Napoléon (ou, peut-être avant lui Bonaparte) disait pouvoir, les yeux fermés, reconnaître son île de Corse rien qu'à l'odeur du maquis. Je ne sais s'il a réellement prononcé cette phrase ou s'il s'agit encore une fois d'une de ces légendes qui fleurissent autour des grands hommes disparus. Il est vrai que le maquis a une odeur facilement identifiable mais cela devient un peu plus compliqué lorsqu'il s'agit de celle d'un appartement, même s'il s'agit du sien propre.
Le mien, en ce moment, n'a plus que celles, mêlées, de la peinture, du papier peint nouvellement posé et de la poussière dans les pièces en cours de travaux. Rien de personnel, rien qui puisse m'aider à l'identifier si l'on m'y conduisait en me masquant le regard.
Je suis très sensible à ces odeurs d'intérieur lorsque je me rends chez des amis ou chez des inconnus. Elles en disent aussi long sur leur personnalité que les rangées de livres dans la bibliothèque, le style de l'ameublement ou la façon d'agencer les pièces. Je me souviens d'un jour de mon enfance où l'une de mes amies m'avait fait entrer dans la chambre de ses parents alors qu'ils étaient absents. J'en avais immédiatement éprouvé comme un vertige, dû autant à la nouveauté pour moi de l'atmosphère qu'à la consistance particulière de l'air ou au fait de me sentir là par effraction.
J'ai aussi connu un arrière grand-oncle qui vivait avec sa femme dans une petite villa au bord de la Loire, dans la plaine du Forez. J'aimais m'y rendre avec ma grand-mère (c'est lors de l'une de ces visites que j'avais découvert un papillon bleu, magnifique que, malgré l'insistance de l'aïeule, j'avais refusé d'emporter avec moi, préférant lui laisser la liberté) parce qu'ils possédaient un grand jardin, magique pour l'enfant que j'étais. J'ai le souvenir de fleurs nombreuses - était-ce des pivoines? - et d'un arbre à perruches auquel nous prélevions ses sortes de fruits d'un vert pâle pour les accrocher par le bec que formait la queue à un verre rempli d'eau où, bien vite, ils s'ouvraient pour exposer à mes yeux ébahis leur intérieur duveteux.
Ces deux vieillards étaient d'une douceur angélique et me donnaient à boire une grenadine meilleure que partout ailleurs. Ils avaient sur la tête, par temps de grosse chaleur, un grand chapeau de paille qui leur masquait le haut du visage et portaient l'un et l'autre, pour les travaux de jardinage, un ample tablier de rude toile bleue qui leur descendait jusqu'aux genoux et ceinturait leur taille d'un cordon de même couleur. Je crois que chaque fois que l'on évoque devant moi le Jardin d'Eden, c'est à ce coin de paix que je le suppose ressembler.
L'entrée de la villa était protégée du soleil et des insectes qui vrombissaient dans le jardin par un rideau de capsules soigneusement resserrées autour de lanières solides qu'il suffisait de soulever d'une main pour se retrouver dans la pénombre du corridor et dans l'intimité des lieux. Lorsque le rideau s'était refermé derrière moi, c'était comme si j'entrais dans l'antre d'un magicien des légendes anciennes. Et l'aspect des deux vieux me confortait dans le sentiment qu'ils appartenaient eux aussi à un univers féérique dont, par bonheur, j'avais la chance de pénétrer les arcanes.
Mais comment définir l'odeur qui régnait dans cette grotte mystérieuse dont les contours m'apparaissaient peu à peu, une fois mes yeux débarrassés de l'éblouissement de l'extérieur? Une odeur de frais, une odeur de sérénité, qui me caressait le corps comme un voile ténu et qui me rendait immédiatement heureux.
Il y a longtemps que ces elfes ont disparu, regagnant leur pays merveilleux. Il y a longtemps que je ne suis plus le petit garçon qui tenait fermement la main de sa grand-mère pour longer la route qui menait au paradis. Pourtant, en fermant les yeux, chaque fois que je repense à eux, je retrouve, intacts, la chaleur du soleil sur ma peau, le contact pelucheux des perruches que l'on me laissait suspendre au rebord du verre, le goût des cerises cueillies, encore chaudes de l'été, le bruit du rideau protecteur retombant dans mon dos, la chanson suraigüe des guêpes ivres de chaleur, la fraîcheur de la grande cuisine où nous déposions les trésors ramassés dans le jardin et l'odeur d'un bonheur enfantin.
samedi 11 juin 2011
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7 commentaires:
Quel beau texte! On pourrait presque, nous aussi, en sentir les odeurs...
Qu'est-ce que j'aime ce genre d'évocation dont je me sens proche même si mon histoire est assez différente.
Merci Calyste
Chez moi, du moins dans la maison des vacances, c'était un trio d'odeurs qui l'emportaient sur toutes les autres : le bois nu des escaliers et parquets que ma mère lavait à l'eau javellisée, la mer qui était alors toute proche, et le sable qu'on ramenait dans nos habits et nos maillots.
Et c'est vrai ce que dit Jérôme, on les sent presque tes parfums, rien qu'à la lecture !
Très beau texte Calyste, très évocateur et qui réveille en moi des odeurs particulières, des parfums que j'ai encore en mémoire, même si je suis incapable de les définir vraiment.
Jérôme, Christine et Cornus: merci à tous les trois. J'ai effectivement pris un grand plaisir à écrire ce texte.
La Plume: il y aurait tout un billet à consacrer à l'odeur de la javel qui a toujours été une de mes odeurs préférées.
Pour moi, ce n'est pas l'odeur de la mer, mais celle de l'herbe coupée ou des foins secs que je rapporte de mon enfance.
Analyse psycho-orthographique : et pour Calyste, ces deux vieilles personnes ne formaient qu'une entité unique, indissociable, et bienveillante, au fond :
"ces deux vieillards me donnait à boire et.... portait l'un et l'autre..."
Mais non, ne me balance pas un seau d'eau à la tête, il est très beau ton texte, et c'est mimi et révélateur, ces deux coquilles :-)
Lancelot: grrrrrrrr!
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