lundi 28 février 2011

Belle de jour

Je croyais l'avoir vu, je ne l'avais pas vu. Il en est souvent ainsi de ces films cultes qui finissent par nous "posséder" alors que nous n'avons jamais eu de rapports avec eux, si ce n'est par quelques scènes, toujours les mêmes, diffusées lorsqu'il est, à la télévision, un instant question d'eux (ici, la première visite de Séverine chez Madame Anaïs, la tenancière du bordel).

Plaisir rare donc, pour moi, autant pour le thème qui surprit et parfois choqua à sa sortie en 1967, cette quête d'un plaisir que l'on dit ambigu, où les fantasmes de l'héroïne se superposent au récit, que par les clins d'œil facétieux de Bunuel (la reconstitution de L'Angelus de Millet par exemple). Plaisir intense aussi procuré par la distribution, Catherine Deneuve jeune, Michel Piccoli, dans un rôle de trouble oisif qui lui colle à la peau, Geneviève Page, en mère maquerelle à la fois tendre et brutale, Macha Méril, Georges Marchal, Francisco Rabal, Françoise Fabian. Excusez du peu!

Et puis, Pierre Clémenti, le truand amoureux, sa chaussette trouée et son long manteau de cuir, avec sa silhouette d'adolescent qui veut passer pour un dur. J'ai toujours eu un faible pour cet acteur,depuis Le Conformiste de Bernardo Bertolucci et Les Cannibales de Liliana Cavani.

Ah! comme je me sens bien dans cet univers!

La Tour de guet

Je n'avais jamais lu de romans d'Ana Maria Matute. Je la croyais italienne alors qu'elle est catalane. La Tour de guet m'a fasciné comme peu de livres l'ont fait jusqu'à présent. Livre fort et ténébreux, de l'époque où les dieux, les bons et les méchants, cavaliers noirs et cavaliers blancs de la steppe au bord du grand fleuve, se livraient des batailles sous les yeux d'un enfant halluciné et laid, qui découvre peu à peu, chez un baron l'initiant à la chevalerie (celle des premiers temps, où l'amour courtois n'avait pas encore fait ses ravages), qu'il participe à cette histoire brutale du monde d'avant les hommes.

Le guetteur était mort, sans que je puisse, toutefois préciser quand; s'il disparut pour toujours du donjon de mon père, la nuit où je partageais ma chasse avec lui; ou lorsqu'il épiait l'horizon, le corps plié sur les créneaux; ou peut-être bien plus tard, une fois toutes ces choses accomplies. (...) Là-bas, près du Grand Fleuve, trois bouleaux s'agitaient doucement sur une terre aussi oubliée que l'image d'un jeune homme récemment investi chevalier et d'un écuyer qui versait à boire dans la coupe de son seigneur.
L'herbe de la prairie- et de toutes les prairies du monde- se balançait comme une mer attrapée quand elle a l'intention de fuir. (...)
Des hautes terres, des bois surgirent les cavaliers blancs et les cavaliers noirs. Des murailles du château de Mohl allèrent à leur rencontre des cavaliers blancs et noirs. Je vis alors le seigneur des ennemis, si arrogant, si gaillard et si vaillant qu'un dernier cri de violence se leva dans mon esprit. Je m'enorgueillis de sa furie, j'admirai son courage, et sa cruauté me renvoya l'image de mon enfance, allongé dans la prairie, les yeux troublés de plaisir devant le rêve de la guerre et du sang. Mais l'épée noire se dressa de mes propres mains et faucha pour toujours l'orgueil, la cruauté, le courage et la gloire. "Le mal est mort", me dis-je.

(Ed. Phébus Libretto. Trad de Michelle Lévi-Provençal)

Annie Girardot

J'ai appris, comme tout le monde, la nouvelle de la mort d'Annie Girardot. J'étais dans ma voiture pour me rendre chez ma mère. Je n'y ai cru vraiment que ce soir, en regardant la télévision. Sa disparition me touche beaucoup, d'abord parce que c'était une grande actrice populaire, ce que tout le monde s'accorde à dire, mais aussi parce qu'elle a toujours été, pour moi, une femme vivante, passionnée, donnant des sourires et des coups de dents. Merci, Madame.
Je n'ai pu m'empêcher de penser que, peu à peu, ma mère glisse sur la même pente. Excusez-moi de tout mélanger.

Rocco et ses frères (Rocco et Nadia)

dimanche 27 février 2011

En réponse à Karagar

Lu aujourd'hui même sur un blog que je fréquente depuis longtemps: Le Lorgnon mélancolique. Extrait de L'Abécédaire* de Jean Sulivan
SOLITUDE
“Je suis reconnaissant à qui m’aime de m’aider à me sentir bien dans la solitude. Ceci est ambigu. C’est grâce à la présence-absence attentive de qui m’aime que la solitude m’est précieuse.”
L’écart et l’alliance, p. 17.
*Gallimard, 2010 (Edition établie et présentée par Charles Austin).

Graminées dans la brume

Un souvenir qui m'est revenu ce matin au réveil. Pourquoi à ce moment-là? Je n'en sais fichtre rien. Nous étions en Alsace avec mes élèves, au Hohwald, pour une semaine européenne. Nous y sommes allés neuf ans de suite. La dernière fois, les gérants ont voulu fêter notre fidélité en nous offrant une bonne bouteille une fois les enfants couchés: "On ne sait jamais, on peut ne pas se revoir l'année prochaine." Il n'y a jamais eu de dixième année.

Cette fois-là, je couchais dans la chambre tout au fond du bâtiment, une que je me réservais dès que je le pouvais car, au lieu de donner sur l'espace bitumé en contrebas, où était garé le bus, elle ouvrait sur la campagne et les bois alentour. Un matin, m'étant réveillé de bonne heure, j'avais profité du grand silence qui régnait encore autour de moi pour aller fumer une cigarette sur le palier extérieur de l'escalier de secours. Il faisait encore frais et, bien que juin soit déjà bien entamé, des restes de brume légère flottaient, évanescents, autour de la maison. Les contours de la colline d'en face étaient, eux, noyés dans le coton.

Je m'étais accoudé à la rambarde, heureux encore de ce moment volé. respirant l'air frais comme une gourmandise dont j'étais le seul à profiter et c'est là que je l'ai vu, à quelques mètres de moi, dressé sur ses pattes arrières, tentant de manger le sommet de hautes graminées. C'était un lièvre magnifique, gras et grand, dodu à souhait et beau dans sa position verticale. Il ne m'avait pas vu et, la brise soufflant vers moi, ne pouvait percevoir mon odeur ni cette de la fumée de ma cigarette. Lui aussi goûtait sans doute à sa façon la beauté de la solitude matinale.

Je l'ai observé longtemps, vigoureux et fragile à la fois, inconscient de ma présence qui l'aurait fait fuir s'il s'en était aperçu. Peut-on dire qu'un lapin est émouvant? Je le crois depuis ce jour. Tableau de sérénité et de vie. Il n'y avait que lui et moi. J'avais par instant la sensation d'être indiscret mais ne pouvais me détacher de ce spectacle. Rarement je me suis senti aussi près de la nature, à en oublier de tirer sur ma cigarette, attentif seulement à ne pas bouger, à ne pas briser l'harmonie de ce qui me dépassait. Il a continué à grignoter, reposant parfois les pattes au sol pour se redresser immédiatement une fois le repos suffisant. C'est moi qui suis parti. Je voulais garder uniquement cette image, sans la fuite qui n'aurait probablement pas tardé.

Quelques instants plus tard, après le déjeuner, des enfants jouaient là, à pousser leurs cris hilares de jeunes fous en liberté. Le lièvre avait regagné ses taillis protecteurs.

Et un peu de musique, ça vous dirait? (4)

Alfred Deller, Bach, Messe en si mineur, Agnus Dei

samedi 26 février 2011

Rien qu'à moi

J'apprécie toujours autant ces moments rien qu'à moi le soir, après un repas entre amis chez moi ou chez eux, ces soirs où je ne suis pas abruti par le travail et où je sais que je peux traîner le matin au lit. Des moments volés à la bousculade et au stress, où l'on ne pense à rien d'autre que ce que l'on vit dans l'instant, où rien ne presse, où tout devient soudain plus léger, comme si le temps avait perdu sa consistance.

Lire, regarder la télévision, venir devant cet écran sans autre envie que d'être bien. Ne pas téléphoner surtout. Pas d'autre bruit que le glissement des pneus sur la route mouillée, dans un immeuble endormi où, seul, je veille. Ou bien préparer un plat pour le lendemain, m'arrêter à l'entrée d'une des pièces refaites de l'appartement et me dire qu'elle me plaît, songer aux aménagements qu'il reste à faire, supposer l'emplacement d'un tableau, d'un bibelot, rêver à ce que cela va être bientôt et qui permet de rêver parce que ce n'est pas encore.

