Ils ne l'ont pas attachée aujourd'hui. Elle a été transférée. Dans un autre hôpital, un hôpital gériatrique. A nouveau, elle est perdue, elle crie son angoisse. Ses repères ont disparu. C'est une petite fille.
Lorsqu'elle dort, assommée par les drogues, on dirait un cadavre, cireux, les yeux révulsés dont on aperçoit le blanc à travers les paupières. La seule présence de vie est son ronflement, presque drôle, rassurant. Ronfle, ronfle tant que tu veux.
Lorsqu'elle s'agite, elle ressemble à une petite fille capricieuse qui veut son jouet ou son dessert. Elle s'agrippe, elle repousse, elle frappe. Elle s'accroche à la barrière, se soulève pour s'en aller. Où trouve-t-elle cette force, elle si petit moineau maintenant?
Elle ne veut pas rester. Non pas partir mais sortir, se promener, humer le soleil avant que la nuit tombe. Je te reconnais là, je t'aime. Ce besoin d'être libre et dehors. Je te comprends, je suis le même. Ne pas être contraint, n'accepter que ses propres contraintes. Est-ce toi qui m'as appris?
Lorsque la brume arrive, il y a la mort qui rôde, celle de qui? Qui est mort? Reflux des anciennes douleurs, des plaies qu'il aurait fallu prendre le temps de cicatriser et on ne l'a pas fait. Son enfant est morte et nous l'avons crue solide. Elle est morte aussi, ce jour-là, sa joie.
Alors elle crie son angoisse, elle est une petite fille, elle appelle sa mère. Elle nous insulte, elle ne veut qu'elle pour la prendre dans ses bras. Elle désigne le mur et mâche une phrase que nous ne comprenons pas. Puis le regard s'arrête: elle nous tend les bras et sert fort, fille?, mère?, qui le sait?. Tout se mélange. Je suis son fils et son mari. Elle parle de cercueil: il faudra l'acheter là, tu connais, toi. Elle lui avait bien dit de ne pas travailler autant. Et maintenant, elle est morte. Elle ne peut être que coupable, encore une fois, toute sa vie.
Elle va bientôt mourir, ma maman.
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5 commentaires:
Que d'amour dans ce billet !
Je suis toujours aussi surprise de constater les démons qui peu à peu prennent le pas dans le cerveau de nos séniors...
Comme je n'aurais pas voulu avoir à vivre de pareils moments. J'en ai vécu d'autres, et pas forcément très joyeux.
Et, paradoxe de l'homme, je donnerais cher pour pouvoir vivre quoique ce soit d'autre aujourd'hui avec elle.
Ce texte résonne. Parce que je ne vois plus mes parents. Parce que lors de mes stages en maison de retraite j'ai souvent entendu des personnes désorientées évoquer leur mère.
Très émouvant, j'en ai eu des frissons.
Il existe peut être dans ce domaine, des choses à inventer, des solutions alternatives telles que les Babayagas de Montreuil l'expérimente en ce moment: Maison de retraite auto-gérées où l'esprit ne deviendrait pas sénile aussi vite...peut être.
Je te serre. Fort.
Parce que je sais qu'un jour, je vivrai cela moi aussi, et que j'en frissonne à l'avance.
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