Il y a de la poésie là-dessous. Moi, j'en redemande. (Maxence Fermine, Tango Massaï, Albin Michel)

vendredi 4 mai 2012

Deux ?

(Ou retour à la couleur, comme on veut.)

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (100)

Benjamin Britten, War Requiem.

Chaussée glissante

Encore le bruit des roues sur la chaussée mouillée. J'ai tiré le rideau, je ne veux pas voir en face.  Que font les gens ce soir? Resto, cinéma, saunas.... Je m'en fous. Je pourrais dormir cent ans, comme la belle du conte. Mais les contes, je les explique aux enfants. Ils ne sont pas pour moi. Dormir et me réveiller, m'étirer et voir ma mère jeune, pas ce chiffon froissé aux ongles qui font mal, pas ce restant de femme que l'on ne comprend plus. Tout le monde est partie: ma nièce se marie, loin. Je n'y suis pas allé, je m'en fous. Un chèque suffira. Sans le vouloir, je froisse encore davantage le chiffon. Indifférence. Pourtant, le clown n'est pas mort et seul l'œil averti ou celui qui veut bien sait que je mens. Je m'en fous. Comédie. La grande bouche tordue vers le haut du masque antique, le porte-voix du n'importe quoi prononcé avec la même fatigue que l'on déguste un plat abhorré jusqu'à la dernière miette, le dernier haut-le cœur. On me salue, comme un vieillard. Comme un fantôme. Je n'existe pas.

jeudi 3 mai 2012

Faites-moi sortir d'ici !

Boulevard des Tchécoslovaques, Lyon 8°

Une enfant du Caire

25 ans aujourd'hui qu'elle a décidé de baisser le rideau. Pas sur la scène comme elle disait vouloir le faire dans une de ses chansons. Chez elle, à Montmartre, le 3 mai 1987. Je l'aimais bien, Dalida. Un de mes premiers souvenirs musicaux fut sans doute Les Enfants du Pyrée avant que je ne connaisse la version de Mélina Mercouri. J'habitais encore chez ma grand-mère, pour la dernière année. Le disque est sorti l'année de sa mort, en 1960. J'ai connu, après, Bambino, que fredonnait régulièrement mon père quand il était content. Et puis tant d'autres, que je réécoute parfois: Les Gitans, Gondolier, Que sont devenues les fleurs, J'attendrai, Itsi bitsi petit bikini, Il venait d'avoir dix-huit ans, Je suis malade... Et Gigi l'Amoroso, la chanson préférée de Maurice, qu'il passait en boucle dans sa voiture. Je l'ai retrouvée avec bonheur dans le journal de Pascal Sevran, mort lui aussi en mai.
Pas de nostalgie dans ces mots. Juste le bonheur de me souvenir de quelqu'un qui  m'a rendu souvent la vie plus joyeuse.

L'Homme qui marchait sur la Lune

Peut-on dire d'un roman qu'il pète plus haut que son cul ? Si c'est le cas, alors, je le dis de celui que je viens de terminer: L'Homme qui marchait sur la Lune, de Howard McCord. Première déception dans cette série d'ouvrages américains pratiquement inconnus publiés chez Gallmeister. Autant les précédents m'avaient enthousiasmé, en particulier Indian Creek (Pete Fromm) et Lonesome Dove (Larry McMurty), autant celui-ci m'a laissé de glace quand je n'en étais pas irrité. Violence gratuite, analyse psychologique à l'emporte-pièces, digressions hasardeuses, volonté d'installer le personnage dans une folie à laquelle on ne croit pas, style prétentieux. N'est pas déjanté qui veut...
(Howard McCord, L'Homme qui marchait sur la Lune. Ed. Gallmeister. Trad. de Jacques Mailhos.)

mercredi 2 mai 2012

Débat, vous avez dit débat ?

