Un souvenir qui m'est revenu ce matin au réveil. Pourquoi à ce moment-là? Je n'en sais fichtre rien. Nous étions en Alsace avec mes élèves, au Hohwald, pour une semaine européenne. Nous y sommes allés neuf ans de suite. La dernière fois, les gérants ont voulu fêter notre fidélité en nous offrant une bonne bouteille une fois les enfants couchés: "On ne sait jamais, on peut ne pas se revoir l'année prochaine." Il n'y a jamais eu de dixième année.
Cette fois-là, je couchais dans la chambre tout au fond du bâtiment, une que je me réservais dès que je le pouvais car, au lieu de donner sur l'espace bitumé en contrebas, où était garé le bus, elle ouvrait sur la campagne et les bois alentour. Un matin, m'étant réveillé de bonne heure, j'avais profité du grand silence qui régnait encore autour de moi pour aller fumer une cigarette sur le palier extérieur de l'escalier de secours. Il faisait encore frais et, bien que juin soit déjà bien entamé, des restes de brume légère flottaient, évanescents, autour de la maison. Les contours de la colline d'en face étaient, eux, noyés dans le coton.
Je m'étais accoudé à la rambarde, heureux encore de ce moment volé. respirant l'air frais comme une gourmandise dont j'étais le seul à profiter et c'est là que je l'ai vu, à quelques mètres de moi, dressé sur ses pattes arrières, tentant de manger le sommet de hautes graminées. C'était un lièvre magnifique, gras et grand, dodu à souhait et beau dans sa position verticale. Il ne m'avait pas vu et, la brise soufflant vers moi, ne pouvait percevoir mon odeur ni cette de la fumée de ma cigarette. Lui aussi goûtait sans doute à sa façon la beauté de la solitude matinale.
Je l'ai observé longtemps, vigoureux et fragile à la fois, inconscient de ma présence qui l'aurait fait fuir s'il s'en était aperçu. Peut-on dire qu'un lapin est émouvant? Je le crois depuis ce jour. Tableau de sérénité et de vie. Il n'y avait que lui et moi. J'avais par instant la sensation d'être indiscret mais ne pouvais me détacher de ce spectacle. Rarement je me suis senti aussi près de la nature, à en oublier de tirer sur ma cigarette, attentif seulement à ne pas bouger, à ne pas briser l'harmonie de ce qui me dépassait. Il a continué à grignoter, reposant parfois les pattes au sol pour se redresser immédiatement une fois le repos suffisant. C'est moi qui suis parti. Je voulais garder uniquement cette image, sans la fuite qui n'aurait probablement pas tardé.
Quelques instants plus tard, après le déjeuner, des enfants jouaient là, à pousser leurs cris hilares de jeunes fous en liberté. Le lièvre avait regagné ses taillis protecteurs.
dimanche 27 février 2011
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6 commentaires:
Il m'arrive parfois, lorsque je suis en Alsace, de me lever aux aurores pour tenter de surprendre un chevreuil batifolant autour de la maison. Comme toi j'aime cet instant où l'on a l'impression d'un retour aux sources, et je deviens pierre pour ne pas effrayer l'animal, retenant mon souffle jusqu'à son départ.
Encore un texte qui me parle énormément..
J'ai pensé en le lisant, que le fait de fumer, donne l'occasion de ce genre de choses...
Oui, c'est exactement ça, Valérie, on devient pierre. J'ai cherché, hier soir, comme le dire, et c'est toi qui me le souffles. Merci.
Surtout pour moi, Karagar, le fait d'avoir besoin, parfois, de ces moments de "recueillement" où je me replie pour revenir ensuite parmi les autres.
Comme les précédents commentateurs, tout cela me paraît si familier. J'ai l'impression que tu racontes un de mes souvenirs. Mais non, je n'ai pas vécu ça, mais des choses pas bien éloignées, assurément. Merci.
Cornus: et je t'imagine très attentif à ce genre de choses, que certains ne semblent pas réellement voir.
Rien ne sert de courir, il faut fumer le matin
Le lièvre et Calyste en sont un témoignage
(et cette fois, le mot de passe c'est "Apolo" On me réclame ma signature, probablement...)
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