A la poste il y a une heure pour faire peser et timbrer un courrier. Une queue importante dans le bureau. Elles le sont toujours mais là, ça dépassait tout ce que j'avais déjà connu. Je prends ma place dans la file, maudissant les déodorants qui ne tiennent pas jusqu'à la fin de l'après-midi ou qui restent à sécher sur l'étagère sans que quiconque pense à les utiliser. L'avancée se fait lentement. Trois guichets sur les quatre sont ouverts. On ne peut donc pas trop se plaindre. Le quatrième est même au bout d'un moment occupé par un supérieur, sans doute, mais qui ne veut se charger que des lettres ou colis à récupérer.
A un moment arrive un homme corpulent et rougeaud qui coupe la file et va s'installer ostensiblement près d'un guichet. Le client précédent parti, il se pose et fait ses affaires. Personne ne bronche. Je remarque qu'au-dessus de ce guichets, en plus de la mention "Toutes opérations" se lit une inscription plus énigmatique: " carte Pros". Ce monsieur doit donc être un pro, cette race qui, multipliée, passe outre l'orthographe française et adjoint un "s" à ce qui n'est pourtant même pas une abréviation mais un préfixe pur et simple.
Je décide, lorsqu'il repassera près de moi pour sortir, de lui demander, avec le maximum de politesse en ma possession à ce moment-là et toute la diplomatie dont je serai capable, en quoi cette carte lui donne la priorité sur une vingtaine d'autres personnes qui attendent leur tour. Je n'en aurai pas l'occasion. Non seulement ce monsieur ne sort pas et s'assoit dans le bureau pour lire son courrier recommandé, sans doute moins sensible que moi à l'atmosphère ambiante, mais un autre, celui-ci d'origine asiatique, effectue la même manœuvre de dépassement que le précédent. La dame derrière moi commence à faire entendre de légers grognements. C'est bon signe, signe que je peux attaquer avec l'espoir de rencontrer quelque soutien autour de moi. A ma question, l'asiatique répond fort poliment que cette carte pro est une carte pour les entreprises et qu'elle donne effectivement la priorité aux guichets.
Arrivé devant la préposée, je lui fais connaître, poliment moi aussi, car elle n'y est pour rien, mais fermement tout de même, mon sentiment sur cet état de fait. Non seulement ce bureau est, depuis des années, trop petit pour le quartier de la Part-Dieu, mais en plus la Poste se met elle aussi au service à deux vitesses: ceux qui ont les moyens de ne pas attendre et les autres, toujours les mêmes, qui marinent dans leur sueur et leurs odeurs mêlées.
Pourquoi ces entreprises n'utilisent-elles pas des boîtes postales? Pourquoi, si l'obtention de leur courrier est si pressée, ne font-elles pas affaire avec des entreprises privées?
Et, divine surprise, cette femme de cinquante ans est d'accord avec moi. Elle ne cautionne pas la politique de ce service public qu'est encore, il me semble, la Poste. Elle m'indique gentiment qu'il existe des automates à l'extérieur qui auraient pu me faire gagner du temps mais qu'elle ne s'en sert elle-même jamais. Je la comprends: comme pour les pompistes il y a quelques années et comme bientôt pour les caissières de grandes surfaces, ces machines auront bientôt raison de son emploi et de celui de ses collègues. En plus, me dit-elle avec un grand sourire, elles ne parlent pas, ces machines. Et elles ne sourient pas aussi bellement que vous, chère madame que je remercie pour sa sincérité et sa gentillesse.
Quand je suis ressorti du bureau de poste, personne n'avait bronché: chacun attendait son tour, résigné, comme des bœufs devant le pistolet à l'abattoir. Mais il y avait un peu de soleil dans le ciel gris. Alors j'ai souri. Comme ça, à personne. Ou à moi, c'est comme on veut.
vendredi 15 mai 2009
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4 commentaires:
Enfin, comparer la file d'attente à un comptoir à celle pour l'abattoir me laisse un peu dubitatif.
Tu n'as pas vu les yeux des gens!
Non, mais Olivier ne se rend pas compte, car lui aussi il a une carte "Pro"..... :-D
Un nanti, tu crois?
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