Depuis deux mois, quatre femmes sont mortes à la clinique de ma mère, dont deux entre hier soir et ce matin. L'ambiance était morose ce soir parmi les survivantes. En vase clos, la disparition se fait plus rudement sentir et l'on ne perd pas impunément une compagne de plusieurs années.
La première à partir, fin août, fut la douce Cécile, au magnifique visage de bébé dont le sourire faisait fondre de tendresse même le plus endurci des visiteurs. On aurait dit une vierge de tableau primitif italien une fois les ans passés sur son corps malingre. J'aimais bien la croiser au hasard des couloirs dans son fauteuil roulant lorsque quelqu'un avait le temps de le pousser ou bien prenant un peu de soleil sous la verrière quand le temps le permettait. Elle m'apaisait de sa sérénité retrouvée.
Puis il y eut Solange qui traîna longtemps et que l'on ne voyait plus guère au milieu des autres. Pour lui permettre d'avoir de l'oxygène, ma mère lui avait cédé sa chambre et avait pris la sienne. Au-dessus du lit, quelques cartes postales de Savoie montrant des sommets enneigées. Était-ce cela qu'elle regardait chaque soir avant de s'endormir au cœur de ce huitième arrondissement si désespérément plat ?
Hier soir, une autre dame que je n'ai jamais vue. Elle avait passé quelques temps dans une maison de retraite toute proche avant de venir mourir ici, dans ce qui, sans doute, avait été sa vraie maison, au milieu de sa vraie famille.
Ce matin, Michelle, un vieux corps amaigri à la tête presque chauve qui ne se déplaçait qu'en frottant rudement ses pieds sur le sol. Toujours silencieuse. Lorsqu'elle essayait de parler, ou à la moindre émotion, au moindre effort, il sortait de sa bouche quelque chose qui ressemblait au bruit que produit la cigogne lorsqu'elle craquette.
Toutes plus jeunes que ma mère à l'exception de Cécile. Ma mère, actuellement, est la "vice-doyenne", son aînée, Gabrielle, se portant comme un charme ou presque et passant ses journées à tricoter sans relâche des écharpes qu'elle envoie par je ne sais quel canal dans les pays en voie de développement. Elle est sourde comme un pot et n'y voit que d'un œil mais possède encore un chignon impeccable et une élocution claire et raisonnable, au français irréprochable.
Sans doute d'autres viendront-elles remplacer les absentes et la cellule familiale féminine se reconstituera-t-elle. Jusqu'au prochain départ.
mercredi 12 octobre 2011
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5 commentaires:
Je pense que tu prêtes attention à des choses que je négligerais peut-être, à tort. En tout cas, tout ce qui touche à la fin de vie continue de m'interroger.
Pas bien gai pour commencer la journée! Alors histoire de se changer les idées, la (le) prochain sur la liste: Martine ou...François? Bonne journée.
Cornus: j'y prête sans doute attention parce que j'y suis confronté presque journellement. C'est un univers que je ne connaissais pas auparavant.
Didier: pour la fin de vie en politique, je pencherais plutôt pour quelqu'un d'autre!
sans y être confrontée, je prête une grande attention aux personnes (très) âgées que je croise. Leur détresse me touche, et parfois, je l'invente cette détresse, par pitié.
Elles me rappellent un courage que je n'ai pas, que j'aurais peut être en temps voulu : celui de marcher perpendiculaire, d'avancer à 0.3 km/h dans une foule frénétique etc..
Avec mon cerveau de 29 ans je me dis que je n'aurai pas le courage de devenir comme ça. Plutôt dépasser la dose.
Georges: je ne crois pas que ce soit une histoire de courage. Moi, je rêve de devenir vieux (par rapport à mon père et à mes grands-pères, je fais du rab depuis longtemps!). Et puis, j'aurai tellement de plaisir à faire chier le monde!
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