Et puis, quand le sommeil gagne, ne pas résister, se glisser dans les draps et partir dans le sommeil, sans avoir à régler le réveil, faire confiance à son corps qui saura quand il sera assez reposé, espérer, quand on ouvrira les volets, le matin, que le soleil entrera dans la cuisine, lui redonnant une âme, toujours silencieuse, et commencer doucement une autre journée.

Rejetés

Voici une perspective qui ne me réjouit guère: après avoir étudié avec les sixièmes La Rivière à l'envers de Jean-Claude Mourlevat, que je trouve un roman excellent, je dois, pendant ces vacances, me "payer" la lecture du Lion de Joseph Kessel pour les cinquièmes. Je n'ai jamais jusqu'à aujourd'hui pu venir à bout de ce livre. De même, je n'ai pas résisté à l'adaptation télévisuelle où l'héroïne, Patricia, était, me semble-t-il, interprétée par la fille de Delon.

Pourquoi cette aversion profonde, moi qui aime lire, pour certains romans? Eugénie Grandet et L'Education sentimentale ont subi le même sort, alors que j'aime beaucoup Balzac et Flaubert. Je ne sais pas trop. Moment mal choisi? Style qui ne me convient pas? Histoire rébarbative? Toujours est-il qu'aujourd'hui, il faut que j'y passe! La dernière fois que j'ai fait un effort surhumain pour reprendre un de ces "rejetés", il s'agissait du Vieil Homme et la mer, d'Hemingway. Résultat peu probant: je l'ai terminé mais je n'ai pas changé d'avis.

vendredi 25 février 2011

Afrique

Le Musée des Misions Africaines de Lyon est un musée très intéressant et hélas assez méconnu de la population locale. Rassemblant des objets collectés par des Pères Missionnaires depuis la première moitié du XIX° siècle, principalement dans les pays d'Afrique de l'ouest (Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin), il organise ses trois étages par thème: vie quotidienne au premier, vie sociale au second et vie religieuse au troisième.

Nous y avons fait notre visite annuelle cet après-midi avec mes élèves de cinquième. Chacun d'eux est chargé de s'intéresser particulièrement à un objet (jarre, collier, porte de case, plateau divinatoire, siège de cérémonie, tambour anthropomorphe, masque de mendiant et masque de justice) pour, ensuite, au collège, le présenter en se mettant lui-même dans la peau d'un guide de musée. Excellent exercice oral, domaine que nous n'avons que rarement l'occasion d'aborder, l'éducation actuelle étant encore principalement axée sur l'écrit.


J'ai eu la chance de tomber sur un groupe d'élèves intéressés et attentifs, posant des questions pertinentes à une jeune guide particulièrement au fait de ce qu'elle présentait. J'ai également pu prendre de nombreuses photos, dont celles de certains objets déjà photographiés lors de visites précédentes mais qui me fascinent toujours. Un seul inconvénient: les vitrines sont souvent situées face à des fenêtres qui gênent par leurs reflets sur le verre de la vitrine.

. Ce petit génie de chasseur est sans doute, à mon avis la plus belle pièce du musée, hélas reléguée dans un coin où elle n'est pas mise en valeur et près d'une fenêtre. Lorsque le chasseur partait à la chasse, il venait faire une libation à son génie personnel qui, s'il en était satisfait, lui indiquait la direction à suivre pour trouver du gibier. En bois, la statuette est revêtue d'un tissu à l'origine léger qui, suite aux libations qui lui ont été posées dessus, s'est rigidifié définitivement. Le capuchon est d'ailleurs totalement usé par les caresses que lui a prodiguées son propriétaire. Elle vient de Côte d'Ivoire. Ce qui me fascine dans cet objet très rare car très personnel, donc peu offert, et souvent brûlé lors de la mort du chasseur, c'est la tête du génie-enfant, d'une humanité et d'une finesse bouleversantes et que, malheureusement, on ne perçoit guère sur cette photo, les autres de face étant mauvaises à cause des reflets.


Après un retour calme au collège en métro, j'ai pu enfin savourer mes premiers instants de vacances, fumer tranquillement une cigarette avec une collègue que je ne fais que croiser en temps ordinaire et constater avec bonheur que notre profonde amitié, malgré les événements difficiles qu'elle vit en famille et qui font que je la vois moins, ne s'est pas affadie.

jeudi 24 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (14): Georges Géret

Je viens d'apprendre qu'il était né à Lyon, en 1924, d'un père (décédé alors qu'il n'avait que 6 ans) raseur de velours et d'une mère brodeuse d'ornements d'église. Lorsqu'il monte à Paris, sa rencontre avec Léo Joannon le sauvera du découragement et d'un retour précipité à Lyon. Il jouera dans son film Le Défroqué (1953). A cause de son physique, son nez cassé en particulier, souvenir d'une bagarre dans une cour de récréation, on lui confiera souvent des seconds rôles de malfrats, de personnages louches ou de policiers.

En 1959, il rejoint la troupe du TNP pour une dizaine d'années. Il jouera ensuite pour des réalisateurs tels que Bunuel (Le Journal d'une femme de chambre, 1965), Costa-Gavras (Compartiments tueurs, 1965, et Z, 1968), Alain Cavalier (L'Insounmis, 1964), Sidney Hayers (L'Étoile du sud, 1968, où il donnera la réplique à Orson Welles), Berri (Le Pistonné, 1969), et incarnera, en 1972, pour la télévision, le forçat Jean Valjean des Misérables (Marcel Bluwal).

Emporté par un cancer en 1996, il est enterré à Sain-Paul-de-Vence, village de Provence où il aimait se rendre pour jouer à la pétanque, en été, avec Montand et Ventura, ses amis.

La vidéo est extraite de La Métamorphose des cloportes, de Pierre Granier-Deferre (1965) où il joue, ici aux côtés de Françoise Rosay, le rôle d'un monte-en-l'air nommé Rouquemoute.

Odeurs

Un des derniers billets de Valérie m'a mis sur les rails de celui-ci: moi aussi, j'ai une collègue qui pue. Il n'y a pas d'autres mots pour le dire. Je la connais depuis trente ans et ai beaucoup travaillé avec elle: mêmes matières, même passion pour l'Antiquité (elle grecque, moi plutôt romaine). Nous avons fait de nombreux voyages à l'étranger, soit avec des élèves, soit avec d'autres amis. A cette époque-là, même si je ne l'ai jamais vu porter un parfum ou une eau de toilette, elle ne sentait pas mauvais. Je ne sais plus quand cela est venu. Au début, j'ai cru à un problème passager (médicaments, mauvaise lessive, petite dépression). Mais il a fallu se rendre à l'évidence. le passager durait et n'a plus cessé depuis.

Lorsque l'on rentre dans la salle des professeurs, on sait qu'elle est là ou qu'elle est récemment passée par là. Tout le monde s'empresse d'ouvrir les fenêtres après son départ. Un ancien collègue, parti depuis dans un autre collège et peu tendre sur ce genre d'affaires, l'avait surnommée le "sanglier des Ardennes". Nous l'avions observée attentivement pendant un mois de juin particulièrement chaud: elle n'avait pas changé de vêtements pendant plus d'une semaine. Je n'ose penser à ses dessous à ce moment-là s'ils étaient dans le même état que la robe et le chemisier!

Et, ce qui aggrave encore son cas, c'est qu'elle ne peut pas vous parler sans se mettre tout près de vous, à vous coller. Moi qui ai toujours eu l'odorat particulièrement sensible, même au moment où je fumais régulièrement, je n'ai pas besoin de vous préciser comme j'étais heureux! Depuis, je fais tout pour ne pas me retrouver à ses côtés lors des nombreuses réunions auxquelles nous avons à assister tous les deux. Mais il faut faire vite et ne pas arriver trop tard, car tout le monde se bouscule pour prendre les autres places!

Nous avons plusieurs fois fait allusion devant elle à l'odeur de la pièce, aux solutions que l'on peut apporter à ce genre d'inconvénients: elle n'a pas l'air de se sentir concerner. J'aurais pu, autrefois, lui en parler, moi directement. Mais nos rapports se sont depuis longtemps distendus et si je le faisais aujourd'hui, elle s'en vexerait sans doute.

Je ne comprends pas comment elle ne s'en rend pas compte. Je ne sais pas comment on peut à ce point négliger son hygiène personnelle. Il m'est arrivé une fois ou deux au cours de nombreuses années, de ne pas entendre mon réveil et d'avoir à partir au travail sans avoir pris de douche. J'en étais malheureux comme les pierres et m'imaginait que tout le monde devait l'avoir deviné, même si ce n'était pas le cas. Et puis, même si se laver l'ennuie, elle devrait bien penser que cela indispose ceux qui la côtoient. Mais visiblement, ce n'est pas le cas.

Alors que faire? J'ai pour ma part résolu de ne plus trop m'en approcher. Elle a bien dû s'en rendre compte mais, apparemment, n'en a pas compris la raison.

