mercredi 7 janvier 2009

Cinq sens: Toucher.

Toucher, c'est déjà connaître. Longtemps, je n'ai pas supporté que l'on me touche en dehors des rapports sexuels. Je fuyais ces gens qui ne peuvent vous parler qu'à quelques centimètres, qui sont incapables d'aligner deux phrases sans vous prendre le bras et le serrer longuement. Je me souviens d'un homme, un prêtre aux allures de boy scout, qui me faisait hurler intérieurement chaque fois que je le rencontrais. Je fus très gêné une autre fois par un chanoine qui me fit visiter la maison natale de Jean XXIII sans jamais lâcher ma taille. J'ai toujours eu l'impression, dans ces moments-là, que l'on me violait beaucoup plus sûrement que dans n'importe quelle joute érotique.

J'ai appris peu à peu à contenir mon corps, à lui faire accepter le contact de l'autre comme étant naturel, tendre même la plupart du temps, à y prendre peu à peu du plaisir. Mon incapacité au toucher était d'ailleurs réversible: moi même je ne pouvais poser la main sur quelqu'un, pour les mêmes raisons. Parfois, j'en avais bien envie et je ne le faisais pas. Je n'arrivais pas à exprimer physiquement la tendresse que je ressentais à l'intérieur. Héritage familial sans doute, de mon père qui ne nous a jamais touchés plus que de ma mère qui, elle, a toujours été plus douée dans ce domaine-là. Lorsqu'enfin, j'ai pu extérioriser cette tendresse, mes rapports avec les autres ont totalement changé. C'est bête à dire, mais je me suis senti un parmi eux. J'existais au milieu de mes semblables et, comme j'éprouvais alors le besoin d'être touché, je savais qu'eux aussi ne me repousseraient pas si je les touchais parce qu'ils en avaient le même besoin. Je n'avais plus à employer de mots boiteux pour me faire comprendre, ces mots douloureux que je savais écrire et non pas prononcer.

Étrange dérapage que le défilement de ce billet où je parle d'autre chose que ce que j'avais prévu. Une fois la première phrase tapée, le reste est venu tout seul. Sans doute devait-il en être ainsi. Peut-être d'ailleurs mon sujet initial n'est-il pas aussi éloigné que ça de ces deux premiers paragraphes. Je voulais évoquer mon amour pour deux tissus bien précis: le velours et la flanelle, en comparant les sensations qu'ils me procurent à celles ressenties par exemple avec le jean.

J'aime en effet le contact et la vue du velours: contact sur moi, sur ma peau, impression de caresser un être vivant chaud et lascif, qui se laissera aimer en se cambrant, vue sur les autres, silhouette un peu floue d'un vieux costume à la coupe élargie qui laisse deviner les formes sans les trahir, sans les donner immédiatement en pâture, qui offre la place à la lente découverte au fond de l'alcôve, aux plaisirs du déshabiller. Mon préféré est le velours à petites côtes, parce que l'irrégularité légère de sa surface , en contrariant légèrement la progression de la main, en intensifie l'attente du plaisir. J'aime aussi son odeur, celle de l'homme qui le porte, odeur exclusivement masculine fait de sueur, de tabac et de la traversée du temps.

La flanelle, elle, est plus aristocratique mais son toucher moins agréable. Longtemps j'ai porté des pantalons à revers de ce tissu gris, assorti d'un blazer bleu marine. En écrivant cela, je suis étonné de l'attention extrême que je portais à cette époque à mon habillement, jusqu'au petit foulard et aux mocassins Sebago qui complétaient l'image subrepticement sophistiquée que je voulais donner de moi-même. N'en déduisez pas pour autant que je me néglige aujourd'hui, mais j'ai moins besoin de me composer une image sur mesure: je suis rentré dans mes souliers où je me sens bien et ce ne sont plus des Sebago. Je crois que je copiais alors les premiers hommes qui m'ont plu physiquement: il suffisait qu'ils portent costume bien taillé et pantalons sombres pour que je m'amollisse. Ce n'était pas leur tête que je regardais mais leur silhouette de "décideurs". Pauvre naïf que j'étais, de confondre l'être et le paraître. Là aussi, mes goûts ont évolué, beaucoup même, énormément. Pourtant je trouve toujours suprêmement érotique de faire l'amour avec un mec en costume et, dans ces cas-là, les préliminaires ont tendance à durer longtemps.

