lundi 29 septembre 2014

Pour faire patienter

Juste un petit billet ce soir. Je suis toujours là, même si fatigué. Après les funérailles, il faut s'occuper de la paperasse et surtout vider l'appartement : récupérer, jeter, donner, hésiter... Largement de quoi passer les journées. Nous n'arrêtons guère avec ma soeur.
Alors, je laisse un peu ce blog en friche. Mais ça va revenir.

mercredi 24 septembre 2014

Deux copines

Elles étaient deux amies, comme leurs mères l'avaient été avant elles, comme leurs fils le seraient après. L'une était un peu plus jeune que l'autre, l'autre un peu plus sage que l'une. L'une avait quatre enfants dont il reste deux, l'autre en avait sept dont il reste cinq : deux suicides chez l'autre, un accident et la maladie chez l'une.

Elles ont mené des vies bien différentes, l'une à déménager sans cesse, l'autre à rester toujours dans le même appartement inconfortable. L'une, avec la vieillesse et Parkinson, eut de plus en plus de mal à monter l'escalier pour aller voir l'autre, l'autre ne bougeait jamais de son village. Elles ne se virent plus pendant de longues années. Seul un fils de l'une entretenait le lien, en téléphonant parfois à l'autre, en lui envoyant fidèlement chaque début d'année une carte de vœux à laquelle elle répondait puis ne répondit plus. Les mains sans doute : l'écriture était devenue illisible.

Elles avaient toutes deux de très jolis prénoms. L'une est morte le mardi 16 septembre, l'autre le mardi 23, comme si elles s'étaient attendues pour partir ensemble. Elles seront enterrées dans le même cimetière, face au Mont Pilat, là où la nature est si belle.

L'une était ma mère, l'autre la mère d'Yvon.

mardi 23 septembre 2014

La Caverne des idées

Il avait tout pour me tenter ce bouquin : son titre ("La caverne des idées", m'évoquant immédiatement Platon bien sûr), son illustration (une peinture sur vase grec), son thème (une enquête policière dans l'Antiquité). Et ce fut pourtant un fiasco complet que cette lecture.

Histoire tarabiscotée et progressant lentement pour aboutir à une résolution d'énigme guère intéressante, récit entrecoupé de commentaires du "Traducteur", mais pas celui que je cite en fin de billet, celui qui traduit le manuscrit qui raconte l'histoire. Vous me suivez ? L'Hercule Poirot antique est exaspérant de suffisance et bien niais parfois le philosophe qui l'accompagne ! Un roman baroque ou plutôt rococo. Ou alors trop intellectuel pour moi...
( José Carlos Somoza, La Caverne des idées. Ed. Actes sud. Trad. de Marianne Millon.)

Fiction (12)



Dans le salon, rien d’anormal. Tout l’étage était dans l’état où je l’avais laissé. Ce n’est qu’en bas, dans la chambre, que quelque chose clochait : une porte du placard mural était entrebâillée et, juste devant, le couvre-lit était légèrement froissé, comme si quelqu’un s’y était assis un instant. Quelqu'un de distrait n’y aurait pas prêté attention mais je suis maniaque : je ne supporte pas de laisser les placards ouverts et j’aime que le lit soit fait au carré. Pour moi, cela augmente le plaisir de l’ouvrir au moment de me coucher. 

Mes affaires personnelles, chemises, vestes, pantalons pendaient toujours impeccablement aux cintres et la pile de mes t-shirts et de mes sous-vêtements n’avait pas été dérangée. Ma valise, qui ne contenait que peu de choses, les prises pour recharger mon téléphone et mon appareil-photos, le roman d’Ogawa et des sacs plastique pour enfourner le linge sale, n’avait pas bougé de la table basse au pied du lit. En revanche, le livre que je déposais sur la tablette en éteignant, était à l’envers, la quatrième de couverture apparente et non le côté de l’illustration et du titre. Et il me semblait percevoir dans l’atmosphère de la chambre la trace légère d'un parfum qui n’était pas le mien. Peut-être me faisais-je des idées sur ce dernier point mais j’étais sûr d’une chose : on avait fouillé ma chambre.

Je vérifiai que rien n’avait disparu, en particulier une somme d’argent liquide dans laquelle je puisais chaque matin pour les besoins de la journée et qui servirait aussi à finir de payer la location du gîte. Tout était là, mes clés de Lyon aussi et les photocopies de mails que m’avait envoyés Valeria. Un voleur aurait certainement fait main basse sur l’argent et probablement sur la deuxième montre que j’emportais toujours avec moi au cas où la pile de la première décide de rendre l’âme. Alors, qu’était-on venu chercher dans ma chambre et surtout qui y avait pénétré ? Un cambrioleur aurait laissé plus de désordre en essayant de trouver quelque chose susceptible de l’intéresser.

