lundi 2 mars 2009

Le Téléphone du dimanche.

" Les voix de l'extérieur pour ceux qui sont à l'intérieur."
C'est une émission de RCF, Radio Chrétiens Francophones, diffusée le dimanche matin en fin de matinée, à l'heure où je prends ma voiture pour aller un instant sur la tombe de Pierre avant de rejoindre la table familiale.

Comme la météo marine sur France Inter, dont nous sommes maintenant privés si nous n'écoutons pas les Grandes Ondes, ce programme est pour moi fascinant. De quoi s'agit-il? La radio donne la parole pour quelques instants aux familles des détenus des prisons de Lyon et de sa proche région. Les mères, les sœurs, les épouses envoient ainsi leurs messages aux hommes incarcérés qui les entendent s'ils ont branché la radio mais ne peuvent bien sûr leur répondre.

Pendant une bonne heure, les voix défilent, de familles différentes et pourtant toutes les mêmes. D'abord, comme je le laissais deviner, une énorme majorité de femmes, plus à l'aise sans doute avec l'oralité, plus combatives aussi, plus tenaces pour obtenir la ligne. Une grande majorité aussi de familles maghrébines. Des paroles courtes souvent, rappelées à l'ordre par les journalistes si elles empiètent sur le temps des autres. Et toujours le même type de messages dont on pourrait penser qu'ils ne disent rien alors qu'ils disent l'infini de la tendresse.

J'étais surpris au début de ce flot de paroles répétitives, adressées par des femmes qui se présentent elles-mêmes avec un article défini devant leur prénom, comme à Saint-Étienne dans le milieu ouvrier, comme dans mon enfance.

"- Allo, mon gros, c'est moi, ta mère. Ben, j'espère que tu vas bien, mon petit, mon gamin. Ici, ça va, on pense à toi, on t'aime très fort, on espère que tu vas bien. Donne le bonjour au Kamel et à tous ceux qui sont sous les barreaux. Bon, je te passe ta sœur, la Leila. Bon dimanche, mon gros. Ne te fais pas de souci, ici, on va tous bien. pense à toi, mon gamin, on t'aime, garde le moral, mon petit. Voilà, je te passe la Leila. On t'aime, mon grand, on t'aime.
- Allo, oui, mon frère, c'est moi, c'est la Leila. J'espère que tu vas bien, mon frère. Nous, ça va. Le petit est réveillé. on l'emmènera promener tout à l'heure avec ta femme. Toi, garde bien le moral. On pense tous à toi très fort, mon frère. Mercredi, on se voit, au parloir. Il y aura la Nouria avec moi. Elle a pris un jour de congé. On prendra sa voiture. Voilà, mon frère, on t'aime. L'autre jour, on a oublié le linge dans la voiture. Tu l'auras mercredi. Voilà, mon frère. On t'aime. Je te passe le petit. Je t'embrasse, mon frère.
- ....
- Parle-lui, il t'écoute. dis-lui que tu l'aimes, que tu l'embrasses très fort.
- Ze t'embrasse très fort, ze l'aime très fort, mon papa.
- Voilà: il a un peu peur, il ne t'entend pas. Voilà,mon frère, je te passe le Hussein: il veut de dire un mot. A mercredi, mon frère. Garde le moral.
- Ouais, c'est l'Hussein ici. On mange tous ensemble aujourd'hui. On pense bien à toi. Voilà, j'sais pas quoi te dire. Garde bien le moral. Et bonjour au Frédo et au Karim. On m'a dit que tu voyais l'avocat bientôt. Garde le moral. Allez, à bientôt, mon pote. A bientôt. Je te repasse ta mère.
- Il faut penser à conclure, Madame, d'autres appels attendent.
- Voilà, mon petit. Tu vois, on va passer un bon dimanche. Ne te fais pas de souci, garde le moral. Je ne peux pas me déplacer avec mes jambes, mais je t'aime, mon fils. Allez, bon dimanche, mon fils. Garde le moral. Et merci à la radio.
- Merci, Madame et bon courage. Le Téléphone du dimanche, c'est à vous."
- Allo?
- Oui, c'est à vous, Madame, allez-y, vous pouvez parler.
- Allo?
- Oui, c'est à vous, Madame. Vous êtes à l'antenne. On vous écoute."

Sorte de litanie incessante des pauvres, avec leurs pauvres mots qui ne traduisent pas tous leurs sentiments. Il faut répéter comme si, en le faisant, on ajoutait un plus à l'amour que l'on porte. Il faut redire les mots tendres, maladroits, il faut que tous, dans la pièce, se passent le micro pour répéter leur message, le même que le frère, le même que l'enfant, homme, femme, tous dans une parole qui s'unifie pour devenir comme un chant.

J'ai mis longtemps à le comprendre. Aujourd'hui, ce rendez-vous de quelques instants, aux alentours de midi, tous les dimanches matins, me manquerait s'il venait à être supprimé.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve que ce billet répond bien à celui ci : http://www.maitre-eolas.fr/2009/02/23/1323-les-gazelles-du-palais

Les femmes, toujours les plus fortes.

Calyste a dit…

Un bien beau texte que tu me fais découvrir là, MarcelD.