Une autre odeur qui me revient de mon enfance est celle des jours de lessive, quand nous habitions à la campagne. La grande corbeille de linge sale apparaissait un jour ou l'autre de la semaine et nous savions, nous les enfants, que ce jour-là, il faudrait être sage car, je ne sais pourquoi, ma mère était toujours d'une humeur massacrante lorsqu'il s'agissait de le laver.
Déjà, cette corbeille m'attirait irrésistiblement, éveillant ma curiosité enfantine devant les dessous parentaux mêlés à ceux, plus anodins, de mon frère et de mes sœurs. Un slip de mon père, un soutien-gorge de ma mère me plongeaient dans des abîmes de perplexité et je tâchais déjà d'y déceler ce qui pouvait faire la différence entre eux et nous, les gamins, à la vue de qui, en temps ordinaires, ces dessous étaient cachés.
J'aimais le bruit de la robuste machine où ma mère les enfournait bien vite avant que je n'aie pu approfondir, j'aimais l'odeur de savon qui s'en dégageait et les soubresauts qui lui prenait à certains moments de la lessive, comme si les vêtements noyés avaient entamé entre eux une sarabande diabolique. C'était une vieille machine, une sorte de coffre-fort, lourd et massif, qu'il fallait ensuite déplacer jusque devant la porte pour la vider de son eau. Enfin venait le moment que je préférais: celui de l'essorage.
Le haut de la machine était équipé de deux rouleaux de caoutchouc compact qui, lorsqu'on actionnait une manivelle, se mettaient à tourner en sens inverse l'un de l'autre et entre lesquels il fallait glisser le linge encore mouillé. Pour les petits vêtements, les mouchoirs et le serviettes, ce n'était pas trop compliqué mais, lorsque l'on en venait aux draps, il fallait veiller à les positionner correctement, sans laisser trop de plis qui risquaient, à cause de leur trop grande épaisseur, de bloquer le mécanisme. Étant l'aîné, j'étais le seul préposé à aider ma mère et, donc, le seul, à recevoir la foudre parentale en cas de difficulté. Mais ce désagréable inconvénient ne parvenait pas à gâcher en moi le plaisir éprouvé à faire tourner ces rouleaux.
Le linge était mis à sécher en hiver dans une pièce du haut de la maison que nous n'occupions, mon frère et moi, qu'à la belle saison et qui nous servait alors de chambre, l'été dans le pré qui descendait en pente prononcée jusqu'à la mare et au puits et dont nous venions de rentrer les foins coupés. Lorsque, sec, nous allions le ramasser, il sentait bon l'herbe et le soleil et abritait immanquablement des nuées de sauterelles brunes que nous jouions à capturer en évitant de toucher leurs ailes, jugés dangereuses par nos esprits de gosses.
Alors, il fallait plier ces draps et, à ce moment-là, le jeu pouvait commencer: ma mère et l'un de nous tendions bien le linge en le tenant par les deux bouts et, avant qu'il ne soit correctement replié, l'un de ceux qui avait liberté de se mouvoir, s'amusait à passer sous ce pont improvisé, ce qui était permis, ou à taper dessus du plat de la main afin de nous le faire lâcher, ce qui l'était nettement moins.
Le linge propre rejoignait ensuite la grande armoire de la chambre de mes parents et nous redevenait inaccessible jusqu'à sa prochaine utilisation. Devant la porte traînait encore pendant quelques temps les traces savonneuses de l'eau rejetée qui, avant de s'évaporer complètement, réservaient encore moult plaisirs pour mon nez à l'affut.
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16 commentaires:
Alors là, j'ai quelques souvenirs aussi. Ma grand-mère maternelle avait une machine à laver à peu près comme celle de ta mère et je l'ai vue encore s'en servir de temps en temps en complément de celle, plus moderne, de ma tante. Il y avait ces fameux rouleaux en caoutchouc pour l'essorage mais il me semble que ceux-là étaient actionnés par un moteur électrique.
Sinon, je n'ai pas de souvenir personnel très intéressant. En revanche, il y a ceux que m'ont rapporté mes parents quand ils étaient gamins. Chez mes grands parents maternels, il y avait les grandes lessives de printemps où l'on faisait bouillir le linge blanc de l'hiver dans une énorme lessiveuse avec du charbon de bois au fond (source de phosphates), puis le savonnage au lavoir. Un premier séchage étendu sur l'herbe du pré (blanchissement par une forme d'ozonage naturel), puis rincage définitif au lavoir de la colline et étendage sur fil dans le pré.
Chez la grand-mère maternelle de mon père où ils allaient passer les grandes vacances estivales (y compris pendant la guerre), il y avait aussi la lessive (hebdomadaire ?). Ils chargeaient un petit char qu'ils actionnaient à la main et allaient à la rivière où après avoir tout préparé, mon arrière grand-mère se mettaient à la tâche pendant que mon père et sa soeur allaient à la pêche en amont pour attraper d'extraordinaires fritures de vairons principalement et accessoirement quelques goujons, chabots, voire des truitelles. Ils mangeaient le tout dans la foulée.
