mardi 9 septembre 2014

Fiction (3)



En pénétrant plus avant dans l’établissement, je vis que le fond en était occupé par une très grande salle de restaurant que l’on ne pouvait apercevoir depuis la rue. L’homme un peu ivre, qui avait fini sa cigarette et m’avait suivi à l’intérieur, me demanda ce que je désirais. C’est alors que je compris ma méprise : j’avais en fait affaire au tenancier du bar, ce qui me fit sourire. L’homme, à son tour, me sourit, et, comme j’étais le seul client, s’attarda à bavarder avec moi après m’avoir apporté une bière. Il me confirma que, le dimanche, je ne trouverais aucune épicerie ouverte à Lucca et que lui-même ne servait pas de repas ce jour-là. 

Au bout d’un moment pourtant, alors que nous avions parlé de mes projets de visites en Toscane et qu’il m’avait paru très cultivé malgré son air pitoyable, il me quitta sur une phrase que je ne compris pas et disparut dans une petite pièce derrière son zinc. Il en revint bientôt avec une assiette qu’il me tendit aimablement et m’apporta aussi une fourchette et une serviette de papier. Il m’offrait une part de son repas du soir, en y ajoutant une seconde bière quand il vit que j’avais terminé la première : quelques ravioles faites maison qu’il avait garnies de chair de daurade, de ricotta et de romarin. 

Pendant que je me régalais, il souriait toujours. Puis nous parlâmes de Paris, qu’il connaissait, de Lyon, qu’il voulait connaître, de tant d’autres choses encore que, lorsque je le quittais, je vis que la nuit était prête à tomber. Il m’invita à revenir un autre soir pour goûter sa cuisine, un repas complet dont je me souviendrais, ajouta-t-il en me serrant la main. Si ces plats étaient aussi bons que celui auquel j’avais goûté ce soir-là, je n’avais aucune crainte à avoir.

Je faillis manquer l’embranchement de la petite route qui conduisait au pont de brique et ne vis la maison rouge qui m’en indiquait la proximité qu’à la dernière minute, ce qui me valut un coup de klaxon très mécontent de la voiture qui me suivait. Le gros campanile roman était éclairé et semblait encore plus étrange sous la lumière du jour déclinant. Mais le village semblait déjà endormi. Comme souvent lorsque je voyage, j’imaginai la vie qui aurait été la mienne si j’avais habité ici, une vie simple et calme, bien loin de celle que je menais à Lyon. Mais aurais-je pu m’y habituer ? 

Le revêtement caillouteux de la ligne droite me ramena à la réalité. Il faudrait ensuite prendre la première à droite, en direction de la montagne et entamer la série des virages en épingle à cheveux. Je redoublai d’attention : les deux bières et surtout la fatigue du trajet depuis la France commençaient à faire sentir leurs effets et je redoutai de devoir croiser une autre voiture dans ces conditions. J’arrivai au gîte sans en rencontrer une seule.

Sur le terre-plein, un autre véhicule avait pris la place où je m’étais garé l’après-midi. Sans doute les Hollandais étaient-ils rentrés. Il me fallut effectuer de savantes manœuvres pour me garer à leur côté. Après avoir coupé les phares, je constatai que la lune, presque pleine, éclairait suffisamment la terrasse devant la porte. Je ne l’avais pas remarquée en roulant, tant la route était encaissée au milieu des forêts mais maintenant, je la voyais bien au-dessus de la colline d’en face et la vitesse avec laquelle elle montait dans le ciel me surprit, comme chaque fois que je prends le temps de la contempler. 

En me retournant vers la maison, je vis qu’une fenêtre de l’étage était éclairée : les hollandais étaient bien là. Alors que je me dirigeais vers la terrasse, une silhouette de femme apparut brièvement  devant la croisée, si rapidement que je n’eus pas le temps de la détailler. En faisant le moins de bruit possible, je tournai la clé dans la serrure et me retrouvai dans le salon où je mangeai sur le pouce quelques chips achetées à Lucca et deux ou trois prunes encore tièdes du soleil de la journée que je venais de cueillir au bord du terre-plein. Ensuite, je descendis jusqu’à ma chambre où Valeria avait eu la bonne idée de me faire préparer le lit par le voisin barbu et, à peine entre les draps, je m’endormis profondément. La rencontre avec les hollandais pouvait attendre le lendemain.

7 commentaires:

Cornus a dit…

Plume va pouvoir fantasmer toute la nuit que les Zollandais.

plumequivole a dit…

Cornus > Non mais c'est quoi ce Cornus qui s'avance sur mes fantasmes nocturnes ?!?

Calyste a dit…

Crnus : va falloir attendre encore, juste un petit peu.

Plue : tiens, en parlant de nuit, tu n'as plus qu'à lire ma première toscane, fraîchement sortie des presses !

plumequivole a dit…

Mais c'est fait ! Et j'aime beaucoup l'atmosphère de cette nuit-là.

Calyste a dit…

Plume : merci. Et, en plus, les Hollandais arrivent !

karagar a dit…

Oh mais ça galope par ici, je ne tiens plus le tempo !
J'aime (en réalité aussi !)la conduite nocturne, égaré sur de petites routes

Calyste a dit…

Karagar : pour l'instant, je tiens le rythme.