Les mains de George cessèrent de manier les cartes. Sa voix se fit plus intense.
-Et nous pourrions avoir quelques cochons. J'pourrais construire un fumoir comme celui qu'avait grand-père, et, quand on tuerait le cochon, on pourrait fumer le lard et le jambon, et faire du boudin et un tas d'autres choses. Et quand le saumon remonterait la rivière, on pourrait en attraper un cent et les saler et les fumer. On pourrait en manger au premier déjeuner. Y a rien de meilleur que le saumon fumé. À la saison des fruits, on pourrait faire des conserves... les tomates, c'est facile à mettre en conserves. Tous les dimanches, on tuerait un poulet ou un lapin. Peut-être bien qu'on aurait une vache ou une chèvre, et de la crème si épaisse qu'il faudrait la couper au couteau et la prendre avec une cuillère.
Lennie le regardait, les yeux écarquillés, et le vieux Candy le regardait aussi. Lennie dit doucement:
- On vivrait comme des rentiers.
- Pour sûr, dit George. Un tas de légumes dans le jardin, et, si on voulait un peu de whiskey, on n'aurait qu'à vendre quelques œufs ou quelque chose, ou du lait. C'est là qu'on habiterait. Ça serait notre chez-nous. Y aurait plus besoin de courir le pays et de se faire nourrir par un cuisinier japonais. Non, non, nous aurions notre propre maison qui serait à nous, et on ne dormirait plus dans une chambrée.
- Parle-moi de la maison, George, supplia Lennie.
- Oui, on aurait une petite maison et une chambre pour nous autres. Un petit poêle en fonte tout rond, et, l'hiver, on y entretiendrait le feu. Y aurait pas assez de terre pour qu'on soit obligé de travailler trop fort. Six ou sept heures par jour, peut-être bien. On aurait pas à charger de l'orge onze heures par jour. Et, quand on planterait une récolte, on serait là pour la récolter. On verrait le résultats de nos plantations.
- Et des lapins, dit Lennie ardemment. Et c'est moi qui les soignerais. Dis-moi comment que je ferais, George ?
- Bien sûr, t'irais dans le champ de luzerne avec un sac. Tu remplirais le sac et tu l'apporterais dans les cages aux lapins.
- Et ils brouteraient, ils brouteraient, dit Lennie, comme ils font, tu sais. J'les ai vus.
- Toutes les six semaines, à peu près, continua George, y en aurait qui feraient des petits. Comme ça, on aurait des tas de lapins à manger ou à vendre. Et nous garderions quelques pigeons pour voler autour du moulin, comme ils faisaient quand j'étais gosse.
(John Steinbeck, Des Souris et des Hommes. Gallimard. Trad. de M-E Coindreau.)
samedi 29 octobre 2011
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2 commentaires:
A cause de Steinbeck, j'ai repensé au film "Les Raisons de la colère" et à son noir et blanc fort (et Ford).
Voir ici une traduction sans doute automatique d'un texte en anglais : la VF est toujours plus rigolote !
Dominique: "il a délié la foudre fatal de son épée rapides terrible"! Ça valait effectivement le détour!
J'avais beaucoup aimé le roman et n'ai pas été déçu par le film. Steinbeck est sans doute un de mes auteurs (américains) préférés.
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