J'avais aussi un autre collègue, mâle celui-ci, qui s'aspergeait chaque matin d'un parfum pour homme hyper viril sans doute pour lui et hyper écœurant pour les autres. Abominable. Mais maintenant le problème est réglé: il est parti en retraite! Bon courage à sa femme!

mercredi 23 février 2011

"Médecine" légère

Deuxième visite en une semaine chez mon médecin généraliste (ma "médecine" puisque c'est une femme?). Je la trouve profondément incompétente et en changerai dès que j'aurai trouvé mieux dans le quartier. Après anti-inflammatoire qui vous tord l'estomac au bout de deux jours et sirop placebo pour la toux sèche, voici venir l'artillerie lourde: antibiotique et corticoïde, plus nouveau sirop qui, paraît-il, assomme, celui-ci.

J'ai quasiment perdu ma voix cette semaine, pour la première fois depuis que j'enseigne et, le matin surtout, je tousse comme un damné, à m'en décrocher les poumons, et ce depuis quinze jours. A la première visite, elle m'avait dit que je n'avais pas la grippe puisque je travaillais. Ce à quoi j'avais répondu qu'elle venait enfin de découvrir un vaccin efficace et peu onéreux pour la sécurité sociale. Je ne suis pas sûr qu'elle ait compris la perfidie de mes propos.

Aujourd'hui, elle m'a conseillé de ne plus parler: facile à appliquer quand on est enseignant et que l'on ne peut pas se mettre en arrêt de travail pour les deux jours restants avant les vacances (fin de trimestre, contrôle de synthèse, remise en cause d'une visite de musée que j'ai organisée, désorganisation d'un travail d'équipe). Je tiendrai jusqu'à vendredi soir. D'ailleurs la colère que j'ai contre cette femme m'aide beaucoup à mobiliser mes forces.

PS: la cigarette n'arrange pas les choses, bien sûr!

mardi 22 février 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (3)

Kathleen Ferrier, London Philarmonic Orchestra, Sir Adrian Boult. Mass in B Minor, BWV 232: Qui sedes ad dexteram Patris.


Cette voix me bouleverse chaque fois que je l'entends.

La solitude de l'enseignant de base

Étrange, la réputation qu'ont bien souvent les enseignants auprès des gens de l'extérieur. L'ex mari d'une de mes collègues, avocat de profession, m'a dit un jour qu'il appréhendait d'avoir à défendre un professeur: la pire race d'emmerdeurs selon lui: "Il faut toujours tout leur expliquer, il veulent toujours tout savoir!". Il me semble pourtant que, tout en faisant confiance à l'homme de métier, il n'est pas interdit de chercher à comprendre les tenants et les aboutissants des actions qu'ils mènent. c'est même pour moi plutôt une preuve d'intelligence.

Les rapports avec les parents sont parfois (souvent?) conflictuels, et là non plus, rien d'étonnant. Je pense que ces chers géniteurs ont quelque part, bien cachée en eux, une sorte de jalousie vis à vis de ces étrangers qui passent plus de temps avec leurs enfants qu'eux-mêmes. Ils ont d'autre part une image assez erronée de leur progéniture qu'ils ne voient que dans le cadre un peu étroit et conformiste de la famille et que, bien souvent, ils n'acceptent pas de voir grandir. Certains, de plus, croient pouvoir imposer leur vue personnelle sur la façon de faire ce métier à des gens qui, pourtant, sont, excusez cette prétention, des spécialistes.

Les réactions des deux catégories précédentes ne me gênent guère, pour ma part, et ne m'ont jamais gêné.Mais le malaise, je l'ai bien des fois éprouvé ailleurs. Au contact des clients de mes parents, par exemple, des gens du peuple, à qui mon père était tout fier de dire que je continuais mes études, dans un milieu social où ce n'était guère l'habitude à cette époque. Ils étaient à la fois très respectueux et admiratifs et tout de suite gênés dans les rapports avec moi.

Lorsque je dis que je suis enseignant, ce dont je n'ai jamais tiré aucune gloire particulière, à des gens loin de ce milieu, je sens toujours ce mur se dresser, mur de respect et de crainte mêlés. comme s'ils se sentaient coupables de ne pas posséder ma culture, comme s'ils craignaient d'être jugés et infériorisés par le regard que je porte sur eux. Même ma grand-mère me disait qu'elle ne m'envoyait pas de cartes postales parce qu'elle avait peur que je vois ses fautes d'orthographe. Je les voyais, bien sûr, les rares fois où elle passait outre. Je les voyais, bien sûr, et alors? Elles ne m'en paraissaient que plus émouvantes et chargées de tendresse.

Je pense souvent que nous, les enseignants, ressemblons beaucoup à ces femmes de l'antiquité, choisies très jeunes dans la meilleure société romaine et formées, pour trente ans d'activité, au dur métier de vestales. Charge énorme qui devait en écraser plus d'une, qui leur imposait une conduite irréprochable tout en leur conférant un pouvoir exorbitant. Respectées sans doute mais certainement aussi profondément haïes alors que c'était la société qui les haïssait qui leur imposait justement ce statut.

Je ne sais si mes jeunes collègues, ceux qui débutent dans le métier aujourd'hui, ressentent la même chose. Personnellement, je n'ai jamais pu oublier cette double réaction de vénération et de crainte quasi religieuse. Peut-être eux ne perçoivent-ils plus ce tiraillement, ou le perçoivent-ils autrement, de façon plus brutale. Mais qui, en dehors du milieu scolaire, a-t-il conscience de la solitude profonde des enseignants? Les médecins, peut-être, bien seuls également.

lundi 21 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (13): Jacques Dufilho

Jacques Dufilho (1914-2005) a débuté sa carrière, et magistralement, au théâtre: Molière (L'Avare en 1962), Audiberti, Anouilh, Pinter, lui apporteront une solide réputation de comédien. Ses apparitions au cinéma, quoique nombreuses (environ 160 films), ne parviennent que rarement à atteindre un tel niveau, moins à cause de son talent, indéniable, que par la médiocrité des films en question.

Moi, j'ai deux souvenirs précis de lui: d'abord son rôle de composition dans un sketch où il incarne une servante, Victorine, faisant à sa façon la visite du château (1957), et surtout le film de Robin Davis, Ce Cher Victor (1970), où il côtoie deux autres grands noms du cinéma: Bernard Blier et une actrice italienne pour qui j'ai toujours eu une tendresse particulière et que je trouve immensément belle: Alida Valli, l'inoubliable Comtesse Livia Serpieri de Senso de Luchino Visconti, tiré d'un récit de Camillo Boito.

La vidéo est extraite de Taxi, roulotte et corrida, de Hunebelle (1958). Il faut, bien sûr, fournir un gros effort pour oublier la présence encombrante de Louis de Funès!

Braderie

En remplissant à nouveau les différentes bibliothèques de mon bureau, j'ai été encore une fois découragé par le nombre de livres à manipuler, livres scolaires ceux-là. Et j'ai pris la décision de me débarrasser de la plupart d'entre eux. A quoi sert de garder tout ça puisque, dans quelques temps, ils ne me serviront plus à rien? J'ai déjà rempli un grand sac de spécimens récents dont je sais que j'ai peu de chances de les utiliser. Je connais une association qui les accepte. Au moins serviront-ils à quelqu'un.

J'avais également gardé beaucoup d'ouvrages sur la sociologie et la pédagogie de la collection de Pierre, pensant les lire un jour. Je suis presque sûr maintenant que ce ne sera pas le cas. Alors eux aussi, je vais tâcher d'en faire profiter quelqu'un d'autre. Et puis il y a encore toutes ces archives de sa thèse, des documents originaux sur une coopérative ouvrière et que je ne veux pas voir éparpillés ou détruits. J'ai déjà contacté une médiathèque qui serait intéressée. Cela me rassure car je ne m'en suis jamais senti foncièrement le propriétaire.

Beaucoup de papeterie aussi, gardée au cas ou et jamais touchée, jaunissante, poussiéreuse, encombrante, des pochettes, des chemises, des classeurs, du papier dont je comptais me servir comme brouillon . Ça, ça va plutôt partir aux ordures. Mais devant l'effort à accomplir, les bras m'en tombent de fatigue et d'ennui.

Et puis tous ces petits classiques d'auteurs français, latins ou grecs... Je crois que je ne vais conserver que les Budé, parce qu'étrangement, j'y suis encore attaché, même si je ne sais pas si j'y remettrai le nez un jour. Lire Suétone, Eschyle ou Aristophane à la retraite, pourquoi pas...

Mais je ne toucherai pas à mes disques auxquels, paradoxalement, je tiens davantage. Je n'écoute pas beaucoup de musique en ce moment mais j'aime les savoir là. Pour la plupart, je les connais par cœur. Comme les "fous" de Fahrenheit 451 pour les livres, je serais capable d'en chanter presque chaque air, chaque mélodie, d'en reconnaître les interprètes les yeux fermés. Non, eux, je les garde.

dimanche 20 février 2011

Clémentines au vin blanc

Ingrédients:
- 1kg500 de clémentines
- 1 litre à 1litre et demi de vin blanc sec
- sucre en poudre
- cannelle
- gingembre
- fleur d'oranger

Éplucher les clémentines en les laissant entières.
Laver les peaux et les couper en fines lamelles.
Dans une cocotte, verser le vin blanc, saupoudrer avec le sucre (quantité selon les goûts de chacun), la cannelle, le gingembre, ajouter de la fleur d'oranger (Attention: ces trois derniers ingrédients sont assez "goûteux: ne pas en mettre trop!).
Plonger les clémentines et les lamelles dans le liquide et laisser cuire à feu doux entre 1/2heure et 3/4 d'heure.
Servir très frais.