Les hollandais étaient chez eux. Malheureusement, ils s’étaient absentés eux aussi toute la journée ou presque, une longue promenade dans les bois environnants, et ne purent me renseigner. Ils me conseillèrent de prévenir la police mais que dirais-je ? Absolument rien n’avait été dérobé et si je mentionnais la clé retrouvée dans un autre pot, la porte du placard et le couvre-lit avec empreinte fessière, ils me riraient sans doute au nez. Dorée et Tom firent rapidement le tour de leur propre étage et ne constatèrent rien d’anormal. La personne à prévenir était plutôt Valeria mais elle ne rentrait d’Autriche que le lendemain et passerait le soir pour faire ma connaissance et empocher le reste du loyer. Il me fallait attendre son retour.

La découverte de cette intrusion m’avait d’abord inquiété mais maintenant, c’était de la colère que je ressentais, en même temps qu’une désagréable impression de viol de mon intimité. Je n’avais rien à cacher mais je ne supportais pas l’idée qu’un étranger ait pu toucher mes affaires. Sans compter qu’au moment de me coucher, il me faudrait prendre un certain nombre de mesures  pour éviter une nouvelle tentative, nocturne celle-là. 

Tom et Dorée, qui avaient perçu mon inquiétude et la ressentaient pour eux-mêmes, m’invitèrent à partager leur repas. J’acceptai volontiers et nous nous installâmes sur leur terrasse où, sans apéritif puisqu’ils ne buvaient jamais d’alcool, je goûtai aux plats de Dorée. La cuisine italienne façon hollandaise n’est pas ce qu’il y a de mieux mais la conversation dévia bientôt sur d’autres sujets que l’intrusion et eut l’avantage de me la faire oublier le temps d’un dîner. Ce n’est qu’en rentrant, un peu plus tard, que les questions que je me posais revinrent m’assaillir.



lundi 22 septembre 2014

Fiction (11)



J’y arrivai en fin d’après-midi. C’était le meilleur moment pour découvrir ces ruines. J’étais presque seul et le soleil couchant donnait au site une beauté d‘une douceur infinie. Au bout d’une allée de cyprès bordée par des champs se dressait l’ancienne abbaye cistercienne dont les voûtes s’effondrèrent au XV° siècle. J’appris, sur la plaquette que l’on me donna à l’entrée, que Galgano Guidotti, avant de revêtir l’habit cistercien, avait eu une jeunesse agitée. Cette biographie sommaire et surtout la douceur du lieu m’évoquèrent immédiatement Assise et son saint turbulent. Même les oiseaux qui nichaient dans les anfractuosités du bâtiment et dont les nids étaient occupés par des petits piaillant qu’ils étaient en train de nourrir me ramenaient au Poverello.

Je m’assis sous une des arches de l’ancien cloître et me laissai gagner par la spiritualité ambiante. Ici et à San Damiano soufflait le même esprit. Un peu plus tard, un couple de visiteurs passa près de moi mais ne me dérangea pas : eux aussi restaient silencieux car il semblait que jamais personne ne pouvait ici élever la voix. C’était cette sérénité que j’étais venu chercher en Toscane cet été-là. Il m’avait fallu parvenir jusqu’à ce lieu reculé pour le comprendre. J’aime Rome, passionnément, mais nulle part je n’y ai jamais trouvé cette simplicité que j’envie aux vrais croyants. 

On vint me prévenir que l’abbaye fermait. Après l’allée de cyprès, de l’autre côté de la route, se trouvait une petite auberge tenue par une femme que l’on aurait pu prendre pour une paysanne tant sa tenue était simple. Il y a des instants, rares et fugaces, dans la vie, où tout semble en harmonie. J’avais conscience de vivre un de ces instants. Ma voiture était la dernière sur le parking, la femme avait disparu dans l’auberge et moi, seul, je contemplais les ruines que la nuit allait bientôt envahir.

J’eus du mal à me décider à partir mais il me restait encore quelques kilomètres à parcourir et j’empêchais sans doute l’aubergiste de fermer sa boutique, bien qu’à aucun moment, lorsqu’elle réapparut, je ne sentis chez elle la moindre impatience. Ici, le monde allait lentement. Tellement pris par la beauté des ruines, j’avais totalement oublié de monter jusqu’à l’ermitage qui les domine et où est conservé la dépouille de San Galgano. En reprenant la route, je savais que je reviendrais un jour.

