Il plut beaucoup cette nuit-là. Sans compter l’orage sur
l’autoroute, ce fut la seule fois de mon séjour, mais les éléments s’étaient
déchaînés. Plusieurs fois, je me réveillai à cause du tonnerre qui faisait
vibrer les vitres de la chambre et projetait parfois des éclats de lumière par
les interstices des volets. J’aurais voulu ouvrir la porte et, nu, me laisser
doucher par ce déluge mais, à chaque fois, je replongeais trop vite dans le
sommeil.
Dans mon rêve, je suivais un chemin dans le noir, guidé
seulement par la lumière lointaine d’une tour illuminée qui m’attirait comme un
aimant. Le bois résonnait d’un air que j’étais sûr de connaître mais que je
n’arrivais pas à identifier, un air classique, comme l’ouverture d’un opéra
romantique. Et au moment où la diva allait enfin chanter, je vis apparaître une
louve, les flancs maigres à en laisser deviner les côtes sous le poil râpé, une
vieille louve solitaire qui m’emboîta le pas sans que j’en fusse effrayé.
Longtemps, nous cheminâmes côte à côte. Curieusement, alors que je me dirigeais
toujours vers la lumière de la tour, celle-ci semblait peu à peu s’éloigner.
Bientôt, je me retrouvai dans l’obscurité totale. Je ne pouvais rien voir, mais
je savais que la louve n’était plus là. La musique avait cessé.
Ce fut le calme soudain qui me tira de mon engourdissement.
La pluie s'était arrêtée, aussi brusquement qu’elle avait commencé. Mes draps
étaient moites et j’étais trempé de sueur. Je savais que la première nuit dans
un lieu étranger ne m’était jamais agréable et que je ne pourrais pas, malgré
ma fatigue, retrouver le sommeil. Fermer les yeux et m’y forcer ne servait à
rien. Je parvins, dans l’obscurité, à découvrir l’interrupteur de la lampe de
chevet et ouvris le livre que j’y avais déposé le soir sans plus y toucher.
Avant le départ, au moment de choisir ceux que j’allais
emporter, j’étais tombé, au fond de ma bibliothèque, sur cette biographie de
François Ier que j’avais oubliée depuis plusieurs années. La vie de ce roi
« italien » m’avait paru fort bien convenir pour les nuits toscanes
et, par sécurité, si je n’accrochais pas, j’avais rajouté un roman de
Yoko Ogawa, une japonaise dont la délicieuse perversité m’enchantait.
Alors que je m’assoupissais à nouveau, je crus entendre un
cri, comme celui d’un jeune enfant qui rêve et qui s’effraie de son cauchemar. Le
cri de détresse de quelqu’un qui demande de l’aide. La surprise me fit
m’asseoir sur mon lit, le cœur battant. Mais j’eus beau tendre l’oreille, rien
d’autre ne se produisit et tout ce que je percevais, c’était le martellement
accéléré de mon pouls. Une chouette hulula un peu plus tard, sans doute perchée
sur un des arbres proches du gîte. Dans
ma semi-conscience, j’avais dû, l’instant auparavant, transformer son premier
cri en appel au secours.
Le reste de la nuit, je dormis comme une souche, sans rêves,
sans louve, sans musique et sans enfant apeuré, et c’est tout à fait reposé que
j’ouvris la porte vers neuf heures et que je découvris la terrasse encore
humide et, en haut, les hortensias perlés de gouttes de pluie et les feuilles
vernissées du jasmin qui brillaient sous le soleil retrouvé. Après m’être préparé un
café dans la petite melitta grâce à un
fond de paquet trouvé au fond d’un placard, je m’installai sur la terrasse du
haut et allumai une cigarette.
Le vallon à mes pieds, que je n’avais pu voir la veille à
cause de l’obscurité, était envahi d’une véritable forêt vierge que l’on avait
seulement élaguée aux abords de la maison, sans doute pour éviter que le feu ne
la touche en cas d’incendie. La majorité des arbres de cette jungle étaient des
mimosas dont les fleurs, maintenant passées, devaient embaumer à la bonne
saison. Sur la colline en face, à l’endroit où, le soir, j’avais vu la lune peu
à peu se lever, le toit d’une seule bâtisse dépassait de la végétation. Et,
derrière moi, tout au sommet, le clocher d’une église pointait au milieu des
arbres qui cachaient le village autour. Ainsi, j’en étais sûr
maintenant, étais-je bien isolé. Même la maison du voisin qui m’avait remis les
clés n’était pas visible d’ici.
Alors que je revenais à la table de fer pour terminer ma
tasse de café, une voix me fit sursauter : « Bonjour ! »
En levant les yeux vers l’étage, je vis une femme, les
coudes appuyés sur le rebord de la fenêtre, qui me souriait.
3 commentaires:
En quelle langue, ce "bonjour"?
La pluie tiède nocturne fait rêver, nous qui n'avons eu droit qu'à des pluies froides persistantes.
Karagar : la réponse est dans la suite.
Cornus : eh oui, la Toscane !
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