Voici donc la recette telle que me l'a dictée "maître Pierre" hier soir. Je n'ai pas encore essayé, mais ça ne saurait tarder! En revanche, j'ai déjà goûté, et c'est délicieux.
(La même recette peut, paraît-il, se faire avec des mandarines, des pommes ou des poires.)

samedi 19 février 2011

Charles et Serge

Trenet, ça fait dix ans, Gainsbourg ça fait vingt. Étrange! J'aurais dit l'inverse. Ginsbourg est toujours là, on lui consacre des émissions à la télévision, des films retraçant sa vie amoureuse. Trenet, peu à peu, s'efface. Il y a d'ailleurs longtemps qu'il s'effaçait lorsqu'il est mort.

Et pourtant, dans un registre totalement différent, même beauté des musiques, même ciselure des textes, même besoin de théâtralité. Je n'aime ni l'un ni l'autre de ces deux hommes, j'aime leurs chansons. N'est-ce pas l'essentiel? Ce soir, c'était l'anniversaire de la mort de Trenet: pas un mot sur lui. Et toute une soirée sur Gainsbourg avec l'incontournable Jane qui, dans la dernière séquence, finit par dire qu'elle n'a plus rien à dire

Italie et autres à-côtés.

Soir qui tombe. J'ai beaucoup travaillé hier. Une journée de loisirs, sans penser qu'il faut que, que j'aurais dû, qu'il va bien falloir que... Sans cette broncho-trachéite tenace, ce serait parfait.

Ce matin, expo peintures au château de Montchat. Je n'aime pas le peintre figuratif lyonnais présent aujourd'hui. Rien, dans le reste, de très affriolant, sauf quelques tableaux d'un certain Francis Maréchal, amoureux, semble-t-il, de Venise. Un petit tour sur la marché en face qui, bien que situé dans un endroit très chic de la ville, est encore moins cher que celui près de chez moi. Belles salades de maraichers, vigoureuses bettes italiennes et fromages alléchants. Les fleurs, elles, ne m'ont qu'à peine attiré le regard. Je fréquentais beaucoup ce quartier à l'époque où j'avais un chien. Nous avions un ami vétérinaire dont le cabinet jouxtait la place. Ici, les rues portent les prénoms des enfants de la riche famille d'industriels qui logeait au château. Rien n'a changé aujourd'hui: survivance de ce siècle où le paternalisme était roi.

Le vétérinaire avait une jeune assistante, elle s'appelait Marcelle. Elle avait pris mon chien en grande affection. Elle a pleuré lorsqu'il a fallu le piquer au bout de 17 ans. Je ne sais pas ce que ces deux-là sont devenus. Les cendres du chien, elles, ont été éparpillées dans un champ, dans l'Ain. Nous lui avions donné un nom italien après l'avoir trouvé sur une aire d'autoroute à Civitavecchia, ville où vécut Stendhal. Hier, à la radio, ils ont évoqué cet écrivain que je n'apprécie que modérément. L'émission portait sur George Sand et Musset. Au cours d'un voyage en Italie, ils le rencontrèrent sur le bateau descendant le Rhône jusqu'à Avignon. Il paraît que la grande George fut fort incommodée par la suffisance du bonhomme. Serait-ce parce qu'elle-même ne tenait pas alors la vedette?

Pour en finir avec l'Italie, les places d'avion sont réservées pour le mois de mai. Le printemps à Rome, logés au Trastevere, sans élèves. Marcher à nouveau dans les lieux que j'aime. Il y a cinq ans que je n'ai pas vu le grand pin parasol qui domine le Palatin, que je n'ai pas bu de bière près de la place Navone, que je n'ai pas revu les tableaux du Caravage...

vendredi 18 février 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait? (2)

Klaus Nomi:The Cold Song (live Munich décembre 1982), de King Arthur de Purcell

Histoire d'un cliché

Cette photo, je l'ai prise le 20 octobre 2010, dans l'après-midi, place Antonin Poncet, dans le deuxième arrondissement. Je crois l'avoir déjà insérée dans ce blog. mais c'est seulement hier, en la postant sur mon site Flick'r que je me suis souvenu d'elle.

C'était un jour de gros affrontements "étudiants" sur la place Bellecour toute proche. J'avais voulu me rendre compte par moi-même de la véracité des informations retransmises aussi bien par la radio que par la télévision. Des dégâts, bien sûr et des courses poursuites, des cris hostiles mais qui ne semblaient pas avoir effrayé les lyonnais au point qu'ils ne sortent pas de chez eux.

En prenant le chemin du retour, j'ai nettement perçu l'atmosphère chargée des gaz lacrymogènes que venaient de lancer les CRS. J'ai fait un détour par la place voisine pour traverser le Rhône. Et c'est là que je l'ai vu, longeant les jets d'eau, dans le grand soleil de l'après-midi finissant. Je n'ai eu que le temps de sortir mon appareil de ma poche et d'appuyer sur le déclencheur sans même faire de mise au point. J'étais persuadé que le cliché serait raté. Voilà ce qu'il en est sorti. Et l'on dirait du noir et blanc. C'est certainement une de celles dont je suis le plus fier.

jeudi 17 février 2011

Acanthe

J'étais seul, un moment, aujourd'hui, dans le parc du collège, une cigarette allumée qui me parut presque obscène lorsque je sentis l'air. Un air vierge, aigre et doux comme le vin nouveau, un air pas de la ville, un air des solitudes agrestes. Un silence vivant, sans élèves, sans collègues. J'étais bien. Je suis descendu jusqu'au pied d'acanthe que personne ne remarque jamais. Les petites feuilles en étaient affaissées, flétries par un gel précédent mais bientôt remplacées. On m'avait dit qu'il y avait déjà quelques violettes. J'ai préféré les imaginer et j'ai regardé d'en bas le vieux ginkgo biloba, son tronc haut et rectiligne, encore nu, encore laid. Et tous ces arbres nus, si souvent photographiés, en automne surtout. La terre, contre le talus avait été creusée, laissant voir de vieilles racines mortes, et le mur en dessous, vert d'humidité, suintait encore. Derrière moi, le mur du couvent, à peine réchauffé, enflait son ventre plus que centenaire. Moment volé.

Pourquoi?

Parce que j'en avais envie,
Parce que je l'ai toujours aimé,
Du lycée à la fac et encore aujourd'hui,
Parce que c'est une langue étrangère que tout le monde comprend,
Parce qu'aucun enseignant du supérieur n'a réussi à m'en dégoûter,
Même le plus fainéant d'entre eux,
Parce qu'on ne sait que peu sur lui, surtout sa fin,
Parce que je me récite parfois quelques-uns de ses vers,
Comme on apprécie seul le parfum d'une glace
Ou l'âpreté d'un vin,
Parce qu'il me fait rire, parce qu'il me rend triste,
Parce qu'il aura accompagné ma vie,
Cet espiègle voyou,
Parce que c'est mon frère humain.

François Villon

Ballade des menus propos

Je congnois bien mousches en laict,
Je congnois a la robe l'homme,
Je congnois le beau temps du lait,
Je congnois au pommier la pomme,
Je congnois l'arbre a veoir la gomme,
Je congnois quant tout est de mesmes,
Je congnois qui besoigne ou chomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Je congnois pourpoint au colet,
Je congnois le moyne a la gonne,
Je congnois le maistre au varlet,
Je congnois au voile la nonne,
Je congnois quant parleur gergonne,
Je congnois fols nourris de cresmes,
Je congnois le vin a la tonne,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Je congnois cheval et mulet,
Je congnois leur charges et leur somme,
Je congnois Bietrix et Belet,
Je congnois gect qui nombre assomme,
Je congnois visïon et somme,
Je congnois la faulte des Boesmes,
Je congnois le pouoir de Romme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

Prince, je congnois tout en somme,
Je congnois colorez et blesmes,
Je congnois Mort, qui tout consomme,
Je congnois tout fors que moy mesmes.

mercredi 16 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (12): Raymond Bussières

Raymond Bussières (1907-1982), époux d'Annette Poivre et père de la comédienne Sophie Sel (oui, ils ont osé!), est encore une de ces gueules que l'on n'oublie pas. Second rôle sans doute mais de ceux qui rendent plus "épicés" même les plus grands films. Et c'est souvent à de grands films qu'il a participé pendant une période de sa vie: L'assassin habite au 21 (1941), Quai des orfèvres (47), Casque d'or (51), Les Belles de nuit (52), Porte des lilas (56), sous la direction de cinéastes aussi connus que Clouzot, Becker, Clair, Autant-Lara, Allégret, Cayatte, Verneuil ou Comencini.

