Aujourd'hui cinq novembre je commence mon récit. Je noterai tout, aussi exactement que possible. Pourtant je ne sais même pas si aujourd'hui est bien le cinq novembre. Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance. Je n'ai à ma disposition que quelques rares indications, car il ne m'était jamais venu à l'esprit d'écrire ce récit et il est à craindre que dans mon souvenir bien des choses ne se présentent autrement que je les ai vécues.
Ce défaut est sans doute inséparable de tout récit. Je n'écris pas pour le seul plaisir d'écrire. M'obliger à,écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n'ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d'hiver. Il est peu probable que ces lignes soient un jour découvertes. Pour l'instant je ne sais pas si je le souhaite. Je le saurai peut-être quand j'aurai fini d'écrire ce récit.
J'ai entrepris cette tâche pour m'empêcher de fixer yeux grands ouverts le crépuscule et d'avoir peur. Car j'ai peur. la peur de tous côtés monte vers moi et il ne faut pas attendre qu'elle m'atteigne et me terrasse. J'écrirai jusqu'à ce que la nuit tombe et jusqu'à ce que ce travail dont je n'ai pas l'habitude me rende somnolente, la tête vide. Ce n'est pas le matin que je crains, mais les longs après-midi ténébreux.
(Marlen Haushofer, Le Mur invisible. Trad. de Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon. Actes sud)
mardi 25 octobre 2011
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3 commentaires:
Mmmmmmm.... voilà exactement le style d'extrait susceptible de me faire acheter le livre. Merci du tuyau !
La peur justement, celle dont j'ai parlé pendant les 250 pages de l'histoire d'Hervé.Mais je passe à autre chose. Il a pris son arc et a tiré une fléche. Alors il a sans doute commpris qu'il était devenu libre.
Lancelot: lu en un après-midi, il y a des années de cela. Prêté trois ou quatre fois, jamais rendu: c'est dire s'il est bon!
Didier: tu penses à la publication?
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