jeudi 3 avril 2008

Ombres et lumières


Jean-Bertrand Pontalis est un auteur qui, décidément, fait partie de ma famille. Par là, j'entends que j'y ai un accès direct, que j'ouvre le livre et que je m'y sens chez moi, comme, géographiquement, en Italie par exemple.

Le premier à me l'avoir fait connaître, c'est Querelle, en citant un passage de L'Enfant des Limbes dans son blog. Océania aussi l'a évoqué pour moi, quelque part.
Traversée des Ombres, que je lis en ce moment, est d'un abord beaucoup moins aisé que Frère du Précédent. mais son contenu me concerne encore davantage.

D'abord la petite citation, dans les pages avant-texte, une citation de Gaston Bachelard: "Ce n'est pas en pleine lumière, c'est au bord de l'ombre que le rayon, en se diffractant, nous confie ses secrets." Outre sa beauté, cette phrase me rappelle la parenté de Pontalis et de Bachelard.

Bachelard est un philosophe, mais pas seulement: c'est aussi un poète, un grand prosateur: je me souviens du plaisir que j'éprouvais, en première ou terminale, à lire L'Eau et les Rêves. La Formation de l'Esprit Scientifique est une psychanalise de la connaisssance scientifique. Pontalis est un psychanaliste mais aussi un philosophe (il en a suivi les études) et un écrivain que j'estime d'une grande sensibilité.

Ensuite cette quête, à travers les ombres, de son identité, ce bâton, ce roseau qui, si fragile soit-il, est le seul étai de notre existence, comme le petit personnage du Moyen-Age arc-bouté sous un des piliers de la cathédrale de Strasbourg, semblant porter à lui seul le poids de tout l'édifice.

Chez le kiné, j'avais emporté, cet après-midi, ce livre dans la poche de mon imperméable. Une fois transformé en hérisson par les aiguilles que ce bourreau m'enfonça dans le bras et le dos, je me retrouvai seul et entrepris la lecture du chapitre intitulé Reliques.

Pontalis dit se rendre à une exposition dont le titre lui paraît bien énigmatique: La Mort n'en saura rien . Après avoir appris que la phrase est extraite du Guetteur mélancolique d'Apollinaire (" Nous dansons sur les tombes/ La mort n'en saura rien."), il parcourt les salles, où sont exposés des crânes, nus ou parés de plumes, parfois ornés de coquillages, fait la rencontre d'un visiteur un peu halluciné dont il n'est pas mécontent de se débarrasser devant le reliquaire de Sainte Catherine.

Se retrouvant seul, il conclut:
Qu'est-ce que j'entends préserver à tout prix, de la décomposition que nous signifie déjà, bien avant la mort, la fuite du temps? Ce matin, au courrier, des lettres d'amis. Impossible de les jeter aussitôt après lecture. Dans les cartons, toutes sortes de lettres que je n'ai jamais relues, que je ne relirai jamais. Elles sont là, conservées, en vrac. (...) Maintenant que le visiteur fébrile est parti, je suis calme, je ne vois plus devant moi que des objets d'art. J'admire, je contemple, la mort est passée par là et c'est moi qui n'en sais plus rien. Je ne prends pas le 86 pour le trajet de retour. Je traverse la ville à pas vifs, prêt à esquisser des pas de danse. Aurais-je comme une hâte, malgré tout, de rentrer chez moi, imaginant que j'y retrouverai un centre?
Nous dansons sur les tombes
La mort n'en saura rien.
Suis-je si sûr d'avoir cessé d'être un guetteur mélancolique?

(Folio, Gallimard.)
Dans cette citation, je me retrouve. La dernière phrase, c'est moi aussi qui la dis, chaque jour.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et ce livre est dédié à Sylvie Germain, ce qui n'est pas rien. Un peu plus loin dans cette Traversée des Ombres, vers la page 135, vous pourrez lire la plus fine analyse jamais écrite sur Bartleby le Scribe, nouvelle d'Herman Melville. Le chapitre intitulé "L'affirmation négative" est bouleversant. Il fallait bien un être comme Pontalis, psychanalyste et humaniste, pour déchiffrer le "presque" mutisme de Bartleby, et analyser avec autant de clarté et d'humanité, le "presque" non qui aurait la douceur d'un oui consentant. J'ajoute que je connais mal Bachelard, mais que j'ai très envie de mieux le "capter". Dormez bien Calyste.

Anonyme a dit…

Je n'ai lu de Pontalis que L'Enfant des Limbes, je me souviens de cette citation que j'avais posté et surtout d'un autre passage qui m'avait beaucoup plu (celui de la vision du monde via la myopie).
Tu me donnes envie de découvrir plus en avant celui-ci :)