Dans cet extrait de Porte des lilas, on le voit en tenancier au grand coeur sous ses apparences bougonnes aux côtés d'Amédée et de Dany Carrel. En plus, une bonne occasion de réentendre Brassens (Au Bois de mon cœur).


Quand les animaux prennent vie

Deuxième séance, consacrée ce matin aux animaux étranges façonnés la semaine dernière. De simples objets hétéroclites, ils sont devenus personnages aujourd'hui, acquérant, grâce à l'imagination des élèves, un nom, un caractère, des qualités, des défauts, un mode de vie, un habitat, des habitudes alimentaires,etc.

Après avoir rempli cette fiche d'identité pour son animal, chacun a alors travaillé en tandem avec son voisin de table pour imaginer la rencontre entre les deux bestioles et le dialogue qui s'en suivait. Dialogue d'abord oral puis écrit (il s'agissait, pour l'objectif de français, de leur faire employer au mieux les types de phrases révisés la semaine dernière: déclarative, interrogative, exclamative et injonctive). La partie orale a donné lieu à de belles trouvailles, même si la plupart ont traditionnellement commencé par une présentation réciproque ("Bonjour, comment t'appelles-tu? - Et toi?...)

Le plus surprenant, cependant, est l'attitude de ces enfants de 11 ans au moment de mettre leurs animaux en situation de dialogue. Presque tous ont pris leur "créature" en main et l'ont manœuvrée tout en parlant, la manipulant comme un jouet, ou mieux: avec tendresse et délicatesse. On était là bien loin d'un cours traditionnel. Ils laissaient s'exprimer la part encore très enfantine de leur personnalité, un peu comme ils s'amusaient sans doute à six ans dans leur chambre avec un camarade. Pour eux, ce matin, l'animal existait, avait pris chair et consistance, vivait réellement entre leurs doigts. Et eux-mêmes étaient devenus leur animal, au point de changer de voix pour certains pour le faire parler lui.

Ces métamorphoses successives observées pendant les deux séances m'ont vraiment surpris: transformation d'éléments hétéroclites assemblés en créature animale, transformation de l'objet en personnage, mise en situation rapide des élèves... J'ai sans doute, vue ma matière, une approche plus (trop?) intellectuelle des apprentissages et une propension à considérer mes élèves comme déjà plus grands qu'ils ne le sont. Côtoyer une matière dont de nombreux aspects sont plus directement concrets, comme les Arts Plastiques, me fait, sur ce point, beaucoup de bien.

mardi 15 février 2011

Avancée des travaux

Peu à peu, ça progresse. La chambre d'amis est terminée mais encombrée du fatras des autres pièces encore en cours. Le bureau est tapissé, un beau vert anglais avec un léger filament ton sur ton. Très chic à mon goût! Il va maintenant falloir décrasser les planchers de chêne qui en ont bien besoin et chercher un sellier pour changer le dessus en cuir de mon bureau (meuble), usé et taché par des années de corrections de copies, des vases de fleurs un peu trop pleins et des heures d'internet.

Aujourd'hui, livraison (enfin) et installation des deux portes-fenêtres double-vitrées. Il n'a fallu aux deux jeunes apprentis qu'une demi-journée pour les mettre en place, sous l'œil attentif de Jean-Claude. J'en aurai sans doute la vie agréablement améliorée, à ne plus me geler aussi bien à la cuisine que dans ma chambre. Il reste à les protéger avec une couche d'apprêt et à les peindre. Ensuite, nous nous attaquerons sans doute à l'un des deux petits halls et puis, les travaux marqueront une pose qui me permettra de remettre définitivement le côté nuit en place en bazardant encore un certain nombre de vieilleries, meubles, tableaux et bibelots divers. J'avoue que j'attends ce moment avec impatience.

lundi 14 février 2011

Saint-Valentin

A force d'en avoir plein les oreilles et les yeux chaque année à même époque, j'ai fini aujourd'hui par me renseigner: qui était réellement Saint Valentin? Pas grand chose d'intéressant à découvrir: plusieurs martyrs, dont deux du III° siècle (Valentin de Rome et Valentin de Terni), portent ce patronyme. Pas beaucoup de rapport dans leur vie et mort respective avec la fête des amoureux.

Au Ve siècle, le pape Gelase Ier attribue le 14 février au saint martyr Valentin, sans préciser lequel, et le 02 février à la Chandeleur, qui célèbre la présentation du Christ au temple. Il souhaite ainsi éradiquer la pratique des Lupercales, antique fête païenne fort "déshabillée" ayant lieu aux mêmes dates. Rien à voir donc, chez le Saint-Père, avec l'amour.

Mais la "fête" actuelle en a-t-elle davantage? N'est-elle pas à mettre, comme ces semblables, fête des secrétaires, fête des mères, fête des grands-mères, etc., dans le même panier commercial, destinée à gonfler certains jours le chiffre d'affaires des commerçants? A midi, j'ai vu, chez mon boulanger, des gâteaux en forme de cœur, chocolat ou framboise, avec, en travers, l'inscription au sucre: Je t'aime! J'ai voulu m'acheter quelques iris blancs tout à l'heure. La fleuriste à qui je m'adressais me regarde avec un sourire commercialo-attendri et me lance: "C'est pour offrir, naturellement!". A moi, oui, mais tout aussi naturellement.

Si vous voulez en savoir plus sur les origines de cette fête, allez chercher vous-mêmes. La seule trouvaille qui m'ait réjoui dans cette errance sur internet, c'est qu'apparemment l'église d'Hurtigheim, en Alsace (Bas-Rhin)abrite deux saints patrons: Saint Valentin et Saint Vit. Longue vie à ce couple qui me plaît!

dimanche 13 février 2011

Et un peu de musique, ça vous dirait?

Janis Joplin - Summertime (Live Gröna Lund 1969)

Momentini

- Matinée paresse après nuit chaude. Non, rien de graveleux, simplement un coup de fièvre après avoir grelotté une partie de la soirée. J'ai craint la grippe. Ça n'a pas l'air. Pour l'instant, un peu HS et je tousse comme un damné.

- Devant moi ce matin à Casino, trois clients dans la file d'attente. Tous trois très laids. J'ai pensé à Karagar que cela a gêné il n'y a pas longtemps. Même impression de malaise. C'est stupide mais la trop grande laideur me perturbe. Surtout pour eux. Mais peut-être sont-ils tout de même heureux. Pourquoi pas?

- Appris une nouvelle recette de dessert: mandarines cuites au vin blanc sec avec gingembre, cannelle et un peu de sucre en poudre. Goûtée chez un ami: c'est délicieux. J'essaie dans pas longtemps.

- J'aime ce temps du dimanche à midi où, sur le balcon de ma mère, je fume ma cigarette et regarde la rue en bas et les petits rez-de-jardin que je domine, vides et calmes. Pas de cris, pas de paroles, pas de voitures. Juste l'idée des gens qui finissent le repas dominical ou entament la sieste. Rares sont ces moments de sérénité où le monde semble se satisfaire de lui-même sans rien demander d'autre.

- Cette semaine à venir devrait être moins chargée que la précédente. Avec deux à-côtés cependant: la mise de ma voiture au garage pour expertise après l'accident de l'autre jour (j'espère que l'on me prêtera un véhicule de courtoisie) et la pose(enfin!) de mes deux portes fenêtres à double vitrage. Côté collège, en principe, jours calmes.

- Côté littérature, j'ai encore des choses à apprendre: J'étais persuadé qu'Anna Maria Matute était italienne. elle est espagnole. Suis en train de lire La Tour de guet, roman sombre et prenant.

samedi 12 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (11): Jean Carmet

Carmet, il est à part. D'abord figurant (en particulier dans Les Enfants du paradis de Carné, je viens de l'apprendre) puis voix radiophonique dans les années 50 (La famille Duraton), il rejoint Robert Dhéry et les Branquignols, ce qui le fit largement connaître.

Pourtant, ce ne sont pas ses rôles comiques, parfois lourds, que je préfère. J'ai gardé un souvenir troublé de sa composition de salop libidineux dans Dupont Lajoie d'Yves Boisset, en 1974, où il incarne un cafetier parisien en vacances au Camping du Soleil qui tente de violer et tue une jeune fille puis fait porter le chapeau aux ouvriers maghrébins d'un chantier tout proche.

Ne pas oublier non plus ses apparitions dans Palace où certaines de ses Brèves de comptoir sont impayables. Je l'ai aussi apprécié au théâtre, le TNP de Villeurbanne, dans un Spectacle Ionesco mis en scène par Roger Planchon en 1982. Un monsieur surprenant, qui connut aussi des premiers rôles.

vendredi 11 février 2011

Retards

Semaine des retards. Trois matins sur cinq! Pas énormes: trois à quatre minutes, tout au plus. Mais cela aurait contribué autrefois à me rendre d'une humeur massacrante. Une fois de ma faute: départ tardif. Je m'étais levé plus tôt, j'avais le temps, je l'ai pris, un peu trop. Une deuxième fois, grosse circulation. Et ce matin, un camion poubelles qui refusait de se serrer sur le côté pour laisser passer la longue file de voitures qui s'étirait derrière lui et qu'il bloquait.

