vendredi 12 septembre 2014

Fiction (6)



Lucca est une ville agréable, aristocratique par certains aspects. Cernée d’une muraille sur plus de quatre kilomètres, elle offre au touriste ses rues étroites où les magasins de luxe côtoient les plus humbles échoppes et possède, outre un nombre infini d’églises de style pisan, une place ovoïde qui respecte l’emplacement d’un ancien amphithéâtre romain. Je ne résistai pas à l’attrait d’une terrasse de café, et regardai déambuler les quelques touristes et les gens du cru qui la traversaient.

Comme à Sienne, le soleil, se déplaçant le long des façades, en mettait en valeur les couleurs pastel et, comme à chacun de mes voyages dans ce pays, je me disais qu’il faisait bon vivre en Italie. Je percevais quelques bribes de conversation aux tables voisines, une famille allemande à la peau trop rougeoyante, une table d’asiatiques , qui semblaient nombreux cette année-là dans la péninsule, et beaucoup d’italiens, les seuls dont je comprenais la langue s’ils ne parlaient pas trop vite.

Le barman s’adressa à moi en anglais, ce qui a toujours le don de m’agacer. Le français est-il donc aussi en recul chez nos cousins transalpins ? Je lui répondis en italien et fus heureux de constater qu’il me comprenait parfaitement. J’avais appris sa langue des décennies plus tôt, à la Dante, à Lyon, et avait ensuite séjourné tout un été à l’Université pour Étrangers, à Pérouse, où, inscrit dans un groupe francophone, je m’étais vite désolidarisé de ms compatriotes et avais pu ainsi faire de rapides progrès, pour l’accent en particulier. Hélas, ce séjour était maintenant lointain et j’avais conscience de faire parfois des fautes impardonnables. Mais commander une bière alla spina était encore à ma portée.

Dans la périphérie de la ville, je trouvai par hasard un supermarché dont j’appris qu’il était ouvert tout le dimanche, ce que mon sympathique restaurateur ignorait sans doute. J’y fis mes courses pour la semaine, en m’octroyant le plaisir d’une bouteille de Campari que je me voyais bien déguster le soir, sur la terrasse du gîte.

A mon retour, la voiture des hollandais avait disparu. Eux aussi profitaient de la belle journée pour découvrir la région qu’ils m‘avaient dit ne pas connaître. Les deux étages que je louais étaient, on l’a compris, un peu « rustiques ». Je me demandais même comment Valeria avait pu obtenir son agrément auprès de l’organisme italien compétant. Personnellement, j’étais ravi de ce côté campagnard mais je n’étais pas sûr que cela plaise à la majorité des étrangers pour qui la Toscane était sans doute synonyme de luxe et de détente dans des villas avec piscine. 

Je voulus vérifier si l’étage de mes voisins était dans le même état et, profitant de leur absence, gravis les quelques marche qui, au milieu d’une rocaille, conduisait à leur terrasse. Contrairement à la mienne qui était de bois plein, leur porte était vitrée, ce qui me facilita les choses. Mais, de cette porte, on apercevait seulement un angle de la pièce où la femme se tenait à la fenêtre le matin même. Rien à voir avec le bas : ici, tout avait été repeint de couleurs claires et les meubles, ou ce que j’en vis, la table et les chaises de ce qui semblait être la cuisine, avaient l’aspect du neuf bon marché.

Finalement, je m’estimais heureux d’avoir hérité du bas,  plus personnel. D’ailleurs c’était là que Valeria, résidant habituellement à Lucca, près du lycée artistique où elle enseignait la danse, se réfugiait lorsqu’elle éprouvait le besoin de se ressourcer. J’avais appris au téléphone que sa mère, d’origine romaine, avait acheté cette maison une trentaine d’années plus tôt à des vignerons trop âgés pour pouvoir encore s’occuper de leurs vignes. Les vignes avaient dû disparaître dans l’enchevêtrement des arbres qui cernaient la maison car je n’en vis jamais un pied. Mais la maison, malgré d’indispensables remaniements, gardait encore son cachet d’antan et la présence de cette femme artiste, Valeria, y était partout perceptible.

Alors que j’allais m’aventurer un peu plus loin, un bruit de moteur me fit sursauter et je reconnus facilement le grincement du portail du bas de la propriété qui indiquait l’arrivée de mes voisins. Je n’eus que le temps d’écraser ma cigarette sur le sol et de redescendre à grandes enjambées jusqu’à mon domaine. Déjà leur voiture arrivait sur le terre-plein.


11 commentaires:

Cornus a dit…

En flagrant délit de curiosité...

plumequivole a dit…

Mais attention, si le curieux se fait surprendre par le Hollandais à la poigne de fer...

plumequivole a dit…

Parce que, avez-vous remarqué ce curieux est aussi imprudent, il a écrasé sa clope sur la terrasse avant de descendre ! Et ça le Hollandais il va le voir !

Calyste a dit…

Cornus : en plus, cet épisode (sauf l'arrivée de la voiture) est vrai.

Plume : Madame a le nez d'un fin limier !

Cornus a dit…

J'avais bien sûr remarqué le mégot abandonné à un endroit anormal.

Calyste a dit…

Cornus et Plume : tous les deux, on dirait Hercule Poirot et Miss Marple !

karagar a dit…

erreur la cigarette, erreur !

karagar a dit…

oh zut, tout le monde a dit la même chose !

Calyste a dit…

Karagar : erreur de la part du personnage, mais fait bien exprès de la part de l'auteur.

Cornus a dit…

Tu me rappelles d'anciennes blagues photographiques karagaro-plumo-fromfromo-cornusiennes. Sauf qu'à l'époque, Fromfrom était Miss Marple, Plume aussi Hercule et Karagar Hastings.

Calyste a dit…

Cornus :je voudrais voir ça !