dimanche 30 octobre 2011

Une bonne idée de Gore Vidal pour le film Ben Hur. (William Wyler, 1959)

Interview de Gore Vidal par Bruno Villien.

Bruno Villien : La même année 1959, vous avez collaboré à Ben Hur...

Gore Vidal : J'ai passé à Rome les trois premiers mois du tournage. J'ai écrit environ les deux premiers tiers du scénario, jusqu'à la course de chars. Et Christopher Fry a écrit le reste. Ni l'un ni l'autre nous ne figurons au générique. Un écrivain, qui avait travaillé sur une cinquième version avant nous, a signé seul, parce qu'il se trouvait être président du syndicat des scénaristes (1). Le producteur étant mort, il a dit - et pourtant, Fry et moi, nous étions à Rome avec Wyler ! - qu'il avait envoyé au producteur, à Rome, les pages qu'il avait écrites à Hollywood. Ce n'est pas un film que j'aimerais emporter dans ma tombe.


Il y a une bonne scène, et c'était une scène homosexuelle. William Wyler m'a dit : « Comment justifiez-vous ce fouillis ? » Quand nous sommes arrivés, il n'y avait qu'un énorme scénario impossible à tourner. Les décors étaient déjà construits, la MGM courait à la ruine... Willie, Sam et moi sommes venus en avion de New York, dans un de ces vieux SAS où vous aviez une couchette pour dormir. Willie a passé la nuit à lire ce scénario qui ressemblait à l'annuaire du téléphone. Le matin, il était vert, il a dit: « Mon Dieu, c'est terrible ! » - « Pourquoi l'avez-vous accepté ? » - « Vous connaissez quelque chose aux Romains ? » - « Oui, des tas de choses ! » - « Ah, Dieu merci ! » Et Willie s'est fait passer tous les films qu'on avait fait sur les Romains, comme si vous pouviez apprendre quoi que ce soit d'un film : Quo Vadis, le premier Ben Hur...


Il m'a dit : « Nous avons un problème, et si nous le résolvons, le film fonctionne : pourquoi deux jeunes hommes qui ne se sont pas revus depuis qu 'ils étaient amis dans leur adolescence, se disputent-ils ? Le Romain veut que le Juif lui apporte son aide politique, le Juif refuse, ils ont une dispute terrible, et voilà le film parti pour deux heures. Comment montrer cela en une seule scène ? » Je lui ai répondu : « Willie, voici comment vous faites : vous ne le montrez pas ! » - « Comment cela ? » - « Vous êtes d'accord avec moi que le point de départ est ridicule. Une dispute politique entre deux jeunes hommes qui ont été des amis intimes ne va pas produire une haine telle qu 'elle nourrit un drame entier. » Il était d'accord.

« Voici ma solution. Adolescents, ils étaient amants. Ils se retrouvent. Le Romain veut reprendre la liaison, le Juif refuse. » — « Mon Dieu, Gore, c'est Ben Hur, vous ne pouvez pas faire cela ! » (rires) — « Vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Vous n 'êtes pas obligé d'être explicite. Je vais vous écrire une scène d'amour dans laquelle le Juif repousse le Romain. Elle aura un tel pouvoir d'émotion qu'elle déterminera tout le film. Vous comprendrez, le public sentira que quelque chose de terrible se brise entre eux.

Le mot « homosexuel » ne sera jamais utilisé, personne ne touchera personne, Willie, je vous le promets ! » - « Essayez, n'importe quoi vaut mieux que ce que nous avons ! » J'ai coupé la scène en deux, je l'ai écrite, et nous avons appelé les deux garçons, Stephen Boyd et Charlton Heston. Willie m'a dit : « Ne dites rien à Chuck, il tombera en morceaux s'il apprend de quoi il s'agit. » Et Heston n'en a rien su. Je l'ai dit à Stephen Boyd, qui a répondu : « Pourquoi pas ? Essayons ! » Ils ont lu la scène, et on l'a tournée. Quand vous verrez le film, regardez bien ce que fait Boyd : Boyd regarde Heston avec une expression de désir comme vous n'en avez jamais vue. Quand Heston le rabroue pour des raisons politiques, Boyd donne une impression de rage, dans une scène étrange où il caresse le grand chien qui se trouve à ses côtés. Et vous comprenez que commence un « chagrin d'amour ». Willie nie que cette conversation ait jamais eu lieu. La dernière fois que je l'ai vu, il y a deux ans, il m'a dit : « Gore, ce n 'est pas vrai ! » Je lui ai répondu : « Willie, regardez le film ! Voilà ce que vous avez mis en scène, voilà ce que j'ai écrit, voilà ce que Stephen Boyd a joué, voilà ce qui est sur l'écran ! » - « Peut-être que je voulais l'effacer... » - « Je ne sais pas ce que vous vouliez, mais c'est comme ça » (rires).

(1) Il s'agit de Karl Tunberg, né en 1907 : scénariste (A Yank in the RAF, 1941 - Beau Brummel, 1954) et producteur (Masquerade in Mexico, 1945).

Revue Cinématographe n°96, Propos recueillis et traduits par Bruno Villien, janvier 1984, page 48

4 commentaires:

Lancelot a dit…

Suite à notre conversation téléphonique d'hier....

Tu vois, cette note aura tout de même été commentée !

Elle m'en a rappelé une autre que j'avais publiée il y a déjà... trois ans et demi... Mon Dieu que le temps passe... Si ça t'intéresse, c'est ici :

http://boatonthesea.hautetfort.com/archive/2008/04/09/decrypte.html#more

Bon, c'est un cadeau d'anniversaire un peu "pauvre", je veux bien le reconnaître... Mais je ne pouvais pas te faire expédier de fleurs par Interflora, je n'avais pas ton adresse !

Certes, maintenant je l'ai, mais la date est passée... ah ah. Alors, prends ceci juste comme une pensée amicale, grand frère. :)

Calyste a dit…

Lancelot: m'offrir Steevy pour mon anniversaire! Alors là, pas mon genre du tout! Bon, je rigole: merci de ta délicate attention.

Lancelot a dit…

Je me doute bien que Charlton Heston (dans se jeunesse) devait être davantage à ton goût... Mais, que veux-tu... les temps changent. Les uns partent, les autres restent... En l'occurence, pour Steevy, j'ai l'impression qu'il est là depuis des lustres tellement il m'horripile quand je le croise au hasard des ondes...

Calyste a dit…

Lancelot: même dans sa jeunesse, je n'ai jamais beaucoup fantasmé sur Heston! Moi, c'était plus Grant et ses belles oreilles!
Des lustres, et ce n'est pourtant pas une lumière!