mercredi 10 septembre 2014

Fiction (4)



Il plut beaucoup cette nuit-là. Sans compter l’orage sur l’autoroute, ce fut la seule fois de mon séjour, mais les éléments s’étaient déchaînés. Plusieurs fois, je me réveillai à cause du tonnerre qui faisait vibrer les vitres de la chambre et projetait parfois des éclats de lumière par les interstices des volets. J’aurais voulu ouvrir la porte et, nu, me laisser doucher par ce déluge mais, à chaque fois, je replongeais trop vite dans le sommeil. 

Dans mon rêve, je suivais un chemin dans le noir, guidé seulement par la lumière lointaine d’une tour illuminée qui m’attirait comme un aimant. Le bois résonnait d’un air que j’étais sûr de connaître mais que je n’arrivais pas à identifier, un air classique, comme l’ouverture d’un opéra romantique. Et au moment où la diva allait enfin chanter, je vis apparaître une louve, les flancs maigres à en laisser deviner les côtes sous le poil râpé, une vieille louve solitaire qui m’emboîta le pas sans que j’en fusse effrayé. Longtemps, nous cheminâmes côte à côte. Curieusement, alors que je me dirigeais toujours vers la lumière de la tour, celle-ci semblait peu à peu s’éloigner. Bientôt, je me retrouvai dans l’obscurité totale. Je ne pouvais rien voir, mais je savais que la louve n’était plus là. La musique avait cessé.

Ce fut le calme soudain qui me tira de mon engourdissement. La pluie s'était arrêtée, aussi brusquement qu’elle avait commencé. Mes draps étaient moites et j’étais trempé de sueur. Je savais que la première nuit dans un lieu étranger ne m’était jamais agréable et que je ne pourrais pas, malgré ma fatigue, retrouver le sommeil. Fermer les yeux et m’y forcer ne servait à rien. Je parvins, dans l’obscurité, à découvrir l’interrupteur de la lampe de chevet et ouvris le livre que j’y avais déposé le soir sans plus y toucher. 

Avant le départ, au moment de choisir ceux que j’allais emporter, j’étais tombé, au fond de ma bibliothèque, sur cette biographie de François Ier que j’avais oubliée depuis plusieurs années. La vie de ce roi « italien » m’avait paru fort bien convenir pour les nuits toscanes et, par sécurité, si je n’accrochais pas, j’avais rajouté un roman de Yoko Ogawa, une japonaise dont la délicieuse perversité m’enchantait.

Alors que je m’assoupissais à nouveau, je crus entendre un cri, comme celui d’un jeune enfant qui rêve et qui s’effraie de son cauchemar. Le cri de détresse de quelqu’un qui demande de l’aide. La surprise me fit m’asseoir sur mon lit, le cœur battant. Mais j’eus beau tendre l’oreille, rien d’autre ne se produisit et tout ce que je percevais, c’était le martellement accéléré de mon pouls. Une chouette hulula un peu plus tard, sans doute perchée sur un des arbres proches du gîte.  Dans ma semi-conscience, j’avais dû, l’instant auparavant, transformer son premier cri en appel au secours. 

Le reste de la nuit, je dormis comme une souche, sans rêves, sans louve, sans musique et sans enfant apeuré, et c’est tout à fait reposé que j’ouvris la porte vers neuf heures et que je découvris la terrasse encore humide et, en haut, les hortensias perlés de gouttes de pluie et les feuilles vernissées du jasmin qui brillaient sous le soleil retrouvé. Après m’être préparé un café dans la petite melitta  grâce à un fond de paquet trouvé au fond d’un placard, je m’installai sur la terrasse du haut et allumai une cigarette. 

Le vallon à mes pieds, que je n’avais pu voir la veille à cause de l’obscurité, était envahi d’une véritable forêt vierge que l’on avait seulement élaguée aux abords de la maison, sans doute pour éviter que le feu ne la touche en cas d’incendie. La majorité des arbres de cette jungle étaient des mimosas dont les fleurs, maintenant passées, devaient embaumer à la bonne saison. Sur la colline en face, à l’endroit où, le soir, j’avais vu la lune peu à peu se lever, le toit d’une seule bâtisse dépassait de la végétation. Et, derrière moi, tout au sommet, le clocher d’une église pointait au milieu des arbres qui cachaient le village autour. Ainsi, j’en étais sûr maintenant, étais-je bien isolé. Même la maison du voisin qui m’avait remis les clés n’était pas visible d’ici.

Alors que je revenais à la table de fer pour terminer ma tasse de café, une voix me fit sursauter : « Bonjour ! »
En levant les yeux vers l’étage, je vis une femme, les coudes appuyés sur le rebord de la fenêtre, qui me souriait.

3 commentaires:

karagar a dit…

En quelle langue, ce "bonjour"?

Cornus a dit…

La pluie tiède nocturne fait rêver, nous qui n'avons eu droit qu'à des pluies froides persistantes.

Calyste a dit…

Karagar : la réponse est dans la suite.

Cornus : eh oui, la Toscane !