Arriver après la sonnerie n'est pas dans mes habitudes. Pourtant, de plus en plus, cela ne perturbe pas. Le retard en cours est d'ailleurs un peu devenu monnaie courante chez les élèves qui, dans la cour vide, n'accélèrent guère le pas pour autant. Ainsi voit-on couramment à 8 heures arriver dans sa salle un défilé de retardataires, sourire aux lèvres, pas du tout essouffles et qu'il faut presque systématiquement renvoyer au bureau des surveillants pour enregistrer leur retard, ce qu'ils devraient faire avant même de se présenter aux professeurs. Mais si l'on peut se dispenser encore de quelques minutes de cours!. Champions toutes catégories: les troisièmes, surtout les filles! Maquillage oblige? Ou talons empêchant la marche trop rapide? Motifs les plus souvent invoqués: réveil tardif, embouteillage, panne de voiture, "a dormi chez sa grand-mère, son beau-père, etc". Un ancien surveillant, parti depuis longtemps, ne se cassait pas la tête. Sur chaque carnet présenté, à la case "motif", il inscrivait systématiquement "retard". Nous ne l'avions pas remarqué!

Quelques-uns de mes collègues n'ont pas les mêmes scrupules que moi pour être à l'heure. Leur réputation est faite depuis longtemps. Ils n'en souffrent pas. Ça doit être ça, l'ataraxie!

Mais l'éducation n'est pas le seul domaine où l'on pratique assidûment le retard. La SNCF, particulièrement les TER, s'en est fait, ces dernières années, une image de "démarque", l'artisan qui doit me changer deux portes fenêtres se fait attendre depuis quinze jours et n'a même pas pris la peine de répondre aux deux premiers messages que je lui avais laissés sur son téléphone portable. A la troisième tentative, j'ai pu le joindre. Aucun mot d'excuse, bien entendu. Ma grand-mère avait coutume de dire: "La ponctualité est la politesse des rois." Mais j'oubliais qu'il y a bien longtemps que nous ne sommes plus en monarchie...

jeudi 10 février 2011

De tout, de rien.

Dix heures passées! Vite, le blog, pour ne pas trop écourter la nuit. De quoi parler ce soir? De la petite forme de Jean-Claude qui s'est enfin résolu à aller consulter son généraliste? Des trois nouvelles voitures des Pieds Nickelés? De ma journée de travail? De cet élève mis à pied un jour pour être sorti du collège sans autorisation pour aller fumer un joint? De la soirée avec François-Jean, toujours égal à lui-même? Du fait que je fume maintenant à l'aise un paquet de cigarettes par jour? De la journée de demain qui sera longue? De mon ras le bol de certains collègues fumistes? De ma mère? D'un nouveau second rôle (mais je n'ai pas le temps)? Du soleil qui a mis si longtemps à apparaître aujourd'hui? De ma lecture en cours? De mon bonheur à dormir, même brièvement? De mon directeur qui ne craint pas, à table, de lancer quelques blagues un peu osées? De mon appareil photos au chômage depuis quelques temps? De mon futur voyage à Rome que j'envisage toujours avec un immense plaisir? De la générale de Cosi fan tutte où nous irons tous les trois, Frédéric, Jean-Claude et moi? De tout? De rien? Voilà, c'est fait.

mercredi 9 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (10): Christian Barbier

Christian Barbier, c'est pour moi l'homme des feuilletons que mes parents, très avares en télévision, me permettaient de suivre régulièrement dans mon enfance. Bien sûr, il reste célèbre pour son rôle de marinier dans L'Homme du Picardie avec Yvette Etiévant. Pourtant, ce n'est pas un extrait de cette production que j'ai choisi de montrer ce soir. En cherchant, je suis tombé, sur Youtube, sur ce petit bijou de mon enfance que j'avais complètement oublié: Les Corsaires (ou Corsaires et flibustiers: oui, Frédéric, tu avais encore une fois raison!).

Aux premières notes du générique chanté par François Deguelt, je me suis retrouvé en 1966, lorsque l'ORTF sortit cette série de quelques épisodes. J'aurais pu en chanter les paroles encore par cœur tant j'avais rêvé devant les aventures de ces héros et la beauté de Michel Le Royer (j'ai des excuses: je n'avais que treize ans!). Et puis me sont revenus en foule les souvenirs de ces moments passés devant d'autres feuilletons de ces années-là: Le Chevalier de Maison Rouge, du même Claude Barma, Le temps des Copains, Vive la vie, La Caravane Pacouli, et tant d'autres que j'oublie maintenant.

Malheureusement, en publiant mon article, je me rends compte que la vidéo des Corsaires n'est pas disponible, alors que l'on peut la visionner sur Youtube. je ne comprends pas! Alors, ce sera L'Homme du Picardie, malgré tout. Mais allez la voir vous-mêmes à cette adresse: http://www.youtube.com/watch?v=xGb1h9G9sVM.

Autre surprise

Alors que je ne l'attendais pas, Frédéric m'a fait la surprise de passer ce soir pour me montrer sa nouvelle voiture qu'il a réceptionnée cet après-midi: une DS3 Citroën, si je ne me trompe pas. Un coup de fil et je le rejoignais devant chez moi pour un petit tour rapide dans les rues déjà envahies par un léger brouillard. Moi qui ne suis guère sensible aux automobiles, je l'ai trouvée très belle, avec beaucoup de classe et de cachet. Une véritable petite bombe comme il le dit lui-même avec raison. Il me tarde de l'essayer plus longuement.

Surprise

Ce matin, cours commun avec ma collègue d'arts plastiques. Les élèves arrivent, plutôt calmes. Elle les agresse d'entrée de jeu, de sa voix égrillarde que parfois, moi-même, j'ai du mal à supporter. Au lieu de les calmer, elle les excite davantage. Je dis la même chose, fermement mais sans hurler. Ils se calment. Deux façons de faire. Comment peut-on vivre tout le temps dans le conflit?

Le projet me semblait au départ un peu loufoque: faire créer par les élèves un animal bizarre à partir d'un extrait du roman de J-C Mourlevat: La Rivière à l'envers (petit roman pour la jeunesse qui se révèle être un véritable petit bijou!). Ils doivent se servir de divers éléments apportés de chez eux, essentiellement objets végétaux (branches, écorce, feuilles...) et industriels (bouchons plastique, portemanteaux, ...). Je m'attendais au pire et à voir surgir de leurs mains de pitoyables horreurs branlantes. Je me trompais.

Peu à peu, j'ai vu prendre forme (pas chez tous, bien sûr), des silhouettes qui pouvaient ressembler à des animaux fantastiques tout droit sortis de leur imagination et du matériel à leur disposition, certains émouvants de fragilité, d'autres à l'allure agressive, des beaux, des laids, tous différents. J'avoue en avoir été bien surpris. Cela m'a rappelé une expérience quasi analogue: lorsqu'à Barcelone, il y a une vingtaine d'années, j'ai assisté à une répétition de la chorale d'enfants avant le concert de gala pour lequel nous avions été sélectionnés: trois chœurs, dont nous, sur une centaines de concurrents. Le chef de chorale avait tenu à auditionner chaque enfant individuellement et j'avais mal pour lui: nous ne serions jamais prêts pour le soir, nous allions nous couvrir de ridicule. Je trouvais toutes ces voix laides, désagréables, fausses. Lui ne semblait pas s'en formaliser. Et il avait raison: une fois réunies, elles constituèrent un magnifique ensemble, une harmonie parfaite et poignante. Le concert fut un succès absolu.

Les animaux seront terminés la semaine prochaine et prendront vie grâce à un dialogue que chacun imaginera entre lui et sa créature.

mardi 8 février 2011

Le Chemin des âmes

On dit qu'il est des livres à la lecture desquels on peut difficilement s'arracher. Je viens d'en terminer un: Le Chemin des âmes, du canadien anglophone Joseph Boyden. Un titre un peu mièvre qui cache un grand roman comme je les aime. Deux jeunes amérindiens de la tribu des Cree, passionnés de chasse et de grands espaces, s'engagent comme volontaires dans le grand conflit européen de 14-18. Ce qu'ils vont découvrir enchantera l'un comme un philtre magique qui finira par le rendre fou. L'autre, gravement blessé, sera, à la fin de la guerre, rapatrié dans son pays et ramené dans son territoire en pirogue par sa vieille tante qui l'arrachera des griffes du souvenir et de la morphine.

Les pages alternent récit des batailles dans le nord de la France, atrocités et portraits bien trempés, et remontée de la rivière canadienne, à peine moins sombre. Le narrateur est tantôt la tante qui, pour sauver Neveu, lui racontera, tout au long de leur voyage, les années d'enfance des deux futurs soldats, tantôt Neveu lui-même, découvrant progressivement que son ami s'est transformé en bête féroce et qu'il lui reste, pour l'arracher à la folie meurtrière, à faire le geste que lui seul à le droit de faire.

