C'est bien lui, encore vivant dans la banlieue de Lyon, le Père Grandet, tel que je me le suis imaginé dans mon adolescence alors que j'essayais de lire le seul roman de Balzac que je ne suis jamais parvenu à terminer. Un ancien militaire tel qu'on ne les imagine pas: trois pommes un peu asséchées par l'âge dominées par un nez aquilin qui lui fait un profil de médaille antique. Il nous avait invités hier soir, à dix, dans son jardin que vient enlaidir une piscine à l'eau verdâtre où, pour rien au monde, je ne tremperais les pieds. Il s'est pourtant fendu, le vieux rat, cette fois-ci, pas comme pour le repas précédent, pris à l'intérieur et gâché par un récital de piano qui n'en finissait pas et digne des balbutiements d'un apprenti peu doué. Je craignais le pire (n'est-ce pas, dans mon tempérament, le digne héritage de ma mère?), il ne vint pas. Au final, si l'on excepte un malaise vagal de sa (presque) compagne à l'apéritif, une soirée agréable dans la moindre touffeur des hauteurs lyonnaises.
Et elle, à qui ressemble-t-elle maintenant, cette cousine que je trouvais si belle autrefois et chez qui j'ai déjeuné aujourd'hui? La chaire un peu alourdie par ses soixante-dix-sept année de célibat, la voix toujours calme et sans la moindre pointe d'accent ligérien, alors qu'elle a toujours vécu à Saint-Chamond. Ma mère prétend qu'un jour, je lui aurais écrit une lettre d'amour. J'en doute. Moi, au contraire, je me souviens que ce fut la première personne à qui, enfant, je déclarais, sûr de moi, que, comme elle, je ne me marierais jamais. Fanfaronnade, transfert amoureux ou prémonition, je ne me trompais pas ce jour-là. Un appartement de vieille fille d'aujourd'hui, propre, banal, où tout objet à sa place, où les souvenirs s'entassent sur les petits bahuts et les tables basses, où les lampadaires et les poignées de porte sont dorés jusque dans le moindre de leurs enlacements baroques. Un intérieur dont je rêvais, enfant, quand nous vivions dans la maison des mines occupée par mes parents et qui, aujourd'hui, ne respire pour moi qu'ennui et immobilité. La cousine Bette? Pourquoi n'ai-je plus de modèle?
dimanche 26 juin 2011
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6 commentaires:
"trois pommes un peu asséchées par l'âge dominées par un nez aquilin" : quel portrait flatteur !
Pas d'accent couramiaud ? Cela existe, effectivement. Mes parents l'ont, mais très atténué (surtout mon père), mais je connais peu de personnes du coin qui ne l'ont pas.
Cornus: oui, pas d'accent. C'est surprenant, en effet. Celui de mes parents est toujours resté, même après des années passées à Lyon.
Oui, d'un autre côté les accents stéphanois et lyonnais restent globalement assez proches même si tu as raison, ma famille maternelle était plus proche du lyonnais
Cornus: je trouve l'accent stéphanois plus proche de celui du Dauphiné que de celui de Lyon, même si, c'est sûr, il y a de fortes ressemblances.
Je crois qu'on en a déjà parlé : c'est marrant car moi, Eugénie Grandet, c'est le seul de Balzac que je sois parvenu à mener à terme !
Lancelot: effectivement, je me souviens d'avoir échangé avec toi sur le sujet.
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