lundi 30 mars 2009

Le Désert de la grâce

Il ne faut pas s'arrêter au titre, un peu mièvre, de ce roman de Claude Pujade-Renaud. Son contenu vaut mieux que ce que ces quelques mots pourraient en laisser deviner. Des voix se mêlent, dans ce Paris de la fin du XVII° et du début du XVIII° siècle, autour de l'abbaye de Port-Royal des Champs. Celle de l'"Invisible" que l'on croit être un homme et qui est la femme par qui les écrits divers du monastère seront sauvés de la destruction. Celle de d'un médecin de la cour, Claude Dodart, fils du médecin des religieuses. Celle surtout de Marie-Catherine Racine, la fille du dramaturge, à la recherche de la véritable personnalité de son père.

Les témoignages, les interrogations se croisent, à travers cette cinquante d'années évoquées, sans ordre chronologique, rien qu'avec le fil ténu d'une pensée linéaire. J'ai eu du mal à entrer dans ce livre. Le thème m'intéressait fortement mais peut-être ai-je au départ été un peu déçu par le genre choisi par l'auteur: celui du roman. Pourtant je reconnais à Claude Pujade-Renaud une grande qualité: celle d'un style agréable, plus léger que rédigé, un style dont, à la lecture, on ne peut deviner qu'il est celui qu'un écrivain femme.

On évoque aussi les "Solitaires", ces messieurs qui se retirèrent du monde et vécurent en ermites autour de l'abbaye. On évoque Blaise Pascal et ses sœurs, Pascal qui, comme Racine, est aujourd'hui inhumé dans l'église Saint-Etienne du Mont. Le jansénisme m'a toujours questionné. Je crus même longtemps, dans mon adolescence, en être un adepte assidu jusqu'à ce que je découvre que certaines de mes faiblesses, ou plutôt que certains des points qui me constituaient en tant que moi ne pouvaient pas
être compatibles avec cette doctrine trop rigoureuse. J'en suis très éloigné aujourd'hui, même si, parfois, les anciennes réactions réapparaissent. Mais, décidément, je mets l'homme au centre et la recherche de la plénitude dans sa vie mortelle au-dessus du désir de la perfection terrestre.

Les deux extraits suivants ne donnent pas vraiment une image du roman, mais je les ai choisis parce qu'ils parlent de Racine et, à travers la narratrice de ces passages, la Champmeslé, de ma tragédie préférée, Phèdre:

Lors de la première- je n'ai pas oublié ce 1er janvier 1677-, j'entrais du fond de la scène, ombre chancelante descendant lentement, progressant à pas retenus vers la demeure des ombres, accomplissant le destin qu'il m'avait assigné, à moi la coupable, la criminelle, au dernier acte de cette tragédie écrite pour moi (...), cette marche brisée, suspendue, à la limite de l'effondrement (...), Cette Phèdre spectrale qui venait de s'empoisonner, touchante et terrifiante en même temps, infiniment lente, ployée puis tentant de se relever afin de proférer le peu qui lui reste à dire, ce peu si essentiel, cette Phèdre-là (....) les stupéfierait.(...) Ils en sont restés muets d'horreur, les importuns sur la scène comme les spectateurs du parterre. J'ai imposé le silence d'où naît la poésie.

Dur et habile, cet homme. En affaires comme au lit. Il affirmait que, après l'amour, mon intelligence des pulsations et sonorités de ses alexandrins, était encore plus aiguisée. Sa voix grave, sensible, travaillait mon corps en profondeur, sur scène ou entre les draps. Ma Champmeslé, ma bien nommée, murmurait-il en me pénétrant, nous avons tant mêlé nos jambes, nos sexes, nos râles, les rythmes de nos souffles et ceux de ses vers, nos humeurs et nos salives. Non, il ne m'aimait pas, et moi non plus. (...) Bien entendu, j'avais d'autres amants, il le savait, qu'importait! Mais avec lui seul j'ai autant joui du langage, au lit comme au théâtre.


(Claude Pujade-Renaud, Le désert de la grâce, Actes Sud)

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