C'est beaucoup plus qu'un livre de guerre. D'ailleurs rien n'est poussé à l'outrance pour complaire au lecteur avide de sensations fortes. Et pourtant, ces sensations, on les éprouve, face aux faits bien sûrs, mais surtout grâce à une sorte de retenue dans le récit qui les rend encore plus poignants. C'est un premier roman publié en 2004 au Canada et traduit en France en 2006. Depuis, un recueil de nouvelles, Là-haut vers le Nord, et un second roman, Les Saisons de la solitude (encore un titre sur lequel il y aurait beaucoup à dire), sont également sortis, respectivement en 2008 et 2009. Je ne vais sans doute pas résister longtemps.

lundi 7 février 2011

Couvertures

A chaque nouvelle édition ou presque d'un roman pour la jeunesse, l'éditeur en change non seulement l'illustration de première de couverture mais aussi maintenant (c'est nouveau) la pagination. Une façon comme une autre d'enquiquiner les professeurs qui font étudier régulièrement ces œuvres. Pourtant, il me semble que nous sommes parmi leurs meilleurs clients!

Ces nouvelles illustrations sont, à mon avis, de plus en plus laides et aguicheuses. Tout y est fait pour attirer le jeune chaland: visages des personnages ultra-modernes, souvent façon manga, mise en exergue des scènes les plus "violentes", quitte à en réinterpréter gravement le contenu, choix de couleurs tape-à-l'œil sans rapport avec l'atmosphère du roman. Ainsi ai-je vu passer une première de couverture des Dix Petits Nègres vert pistache.

Quand j'étais moi-même enfant, je rêvais devant ces portes ouvertes à l'imagination. Ou bien, pour d'autres livres sans illustrations, je restais de longs moments à observer le titre et le nom de l'auteur, essayant d'imaginer par avance les plaisirs que les pages imprimées allaient bientôt m'apporter. C'était par exemple le cas des romans de Jules Verne dans l'édition Hetzel, avec leur couleur rouge profond et leurs dorures un peu baroques. Les dessins intérieurs, légendés d'une phrase extraite du roman, me fascinaient. J'apprends ce soir qu'ils étaient pour la plupart d'un certain Paul Souzé dont, malgré mes recherches, je n'ai rien pu savoir. Je me souviens encore d'une forêt d'eucalyptus qui devait se trouver dans Les Enfants du Capitaine Grant, je crois. Dessins en noir et blanc qui laissaient toute latitude à l'esprit enfantin pour vagabonder, et je ne m'en privais pas. Place était faite au rêve et à la poésie, dans une recherche de beauté et de précision: de vraies gravures!

Aujourd'hui, les illustrations actuelles ne m'inspirent rien, que rejet bien souvent. Est-ce parce que j'ai perdu mon âme et mon regard d'enfant? Mais alors, si c'est le cas, pourquoi certains de mes élèves me disent parfois: "Monsieur, la couverture est moche!"? Il leur faut alors un effort supplémentaire pour avoir envie d'ouvrir un pareil livre et je dois bien souvent donner le coup de pouce nécessaire.

Andrée Chedid

Andrée Chedid vient de mourir. Même si j'ai apprécié en son temps les chansons de son fils Louis, je me fiche bien qu'elle soit mère et grand-mère de chanteurs célèbres. Pour moi, et bien que j'aie relativement peu lu de ses écrits, elle reste un écrivain à part, pas un grand parfois ennuyeux, ce qu'elle n'a sans doute jamais voulu être, mais une voix de femme, singulière et unique, un auteur délicat et discret qui ne s'impose ni dans son œuvre, ni dans son style tout en finesse. Je relis souvent le premier texte que j'ai connu d'elle, et que j'ai fait étudier jusqu'à l'an dernier à mes élèves de cinquièmes: La Chèvre du Liban. J'ai cette année abandonné devant l'incompréhension des adolescents pour une histoire qui, sans doute, les dépasse un peu. Je crois que c'est cette nouvelle qui m'a donné à moi l'envie d'aller faire un tour là-bas il y a quelques années, alors que la guerre n'était pas encore vraiment terminée.

dimanche 6 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (9): Jean Tissier

Celui-ci, je crois que c'est mon préféré. Particulièrement dans deux films: L'Assassin habite au 21 de Clouzot (1942) où il joue un rôle de vieux fakir résidant dans une pension pour artistes finissants (ou déjà finis), et dans Un Drôle de paroissien de Mocky (1963) où il incarne l'inspecteur Bridoux se cachant derrière de multiples déguisements pour épingler Bourvil, le pilleur de troncs. Une filmographie impressionnante même si inégale. A son palmarès, outre ceux déjà cités: Carné, Cayatte, Chabrol, Vadim, Autan-Lara, Christian-Jaque. Son avant dernière apparition aura lieu dans La Veuve Couderc de Granier-Deferre.

A la fin de sa vie, il vécut dans un dénuement presque total et devint hémiplégique. Homme intelligent, à la voix et à la dégaine reconnaissables entre toutes, il sera surnommé "le nonchalant qui passe".

Pas de vidéos disponibles de mes deux films préférés. Il faudra se contenter de Notre-Dame de Paris de Delannoy (1956) où il prête ses traits au rusé Louis XI. Vidéo à goûter aussi pour Anthony Quinn et Alain Cuny.
A noter également une interview intéressante du comédien par Claude Mossé à la TSR.

Réticence

Ce soir, je n'ai pas envie d'écrire. Je me dis "A quoi bon? Prends ton bouquin, mets-toi devant la télé, va de coucher plus tôt." Un moment de vide peut-être dû à la soirée d'hier soir, anniversaire d'un ami, qui nous a conduit bien loin dans la nuit. Soirée réussie et où pourtant j'allais un peu à reculons. Mais je sais aussi que le bouquin, ce sera pour tout à l'heure, que je ne parviendrai pas à me concentrer devant un film et que me coucher tôt relèverait pour moi vraiment de l'exploit.

Alors, je suis revenu ici, devant l'écran, j'ai lu ce que les autres ont écrit, j'ai laissé quelques commentaires, toujours un peu laconiques, trop courts sans doute au jugé des autres, mais dictés dans leur brièveté par une sorte de pudeur qui me fait, comme l'escargot, me rétracter dès que j'ai sorti mes cornes. Je ne peux que rarement, dans ces commentaires, m'exprimer totalement. Cela passe sans doute pour une certaine froideur de ma part, alors que c'est tout sauf ça. Je crois que mon vieux démon d'enfance est toujours là, même si, en public, il n'apparaît guère: je n'aime pas m'imposer.

Pourtant, la journée a été belle, très belle et agréable: matinée aux puces avec Jean-Claude et Frédéric, où je me suis laissé tenter par une table de nuit en ronce de noyer pour ma chambre d'ami, repas délicieux préparé par ma sœur, détour par la Loire cet après-midi pour entretenir les tombes (comme la vallée qui monte doucettement au cimetière à travers bois est belle. je ne peux y passer sans éprouver chaque fois un sentiment de quiétude.), surprise de voir mon frère et ma belle-sœur arriver en fin d'après-midi avec du boudin et du sabodet pour chacun. Une parenthèse printanière au cœur de l'hiver.

samedi 5 février 2011

Ochlophobie?

Je n'ai jamais aimé la foule. Toujours, j'ai tâché de l'éviter, de la contourner, de réduire au minimum mes contacts avec elle. Maintenant, cette phobie est devenue presque maladive. Lorsque je me sens cerné par tous ces gens qui déambulent, je deviens vite agressif, j'ai envie de foncer dans le tas, de m'ouvrir un chemin coûte que coûte au milieu de la marée humaine, que ce soit dans la rue, dans les magasins ou même au collège. J'ai beau me raisonner, me dire qu'ils ont autant le droit que moi d'être là, , de profiter du soleil et de la douceur revenus, qu'ils sortent ce jour-là parce qu'ils n'en n'ont pas d'autres pour la plupart, je ne tiens pas longtemps.

C'est la même chose lors de soirées où je côtoie trop d'invités. Au-dessus de cinq, je ne suis plus là, je rentre en moi-même, je n'écoute plus, je n'entends plus ce qui se dit. Je suis un homme de petit comité, frisant l'intimisme. Pourtant, je ne m'estime pas asocial, j'aime bavarder, échanger, apprendre des autres, leur faire part de ce que je sais, mais toujours en petit groupe. J'espère ne pas être méprisant en écrivant cela, tout en n'en étant pas certain.

