samedi 13 septembre 2014

Fiction (7)



N’ayant pas l’intention de réengager une conversation sympathique mais stérile, je m’empressai, avant qu’ils ne me voient, de m’engouffrer dans le salon et d’en repousser la porte. J’avais laissé mes courses sur la vaste table de bois et me dis qu’il serait temps de mettre quelques aliments au frais. Cette constante manipulation des produits, aux rayons du magasin, à la caisse, sur le parking dans le coffre de la voiture, à domicile, m’ennuie profondément et il m’arrive, avec humour, de regretter les temps antiques où des esclaves se chargeaient de ces basses besognes domestiques.

En me dirigeant vers la cuisine, les bras encombrés de sacs, je vis du coin de l’œil un mouvement quasi imperceptible dans un coin plus sombre, à l’angle du vaisselier. Une bestiole. Rien d’étonnant dans cette maison qui n’avait pas été ouverte depuis longtemps. Peut-être une blatte ou quelque araignée à l’affut de sa proie et que je venais de déranger. L’insecte, tapi dans la semi-obscurité, ne bougeait plus, espérant ainsi passer inaperçu. Je suis, en général, assez conciliant avec les passagers clandestins de cette espèce, mais je n’avais pas non plus l’intention de me laisser envahir. 

De près, il me sembla reconnaître un grillon. Beau présage, à mon goût. Mais, lorsque je me penchai vers lui, avec l’idée de le mettre dehors, et alors que j’allais le prendre dans le creux de ma main, je me rendis compte à la dernière minute qu’il ne s’agissait pas du tout d’un grillon. Ce qui le trahit, ce fut sa queue qui se dressa à mon approche, noire et terminée par un dard menaçant : un scorpion, le premier que je voyais "en vrai" de ma vie. 

Certes, il n’était pas bien gros mais la répulsion que j’ai vis-à-vis de ces animaux est telle que, rageusement, je l’écrasai du talon de ma chaussure. Je fus encore plus dégoûté par le craquement que j’entendis alors. Puis la colère l’emporta : je laisserais le cadavre écrabouillé où il se trouvait. Valeria pourrait ainsi constater que les plaintes que je comptais lui adresser sur la tenus de sa maison n’étaient pas infondées. 

Au cours de la même journée, je devais en tuer six autres, dont un, beaucoup plus gros, qui essayait vainement de sortir de la cuve de la baignoire où il avait glissé. Je pris un malin plaisir à observer ses efforts inutiles pour grimper le long de la paroi avant de glisser inexorablement vers le fond où je finis par lui faire subir le même sort qu’à ses semblables. 

Un second avait été tué dans le salon, au pied d’une étagère, deux dans ma chambre, près de la porte de la terrasse, et le dernier au pied de l’escalier en colimaçon lorsque le voisin, que j’avais prévenu, était venu changer l’ampoule défectueuse. Contrairement à moi, lui ne sembla pas s’en inquiéter plus que ça et me considéra sans doute comme un imbécile de citadin qui s’alarmait pour rien. Tous mes « trophées » restèrent à terre pendant plusieurs jours, en attendant le retour de Valeria. Chaque fois que je passais à proximité de l’un d’eux, je vérifiais attentivement qu’il n’avait pas repris vie et n’éprouvais que du dégoût face à ce spectacle.

Il me fallut, dans l’après-midi, redescendre à Lucca, au supermarché, pour y acheter une bombe d’insecticide, plutôt destiné aux mouches et moustiques, mais que j’espérais efficace avec ces bestioles aussi. J’en profitai pour visiter une ou deux églises et découvris par hasard, au détour d’une ruelle étroite, l’immense place Napoléon, que les italiens appellent plus communément Piazza Grande. Une imposante statue de l’empereur des français trônait en son centre et me rappela que le petit corse avait fait de la région de Lucca une principauté pour sa sœur Elisa Baciocchi.

C’est là qu’alors que j’étudiais à Pérouse, j’étais venu un soir assister à la représentation du Don Juan de Mozart. Trajet rendu possible en voiture par la rencontre, à l’université, d’un autre lyonnais qui en possédait une et qui devint vite mon ami. Enseignant lui aussi, il devait par la suite quitter l’Education Nationale pour se tourner vers le théâtre avant de mourir prématurément de ce que l’on nomme pudiquement « une longue maladie ».

A mon retour au gîte et bien qu’il fasse encore grand jour, les hollandais restèrent invisibles. Leur voiture était bien sur le terre-plein mais d’eux, pas de trace. Je constatai pourtant avec plaisir qu’ils avaient fait un effort pour mieux la garer, ce qui me dispensa des manœuvres de la veille.


7 commentaires:

karagar a dit…

Est-ce à dessein que pour le deuxième fois tu utilises Pérouge pour Pérouse, comme une sorte d'hybride?

Calyste a dit…

Merci de me le faire remarquer. En fait confusion de ma part : en Italien Pérouse s'appelle Perugia, et il y a à côté de Lyon un charmant petit village moyen-âgeux (qui devrait te plaire) qui se nomme Pérouse. J'ai tapé trop vite.

plumequivole a dit…

Ne serait-ce pas Pérouges, le village ?
Les lecteurs sont sans pitié !
Pour être honnête je suis, je l'avoue, allée voir sur Wiki :)

Calyste a dit…

Plume : oui, bien sûr. Je devais être un peu dans le cirage hier. Merci.

Cornus a dit…

Je m'étonnais presque qu'il ne fût pas déjà été question de scorpions, ces autres arachnides. Les Hollandais invisibles : encore en balade ou quelque chose de plus mystérieux se prépare ?

karagar a dit…

Ah oui les scorpions... tu semblais associer les scorpions à une maison "mal tenue" mais y a-t-il un lien? Peut-on réellement les éviter s'il habitent dans le secteur?

Calyste a dit…

Cornus : un peu de patience !

Karagar : non, je me suis renseigné, il n'y a pas de lien. Mais ce n'est pas moi qui le pense, c'est mon personnage !!! :-)