Lorsque je parvins au portail du gîte, la paix intérieure qui m’avait envahi à l’abbaye ne m’avait pas quitté. La nuit venait de tomber. J’étais heureux d’être là. Après tout, c’était, pour une semaine, mon ermitage à moi. Mais la voiture des hollandais me replongea dans la réalité : je partageais mon ermitage ! Je n’avais aucune envie de rencontrer mes voisins ce soir-là et, heureusement, ils ne se montrèrent pas. 

Dans un des pots d’hortensias de la terrasse, je voulus récupérer la clé que j’avais cachée là par peur de la perdre au cours de mes déplacements et aussi parce qu’il s’agissait d’une clé ancienne, lourde et volumineuse. A tâtons, je la cherchai sous les feuillages. Après deux ou trois essais infructueux, il fallut bien me rendre à l’évidence : elle n’y était pas. J’étais pourtant sûr de l’avoir laissée en partant.

Je finis par la trouver dans un autre pot, à côté de celui où j’avais cru la mettre. J’étais fatigué le matin et j’avais pu me tromper. L’essentiel était que je puisse entrer. Mais ma sérénité m’avait abandonné. Et ce que je découvris à l’intérieur ne fut pas pour me calmer.

dimanche 21 septembre 2014

Fiction (10)



J’eus un peu de mal à émerger le matin. J’avais sans doute rêvé mais je ne savais pas de quoi, ni de qui. L’impression de malaise ressentie avant de m’endormir persistait au réveil et il me fallut plusieurs cafés pour me sentir capable de prendre la route. Tom était déjà debout et me lança un tonitruant « hello » depuis sa fenêtre où, torse nu, il profitait du soleil en buvant un verre de lait. 

Tout en lui rendant son bonjour, ce à quoi se résuma notre conversation car Dorée l’appelait déjà de l’intérieur, je pus vérifier que l’impression de force qui se dégageait de lui habillé n’était pas fausse. Avoir un torse pareil et de tels pectoraux devait demander une pratique intensive du sport et de la musculation. Mais son visage restait celui de l’enfant qu’il avait été et le fait qu’il venait lui aussi de se réveiller accentuait sur ces traits cette juvénilité attardée.

Le GPS de ma voiture m’indiqua, depuis Lucca, une route que je n’avais jamais empruntée. Je traversai plusieurs villages sans intérêt notoire et dont l’alignement rectiligne des maisons n’incitait pas à la contemplation. Deux fois, il me fallut attendre un temps infini que les barrières de passages à niveau consentent à se relever. Au second, un couple de cyclistes tenta la traversée alors que le train, qu’ils n’avaient pas vu à cause d’une courbe, arrivait. C’est le sifflement rageur de la locomotive qui les fit stopper à la dernière seconde. Eux se contentèrent d’en rire, bêtement.

Sienne est une ville en deux parties séparées par un profond vallon, urbanisé lui aussi, qui relie le quartier du Dôme et de la Piazza del Campo d’un côté à celui de l’église San Domenico de l’autre. Contrairement à toutes les autres fois où j’étais venu dans cette ville, c’est par ce dernier côté que j’arrivai. Tout près de l’église, un panneau m’indiqua un parking payant qui n’était autre que le dessous des gradins  d’une aire sportive. Endroit sinistre et tortueux où je finis par me garer en priant pour retrouver ma voiture intacte en fin de journée.

Après la visite de San Domenico où Sainte Catherine connut ses extases et qui en montre à la fois le seul portrait et la tête conservée dans un tabernacle, je m’apprêtai à franchir le vallon pour remonter vers la partie de la ville qui m’intéressait davantage quand une bride de ma sandalette cassa net. Impossible d’aller plus loin sans risquer la chute : je perdais ma chaussure à chaque pas. Je m’assis à la terrasse d’un restaurant où, pendant le repas, le serveur m’indiqua où trouver un magasin pour en acheter une nouvelle paire.

Enfin, je me retrouvais en terrain connu. Bientôt, je pus revoir la place en forme de coquille où se déroule la course du Palio, le Palazzo Publico dominé par son impressionnante Torre del Mangia et, surplombant la vieille ville, le Dôme : Santa Maria Assunta dont j’aime tant le pavement. Mais je ne visitai rien : le bonheur de vagabonder dans ces ruelles étroites où, malgré l’affluence des touristes, on percevait la beauté de l’architecture et l’ancienne richesse de la ville gibeline me suffisait. En passant devant la Pinacothèque, je me souvins de l’émerveillement du jeune homme que j’étais trente ans plus tôt lorsqu’il avait découvert les splendeurs de la peinture religieuse qu’elle renferme.

Et puis j’avais l’intention de me rendre ensuite à San Galgano, une abbaye en ruines non loin de là, où avait été tournée la dernière scène du Repos du guerrier, le film de Roger Vadim dont la musique de Michel Magne me trottait encore dans la tête.