Terminé le récit du japonais Sôseki, Choses dont je me souviens (Picquier poche).
Terrassé par une hémorragie après une première hospitalisation, l'écrivain, à 44 ans, échappe à la mort de justesse et raconte dans une sorte de journal les sensations éprouvées aux portes de l'au-delà, puis après, dans la phase de renaissance, mêlant à ces notations des commentaires de lectures et des poèmes (kanshi, en chinois classique, et haïkus) .
Livre étrange, inégal mais très attachant, d'abord par son thème, que l'écrivain traite très pudiquement, sans clin d'oeil aucun vers le paranormal si prisé aujourd'hui, ensuite par sa forme, alternance du prosaïsme le plus quotidien et de la poésie quasi romantique.
Les commentaires de lecture sont aussi très intéressants, la plupart traitant d'oeuvres d'auteurs occidentaux et rédigés donc par un écrivain extrême-oriental qui déplace ainsi l'angle de vue que nous avons habituellement ici, en France ou en Europe.
Il m'a rappelé également que Dostoïevski avait lui aussi frôlé la mort, mais lui devant un peloton d'exécution, ce que j'avais totalement oublié.
Voici un extrait de ce récit, situé au chapitre 32, vers la fin du livre. Je ne sais pas si je peux légalement, vis à vis des droits d'auteurs, citer ces quelques lignes. Je le fais parce que je les trouve particulièrement belles, pour rien d'autre.
Vers le moment où on pensa qu'il était devenu possible de me transporter, deux médecins vinrent de Tôkyô pour confirmer cet avis et déclarèrent qu'il me faudrait patienter deux semaines. Dès le lendemain, je me mis à regretter d'abandonner cet endroit où j'étais alité , cette chambre où je dormais. Et je souhaitais que ces deux semaines passent le plus lentement possible. (...) Je restais sans faire un geste, étendu sur un matelas de paille d'une épaisseur de quarante centimètres environ, et j'attendais. J'attendais le bruit que ferait dans le silence du jardin une carpe en fendant l'eau. Je guettais les bergeronnettes qui sautillaient en remuant la queue sur les tuiles du toit mouillées de la rosée du matin, de côté et d'autre. J'attendais aussi les fleurs qu'on plaçait à mon chevet. Je prévoyais le bruit de l'eau qui coulait juste sous la véranda en gazouillant. J'avais envie de m'attarder parmi toutes ces choses qui m'entouraient et me concernaient, et j'ai attendu que s'achèvent les deux semaines annoncées.(...) Et mon dernier souvenir est marqué par l'aube ruisselant d'une pluie torrentielle. J'ai plongé un regard dans les ténèbres et j'ai demandé: "Il pleut?" Oui, c'était la pluie.
Ou encore (chapitre 30):
Le lendemain du jour où j'avais résolu de contempler jusqu'à satiété les lis qui couvraient les flancs de la vallée entre deux montagnes, je suis tombé mort.(...) Au plus profond de la verdure qui tentait de recouvrir les fleurs, un lourd parfum d'ombre stagnait, et au moindre souffle de vent, les feuilles se pressaient les unes contre les autres, douleureusement presque... L'autre jour, un client de l'auberge en avait cueilli une qu'il avait rapportée de la montagne et, m'inspirant à la fois de la blancheur de cette fleur unique qu'on avait disposée dans un flacon à saké en guise de vase, de sa grosseur et de son parfum, j'ai dessiné dans ma tête un immense tableau qui n'existe probablement nulle part.
( Les deux extraits sont tirés de la traduction d'Elisabeth Suetsugu.)
dimanche 9 décembre 2007
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1 commentaire:
Elisabeth Suetsugu? De Ker-Mazoël, Finistère?
Abriel Perec
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