Alors là j'ai vraiment l'impression de dater de la presque antiquité avec vous deux...
Chez nous c'était lavoir pendant les vacances, et aussi blanchissage sur l'herbe, et à Paris lessiveuse sur la cuisinière à charbon ! Excellent pour les abdos.
J'avais 20 ans quand ma mère s'est décidée à se faire offrir une machine, et encore, elle n'a jamais pu abandonner complètement le lavoir.
Et c'est vrai que tout ça faisait un linge odorant, hmmmmmmm !
C'est vraiment un très joli souvenir... Et je sentais presque les odeurs que tu évoquais. Rien d'aussi "pittoresque" chez moi (question de génération), juste une petite calor bleu ciel...
Cornus: je suis heureux de t'avoir remémoré tous ces souvenirs directs ou indirects. Mais tu devrais toi-même en faire des billets: j'aime quand tu parles de ces choses!
La Plume: chez nous, dans mon village, il n'y avait pas de lavoir. Lorsqu'il n'y avait pas de machine à domicile, les gens faisaient la lessive, comme le dit Cornus, dans de grandes lessiveuses en je ne sais quel métal blanc qui ressemblait à de l'aluminium. Je me souviens aussi qu'alors on utilisait des sortes de carrés bleus sensés blanchir le linge.
Christophe: heureux de te relire après tous tes ennuis de santé. Je sais qu'il y a encore du chemin à faire pour que tu retrouves la forme et te souhaite le meilleur. La Calor, c'était la boule? Nous en avons eu une au début, avec Pierre. La nôtre était orange (question de mode de l'époque, années 70)!
La Calor, non (à moins que je me trompe de nom), c'était la toute petite machine à laver entièrement en plastique. Il fallait la faire tourner à la main (après, il y a eu des modèles électriques).
Me voici bien rêveuse devant tous ces souvenirs. Les tiens et ceux de tes ami(e)s . Rêveuse et nostalgique.
Anna
Anna: tu dois en avoir tout autant à nous raconter. Pourquoi ne te lances-tu pas dans l'aventure du blog?
Christophe: oui, c'est ce que nous avions, mais électrique, il me semble.
Oui, des notes là-dessus, j'aurais pu pour alléger mes commentaires chez toi... Mais c'est sans doute maigre, d'autant que ce ne sont que peu mes propres souvenirs. Pratiquement, paradoxalement pour être plus crédible, je devrais écrire des histoires. Mais bon...
Les "grandes lessiveuses en je ne sais quel métal blanc qui ressemblait à de l'aluminium", il s'agissait de fer ou d'acier galvanisé (au zinc ?) : on en trouve encore.
La petite Calor (bleue) électrique, j'ai connu ça chez mes parents sur le lieux de vacances. On l'alimentait par un jet d'eau pour la rinçcage et ça débordait au fure et à mesure dans le jardin (sinon, cela pouvait se mettre dans la baignoire). Ce genre de modèle existait encore il y a une quinzaine d'années et peut-être encore aujourd'hui.
Cornus: oui, Pierre et moi, nous utilisions aussi la baignoire,tu me fais m'en souvenir!
J'en ai eu une il y a une dizaine d'années. Elle avançait toute seule !
> Cornus : On en trouve encore d'occasion pour une poignée d'euros ! J'ai enquêté ! D'ailleurs ma tante parisienne (la mystique) en a une et m'a lavé une fois mes chaussettes avec !
La lessiveuse des souvenirs tourne à plein...
Quelle mémoire !
Le hublot des machines électriques fait penser à un écran de télé : il faudrait penser à en installer dans les boutiques où elles sont alignées en rang d'oignons...
Georges: toutes mes machines à laver ont ce caractère indépendant, cette envie toujours d'aller voir si c'est mieux ailleurs!
Christophe: Madame Guillon travestie en Mère Denis! J'aurais voulu voir ça!
Dominique: je suis, comme tous, formé de ces petits riens de l'enfance. Pas de nostalgie, une simple curiosité amusée.
Pour l'instant, ma machine à laver tourne bien, mais ma télévision, elle, a décidé de me lâcher juste avant de passer à la modernité. Vingt ans de bons et loyaux services: peut-on lui en vouloir? Mais c'est dit, dès ce soir, j'installe mon fauteuil devant le hublot. Quel programme me conseilles-tu?
"je ne sais pourquoi, ma mère était toujours d'une humeur massacrante lorsqu'il s'agissait de laver."
Vu le boulot dont tu fais la description, moi je crois que j'ai compris, pourquoi !
Lancelot: je ne suis pas sûr que le boulot soit la seule cause de cette humeur.
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