Pour une voix, je me damnerais, je serais capable de m'avilir, de devenir esclave, de ramper aux pieds de l'être qui la possède, à condition qu'il n'en joue pas mais la fasse couler et me la laisse écouter, la laisse m'envahir, me posséder, me transpercer jusqu'au bout du voyage, jusqu'au silence qui en résonne encore.
Pas seulement les voix des théâtres lyriques (alto surtout, qui a toujours été ma tessiture préférée, celle de Kathleen Ferrier que je reconnaîtrais entre mille) mais les voix des actrices aussi (réentendu l'autre jour celle de Suzanne Flon qui me bouleverse à chaque fois, plus aujourd'hui que le croassement guttural du timbre abîmé de Jeanne Moreau). Mais les voix de la radio aussi, énonçant les appellations mystérieuses de la météo marine du soir, Marie-Pierre Planchon, ou nous montrant la voie qu'empruntera pour une heure notre humeur vagabonde, Kathhleen Evin. Mais celles de la vie aussi, celles que l'on entend dans la rue, le long d'un trottoir et sur lesquelles je ne me retourne pas pour en garder l'immatérialité. Celle d'un correspondant au téléphone, de laquelle je me suis laissé caresser quatre heures durant il y a des années pour découvrir, lorsque je l'ai rencontré, que rien d'autre ne pouvait nous rapprocher.
Elle avait le physique de sa voix, elle, la dame du TNP. Je l'avais contactée il y a deux ans pour programmer une visite scolaire. Rien n'avait pu se faire, dates indisponibles et travaux du grand théâtre. Je l'ai rencontrée hier seulement. Pas besoin de me dire que c'était elle, je l'ai reconnue silencieuse, au milieu de toutes les autres. Une femme de mon âge, plus toute jeune mais belle de ses rides et de ses années, une femme qui habillée simplement, comme une déesse en vacances, sut tout de suite ensorceler les élèves que j'ai rarement vus aussi silencieux.
Ce qu'elle leur a dit, je ne le sais pas tout. Assis dans cette salle vide, un peu à l'écart du groupe, je regardais ce corps, banal comme tous les corps émouvants, qui bougeait peu, aux mouvements feutrés, et je buvais la douceur, le phrasé de l'eau qui coule le long de berges herbeuses, frôlant les fonds d'algues vertes et sûre de s'écouler comme on est sûr de la mort, l'hésitation soudaine à choisir un mot plutôt qu'un autre parce qu'elle aussi aime les mots et ne supporte pas de les galvauder, le choc léger contre un galet avant de rebondir dans la souplesse de la limpidité.
Ce sont les femmes qui me font ça, presqu'uniquement. L'eau de leur voix qui me porte aux rêves de genèse, avant l'autre, avant la séparation.
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13 commentaires:
Ouh qu'il est beau ce post, Calyste !
Mais quand on parle de voix, surtout comme ça, on ne peut que me faire fondre...
Moi c'était la voix de Delphine Seyrig qui me fascinait, quand j'avais 20 ans. Et celle de ma prof de philo, encore plus. C'est curieux tiens, moi aussi je ne cite que des femmes, à la voix grave.
(tiens en passant, puisqu'on parle de voix, en ce moment même j'écoute War Requiem à la radio...mais tu n'écoutes plus de musique, as-tu dit récemment, c'est bien vrai, ça ?)
La Plume: c'est drôle, j'ai justement pensé à citer Seyrig en écrivant, et puis, j'ai oublié. Elle me fascine moi aussi, depuis toujours.
Je viens de réinstaller la chaîne à côté de mon bureau. Donc, je réécoute de la musique!!!! Le War Requiem, j'en ai la version éditée par Decca, avec le ténor Peter Pears qui fut le compagnon de Britten, Galina Vishnevskaya et Dietrich Fischer-Diskau.
Ah oui, que ce post est beau, le fin particulièrement... et je partage un peu près tout ce que tu dis, sauf le chant lyrique que je déteste.
Karagar: merci. Pour le lyrique, écoute Kathleen Ferrier, tu changeras d'avis, j'en suis presque sûr.
Calyste > Ah mais c'est que j'ai moult essayé, si tu savais ! Non, non, non, Karagar est désespérément incurable sur le sujet ! je me suis PRESQUE fait une raison...
Eh bien pour le coup, je me sens relativement éloigné de tout cela... Et je me dis que finalement, la musique que je préfère, est-ce que cela ne serait pas celle de la symphonie de certains points spatio-temporels de la nature ?
Et les voix, bien sûr que c'est très important, mais je considère cela comme finalement assez secondaire (sauf pour le chant bien sûr).
La Plume: Ferrier, vous dis-je! Avec un entonnoir s'il le faut!
Cornus: voilà enfin un point de divergence! Pour moi; c'est la voix qui prime! La musique des mots. d'ailleurs, ce blog, à ses débuts, n'avait pas d'autres raisons d'être.
Remise/délestée des mes émotions liées à ce billet, j'avoue aussi que parfois la voix de Jeanne M. m'agace. Mais pas lorsqu'elle parle/chante avec Etienne Daho, les magnifiques textes de Jean Genet "Le condamné à mort".
J'ai découvert très tard certaines voix d'hommes, comme dans COMBATTIMENTO de Monteverdi. Le combat de Tancrède et Clorinde ...
Anna
Pour ma part, je distingue nettement la voix de la musique des mots. Mais je comprends parfaitement bien ton émotion.
Ce post est très beau oui. Et je suis également bouleversée par la voix de Suzanne Flon.
Il m'est arrivé un peu la même chose, une fille inconnue dont j'ai beaucoup aimée la voix avant de voir que nous n'avions rien en commun !
Cornus: mais l'une n'est rien sans l'autre, à mon avis.
Georges: on met tout de même un moment à comprendre et surtout à l'admettre.
Intéressante ta théorie des gens qui ont "le physique de leur voix". Et ceux qui n'ont pas la voix de leur physique ? Le catcheur à voix de fausset et la minuscule couturière au timbre de contrebasse ? Hier à la télé j'ai entendu dans une émission que Cocteau faisait fumer Jean Marais à ses débuts pour rendre sa voix plus grave. Et pourquoi cette violence, au final ? Pourquoi aspire-t-on toujours à une harmonie qui n'existe, très souvent, qu'en phantasme ?
Lancelot: pour moi, la voix prime sur le physique.
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