Parfois l’enfant éprouvait un désir très insistant d’écrire certaines phrases. Et elle le faisait avec une grande application.
En voici quelques-unes, entre beaucoup d’autres :
- Partageons ceci, voulez-vous ?
- Écoutez-moi bien. Asseyez-vous, ne bougez pas, je vous en supplie .
- Si j’avais seulement un peu de neige des hautes montagnes la journée
passerait plus vite.
- Écume, écume autour de moi, ne finiras-tu pas par
devenir quelque chose de dur ?
- Pour faire une ronde il faut au moins être trois.
- C’étaient deux ombres sans tête qui s’en allaient sur la route poussiéreuse.
- La nuit, le jour, le jour, la nuit, les nuages et les poissons volants.
- J’ai cru entendre un bruit, mais c’était le bruit de la mer .
Ou bien elle écrivait une lettre où elle donnait des nouvelles de sa
petite ville et d’elle-même. Cela ne s’adressait à personne et elle
n’embrassait personne en la terminant et sur l’enveloppe il n’y avait
pas de nom.
Et la lettre finie, elle la jetait à la mer -non pour s’en débarrasser,
mais parce que cela devait être ainsi -et peut-être à la façon des
navigateurs en perdition qui livrent aux flots leur dernier message dans
une bouteille désespérée.
Le temps ne passait pas sur la ville flottante : l’enfant avait toujours
douze ans. Et c’est en vain qu’elle bombait son petit torse devant
l’armoire à glace de sa chambre. Un jour, lasse de ressembler avec ses
nattes et son front très dégagé à la photographie qu’elle gardait dans
son album, elle s’irrita contre elle-même et son portrait, et répandit
violemment ses cheveux sur ses épaules espérant que son âge en serait
bouleversé. Peut. être même la mer, tout autour, en subirait-elle
quelque changement et verrait-elle en sortir de grandes chèvres à la
barbe écumante qui s’approcheraient pour voir.
Mais l’Océan demeurait vide et elle ne recevait d’autres visites que celles des étoiles filantes.
(Jules Supervielle, L'Enfant de la haute mer)
mardi 15 mai 2012
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2 commentaires:
Ah que j'ai aimé le lire. Je viens de sortir de la bibliothéque "Le voleur d'enfants". Supervielle, rangé entre Suarés et Svevo. Il est content Jules.
Didier: un excellent souvenir aussi, Le Voleur d'enfants. Je ne l'ai malheureusement plus en rayons.
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