jeudi 25 mars 2010

Ailleurs

Je ne sais pourquoi, j'ai déjà l'impression d'être à la fin de la semaine. Il me semble depuis ce matin que nous sommes vendredi, alors qu'il me reste bien un jour à travailler. L'explication est peut-être à chercher du côté des deux jours que je vais passer à la montagne et que j'attends, c'est vrai, avec une certaine impatience. La perspective de quitter Lyon, même très momentanément, me séduit totalement. J'aime cette ville, énormément, passionnément, mais j'ai besoin parfois aussi d'aller respirer d'autres airs, de contempler d'autres horizons.

Autrefois, avec Pierre, nous prenions la direction des Alpes, des rivages du lac Léman chaque fois que les vacances arrivaient. Nous nous installions dans la maison de campagne qui, peu à peu, au fil des années, était devenue un deuxième chez nous. J'ai tant aimé ces séjours, même lorsque nous n'avions pas encore entrepris des travaux pour rendre l'habitation plus confortable. Cette période est révolue. Je l'ai dit, la maison a été vendue par la famille de Pierre et les nouveaux propriétaires ont, paraît-il, tout abattu, ne gardant debout que les murs extérieurs et le toit. Ainsi, aux dires des voisins, mes plantations ont disparu sous les plâtres et les gravas.

C'était il y a quatre ans, presque jour pour jour, une petite année après la mort de Pierre qui s'était toujours battu pour préserver ce patrimoine familial, seul véritable ciment entre les uns et les autres. Le 1er avril 2006, il avait fallu tout vider, jeter, partager, emporter. J'avais eu mal ce jour-là, autant que lorsque j'avais massacré ma maison d'enfance à coups de masse parce que les Houillères propriétaires avaient décidé de la raser. Il faisait beau, ce premier avril, et les jonquilles étaient toutes fleuries le long du talus où je les avais plantées. La sœur de Pierre m'avait proposé de les arracher pour les replanter sur mon balcon, à Lyon. Je n'ai pas voulu: je risquais de les abîmer en les déterrant et puis elles faisaient partie de cet autre univers et devaient y rester.

Je revois la camionnette qui nous avait été prêtée se remplir peu à peu, d'abord d'objets, de meubles en ordre, bien rangés pour économiser l'espace, puis en vrac parce qu'il y en avait trop, parce que montaient en moi, au fur et à mesure que l'après-midi avançait et que la lumière peu à peu baissait sur ce versant de la montagne où elle disparaissait assez tôt, une peine immense et une rage que j'avais du mal à contrôler, rage contre la vie, contre la situation qui m'obligeait à ces gestes et contre ceux qui m'entouraient aussi, parce qu'ils étaient responsables, parce que, surtout, ils étaient là.

A midi, nous avions rapidement déjeuné de charcuterie et bu du vin apporté par le beau-frère. Les assiettes et les verres que je connaissais depuis des années servaient pour la dernière fois, tout comme la cafetière et les tasses pour le café. Est-il pire de savoir ou de ne pas savoir que c'est la dernière fois? Je n'en sais rien. Le pire, c'est sans doute de l'admettre.

Heureusement, les au-revoir, qui s'avérèrent être des adieux, avec les voisins furent brefs et pleins de retenue. Je n'aime pas les mouchoirs agités sur les quais de gare. Et puis la camionnette démarra. C'était la dernière fois. Je crois que je me suis retourné pour voir encore une fois les volets clos de la porte d'entrée, ces volets peints en vert et percés d'un cœur dans la moitié supérieure pour laisser entrer un peu de lumière, ces volets qui se refermaient à la fin de chaque séjour sur mes souliers de jardin et le coucou arrêté à l'heure de notre départ. Ou bien peut-être ne l'ai-je pas fait. Je ne sais plus. Je crois que, de ces lieux, je n'ai toujours pas fini mon deuil.

7 commentaires:

KarregWenn a dit…

C'est drôle ce que tu racontes (enfin, le mot n'est pas le bon). Quand j'ai vendu ma maison, sur une décision mûrement réfléchie et sans regret aucun, car j'y avais fait mon temps et je voulais changer de route, je me suis mise à haïr les nouveaux propriétaires le jour où d'anciens voisins m'ont dit qu'ils avaient commencer par arracher la vigne-vierge, la vigne, les rosiers grimpants, la glycine et toutes les petites aromatiques que j'avais soignées amoureusement. Je suis retournée souvent là-bas car j'y ai des amis très chers, mais jamais je n'ai pu repasser devant la maison. Et mon grand fils pareil.

karagar a dit…

Oui, si mon ex devait un jour vendre le jardin, comme elle semble avoir de plus envie de la faire, je crois que je serais fébrile..

Petrus a dit…

On a tous ce genre de souvenirs, moi c'est pour la maison de ma grand-mère....
Allez, courage !!!

D. Hasselmann a dit…

C'est un peu comme un film nostalgique, un travelling arrière, des couleurs pastel et passées, des sons estompés...

Mais des images qui subsistent, des plans de mémoire. A rediffuser.

Calyste a dit…

Je ne l'ai pas vraiment dit, K., mais je n'ai pas encore pu remettre les pieds dans ce coin de Haute-Savoie.

Température que je comprends bien, karagar. mais, comme c''est ton ex, n'est-ce pas aussi ton ex-jardin?

Certaines pages sont difficiles à tourner, Petrus.

Merci, Dominique, mais parfois, il faut aussi couper et faire des raccords. Je ne suis pas très bon pour manipuler la pellicule, je le crains.

Cornus a dit…

Comme je comprends tout ça et j'espère ne pas avoir à le vivre ou du moins pas de façon aussi intense. Déjà que je me suis ému de la disparition de la vigne et du verger de mon grand-père, avec ce mur de pierres sèches...

Calyste a dit…

Mais ce que tu évoques de ton grand-père et de son verger, Cornus, me touche davantage que bien certaines soit disant catastrophes nationales!