lundi 14 avril 2008

Miroir, gentil miroir.


Je n'ai jamais aimé regarder les miroirs. Je n'ai jamais aimé "me" regarder dans les miroirs.

Pendant ma première enfance, celle que ma grand-mère maternelle prit en charge, contempler son image réfléchie, même par les vitrines des magasins, relevait presque du tabou: un bon chrétien (c'est moi qui traduis) ne devait pas attacher d'importance à ce qu'il présentait à l'extérieur. Ses seules obligations étaient d'être propre et le moins hâlé possible. J'ai encore en mémoire les moments passés à me faire étriller la peau avec une pierre ponce pour faire disparaître la moindre trace laissée par le soleil.

Si l'ancêtre me surprenait malgré tout en flagrant délit d'auto-contemplation, elle insinuait vite qu'un jour, à la place de mon image, c'est Satan qui apparaîtrait. De quoi vous éloigner à tout jamais de cet objet diabolique que, pourtant, je voyais les femmes sortir de leur sac à main pour atténuer la brillance de leur nez avec un peu de poudre de riz.

Pour éviter cette apparition démoniaque, et parce que ma nature est sans doute profondément provocatrice, je pris alors l'habitude de grimacer en passant devant mon reflet. Ainsi, je cumulais deux avantages: celui, pensais-je, d'éloigner le Malin, et celui d'être parmi les rares à lui faire des grimaces, si par hasard il s'était déjà emparé de mon image. Il ne pouvait en effet me le reprocher puisque je n'étais pas averti de la métamorphose.

Cette habitude est restée, transposée dans un autre domaine: mes parents ont, dans leurs albums, une collection impressionnante de photos de moi (et aussi de ma soeur qui, visiblement, a adopté l'attitude) en train de tirer la langue, jouer les débiles, montrer un nez écrasé, un dos cassé de nain monstrueux, des oreilles étirées et des yeux révulsés.

Mais cette éducation puritaine a laissé des traces. A cet âge-là, je croyais terriblement au diable, et je me mis à ne plus pouvoir fréquenter les miroirs. Encore aujourd'hui, je demande à changer de place à table ou dans un bar si j'aperçois mon reflet sur l'un quelconque des murs de la salle. Si le changement n'est pas possible, je mange tête baissée, en limitant au minimum la durée du supplice. Évidemment, je ne révèle rien de mes véritables raisons à la personne qui m'accompagne. Je passerais sans doute pour plus atteint que je ne le suis.

Pourquoi cette réticence? Je ne sais pas. La cause n'est sans doute pas unique. A ces terreurs enfantines se sont rajoutées celles de l'adolescence, où je n'acceptais pas mon physique, puis les réticences de l'âge adulte à se reconnaître dans cet autre que l'on ne veut pas soi. De même que l'on ne reconnaît pas sa voix enregistrée, de même je ne me reconnaissais pas dans le portrait qui m'était présenté. Non que ce portrait soit abominable, je ne suis pas laid et l'on me prête parfois du charme, mais il ne correspondait pas à ce que moi, je voyais en dedans.

Je ne parle pas, bien sûr, de la "beauté intérieure", lot de consolation que l'on accorde généreusement aux moches. Je viens de le dire: sans être un Apollon sur lequel les foules se retournent (heureusement!), je ne suis pas laid et j'ai, comme disait Barbara "séduit bien des hommes, à peine vus déjà disparus" (quelques femmes aussi).

Je crois simplement que l'éducation reçue de l'oubli de soi a très bien fonctionné, que je n'ai pu m'aimer qu'à l'intérieur, sans surtout le montrer à qui que ce soit, et que d'avoir oublié de me regarder parfois m'a fait oublier l'enveloppe réelle au profit d'une autre, abstraite.

Tellement abstraite que j'ai longtemps refusé de porter des shorts ou des maillots de bains, de montrer mes jambes. Si je me dévêtais, c'était totalement, car alors entraient en jeu d'autres arguments, d'autres séductions, d'autres enjeux. Totalement nu, je ne me suis jamais senti démuni. Mais le short, jamais!

Le sport a changé tout cela. Est-ce la transformation du corps, découvrir des muscles là où l'on n'en avait jamais vu, ou les effets bénéfiques de l'activité physique sur le psychisme? Aujourd'hui, je n'ai plus ce genre de fausses pudeurs indicatrices d'un orgueil démesuré. Je peux me regarder dans le miroir de la salle de bains sans narcissisme mais sans honte. Et je crois bien que je me suis enfin rejoint.

Mais, à mon image, je préfère toujours celle du reflet des nuages, des merveilleux nuages, dans l'eau calme d'un étang ou la réfraction d'une façade dans celle de verre de l'immeuble d'à côté.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Belle mise à nu, si je peux dire ainsi :)

Nicolas Raviere a dit…

Humm je crois que je devrais me fier à ton expérience et me mettre au sport, alors... :)