Ce soir, débat des gros bras. On annonce plus de vingt millions de téléspectateurs. Sans doute le regarderai-je moi aussi. Par simple curiosité parce que ce n'est pas ce genre d'exercice qui décide de mon option au moment du vote. Mon opinion est faite depuis longtemps et n'a pas varié. Dimanche, ce sera le deuxième tour. Enfin, que l'on parle d'autre chose! Pauvres journalistes qui vont se trouver bien démunis après une période aussi intense! Qu'ils se rassurent, il y aura ensuite le Tour de France et les Jeux Olympiques de Londres. Toujours une question de classement! D'ailleurs, aux yeux de pas mal de gens formatés par les médias, tout ceci n'est-il pas finalement la même chose? Allez, bonne soirée!

Et un peu de musique, ça vous dirait ? (99)

Petula Clark, Downtown Et pourquoi pas? Enfant, je l'adorais! Je la trouvais très belle. Je crois même que j'en étais amoureux! Je l'ai entendue ce matin à la radio. Elle vient de sortir un nouveau disque après vingt ans de silence. Une voix de jeune fille!

Au coin !

Boulevard des Tchécoslovaques, Lyon 8°

mardi 1 mai 2012

Pages marquantes (37)

Mai
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes.

 Guillaume Apollinaire, Alcools

Ma journée dans les bois

Qu'il est parfois difficile de remettre ses pas dans ceux de son passé! Je l'ai cherché ce chemin, il m'en a fallu du temps pour le retrouver. Déjà, à l'époque, alors que nous y allions chaque année, je me trompais. Fallait-il prendre la route qui monte le long de l'église ou celle qui prend pour cible le château d'eau? Alors, vingt ans après! Le village a grandi, des villas se sont accolées aux fermes, des ronds-points sont nés, et des ralentisseurs qui n'existaient pas autrefois.

Et puis, je l'ai vu, longeant un grand champ labouré tout en longueur, plein de fondrières remplies de la pluie de ces derniers jours, j'ai retrouvé l'embranchement où l'on garait la voiture. J'étais presque sûr de ne pas me tromper cette fois-ci. Les bois, eux, n'ont pas changé, parfois pénétrables, parfois inextricables, avec des étendues sèches et pierreuses côtoyant de brusques taches de verdures humides. Le soleil jouait à cache-cache aujourd'hui mais le ciel ne m'a pas versé une seule goutte d'eau sur la tête pendant tout le temps que je suis resté.

 Au début, rien. J'ai failli rebroussé chemin et puis j'ai vu ma première clochette, pas bien grosse mais prometteuse. D'autres étaient-ils passés avant moi? Plus loin, la récolte se fit plus abondante et plus généreuse en fleurs. Je n'ai vu personne de l'après-midi, seulement une petite grenouille ocre que se confondait avec les feuilles et que mon arrivée a fait bondir en me surprenant. Je ne me suis jamais trop éloigné du chemin: une fois, avec Pierre et Ciccio, notre chien, et malgré mon sens de l'orientation assez affiné, nous nous sommes perdus dans ces bois en cueillant le même muguet. Il nous avait fallu marcher longtemps avant de tomber sur un hameau dont les habitants, mi chrétiens mi sarcastiques, nous avaient remis dans le bon chemin.

 J'ai cueilli plus de cinq cents brins (j'ai compté, ça occupe quand on n'a personne à qui parler). A mon retour, j'en ai fait profiter ma vieille voisine et, demain, Maria aura aussi son bouquet. J'en ai oublié de manger et de boire. Je ne pensais à rien, pas même à autrefois. J'étais bien, seul dans le silence, aux milieu des arbres, des ronces et des fleurs sauvages dont j'aimerais bien connaître le nom. Une cigarette parfois, mais j'ai complètement oublié mon appareil photos dans le fond de ma poche. Maintenant, les bouquets embaument dans l'appartement: un sur le piano du salon, un dans la cuisine et le dernier sur mon bureau, près de moi en ce moment.

Et je ne me suis pas retrouvé le derrière dans une flaque de boue comme je l'avais fait alors que Pierre étrennait sa voiture neuve et qu'il m'avait fallu revenir à Lyon à genoux sur le siège pour ne pas salir. Au fait, vous sentez comme il sent bon, mon muguet?