Maria Schneider

Sa mort est presque passée inaperçue. C'est Frédéric qui me l'a apprise hier soir. Elle avait mon âge, à peine quelques mois de plus. Un peu jeune pour mourir mais le cancer n'est pas si regardant. On l'a adulée, et beaucoup critiquée, pour son rôle de Jeanne dans le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci en 1972. Elle y avait comme partenaire Marlon Brando. Deux autres de ces films à citer: Profession: reporter (1975) d'Antonioni et La Dérobade (1979) de Daniel Duval. Elle s'appelait Maria Schneider.

vendredi 4 février 2011

Plaisir intime

La chanson de Barbara, Dis, quand reviendras-tu?, que l'on entend dans le générique du film Il y a longtemps que je t'aime,de Philippe Claudel. C'est Jean-Luis Aubert qui la chante, plutôt bien, mais qui peut égaler la longue dame brune?

Momentini

- Le temps s'est radouci et le soleil a fait une percée bienvenue cet après-midi. Avant-goût du printemps? Je n'y crois pas encore. Autrefois, je détestais le mois de février, particulièrement ce mois-ci pourtant plus court que les autres. Maintenant, j'attends qu'il passe, comme tous les mois d'hiver.

- Journée éreintante: sept heures de cours et une réunion. Un simple arrêt d'une demi-heure pour déjeuner. Qui n'est pas enseignant ne peut imaginer la fatigue psychique que cela entraîne, même si tout se passe bien, ce qui fut le cas aujourd'hui. J'ai conduit lentement pour rentrer, à l'instant, commençant la décompression. Ce soir, repas chez Jean-Claude. Rien à préparer, rien à faire, qu'à me laisser conduire. C'est ce qu'il me faut.

- L'après-midi a été consacré à l'approche du genre policier, avec mes cinquièmes qui en connaissent déjà un brin et deux autres classes. La collègue avec qui j'intervenais, jeune professeur encore remplaçante, m'a surpris par son dynamisme et son autorité naturelle. Il faut à tout prix qu'elle réussisse ses concours. Elle est faite pour enseigner. Mais pourquoi doute-t-elle à ce point d'elle? Excès de perfectionnisme sans doute.

- Le récit de l'accident de la route qu'a connu Cornus m'a remis en mémoire le mien, il y a plus d'un an, lorsque j'ai renversé une de mes élèves. Je n'en suis plus trop affecté et l'adolescente se porte bien, mais il est plus difficile que je ne le croyais d'oublier ce genre de traumatisme.

- Vu hier la fin d'un film à la télévision: Il y a longtemps que je t'aime, de Philippe Claudel. Regretté de ne pas avoir vu l'ensemble, alors que je dormais devant La Grande Librairie où je voulais écouter Jonathan Coe que finalement je n'ai fait qu'apercevoir. Un film sur l'euthanasie donc, émouvant à souhait. Et puis que Kristin Scott Thomas est belle!

- Je ne suis pas allé sur la tombe de Pierre depuis à peu près un mois. C'est la première fois que je laisse passer autant de temps. Je n'en éprouve pourtant pas de remords. Les chose ont repris leur place et la réfection de mon appartement m'entraîne en avant. Il me tarde maintenant de le voir terminé et en ordre.

jeudi 3 février 2011

Jérémiades

Parents:
- Monsieur, le cartable de mon fils est trop lourd. Je lui ai permis de ne pas prendre son livre de français. Ceci ne doit en aucun cas être considéré comme un oubli.

- Monsieur, je ne comprends pas pourquoi mon fils n'a pas fait le contrôle. Bien sûr, il était absent ce jour-là: il faisait un voyage qui lui a apporté des connaissances beaucoup plus intéressantes que ce qu'il apprend à l'école, mais il faudrait le lui faire passer.

- Monsieur, je voudrais un rendez-vous avec vous mais je préfère que ce soit vous qui fixiez la date. De toutes façons, je suis rarement libre.

- Monsieur, vous me demandez ce que je pense de la présentation du travail écrit de ma fille, travail que vous considérez comme un torchon. Personnellement, je le trouve tout à fait acceptable. Et puis, vous n'aviez pas dit que vous alliez le ramasser. ( Ce mot provient d'une mère d'élève professeur dans le supérieur!)

- Monsieur, ma fille est dyslexique (précision de ma part: dyslexie de surface) et le fait que vous lui comptiez ses fautes la décourage (autre précision de ma part: ces fautes n'ont rien à voir avec la dyslexie). Je sais bien que je peux faire un dossier pour qu'elle obtienne un tiers-temps mais ça me prendrait trop de temps.

- Monsieur, tous les livres que vous faites lire aux élèves parlent de la mort. C'est bizarre!

Élèves:
- Monsieur, je n'ai pas pu faire mes exercices d'orthographe pendant ces vacances de Noël: nous sommes partis au ski et le livre ne rentrait pas dans la voiture.

- Monsieur, vous donnez trop de travail: le mercredi après-midi, j'ai équitation, tennis et guitare. Je ne peux pas tout faire.

Autres:
- Monsieur, je suis l'orthophoniste de XXX. Vous devez faire vos cours comme ci et comme ça (résumé d'une très longue lettre de cette orthophoniste).

Et le reste à l'avenant! J'ai abrégé, bien sûr, mais gardé l'esprit ! Vous comprenez maintenant pourquoi, parfois ( de plus en plus souvent), j'ai vraiment hâte que l'heure de la retraite sonne! Pourtant,..... que la montagne est belle...

mercredi 2 février 2011

C'est à vous, Messieurs! (8): Jean Bouise

En voilà un que je connais davantage par le théâtre que par le cinéma. Avec sa femme, Isabelle Sadoyan, il fit les beaux jours du TNP de Villeurbanne, généralement sous la direction de Roger Planchon. Il est d'ailleurs mort à Lyon en 1989.

Au cinéma, c'est sans doute dans Les Choses de la vie de Claude Sautet en 1970 que je l'ai découvert. Il pouvait jouer à la fois des personnages inquiétants, aidé en cela par son physique particulier de myope et sa moustache abondante, ou profondément humains.

A cette époque, fin des années soixante début soixante-dix, je vivais encore chez mes parents, à Saint-Étienne. Ils étaient gérants d'un commerce d'alimentation et, n'ayant jamais ménagé leur peine, ouvraient même le dimanche matin. Pendant que ma mère préparait le repas et que mon père faisait des tournées dans les villages environnants, on me chargeait souvent de la vente et j'en profitais pour ajouter dix ou vingt centimes à la pesée réelle des achats en fruits et légumes des nombreux clients. En fin de matinée, j'avais amassé suffisamment pour me payer une séance de cinéma l'après-midi. Mes parents n'ont jamais su que je pratiquais cette "surtaxe": je crois, je suis sûr, qu'ils n'auraient pas apprécié!

Mais elle m'a permis de voir à ce moment-là des films comme Le Passager de la pluie, Ma Nuit chez Maud, Raphaël ou le débauché, L'Enfant sauvage, Le Voyou, Le cercle rouge, Le Conformiste, On achève bien les chevaux, et bien d'autres que j'oublie maintenant. Ce petit "vol" dominical m'a fait aimer le cinéma et, à lire cette liste, je me dis que je n'avais pas trop mauvais goût...

Eluard en herbe?

Liberté! hurlait-il, cet élève, croisé ce matin, en sortant de sa salle de classe. Je crois qu'il ne m'a même pas vu alors qu'il me frôlait pour rejoindre la cour de récréation et que je me dirigeais, avant de commencer mes cours, vers la salle des professeurs. Une boule d'excitation, comme s'il avait contenu trop longtemps son trop plein d'énergie ou son ennui profond.

Je ne le connais pas. Je ne sais même pas s'il est en cinquième ou quatrième. Jamais vu, ou alors avec un visage plus calme, plus résigné, qui fait qu'on ne le remarque pas. Ma première pensée fut que moi aussi, j'aspire à cette liberté qui, si tout va bien, me sera accordée d'ici trois ans environ. Liberté définitive que je saurais occuper en en savourant les instants.

Et puis, m'est venue à l'esprit cette idée, fulgurante, tenace, qui ne m'a plus quitté de la journée: cette liberté qui lui manque tant, sait-il seulement écrire son nom?

mardi 1 février 2011

Une habitude, déjà!

Il y a un mois environ, je me suis remis à fumer, alors que je m'en passais très bien depuis quatre ou cinq ans. Fatigue, tension nerveuse, je ne sais pas. J'ai commencé à tirer un peu sur celles des autres, puis j'en ai fumé une entière, puis j'ai acheté le premier paquet, en me disant qu'il n'y en aurait pas beaucoup d'autres derrière. Aujourd'hui, le paquet y passe dans la journée. En ce moment-même, en tapant sur le clavier, je suis en train d'en laisser se consumer une dans le cendrier. Certaines me font plaisir, d'autres sont déjà pur geste mécanique, à l'apéritif ou aux récréations par exemple. Les gestes reviennent très vite, comme naturels. A croire que cela reste toujours tapi en soi une fois qu'on y a touché
Lorsque j'ai commencé à courir, je fumais encore. Un jour, je me suis dit que je devais choisir entre ces deux plaisirs, et c'est la course qui a gagné. Peut-être faudrait-il que je reprenne un peu d'exercice physique?