Et je rejoins ainsi mes deux premiers paragraphes, car le toucher reste encore un peu pour moi lié à l'Eros, non pas celui de la douce attirance mais celui de la bête qui veut assouvir sa pulsion. Le jean en est le meilleur exemple: il allie, pour exciter, la légère rugosité du toucher, le feu du regard sur les zones d'usure et l'odeur boisé de celui qui le baisse. Mais il est trop direct: le plateau est déjà servi. Je suis souvent gourmand mais j'aime parfois aussi goûter aux plaisirs du gourmet qui prend son temps pour composer son menu. Alors le velours offre plus d'ombrage où voiler son désir, avec la certitude de l'assouvir, plus tard.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis souvent étonné de la facilité à se tenir par la taille ou les épaules de certaines cultures, notamment celle du pourtour méditerranéen. En cela je suis profondément du nord de la Loire, même si quelque part j'envie cette aisance. Un jour un jeune collègue de travail, alors que nous parlions en groupe, s'était accoudé à mon épaule. Ce geste pourtant anodin m'a tellement marqué que je me souviens encore de ma légère gêne aujourd'hui, malgré les années.
(Arf, quant aux pantalons en côte de velours, navré, mais c'est chez moi absolument anti-érotique ^^)

Anonyme a dit…

Tout dépend qui touche quoi et comment... ;-)

Velours, flanelle, toile, baptiste, calicot, métis, faille, taffetas, satin, linon, pongé, tweed, gabardine, serge, cretonne, moiré, popeline ...peut importe l'emballage quand le contenu est appétissant...

Anonyme a dit…

Ton évocation du velours m'a amusé car il y a un personnage de série (Georges Costanza, dans Seinfeld) qui avoue une passion immodérée pour le velours...
Pour ce qui est des contacts - en tout cas simplement amicaux - je me rends compte que j'ai beaucoup évolué, notamment grâce à une amie qui même sans s'en rendre compte, a patiemment distillé en moi le plaisir de l'épaule tendrement caressée au moment de la bise.

Calyste a dit…

Je me souviens de la tape sur mon épaule, geste que fit mon père quand je rentrai de l'enterrement de mon ami d'enfance. C'est le plus beau signe que l'on m'adressa ce jour-là

Belle litanie des noms de tissus, Anonyme: j'adore. Très évocateur.

D'où vient cette réticence, Christophe, à se laisser approcher et toucher alors qu'on en meurt d'envie?

Anonyme a dit…

Oups ! n'ai omis d'me présenter ...mais peut-être ai-je été trahi par mon fessier (d'emprunt!)ou par mes fautes d'orthographe...peu importe! c'eût été mieux!!
j'devrais avoir honte ..mais je sais pas de quoi...

Calyste a dit…

J'avais bien pensé que c'était toi! Comme ça, une intuition.

Anonyme a dit…

Concernant l'aspect "tactile" des choses, j'ai toujours beaucoup aimé manifester ma tendresse physiquement (baisers, bisous, caresses, prendre dans mes bras) à ma famille, à mes amis comme à mes amants : apparemment, vu ce que tu racontes "en négatif" il s'agit bien d'un héritage d'enfance parce que j'ai été pas mal câliné pendant la mienne.

Je n'ai pas de tissu de prédilection mais je partage ton goût pour l'érotisme dégagé par les mecs en costume-cravate (enfin cela aussi dépend du mec, tout de même...).

Ta note éveille en moi certains souvenirs d'émois érotiques de mon adolescence... merci , ça me donne des idées de notes à rédiger... enfin, ne soyons pas pompeux : à gribouiller...

Calyste a dit…

Vivement que tu nous racontes tout ça, fougueux chevalier!