Ce matin, c'était théâtre avec les sixièmes. Matières: anglais/français. De courtes saynètes apprises par cœur et plus ou moins mises en scène. Certains avaient même apporté quelques accessoires ou éléments de costume. Pas de quoi se pâmer devant le talent fou de ces chères têtes blondes (bien que certains, et, bien sûr, pas les meilleurs élèves, aient fait preuve d'une certaine sensibilité artistique dans leur interprétation) mais un bon moment tout de même. La semaine prochaine, nous allons découvrir avec eux les costumes du TNP, à Villeurbanne.
Alors que les enfants défilaient sur la scène, j'ai repensé tout à coup à un texte de Camus que j'avais fait étudier à mes élèves de première au tout début de ma carrière parce qu'il m'avait beaucoup plu à l'époque. Étonnant que j'ai pu l'oublier totalement entre temps et qu'il me revienne ainsi à la presque fin de cette même carrière. J'en ai retrouvé un extrait sur Internet, mais pas celui auquel je pensais dans lequel Camus, si je me souviens bien, affirmait que l'on ne peut rendre les autres heureux que si l'on est soi-même heureux.
Le voici tel quel et même si la brièveté de cet extrait ne rend compte que d'une partie de la réflexion de son auteur, il n'est pas loin de me plaire aussi.
Le théâtre est mon couvent.
L’agitation du monde meurt au pied de ses murs et à l’intérieur de l’enceinte sacrée, pendant deux mois, voués à une seule méditation, tournés vers un seul but, une communauté de moines travailleurs, arrachés au siècle, préparent l’office qui sera célébré un soir pour la première fois. Pour moi, en tout cas, le théâtre m’offre la communauté dont j’ai besoin, les servitudes matérielles et les limitations dont tout homme et tout esprit ont besoin. Dans la solitude, l’artiste règne, mais sur le vide. Au théâtre, il ne peut régner. Ce qu’il veut faire dépend des autres. Le metteur en scène a besoin de l’acteur qui a besoin de lui. Cette dépendance mutuelle, quand elle est reconnue avec l’humilité et la bonne humeur qui conviennent, fonde la solidarité du métier et donne un corps à la camaraderie de tous les jours. Ici, nous sommes tous liés les uns aux autres sans que chacun cesse d’être libre…
…Les communautés de bâtisseurs, les ateliers collectifs de peinture à la Renaissance ont dû connaître la sorte d’exaltation qu’éprouvent ceux qui travaillent à un grand spectacle. Encore faut-il ajouter que les monuments demeurent, tandis que le spectacle passe et qu’il est dès lors d’autant plus aimé de ses ouvriers qu’il doit mourir un jour. Pour moi je n’ai connu que dans le sport d’équipe, au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagne les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités.
Pourquoi je fais du théâtre. Albert Camus.
mercredi 8 juin 2011
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7 commentaires:
Je le trouve très juste ce texte, et bien sûr la relation avec les ateliers de batisseurs me touche particulièrement.
"l'on ne peut être soi-même heureux que si l'on fait en sorte de rendre les autres heureux."Et cette phrase m' a frappée aussi car cela fait des années que je l'énonce et essaie de la mettre en pratique, mais dans le sens inverse : on ne peut espérer rendre les gens heureux que si on l'est soi-même.
Est-ce bien différent ?
La Plume: en fait, c'est toi qui as raison. La citation allait effectivement dans ce sens. Merci, je corrige tout de suite.
La Plume: pour le reste, j'en "connais" un autre qui ne devrait pas manquer de réagir!
Comme à Plume, la phrase sur "rendre heureux", quel que soit son sens, me parle. Chez certains aussi, une certaine compulsion à blesser autrui,quelle que soit l'arme, ne peut que trahir aussi le propre mal-être.
Evidemment, le texte sur le théâtre m'a intéressé aussi. L'image des bâtisseurs d'éphémère me plait beaucoup. J'ai essayé de confronter ce que Camus disait, aux modestes expériences personnelles de mise ne scène et écriture théâtrale, mais aussi à l'imaginaire que crée en moi tout ce que je peux entendre dire quotidiennement de ce métier, et puis aussi, mais je suis moins sûr de moi, à un personnage romanesque qui serait peut-être homme de théâtre....
Karagar: j'ai posté ce billet en pensant à toi, bien sûr!
Et moi qui n'ai pas pu véritablement jouer au théâtre au delà du CM2 (pas au collège, pas au lycée). Je ressens bien aujourd'hui combien cela m'a été dommageable.
Cornus: les seules fois où je suis monté sur les planches, dans une troupe d'amateurs, j'étais adolescent, le plus jeune des tous, et tétanisé par la timidité, surtout le jour où mes parents sont venus assister au spectacle!
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