lundi 22 septembre 2014

Fiction (11)



J’y arrivai en fin d’après-midi. C’était le meilleur moment pour découvrir ces ruines. J’étais presque seul et le soleil couchant donnait au site une beauté d‘une douceur infinie. Au bout d’une allée de cyprès bordée par des champs se dressait l’ancienne abbaye cistercienne dont les voûtes s’effondrèrent au XV° siècle. J’appris, sur la plaquette que l’on me donna à l’entrée, que Galgano Guidotti, avant de revêtir l’habit cistercien, avait eu une jeunesse agitée. Cette biographie sommaire et surtout la douceur du lieu m’évoquèrent immédiatement Assise et son saint turbulent. Même les oiseaux qui nichaient dans les anfractuosités du bâtiment et dont les nids étaient occupés par des petits piaillant qu’ils étaient en train de nourrir me ramenaient au Poverello.

Je m’assis sous une des arches de l’ancien cloître et me laissai gagner par la spiritualité ambiante. Ici et à San Damiano soufflait le même esprit. Un peu plus tard, un couple de visiteurs passa près de moi mais ne me dérangea pas : eux aussi restaient silencieux car il semblait que jamais personne ne pouvait ici élever la voix. C’était cette sérénité que j’étais venu chercher en Toscane cet été-là. Il m’avait fallu parvenir jusqu’à ce lieu reculé pour le comprendre. J’aime Rome, passionnément, mais nulle part je n’y ai jamais trouvé cette simplicité que j’envie aux vrais croyants. 

On vint me prévenir que l’abbaye fermait. Après l’allée de cyprès, de l’autre côté de la route, se trouvait une petite auberge tenue par une femme que l’on aurait pu prendre pour une paysanne tant sa tenue était simple. Il y a des instants, rares et fugaces, dans la vie, où tout semble en harmonie. J’avais conscience de vivre un de ces instants. Ma voiture était la dernière sur le parking, la femme avait disparu dans l’auberge et moi, seul, je contemplais les ruines que la nuit allait bientôt envahir.

J’eus du mal à me décider à partir mais il me restait encore quelques kilomètres à parcourir et j’empêchais sans doute l’aubergiste de fermer sa boutique, bien qu’à aucun moment, lorsqu’elle réapparut, je ne sentis chez elle la moindre impatience. Ici, le monde allait lentement. Tellement pris par la beauté des ruines, j’avais totalement oublié de monter jusqu’à l’ermitage qui les domine et où est conservé la dépouille de San Galgano. En reprenant la route, je savais que je reviendrais un jour.

Lorsque je parvins au portail du gîte, la paix intérieure qui m’avait envahi à l’abbaye ne m’avait pas quitté. La nuit venait de tomber. J’étais heureux d’être là. Après tout, c’était, pour une semaine, mon ermitage à moi. Mais la voiture des hollandais me replongea dans la réalité : je partageais mon ermitage ! Je n’avais aucune envie de rencontrer mes voisins ce soir-là et, heureusement, ils ne se montrèrent pas. 

Dans un des pots d’hortensias de la terrasse, je voulus récupérer la clé que j’avais cachée là par peur de la perdre au cours de mes déplacements et aussi parce qu’il s’agissait d’une clé ancienne, lourde et volumineuse. A tâtons, je la cherchai sous les feuillages. Après deux ou trois essais infructueux, il fallut bien me rendre à l’évidence : elle n’y était pas. J’étais pourtant sûr de l’avoir laissée en partant.

Je finis par la trouver dans un autre pot, à côté de celui où j’avais cru la mettre. J’étais fatigué le matin et j’avais pu me tromper. L’essentiel était que je puisse entrer. Mais ma sérénité m’avait abandonné. Et ce que je découvris à l’intérieur ne fut pas pour me calmer.

6 commentaires:

Cornus a dit…

Aïe aïe aïe. Comme quoi, il ne faut jamais planquer sa clé dans le pot ou sous le tapis car même les apprentis voleurs les retrouvent immédiatement.
Sinon, le fait de s'attabler dehors par une belle soirée d'été, c'est un luxe extraordinaire, assez rare. Cette année, nous en avons eu l'occasion qu'un soir ou deux en juillet.

plumequivole a dit…

Tu es cruel avec nous. On était si bien dans tes ruines cisterciennes ! Moi je m'étais assise tranquillement sur un vieux fragment de colonne et je rêvais en écoutant les oiseaux...Et toc, le drame s'invite.
Le Hollandais a découpé sa Hollandaise en morceaux sur ton tapis ?

plumequivole a dit…

Bon faut toujours que je blague, mais j'aime beaucoup ce chapitre abbatial.

Calyste a dit…

Cornus : mais il y avait des dizaines de pots et il fallait vraiment trouver cette maison !

Plume : non, pas de découpage ! Je ne donne pas dans le sanguinolent ! :-). Merci pour le compliment sur le chapitre.

karagar a dit…

j'aurais aimé visiter ces ruines et ce texte enfonce le clou !

Calyste a dit…

Karagar : ce fut réellement un moment magique.