vendredi 10 septembre 2010

Un doigt dans l'argile

1940. Il y a soixante-dix ans, la découverte des grottes de Lascaux. Je ne suis pas un inconditionnel de la préhistoire à laquelle je préfère de loin, bien sûr, les périodes romaine et gallo-romaine. Voir un morceau de silex ou trois pierres assemblées au pourtour vaguement noirci ne m'a jamais fait fantasmer. Pas même rêver. Je me dis: "Tiens, des restes de la préhistoire!" et je me sens quitte de respect avec la culture.

Pourtant, il y a quelques jours, en voyant à la télévision un documentaire sur une autre grotte de Dordogne, un peu moins connue et dont j'ai oublié le nom (Non, il ne s'agit pas de Font-de-Gaume!), j'ai soudain été très ému. Le cameraman, accompagné de spéléologues compétents, s'était introduit profondément dans un mince boyau débouchant sur une petite salle qu'un projecteur éclaira brièvement. Les dessins étaient à peine visibles, tracés du doigt dans l'argile des parois, fragiles, exposés. Tout en haut, la silhouette d'un cervidé, que personne n'avait contemplé depuis de nombreux siècles.

Ce dessin était là, dans le noir, depuis si longtemps, dans les entrailles de la terre, entouré d'obscurité et de silence. Celui qui l'avait tracé, il n'en reste probablement plus rien aujourd'hui, pas le moindre morceau d'os, rien que ce dessin à la fois naïf et très habile. Et pourtant, un jour, un homme avait quitté le soleil et la végétation pour s'enfoncer, sans doute avec une lampe alimentée de graisse animale, dans ce boyau étroit dont il ne savait rien, ni où il conduisait, ni s'il était habité par quelque bête dangereuse, sans savoir où le menaient ses pas et sa reptation, sans même l'idée de revenir. Et là, loin de tous, pour lui, pour quelque divinité vénérée ou parce que quelque chose voulait sortir de lui, il avait esquissé cet animal qu'il côtoyait à l'extérieur, qu'il tuait pour se nourrir mais qu'il respectait sans doute.

C'est à la fois cette fragilité de l'œuvre et cette foi de charbonnier de l'homme qui m'ont touché, en même temps que la vue de ce dessin qui dormait là alors qu'à l'extérieur explosaient si souvent le bruit et la fureur.

( A noter un livre oublié lui aussi et pourtant captivant, même si plutôt pour enfants: Le Mystère des grottes oubliées, de l'allemand Hans Baumann.)

3 commentaires:

Cornus a dit…

Font-de-Gaume, je l'ai visitée quand j'étais en 6ème car j'avais un prof de d'histoi-géo (et de français) qui se passionnait justement pour la préhistoire. Nous avions aussi visité la grotte de Rouffignac.
Sans me passionner outre mesure, les traces humaines préhistoriques me fascinent et ne cessent de m'interroger (je pense notamment aux conditions de vie lors de la glaciation würmienne) et cette sorte d'acharnement des hommes pour aller dessiner des choses au fond des grottes que pas grand monde était en mesure d'aller contempler. L'émotion que je ressens, c'est que j'ai quelque part l'impression qu'ils ont dessiné pour nous, hommes des XX-XXIe siècles. J'ai aussi ressenti ça en visitant Arcy-sur-Cure cet été.

Lancelot a dit…

Les grottes de Rocamadour, c'est bien, aussi.

Moi ce qui m'émeut davantage de que le 'désir' présupposé des hommes de l'époque de laisser une trace (je pense qu'ils devaient se moquer de la postérité), c'est la patience de la nature et surtout du TEMPS écoulé depuis. Comme tu le dis, malgré tous les bouleversements extérieurs, les dessins demeurent, calmes et impassibles, préservés, éternels. L'idée a un côté merveilleusement apaisant

Calyste a dit…

Je vois que, pour une raison ou pour une autre, nous sommes tous émus devant ces dessins et peintures. Si eux, les auteurs, s'en étaient douté, je crois qu'ils auraient bien ri!